Les avocats du net

 
 


 

Jurisprudence : Marques

lundi 01 octobre 2012
Facebook Viadeo Linkedin

Tribunal de grande instance de Nanterre 1ère chambre Jugement du 06 septembre 2012

Eurochallenges / Lina H.

concurrence déloyale - contrefaçon - moteur de recherche - mots clés - parasitisme - référencement - responsabilité civile - risque de confusion

FAITS ET PROCÉDURE

La société à responsabilité limitée Eurochallenges France (“la société Eurochallenges”) exerce l’activité d’agence matrimoniale, spécialisée dans les unions entre Français et personnes originaires des pays de l’Est et d’Asie.
Elle expose bénéficier, pour ce faire, d’un contrat de licence portant sur une marque semi figurative Eurochallenges, enregistrée le 12 juin 2008 sous le numéro 08 3 581 735 pour des produits et services des classes 9, 16, 35, 38, 39, 41, 42 et 45. Cette licence lui a été concédée par le propriétaire de cette marque, Pierre-Alexis T.

La société Eurochallenges expose avoir constaté et fait constater, en novembre 2010, que la requête sous le terme “Eurochallenges” sur le moteur de recherches Google aboutissait à une page de résultats comportant, en haut à droite, une annonce publicitaire pour le site internet www.asiecontact.com, exploitée par Lina Y. épouse H.

La société Eurochallenges précise s’en être ouverte auprès de cette dernière et indique que cette annonce a été retirée, avant d’apparaître à nouveau, comme elle l’a fait constater le 12 novembre 2011.

Par acte du 22 février 2012, la société Eurochallenges et Pierre-Alexis T. ont fait assigner Lina H. en contrefaçon et concurrence parasitaire devant le tribunal de grande instance de Nanterre, dans le cadre d’une procédure à jour fixe autorisée par ordonnance du 2 février 2012.

Aux termes de conclusions du 6 juin 2012 et à l’audience, la société Eurochallenges et Pierre-Alexis T. demandent au tribunal de déclarer leurs demandes recevables. Ils sollicitent la condamnation de Lina H. au paiement de :
– 20 000 € de dommages et intérêts à Pierre-Alexis T. ;
– 100 000 € de dommages et intérêts à la société Eurochallenges ;
– 4000 € à chacun au titre des frais irrépétibles.
Ils demandent au tribunal de faire interdiction sous astreinte à la défenderesse de poursuivre les faits de contrefaçon et de parasitisme et de rejeter ses demandes à leur encontre.

La société Eurochallenges et Pierre-Alexis T. estiment que leurs demandes sont recevables. Ils rappellent qu’en application du principe de l’effet relatif des contrats, ils n’ont pas de compte à rendre aux tiers concernant leur relation contractuelle. Ils précisent que le siège social de la société Eurochallenges n’a pas été modifié. Ils ajoutent que Pierre-Alexis T. conserve la possibilité d’agir en contrefaçon aux termes du contrat de licence de la marque litigieuse.

Ils soutiennent que Lina H. a commis des actes de contrefaçon, au sens des articles L716-1 et L713-2 du code de la propriété intellectuelle, en choisissant le terme “Eurochallenges” dans le service de référencement “Adwords” de la société Google, ce qui constitue selon eux une reproduction de leur marque. Ils jugent invraisemblable que la société Google ait suggéré l’utilisation du terme “Eurochallenges” à la défenderesse. Ils ajoutent que la bonne foi éventuelle de la défenderesse est sans incidence et qu’elle ne peut se retrancher derrière la société Google. Ils estiment que la défenderesse exerce une activité d’agence matrimoniale, au sens de l’article 6-I de la loi du 23 juin 1989 réglementant cette profession, se trouvant ainsi en situation de concurrence avec la société Eurochallenges.

La société Eurochallenges et Pierre-Alexis T. font également valoir que Lina H. a commis des actes de parasitisme, en “usurpant :
– la marque Eurochallenges
– le nom commercial de la société Eurochallenges France
– la partie distinctive du nom de domaine eurochallenges.com du site internet exploité par Eurochallenges France”, s’inscrivant ainsi dans le sillage de la société demanderesse.

La société Eurochallenges expose avoir subi un préjudice, résultant du détournement de sa clientèle et de la dévalorisation de la marque qu’elle exploite. Pierre-Alexis T. sollicite l’indemnisation du préjudice résultant de l’utilisation de sa marque.

Les demandeurs contestent tout caractère abusif à leur action.

Par dernières conclusions du 6 juin 2012 et à l’audience, Lina H. demande au tribunal de déclarer irrecevable l’action intentée à son encontre.
A titre subsidiaire, elle conclut au rejet des prétentions adverses et à la condamnation in solidum de la société Eurochallenges et de Pierre-Alexis T. au paiement de 8000 € de dommages et intérêts sur le fondement des articles 32-1 et 680 du code de procédure civile.
Elle sollicite, en tout état de cause, la condamnation in solidum des demandeurs au paiement de 3000 € sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

Lina H. soutient que les demandeurs n’ont pas qualité à agir. Elle expose en effet que ces derniers produisent un contrat de licence concernant la marque Eurochallenges conclu entre Pierre-Alexis T. et une société Centre National de Recherche en relations humaines, ancienne dénomination sociale de la société Eurochallenges. Or le changement de dénomination sociale n’entre pas dans les prévisions de ce contrat, qui prévoit que toute modification doit être signifiée par lettre recommandée à l’autre partie, ce qui n’a pas été le cas en l’espèce. Elle soutient en conséquence qu’il n’existe pas de contrat entre le propriétaire de la marque litigieuse et la société Eurochallenges, qui ne justifierait donc d’aucun intérêt à agir. Lina H. ajoute que le propriétaire d’une marque ne peut agir en concurrence déloyale. Or Pierre-Alexis T. ayant agi tout à la fois et de façon indivisible en contrefaçon et concurrence déloyale, est irrecevable selon elle en ses demandes.

Sur le fond, Lina H. conteste tout acte de contrefaçon. Elle expose ne pas avoir elle-même sélectionné le terme “Eurochallenges” dans le système “Adwords” de la société Google et souligne que les demandeurs n’établissent pas le contraire. Elle rappelle que la société Google conserve un rôle actif pour ce service, comme cela a été récemment jugé. Elle ajoute que l’utilisation d’une marque comme mot clé dans le système de référencement Adwords ne constitue pas en soi une contrefaçon, comme l’a jugé la Cour de justice de l’Union européenne, tant que l’annonceur ne crée pas de gêne substantielle à l’égard du titulaire de la marque ou n’affecte pas sa réputation. Elle souligne qu’en l’espèce, le résultat de la recherche ne peut induire l’internaute en erreur sur le titulaire de la marque, ce premier comprenant avoir affaire à des offres concurrentes, et la marque litigieuse n’étant pas reproduite sur son site internet. Elle en déduit qu’il n’y a aucune atteinte à la fonction essentielle de la marque litigieuse. Lina H. conteste par ailleurs tout acte de concurrence déloyale. Elle soutient que les demandeurs n’invoquent aucun fait distinct de la contrefaçon. Elle écarte tout risque de confusion, puisqu’elle ne se réfère à aucun moment à la société Eurochallenges. Elle fait valoir qu’elle n’est pas en situation de concurrence avec la société demanderesse, puisqu’elle exploite une agence de rencontre alors que celle-ci exploite une agence matrimoniale internationale. Lina H. souligne enfin l’absence de préjudice des demandeurs et le défaut de lien de causalité. Elle estime que l’action intentée à son encontre est abusive.

DISCUSSION

Sur la recevabilité des demandes

En vertu de l’article 31 du code de procédure civile, l’action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d’une prétention.

La société Eurochallenges produit un contrat de licence de la marque Eurochallenges, consenti par Pierre-Alexis T. au bénéfice de la société Centre national de recherche en relations humaines.

Les parties s’accordent cependant sur le fait que cette dernière société ne fait qu’une avec la société Eurochallenges, cette dernière appellation n’étant que la nouvelle dénomination sociale de la société Centre national de recherche en relations humaines. Il résulte au demeurant des extraits Kbis produits en demande que ces deux entités sont enregistrées sous le même numéro au registre du commerce et des sociétés de Lyon et ne constituent qu’une seule personne morale. Le simple changement de dénomination est donc sans incidence sur le contrat et sa validité.

L’article 14 du contrat de licence stipule par ailleurs que “le concédant préviendra le licencié de tout fait de contrefaçon dont il aura connaissance. L’action sera intentée par le concédant, mais le licencié aura le droit d’intervenir. Cependant, si le concédant ne veut pas intenter d’action le licencié agira à ses frais et aura droit aux dommages et intérêts ainsi qu’aux produits de la confiscation”.
Il résulte de cette stipulation que tant Pierre-Alexis T. que la société Eurochallenges ont conservé la possibilité d’agir en contrefaçon.

Il convient par ailleurs de constater que Pierre-Alexis T. ne formule aucune demande au titre de la concurrence déloyale, puisqu’il n’invoque qu’un préjudice résultant des faits de contrefaçon qu’il reproche à Lina H. Il n’est donc pas nécessaire de s’interroger sur la recevabilité de demandes qu’il formerait au titre de la concurrence déloyale.

Dès lors, les demandes de la société Eurochallenges et Pierre-Alexis T. seront déclarées recevables.

Sur la contrefaçon

L’article L713-2 du code de la propriété intellectuelle prohibe la reproduction, l’usage ou l’apposition d’une marque, sauf autorisation de son propriétaire.

S’agissant du référencement par un moteur de recherche d’un mot clé constituant également une marque, comme en l’espèce, il n’y a atteinte à la fonction d’indication d’origine de la marque que lorsque l’annonce ne permet pas ou permet seulement difficilement à l’internaute normalement informé et raisonnablement attentif de savoir si les produits ou services visés par l’annonce proviennent du titulaire de la marque ou d’une entreprise économiquement liée à celui-ci ou, au contraire, d’un tiers, comme l’a jugé la Cour de justice de l’Union européenne.

En l’espèce, il résulte du procès verbal de constat sur internet établi par Maître Saragoussi, huissier de justice, que l’introduction du terme “Eurochallenges” sur le moteur de recherche Google laisse apparaître environ 40 200 réponses. Les trois premières réponses référencées renvoient au site internet www.eurochallenges.com, exploité par la société demanderesse. Le lien avec site internet de Lina H. apparaît pour sa part sur le côté, dans une rubrique intitulée “annonces”, qui se termine par l’invitation suivante de la société Google : “affichez votre annonce ici”, affichant clairement le caractère publicitaire du contenu de cette rubrique, au demeurant connu de l’internaute normalement informé.
L’annonce litigieuse évoque par ailleurs des “rencontres asiatiques” avec des personnes “japonaises, chinoises vivant à Paris” et renvoie à son propre site internet. Aucune référence directe ou indirecte n’est faite à la société Eurochallenges ou à ses services, tant dans l’annonce que sur ce site internet.
Compte tenu de l’affichage clair du caractère publicitaire de l’annonce de Lina H., ainsi que de l’absence de toute référence aux société et marque Eurochallenges, cette annonce permet à l’internaute normalement informé et raisonnablement attentif de déterminer aisément qu’il n’existe aucun lien entre le site internet de la défenderesse et la marque Eurochallenges, exploitée par la société Eurochallenges.

Le recours au mot clé Eurochallenges ne constitue donc pas, en l’espèce, une contrefaçon de la marque éponyme. Les demandes formées au titre de la contrefaçon seront rejetées.

Sur la concurrence déloyale

Le parasitisme économique se définit comme l’ensemble des comportements par lesquels un agent économique s’immisce dans le sillage d’un autre afin de tirer profit, sans rien dépenser, de ses efforts et de son savoir-faire. Il constitue une faute délictuelle susceptible d’engager la responsabilité de son auteur, en application des dispositions de l’article 1382 du code civil.

La société Eurochallenges reproche à Lina H. d’avoir engagé sa responsabilité délictuelle en “usurpant :
– la marque Eurochallenges
– le nom commercial de la société Eurochallenges France
– la partie distinctive du nom de domaine eurochallenges.com du site internet exploité par Eurochallenges France”.
En visant ainsi la reprise de son nom commercial et d’une partie de son nom de domaine, elle reproche à la défenderesse des faits distincts de ceux examinés au titre de la contrefaçon.

Sur le fond, il convient de rappeler que les annonces litigieuses ne créent pas de risque de confusion, pour l’internaute normalement attentif, entre la société Eurochallenges et les activités de Lina H., compte tenu de la présentation de ces annonces et pour les raisons développées au titre de la contrefaçon.

Ce faisant, l’utilisation comme mot clef du terme “Eurochallenges” n’a pour objet que de présenter une offre concurrente mais clairement distincte de celle de la société demanderesse, en offrant au consommateur la possibilité de consulter le site internet de la défenderesse, qui ne comporte aucune référence, directe ou indirecte, aux activités de la société Eurochallenges. Lina H. n’a donc pas indûment tiré profit des efforts et du savoir-faire de la société demanderesse, en présentant une offre qui lui est propre, ne se place pas dans le sillage de celle de la société Eurochallenges et ne laisse apparaître aucun agissement déloyal de sa part.

La société Eurochallenges, qui ne rapporte la preuve d’aucune faute délictuelle imputable à Lina H., sera déboutée de ses demandes au titre de la concurrence déloyale et parasitaire.

Sur les autres demandes

Il ne ressort ni des pièces produites, ni des écritures de la société Eurochallenges et de Pierre- Alexis T., qui ont pu légitimement faire une appréciation erronée de leurs droits au regard notamment des décisions judiciaires produites par les parties, que les demandeurs ont abusé de leur fondamental d’agir en l’espèce.

La société Eurochallenges et Pierre-Alexis T. seront condamnés in solidum aux dépens, ainsi qu’au paiement de 3000 € sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

Aucune circonstance particulière ne justifie le prononcé de l’exécution provisoire.

DÉCISION

Par ces motifs,

. Déclare recevables les demandes de la société à responsabilité limitée Eurochallenges France et de Pierre-Alexis T.,

. Déboute la société à responsabilité limitée Eurochallenges France et de Pierre-Alexis T. de leurs demandes,

. Condamne in solidum la société à responsabilité limitée Eurochallenges France et de Pierre-Alexis T. aux dépens,

. Condamne in solidum la société à responsabilité limitée Eurochallenges France et de Pierre-Alexis T. à payer 3000 € à Lina Y. épouse H. sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

. Déboute Lina Y. épouse H. de ses autres demandes,

. Dit n’y avoir lieu à l’exécution provisoire de ce jugement.


Le tribunal
: Mme Nicole Girerd (1ère vice présidente), Gwenaël Cougard (vice présidente), M. Benoit Chamouard (juge)

Avocats : Me Mechtilde Carlier, Me David Libeskind

Notre présentation de la décision

 
 

En complément

Maître David Libeskind est également intervenu(e) dans l'affaire suivante  :

 

En complément

Maître Mechtilde Carlier est également intervenu(e) dans les 2 affaires suivante  :

 

En complément

Le magistrat Benoît Chamouard est également intervenu(e) dans les 7 affaires suivante  :

 

En complément

Le magistrat Gwenaël Cougard est également intervenu(e) dans les 10 affaires suivante  :

 

En complément

Le magistrat Nicole Girerd est également intervenu(e) dans les 11 affaires suivante  :

 

* Nous portons l'attention de nos lecteurs sur les possibilités d'homonymies particuliérement lorsque les décisions ne comportent pas le prénom des personnes.