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Jurisprudence : Diffamation

mardi 28 août 2012
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Tribunal de grande instance de Paris 17ème chambre correctionnelle Jugement du 7 juin 2012

C. M. / François H, Serge L., Ouest France

article - bonne foi - diffamation - diffusion - droit de la presse - presse - publication de presse - site internet

PROCÉDURE

Par actes d’huissier en date du 22 avril 2011, C M a fait citer devant ce tribunal (17ème chambre correctionnelle – chambre de la presse), à l’audience du 21 juin 2011, François Régis H., directeur de la publication du quotidien Ouest France, Serge L., journaliste, et la société Ouest France, pour y répondre respectivement comme auteur, complice et civilement responsable, du délit de diffamation publique envers un particulier, prévu et réprimé par les articles 29 alinéa 1 et 32 alinéa 1 de la loi du 29 juillet 1881, à la suite de la publication dans l’édition des samedi 22 et dimanche 23 janvier 2011 du journal Ouest France, d’un article intitulé “Deux responsables d’association routière en examen”, article relayé sur divers sites internet dont le site www.ouest-france.fr, dont il considère les passages ci-dessous reproduits attentatoires à son honneur et à sa considération :
“La présidente et le vice-président de l‘Association des victimes de la route ont été mis en examen pour exercice illégal de la profession d’avocat et escroquerie.”
“Parmi les intervenants bénévoles figurait C. M., le gérant de la société Actua Conseil, qui se présentait comme un conseiller juridique alors qu‘il ne l’est pas.”

La partie civile sollicite la condamnation solidaire des prévenus à lui payer la somme de 50 000 € à titre de dommages-intérêts, la publication du dispositif du jugement à intervenir dans les journaux Ouest France, 20 Minutes, Le mensuel de Rennes et Le Télégramme, le prononcé de l’exécution provisoire, ainsi que la somme de 4000 € sur le fondement de l’article 475-1 du code de procédure pénale, outre le remboursement des frais d’huissier exposés.

A l’audience du 21 juin 2011, le tribunal a fixé le montant de la consignation à la somme de 1000 €, qui a été versée le 8 septembre 2011, et a renvoyé l’affaire aux audiences des 15 septembre 2011, 1er décembre 2011 et 16 février 2012, pour relais, et 3 mai 2012, pour plaider.

A l’audience du 3 mai 2012, la partie civile était présente et assistée de son avocat, tandis que les prévenus et la société civilement responsable étaient représentés par leur conseil.

Après le rappel des faits et de la procédure, le tribunal a procédé à l’audition de la partie civile ; puis il a entendu, dans l’ordre prescrit par la loi :
– le conseil de la partie civile, qui a maintenu les demandes présentées dans la citation et a également sollicité la suppression de l’article litigieux du site internet d’Ouest France, ainsi que son retrait du site “Vannesmaville.com”,
– le ministère public en ses réquisitions, concluant à l’absence d’enquête sérieuse,
– l’avocat de la défense, qui a développé ses conclusions et demandé la relaxe, en raison du défaut de caractère diffamatoire des propos et, en tout état de cause, du bénéfice de la bonne foi.

A l’issue des débats et conformément aux dispositions de l’article 462, alinéa 2, du code de procédure pénale, les parties ont été informées que le jugement serait prononcé le 7 juin 2012.

A cette date, la décision suivante a été rendue.

DISCUSSION

Sur les faits et les propos poursuivis

Dans son édition datée des samedi 22 et dimanche 23 janvier 2011, le quotidien Ouest France a publié, en page 9, un article intitulé “Deux responsables d’association en examen“, qui a notamment été repris sur le site internet du journal accessible à l’adresse www.ouest-france.fr.

La partie civile poursuit comme diffamatoires à son encontre les passages qui seront ci-dessous reproduits en caractères gras :

L’article, rédigé par Serge L. est sous-titré :
“La présidente et le vice-président de l’Association des victimes de la route ont été mis en examen pour exercice illégal de la profession d’avocat et escroquerie”.

Il commence en ces termes :
“M. L. n’a eu de cesse durant deux jours de garde à vue de marteler sa bonne foi. La présidente de l‘Association des victimes de la route de Bretagne (AVRB) basée à Rennes, est soupçonnée de complicité d’exercice illégal de la profession d‘avocat. Elle a été entendue, ainsi que le vice-président, par les policiers de la brigade financière de la PJ de Rennes. Le barreau de Rennes avait porté plainte.
L’AVRB offre à ses 1500 adhérents des consultations gratuites assurées par des avocats, des médecins, des psychologues.”

Après avoir cité les propos d’un membre de l’association, il poursuit :
“Parmi les intervenants bénévoles figurait C. M., le gérant de la société Actua Conseil qui se présentait comme un conseiller juridique alors qu’il ne l’est pas. […] Ce sont les prestations juridiques de cette société qui ont déclenché la plainte du barreau de Rennes en début de mois pour “exercice illégal de la profession d’avocat”.”

Le journaliste reprend des propos de la bâtonnière et conclut ainsi :
“Vendredi soir, les deux responsables de l’AVRB ont été mis en examen, à l’issue de leur garde à vue, pour exercice illégal de la profession d’avocat, escroqueries et tentatives d’escroquerie. Ils ont été remis en liberté et placés sous contrôle judiciaire.

Pour C. M. :
“La présidente et moi-même nions ce qu‘on nous reproche. Il n‘y a pas d’escroquerie. J’ai pris soin de faire valider mes conventions d’honoraires par un avocat spécialisé.“

Sur le caractère diffamatoire des propos

Il sera rappelé à cet égard que :
– l’article 29, alinéa 1er, de la loi du 29 juillet 1881 définit la diffamation comme “toute allégation ou imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé” ;
– il doit s’agir d’un fait précis, susceptible de faire l’objet d’un débat contradictoire sur la preuve de sa vérité, ce qui distingue ainsi la diffamation, d’une part, de l’injure -caractérisée, selon le deuxième alinéa de l’article 29, par “toute expression outrageante, termes de mépris ou invective qui ne renferme l‘imputation d’aucun fait”- et, d’autre part, de l’expression d’une opinion ou d’un jugement de valeur, autorisée par le libre droit de critique, celui-ci ne cessant que devant des attaques personnelles ;
– l’honneur et la considération de la personne ne doivent pas s’apprécier selon les conceptions personnelles et subjectives de celle-ci, mais en fonction de critères objectifs et de la réprobation générale provoquée par l’allégation litigieuse, que le fait imputé soit pénalement répréhensible ou manifestement contraire aux règles morales communément admises ;
– la diffamation, qui peut se présenter sous forme d’allusion ou d’insinuation, doit être appréciée en tenant compte des éléments intrinsèques et extrinsèques au support en cause, à savoir, en l’espèce, tant du contenu même des propos que du contexte dans lequel ils s’inscrivent.

La partie civile reproche à l’article de la présenter comme un escroc et comme vice-président de l’association alors qu’elle n’y travaillait qu’en simple consultant.

Les prévenus font observer que la citation n’articule pas complètement le grief diffamatoire et semble invoquer une atteinte à la présomption d’innocence.

Toutefois, la citation précise sans équivoque les passages incriminés et il appartient au tribunal de décider quelles allégations ils renferment.

Les passages poursuivis imputent à C. M., nommément désigné, d’avoir été mis en examen pour exercice illégal de la profession d’avocat et escroquerie, alors qu’il était vice-président de l’association, et de s’être faussement présenté comme un conseiller juridique.

Il s’agit de faits précis, qui sont attentatoires à l’honneur et à la considération, dès lors qu’ils sont pénalement répréhensibles et tendent à tromper les victimes de la route.

Les propos seront donc retenus comme diffamatoires.

Sur la bonne foi

Les imputations diffamatoires sont réputées, de droit, faites avec intention de nuire, mais elles peuvent être justifiées lorsque leur auteur établit sa bonne foi, en prouvant qu’il a poursuivi un but légitime, étranger à toute animosité personnelle, et qu’il s’est conformé à un certain nombre d’exigences, en particulier de sérieux de l’enquête, ainsi que de prudence dans l’expression, étant précisé que la bonne foi ne peut être déduite de faits postérieurs à la diffusion des propos.

II était légitime pour le journal Ouest France d’informer ses lecteurs sur une affaire pénale en cours intéressant une association locale de défense des victimes de la route.

Par ailleurs, aucun élément ne permet de penser que le journaliste aurait été mû par une animosité de nature personnelle envers la partie civile.

En revanche, il n’est pas justifié d’une enquête sérieuse, dès lors que l’article indique à plusieurs reprises et de manière erronée que C. M. était vice-président de l’association, ce qui est manifestement faux. Les prévenus produisent d’ailleurs eux-mêmes un document montrant qu’il n’avait pas cette qualité et c’est la partie civile qui verse aux débats l’ordonnance de placement sous contrôle judiciaire la concernant, qui justifie de sa mise en examen.

En outre, les dénégations de l’intéressé sont certes signalées en fin d’article ; toutefois, la partie civile explique qu’elle a tenu ces propos aux enquêteurs et au juge d’instruction, mais nullement au journaliste ; ce dernier ne démontre pas qu’il aurait cherché à la contacter pour recueillir personnellement ses observations et assurer ainsi de façon plus efficace le caractère contradictoire de son enquête.

De plus, il n’est justifié d’aucun élément permettant d’affirmer, sans nuance comme le fait l’article, que C. “se présentait comme un conseiller juridique », alors que celui-ci produit justement plusieurs attestations en sens contraire.

En conséquence, le bénéfice de la bonne foi ne peut être accordé aux prévenus qui seront déclarés coupables des faits qui leur sont reprochés ; ils seront condamnés à une peine d’amende modérée en son montant.

Sur l’action civile

II y a lieu de recevoir C. M. en sa constitution de partie civile.

Compte tenu de l’ensemble des éléments de la cause, en particulier du fait que l’article a été diffusé sur internet, il convient de lui accorder la somme de 2000 € à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice moral subi, outre celle de 1500 € en application de l’article 475-1 du code de procédure pénale -incluant les frais d’huissier- et d’ordonner une mesure de publication judiciaire dans les termes du dispositif suivant, seulement dans le quotidien Ouest France.

La suppression de l’article litigieux sera ordonnée sur le site de Ouest France, mais non son retrait du site “Vannesmaville.com”, dont il n’est pas suffisamment justifié de la diffusion et qui n’était pas visé dans la citation.

Enfin, le versement provisoire des dommages et intérêts alloués sera ordonné, conformément à l’article 464 du code de procédure pénale, et la société éditrice sera déclarée civilement responsable.

DÉCISION

Le tribunal statuant publiquement, en matière correctionnelle, en premier ressort et par jugement contradictoire à l’encontre de François H. et Serge L. (article 411 du code de procédure pénale), prévenus, à l’encontre de la société Ouest France (article 415 du code de procédure pénale), civilement responsable, à l’égard de C. M., partie civile,

. Déclare François H., en qualité d’auteur, et Serge L., en qualité de complice, coupables de diffamation publique envers particulier, en l’espèce C. M., faits commis le 22 janvier 2011,

. Les condamne chacun à une amende de 800 €,

. Reçoit C. M. en sa constitution de partie civile,

. Condamne solidairement François H. et Serge L. à payer à C. la somme de 2000 € à titre de dommages-intérêts et celle de 1500 € en application de l’article 475-1 du code de procédure pénale,

. Ordonne la publication, dans le journal Ouest France, aux frais des prévenus, dans le délai d’un mois à compter de la date à laquelle le présent jugement sera devenu définitif, du communiqué suivant :

« Par jugement du 7 juin 2012, le tribunal de grande instance de Paris (chambre correctionnelle de la presse) a condamné François H. directeur de publication du journal Ouest France, et Serge L., journaliste, pour avoir diffamé publiquement C. M., en publiant, dans l’édition des samedi 22 et dimanche 23 janvier 2011, un article intitulé “Deux responsables d’association en examen”, le mettant en cause. »

. Dit que cette publication, qui devra paraître en dehors de toute publicité, sera effectuée en caractères gras, noirs sur fond blanc, de 0,2 cm de hauteur, dans un encadré et sous le titre “Ouest France condamné”, lui-même en caractère de 0,5 cm,

. Ordonne, en tant que de besoin, la suppression de l’article litigieux du site internet du journal accessible à l’adresse www.ouest-france.fr, dans le mois qui suivra la date à laquelle le présent jugement sera devenu définitif,

. Ordonne le versement provisoire des dommages-intérêts alloués,

. Déclare la société Ouest France civilement responsable,

. Déboute la partie civile du surplus de ses demandes.

Tribunal : Anne-Marie Sauteraud (vice-président), Marie Mongin (vice-président) Catherine Raynouard (juge)

Avocats : Me Tordjman, Me Anthony Bem

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