Jurisprudence : Marques
Cour d’appel de Paris Pôle 1, chambre 2 Arrêt du 12 septembre 2012
Circus / Apple Inc. et autres
abus - atteinte - contrefaçon - enregistrement - exploitation - indemnisation - international - logiciel - réparation - système d'exploitation
FAITS
La société Circus, immatriculée au registre du commerce et des sociétés le 25 juin 2008, exerce, dans le domaine audiovisuel, deux activités, d’une part, la création pour les tiers généralement des producteurs, d’effets visuels numériques (3D et 2D), d’autre part, le développement de logiciels graphiques destinés à la vente.
Le 6 avril 2010, Circus a déposé la marque verbale française Lion sous le numéro 103 727 479 pour les produits et services des classes 9, 38, 41 et 42, publiée le 14 mai 2010 au Bulletin officiel de la propriété intellectuelle.
Le 6 avril 2011, la société Apple Inc. (Apple) a déposé une demande d’enregistrement d’une marque verbale communautaire Lion sous le numéro 987 1567 dans les classes 9, 38, 41 et 42.
Par lettre recommandée avec avis de réception du 18 mai 2011, Circus a mis en demeure Apple d’avoir “à renoncer à ce dépôt de marque en tant qu’il concernerait des produits et services visés aux classes 9, 38, 41 et 42 destinés à une commercialisation sur le territoire français et donc à toute communication relativement à de tels produits qui viendrait en violation de ses droits”.
Début juin 2011, Apple annonçait, sur son site internet www.apple.com, la sortie, dans le courant du mois de la nouvelle version de son système d’exploitation (“O.S” pour operating system) confirmant que celle-ci portait bien le nom Lion, annonce relayée par une campagne “d’emailing”.
Par acte du 15 juin 2011, Circus faisait dresser un procès-verbal de constat d’huissier aux fins d’établir que la marque Lion était reproduite sur le site internet apple.com/fr, accessible en langue française depuis tout ordinateur situé en France et connecté à internet.
Par actes des 7 et 8 juillet 2011, elle saisissait le juge des référés afin, notamment, de voir interdire aux sociétés Apple Inc., Apple Europe Inc., Apple France Inc. et Apple Sales International de faire usage de l’appellation Lion, de les voir condamner à lui payer une provision à valoir sur le préjudice subi, et à lui communiquer des informations comptables.
Par ordonnance contradictoire entreprise, du 6 octobre 2011, le juge des référés du tribunal de grande instance de Paris a :
– écarté des débats les documents écrits en langue étrangère faisant partie des pièces 1, 2, 4, 11 et 13, les pièces 15 à 20 des défenderesses ainsi que les informations visualisées à l’audience sur la base de données Romarin,
– rejeté la demande tendant à voir interdire aux sociétés Apple Inc. et Apple Sales International de faire usage de l’appellation Lion,
– condamné in solidum Apple Inc. Et Apple Sales International à payer à Circus la somme provisionnelle de 1500 €,
– rejeté la demande de communication d’informations,
– condamné in solidum Apple Inc. et Apple Sales International à payer à Circus la somme de 1500 € sur le fondement de l’article 700 du CPC,
– condamné in solidum Apple Inc. et Apple Sales International aux dépens.
La société Circus a interjeté appel de cette décision le 14 octobre 2011.
L’ordonnance de clôture a été rendue le 23 mai 2012.
PRÉTENTIONS ET MOYENS DE CIRCUS
Par dernières conclusions du 9 mai 2012, auxquelles il convient de se reporter, Circus fait valoir :
Sur l’atteinte la marque
Que la cour ne pourra que confirmer, sur le principe, la décision de première instance, reconnaissant une atteinte à la marque française Lion n°10 3 727 479, dès lors que :
– cette marque existe et est valable,
* qu’elle précise qu’elle développe actuellement une gamme de logiciels désignés par des noms d’animaux (Lion, Elephant, Monkey etc), justifiant son nom (Circus),
* que le terme Lion était disponible,
* que le terme Lion est un terme de fantaisie non descriptif des produits et services visés par le dépôt français, non nécessaire pour désigner des logiciels,
* qu’il ne s’agit aucunement d’un terme technique qui aurait contraint Apple à appeler son dernier logiciel uniquement par ce nom là,
* que son dépôt n’est pas frauduleux, dès lors qu’il est inexacte de prétendre qu’elle n’aurait pu ignorer la nécessité pour Apple de disposer de ce signe pour ses activités, qu’elle était dans l’impossibilité de savoir qu’il y a absence de toute intention de nuire de sa part,
– qu’il est établi que le groupe Apple a utilisé le terme Lion à titre de marque pour désigner des produits et services couverts par sa marque,
* que l’acquisition par Apple de la marque Lion est frauduleuse, ce qui rend ladite marque inopposable dès lors qu’elle n’a été réalisée que dans le seul but de lui nuire en l’empêchant d’exploiter paisiblement sa marque ou en la lui opposant, plus précisément dans le but de faire échec à son action, ce qui est notamment démontré par le fait que, alors qu’elle avait reçu depuis plusieurs mois une mise en demeure, puis été assignée en référé, Apple a, quelques jours avant l’audience de plaidoiries devant le premier juge, fait racheter, en Allemagne, par une société écran, à un prix qu’elle refuse de communiquer, une marque internationale n°781933 ayant effet en France, semi figurative “Lion” et que le même jour, Apple a acquis cette même marque auprès de la société écran, puis a assigné Circus au fond en sollicitant l’annulation de sa marque Lion et déposé des écritures en référé dans lesquelles elle se présentait comme titulaire de cette marque antérieure,
* que la marque acquise par Apple était, et est toujours, totalement inexploitée et donc susceptible de déchéance, par application de l’article L 714-5 du code de la propriété intellectuelle,
* que les actes de cession sont nuls pour défaut de pouvoir, au regard du droit allemand, applicable en l’espèce (nullité de la cession de marque intervenue entre le propriétaire initial Sygnis Pharma AG et Terramark et nullité subséquente de la cession de marque entre Terramark et Apple Inc.) et qu’il y a, en tout état de cause, inopposabilité de ces cessions à son égard,
– qu’il y a identité des signes et des produits et services,
* que le signe utilisé par Apple est parfaitement identique à celui protégé par sa marque française, sur le plan visuel, phonétique, intellectuel et conceptuel,
* que ce signe est utilisé pour désigner des produits et services incontestablement couverts par ladite marque, ce qui n’a jamais été contesté par Apple,
* qu’il y a clairement contrefaçon, par reproduction, relevant de l’article L 713-2 du CPI, qui n’exige pas la démonstration d’un risque de confusion, non plus que l’article L 716-6, même si, de fait, ce risque existe, que le public visé par les deux sociétés est en partie le même.
Sur les mesures sollicitées
– sur l’évaluation et la réparation du préjudice,
* que le préjudice ne se limite pas à “la perte d’une marque” et donc à la “valorisation de ladite marque », que le premier juge a confondu le préjudice résultant de la concurrence causée par la contrefaçon et le préjudice résultant de la contrefaçon elle-même, la loi protégeant non l’activité d’une société mais la marque elle-même, l’article L 716-14 précisant les éléments à prendre en compte pour l’évaluation du préjudice résultant de la contrefaçon,
* que l’article L. 716-7-1 prévoit la possibilité pour la juridiction saisie d’une procédure civile en contrefaçon d’ordonner “la production de tous documents ou informations détenus par le défendeur, que le juge des référés est apte à ordonner une telle communication, sur le fondement de l’article 145 du CPC, sous réserve de l’existence d’un motif légitime,
* que la contrefaçon a eu et continue d’avoir un caractère particulièrement massif,
– sur l’interdiction,
* que les actes ont été commis en parfaite connaissance de cause par les intimées,
* que Apple a misé sur la faiblesse des moyens de son adversaire et sur le fait que les deux versions successives de ses systèmes d’exploitation ont une durée de vie moyenne d’environ deux ans, l’objectif étant de retarder autant que possible les mesures d’interdiction,
– sur les autres demandes,
* que les accusations de dépôt frauduleux portées par Apple à son encontre lui ont occasionné un lourd préjudice.
Elle demande à la cour :
– de confirmer l’ordonnance entreprise en ce qu’elle a constaté la vraisemblance de la contrefaçon,
– de l’infirmer pour le surplus, et statuant de nouveau,
– de « faire interdiction aux intimées, sous astreintes de 1000 € et par jour et par infraction constatée, de cesser toute utilisation du terme Lion à titre de marque”,
– d’ordonner à la société de droit américain Apple Inc. et à la société de droit irlandais Apple Sales International, sous astreinte de 5000 € par jour de retard à compter de la signification de l’arrêt à intervenir :
* la communication forcée d’informations certifiées conformes par leurs dirigeants respectifs concernant :
. le nombre d’exemplaires des logiciels Lion, notamment Lion et Lion Server, vendus en France sous quelque forme que ce soit notamment en téléchargement sous la forme de clé USB préinstallés sur un matériel informatique ;
. le prix de vente de chaque logiciel concerne selon son mode de vente ;
. le coût réel et la valeur tarifaire de la campagne publicitaire et promotionnelle organisée pour la commercialisation des produits Lion ou produits contenant des logiciels Lion ;
. le nombre et la nature des opérations publicitaires et promotionnelles mises en place, et notamment d’insertions publicitaires presse, de bandeaux publicitaires sur internet, d’emails promotionnels portant entièrement ou partiellement sur les logiciels Lion ;
* la production de la copie intégrale et certifiée conforme de :
. l’acte de cession (“Assignment of Trade Marks” et “Declaration of Assignment ») de la marque internationale Lion entre Sygnis Pharma AG et Terramark portant mention du prix d’acquisition ;
. l’acte de cession (“Assignment of Trade Marks” et “Declaration of Assignment ») de la marque internationale Lion entre Terramark et Apple. Inc. portant mention du prix d’acquisition ;
– de se réserver la liquidation des astreintes,
– de condamner la société de droit américain Apple Inc. et la société de droit irlandais Apple Sales International in solidum à lui payer la somme de 200 000 € à titre de provision sur dommages et intérêts,
– de condamner la société de droit américain Apple Inc. et la société de droit irlandais Apple Sales International in solidum aux entiers dépens, dont distraction au profit de la SCP Hardouin,
– de condamner in solidum la société de droit américain Apple Inc. et la société de droit irlandais Apple Sales International :
. au paiement d’une amende civile de 3000 € en application de l’article 32-1 du cpc,
. au paiement à son profit d’une somme de 15 000 € en réparation du préjudice résultant de leur résistance abusive.
– de condamner in solidum la société de droit américain Apple Inc. et la société de droit irlandais Apple Sales International à lui payer la somme de 28 000 € en application de l’article 700 du CPC ainsi qu’aux entiers dépens d’appel dont distraction pour ceux la concernant au profit de la SCP Lagourgue & Olivier selon dispositions de l’article 699 du CPC.
PRÉTENTIONS ET MOYENS DE APPLE INC., APPLE EUROPE INC, APPLE FRANCE ET APPLE SALES INTERNATIONAL
Par dernières conclusions du 21 mai 2012, auxquelles il convient de se reporter, les sociétés précitées font valoir :
– qu’il y a défaut de caractère vraisemblable de l’atteinte allégué aux droits de Circus, en raison de :
* l’absence de contrefaçon de la marque française “Lion” n° 103 727 479
. que l’analyse du premier juge est erronée dans la mesure où l’article L 713-2 du CPI ne s’applique qu’aux cas de contrefaçon dans lesquels les signes et les produits en jeu sont strictement identiques, ce qui n’est pas le cas, Apple n’utilisait pas le signe “Lion » de manière isolée mais précédé des termes “Mac OS X Lion” et “OS X Lion” et, n’ayant pas visé dans son dépôt de marque les logiciels en général mais certains types de logiciels,
. qu’il y a absence de tout risque de confusion dans l’esprit du public au sens de l’article L 713-3 du CPI, qui résulte du fait qu’à ce jour, la marque française “Lion » n’est pas exploitée par Circus et que d’autres éléments confirment l’absence de risque de confusion,
* qu’il y a absence manifeste de validité de la marque,
. que la marque internationale semi-figurative “Lion” n°781933 détenue par Apple a été déposée antérieurement à la marque française “Lion” n° 103 727 479, que la cession de la marque internationale n°181933 intervenue le 2 septembre 2011 entre Terramark et Apple est régulière, tant au regard du droit français que du droit allemand, qu’il y a risque de confusion entre la marque française “Lion” n° 103 727 479 et la marque internationale semi figurative “Lion” n°781833, qu’il existe une quasi-identité entre ces deux marques (sur le plan visuel, phonétique conceptuel) et que la marque française vise, comme la marque internationale semi-figurative, des produits ou services des classes 9 et 42,
. qu’il est fort vraisemblable que le dépôt de la marque française “Lion” par Circus ait été frauduleux, les circonstances du dépôt de cette marque manquant de cohérence, qu’il est de principe qu’un dépôt de marque entaché de fraude est nul ; que la marque française est manifestement nulle, qu’en déposant la marque française “Lion”, Circus s’est livrée à un véritable “poker des marques” pariant sur le fait que la prochaine version du logiciel MAC OS X s’appellerait “Lion” et qu’elle pourrait en retirer un “incroyable bénéfice”,
– que le prétendu préjudice subi par Circus est sérieusement contestable, puisque Circus n’a pas exploité, ni n’exploite la marque invoquée, et ne fournit pas le moindre élément financier ou comptable justifiant un quelconque préjudice,
– que les mesures demandées par Circus ont un caractère disproportionné, d’autant qu’il existe plus qu’un doute sérieux sur la validité de la marque et la contrefaçon alléguée.
Elles demandent à la cour :
– de confirmer l’ordonnance entreprise en ce qu’elle a :
. rejeté la demande tendant à voir interdire aux sociétés Apple Inc. et Apple Sales International toute utilisation du terme Lion à titre de marque,
. rejeté la demande de communication d’informations,
– d’infirmer l’ordonnance entreprise, en ce qu’elle a :
. condamné in solidum Apple Inc. et Apple Sales International à payer à Circus la somme provisionnelle de 1500 €,
. condamné in solidum Apple Inc. et Apple Sales International à payer à Circus la somme de 1500 € sur le fondement de l’article 700 du CPC,
. condamné in solidum Apple Inc. et Apple Sales International aux dépens.
Et statuant à nouveau,
– de débouter Circus de l’ensemble de ses demandes,
– de condamner Circus à leur payer la somme de 15 000 € chacune au titre de l’article 700 du CPC,
– de condamner Circus aux entiers dépens.
– de leur accorder le bénéfice des dispositions de l’article 699 du CPC.
DISCUSSION
Considérant que selon l’article L. 713-2 du CPI, sont interdits, sauf autorisation du propriétaire a) La reproduction, l’usage ou l’apposition dune marque, même avec l’adjonction de mots tels que : « formule, façon, système, limitation, genre, méthode », ainsi que l’usage d’une marque reproduite pour des produits ou services identiques à ceux désignes dans l’enregistrement ;
Que selon l’article L 716-6 du même code, toute personne ayant qualité pour agir en contrefaçon peut saisir en référé la juridiction civile compétente afin de voir ordonner, au besoin sous astreinte, à l’encontre du prétendu contrefacteur ou des intermédiaires dont il utilise les services, toute mesure destinée à prévenir une atteinte imminente aux droits conférés par le titre ou empêcher la poursuite d’actes argués de contrefaçon (…). Saisie en référé ou sur requête, la juridiction ne peut ordonner les mesures demandées que si les éléments de preuve, raisonnablement accessibles au demandeur rendent vraisemblable qu’il est porté atteinte à ses droits ou qu’une telle atteinte est imminente ;
Considérant que c’est bon droit que le premier juge a retenu que, s’agissant de signes identiques pour désigner des produits identiques et notamment des logiciels la vraisemblance de la contrefaçon doit être appréciée au regard de l’article L 713-2 du CPI qui n’exige pas de risque de confusion ;
Qu’en effet, Apple a déposé, le 6 avril 2011, soit un an jour pour jour après le dépôt de la marque verbale française Lion n° 103 727 479 par Circus une demande d’enregistrement de la marque communautaire, également verbale, Lion, n°9871567, dans les mêmes classes, 9, 38, 41 et 42, pour désigner des produits identiques, en l’occurrence des logiciels ; que le dépôt effectué par Circus n’est pas limité aux logiciels dans le domaine de la création graphique, mais vise, notamment, différents types de logiciels tels des “logiciels pour la gestion de fichiers et de bases de données, logiciels pour le traitement, le tri, la synchronisation, le partage, le calcul de données en local, logiciels de management”, le périmètre de la protection étant défini par les produits et services vises au dépôt et non par l‘activité déployée par le titulaire de la marque ;
Considérant que le constat d’huissier établi à la requête de Circus, le 15 juin 2011, sur le site internet www.apple.com/fr/ montre que le terme Lion est utilisé par Apple, tantôt isolément (“Regardez Lion en action” “installer Lion et Lion Server directement sur votre Mac », “Lion prend également en charge le multivoie et le basculement afin d’utiliser Xsan avec diverses bales de stockage”), tantôt précédé de la mention “OS X” ;
Que même dans ce dernier cas, il y a identité du signe, dès lors que, comme l’a relevé le premier juge, pour tout utilisateur des ordinateurs Apple, Lion sera compris comme étant la dénomination de la nouvelle version d’OS X , que cela est si vrai que, après la page d’accueil du site, l’huissier de justice a pu constater que s’ouvrait une page comportant notamment les onglets “Qu’est-ce qu’OS X » ou « Apps OS X”, ce qui démontre que Lion n’est que la dénomination d’une version d’un système d’exploitation Mac OS X (pièce 21 d’Apple), laquelle n’a, en tant que telle, subi ni modification ni ajout ;
Considérant que l’atteinte vraisemblable la marque, prévue par l’article L. 716-6 du CPI, ne peut être réalisée qu’autant que la marque ne soit pas elle-même manifestement nulle ;
Considérant qu’un dépôt de marque est entaché de fraude lorsqu’il est effectué dans l’intention de priver autrui d’un signe nécessaire à son activité ;
Que la seule pièce produite par les sociétés Apple qui soit antérieure au dépôt de la marque Lion par Circus, est un article d’un “blog” du 24 mars 2005, intitulé « Pour les formats ouverts !“, mentionnant que, pour son système d’exploitation Mac OS X, “Apple utilise toujours les mêmes formats”, et que « l’on peut noter que deux chose reviennent, les noms des versions (qui) sont toujours des animaux de la classe des félidés les félins sont : cheetah 2001, puma 2001, jaguar 2002, panther 2003, tiger, et la date est toujours un 24 (à l’exception d’un 25) » ;
Que cependant, ce document précise, pour la version venir Mac OS X 10.5 : “il reste comme possibilités félines : chat, lion, lynx, léopard, cougar, caracal, serval ou ocelot” ;
Que les sociétés Apple versent encore aux débats des “documents (extraits de sites internet) relatifs aux spéculations sur les noms de félins choisis et retenus par Apple Inc. pour les différentes versions de son système d’exploitation Mac OS X” ;
Qu’il résulte de ces documents non seulement que plusieurs noms de félins étaient possibles et que le nom de “lynx” revenait très souvent, mais encore que les internautes entrevoyaient la possibilité pour Apple de choisir d’autres noms d’animaux, notamment de rapaces (falcon, eagle), ou “birdie”, ou des noms purement imaginatifs (tigon, liger), « lol cat », ou tirés d’un contexte autre “Tom (from Tom and Jerry), Garfield”, « Andromeda or Sirius”… ;
Que la marque française Circus a été déposée par M. Jérôme B., fondateur avec M. Julien V. tous deux cogérants de la société éponyme, dès le 24 août 2007, cette dernière ayant fait enregistrer le 6 avril 2010, soit un an avant la marque déposée par Apple, à titre de marques, différents noms d’animaux, dont Lion, et d’autres sans lien avec les félins, mais évoquant pour plusieurs d’entre eux l’univers du cirque (Elephant, Zebra, Monkey) ou du spectacle (Dolphin, Eagle) ; que quand bien même s’y ajouterait la marque “Bison », ces marques aux noms d’animaux ne révèlent aucune incohérence manifeste, étant observé que parmi les supputations évoquées au sujet de l’appellation du prochain OS X d’Apple figure également le nom d”Eagle” ;
Considérant que la mauvaise foi ne se présume pas ; qu’au vu des éléments précités, il n’est pas établi, avec l’évidence requise en référé qu’au moment du dépôt de la marque Lion, Circus avait connaissance de ce que le terme Lion allait nécessairement être choisi par Apple pour désigner une prochaine version d’OS X ; que cette preuve ne résulte pas davantage, de façon manifeste, du fait qu’à ce jour, Circus n’a pas exploité les marques déposées ; que Circus produit un “dossier de présentation » (pièce 2) de l’entreprise, détaillant les étapes de sa stratégie de développement de l’activité de création de logiciels, “mineurs et majeurs”, en renvoyant, au moins pour les premiers, à des informations contenues dans des sites internet, et en exposant la gamme de logiciels, dits majeurs, issus de « Lion », que si pour ces derniers, aucun document technique n’est produit, attestant de l’avancement du projet, le juge des référés ne saurait, avec les pouvoirs qui sont les siens déduire de ce seul fait que la pièce 2 de l’appelante a été créée pour les besoins de la cause et, donc, que le projet en cause est fictif ;
Considérant qu’en l’état, le raisonnement d’Apple conduirait à considérer que le dépôt par elle de marques portant sur le nom de certains félins ou même le simple usage de ces noms, devrait lui conférer une protection sur le nom de l’ensemble des félidés, n’importe quel déposant d’un tel nom étant, dès lors, présumé de mauvaise foi ;
Qu’il y a lieu, en conséquence, de retenir les motifs du premier juge, selon lesquels la vraisemblance d’une fraude n’est pas suffisamment établie pour qu’elle puisse constituer une contestation sérieuse de la validité de la marque ;
Considérant, sur l’antériorité opposée à Circus, qu’Apple se prévaut de l’acquisition d’une marque internationale n°781933 semi-figurative, déposée pour les logiciels, constituée d’une empreinte de patte et de l’élément verbal Lion ;
Que Apple a acquis cette marque, le 2 septembre 2011, soit après l’assignation introductive de la présente instance, auprès de la société Terramark Markencreation Gmbh, qui l’avait elle-même acquise, le même jour, auprès du déposant initial Sygnis Pharma ;
Que le débat sur la validité de la cession de marque au regard notamment du droit allemand, qui ne relève d’aucune évidence, échappe aux pouvoirs du juge des référés ;
Que s’agissant de la régularité de l’acquisition au regard du droit français, Apple fait valoir que l’acquisition d’une marque antérieure faite pour éviter d’être condamnée pour contrefaçon doit être considérée comme légitime, même si elle est faite en cours de procès, dès lors que l’acquéreur a, dans ce cas, un motif légitime à son acquisition ;
Que cependant, l’acquisition d’une marque en cours d’instance, dans le seul but de faire échec à l’action en contrefaçon engagée caractérise une riposte frauduleuse ;
Que Apple «acquis la marque semi-figurative internationale, par l’entremise d’une société intermédiaire, deux mois après l’assignation et quelques mois à peine après avoir déposé une marque verbale communautaire, les deux marques comportant un élément verbal commun, Lion ; qu’elle exploite la seule marque communautaire ; qu’elle ne démontre par aucune pièce avoir “entamé des recherches dans le but d’acquérir une marque dans le cadre d’une politique de consolidation de marque, bien avant que le différend avec Circus ne naisse” ; que la marque internationale vise des produits chimiques, des réactifs biochimiques, immunologiques et microbiologiques, sans rapport avec ses propres produits ; que si sont visés également des logiciels informatiques, des articles de presse allemands montrent que la société Sygnis Pharma, préalablement dénommée Lion Bioscience, société pharmaceutique spécialisée dans les thérapies des troubles du système nerveux central, qui avait une stratégie duale englobant la recherche pharmaceutique et les technologies informatiques, avait cessé la recherche informatique en 2003 et vendu son ressort bioinformatique en 2006 ; que Apple ne conteste pas l’absence d’exploitation de la marque internationale litigieuse depuis plusieurs années et en tous cas, son absence d’exploitation pour désigner un système d’exploitation ou logiciel généraliste ;
Que dans les circonstances, l’acquisition par Apple de la marque internationale semi-figurative n° 781933 ne répond manifestement pas comme cette dernière le soutient, à un “intérêt personnel et légitime de garantie de ses droits” ou “de consolidation d’une politique de marque dont le cessionnaire avait eu l’initiative” ;
Qu’en conséquence, l’atteinte vraisemblable à la marque dont Circus est propriétaire, est caractérisée ;
Considérant que les mesures provisoires doivent respecter le principe de proportionnalité ;
Considérant que la mesure d’interdiction serait disproportionnée, en ce que, Circus n’exploitant pas la marque Lion, ni même ne justifiant de l’avancement précis de son projet de logiciel bénéficiant de cette marque, l’utilisation par Apple du terme Lion ne lui occasionne aucun préjudice autre que l’atteinte à la marque en tant que telle, à laquelle l’allocation de dommages et intérêts à titre provisionnel constitue une réponse proportionnée ;
Que par ces motifs, et ceux non contraires du premier juge ; sur ce point, que la cour fait siens, l’ordonnance entreprise sera confirmée en ce qu’elle a rejeté la demande tendant à voir interdire aux sociétés Apple de faire usage de l’appellation Lion ;
Que de même n’apparait pas proportionnée aux atteintes subies par Circus, et doit, en conséquence, être rejetée, la demande de communication forcée d’informations concernant, notamment, le nombre d’exemplaires de logiciels Lion vendus en France par Apple, le prix de vente de chaque logiciel, le coût réel et la valeur tarifaire de la campagne publicitaire et promotionnelle organisée pour la commercialisation des produits Lion, le nombre et la nature des opérations publicitaires et promotionnelles, la production de la copie intégrale et certifiée conforme des actes de cession de la marque internationale Lion entre Sygnis Pharma et Terramark, d’une part, Terramark et Apple Inc., d’autre part, portant mention du prix d’acquisition ;
Qu’il n’est, en effet, pas établi que le dépôt de la marque Lion par Circus, ait eu la moindre incidence sur la décision des consommateurs d’acquérir la nouvelle version du système d’exploitation des ordinateurs Apple, qui ne vise pas le même public que celui auquel Circus, spécialisée dans les logiciels graphiques, s’adresse ;
Que Circus ne justifie, donc, d’aucun motif légitime, au sens de l’article 145 du code de procédure civile, à se voir communiquer ces informations, non plus que les actes de cession de la marque internationale Lion, dont Circus soutient par ailleurs qu’elle n’a été acquise par Apple que dans l’unique but de ralentir son action, critère indépendant et en tout cas non proportionné au préjudice subi par elle ;
Considérant, en revanche, sur la demande de provision, que c’est par des motifs pertinents que la cour adopte, que le premier juge a relevé que l’emploi par Apple du mot Lion pour désigner la version actuelle du système d’exploitation des ordinateurs Mac prive Circus de la possibilité d’exploiter sa marque pendant plusieurs années car compte tenu de la très grande notoriété d’Apple et de ses ordinateurs, le consommateur créera nécessairement un lien entre Apple et tout nouveau logiciel mis sur le marché sous la dénomination Lion qu’en présence de cette impossibilité d’exploitation de la marque, qu’il a lui-même constatée, ce juge ne pouvait, sans contradiction, retenir, dans le même temps l’existence d’une “atteinte abstraite sans aucune conséquence certaine sur la vie de l’entreprise” ou que, en l’absence d’exploitation de la marque le préjudice économique était, pour l’essentiel limité au coût du dépôt d’une marque ;
Que l’atteinte à la marque elle-même, qui engendre un préjudice tant matériel que moral, doit être réparée ;
Qu’eu égard à l’ensemble de ces éléments, il convient d’allouer à Circus une provision à valoir sur la réparation de son préjudice, que la cour estime non sérieusement contestable à hauteur de 50 000 € ;
Que l’ordonnance entreprise sera, dès lors, réformée sur le montant de la provision ;
Considérant que Circus ne démontrant pas le préjudice spécifique que lui aurait causé la résistance abusive qu’elle allègue, elle sera déboutée de sa demande formée à ce titre ;
Qu’une partie privée n’ayant pas qualité pour demander la condamnation de l’autre partie à une amende civile, l’appelante sera également déboutée de ce chef ;
Considérant qu’il serait inéquitable de laisser à la charge de Circus les frais irrépétibles qu’elle a exposés pour la présente instance ;
Considérant que les sociétés Apple, qui succombent, seront condamnées aux dépens d’appel, qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l’article 699 du CPC ;
DÉCISION
Par ces motifs :
. Confirme l’ordonnance entreprise, en toutes ses dispositions, à l’exception de celles se rapportant au montant de la provision,
La réformant de ce chef,
. Condamne in solidum la société de droit américain Apple Inc. et la société de droit Irlandais Apple Sales International à payer à la société Circus la somme provisionnelle de 50 000 € à valoir sur la réparation de son préjudice,
Y ajoutant,
. Rejette la demande d’amende civile,
. Rejette la demande formée pour résistance abusive,
. Condamne in solidum la société de droit américain Apple Inc. et la société de droit Irlandais Apple Sales International à payer à la société Circus la somme de 50 000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
. Condamne in solidum la société de droit américain Apple Inc. la société de droit Irlandais Apple Sales International, la société de droit étranger Apple Europe Inc. et la société Apple France aux dépens d’appel, qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.
La cour : Mme Michèle Graff-Daudret (président), Mme Maryse Lesault (conseillère), M. Laurent Duval (vice président)
Avocats : Me Jean Aittouares, Me Catherine Muyl
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* Nous portons l'attention de nos lecteurs sur les possibilités d'homonymies particuliérement lorsque les décisions ne comportent pas le prénom des personnes.