Jurisprudence : Marques
Tribunal de grande instance de Nanterre 1ère chambre Jugement du 28 juin 2012
Chérie FM / Mohamed E.
appellation sociale - contrefaçon - cybersquatting - nom de domaine - publicité
FAITS ET PROCÉDURE
Par acte d’huissier en date du 5 avril 2012, la société Chérie FM a fait assigner, à jour fixe après y avoir été autorisée par ordonnance du 6 avril 2012, Monsieur Mohamed E. aux fins, au visa des articles L.713-3 a) et b) du code de la propriété intellectuelle et 1382 du code civil de voir :
– constater que les noms de domaine, enregistrés par lui le 7 avril 2011 : “cherihd.net”, “cheriehd.com”, “cherie-hd.net”, “cheriehd.fr” et “cherie-hd.fr” constituent l’imitation de :
* la marque française verbale “CHERIE”, enregistrée le 10 avril 1987 et dûment renouvelée sous le numéro 1402656 pour désigner des produits et services relevant des classes 35, 38, 39 et 41,
* la marque française semi-figurative “Chérie Fm”, enregistrée depuis le 7 avril 2006 sous le numéro 3422035 pour désigner les produits et services relevant des classes 09, 35, 36, 38 et 41,
* de la dénomination sociale, du nom commercial et de l’enseigne Chérie FM antérieurs de la société Chérie FM ;
– dire, en conséquence, à titre principal, que Monsieur Mohamed E. a commis des actes de contrefaçon de marques par imitation et a porté atteinte à la dénomination sociale, au nom commercial et à l’enseigne de la société Chérie FM et, à titre subsidiaire, a commis une faute grave engageant sa responsabilité civile sur le fondement de l’article 1382 du code civil ;
– ordonner à Monsieur Mohamed E. :
* de cesser toute exploitation des noms de domaine susvisés, sous astreinte de 15 000 € par infraction constatée dans les huit jours de la signification du jugement à intervenir ;
* de procéder, sous astreinte de 5000 € par jour de retard, passé le délai de 15 jours à compter de la signification du jugement à intervenir, au transfert des dits nom de domaine au bénéfice de la société Chérie FM ;
– autoriser, en tant que de besoin, la société Chérie FM à notifier le jugement à intervenir entre les mains du Bureau d’enregistrement de noms de domaine en charge de la gestion des noms de domaine en cause à l’effet de procéder, en cas de carence de Monsieur Mohamed E., à leur transfert au bénéfice de la société Chérie FM ;
– condamner Monsieur Mohamed E. à verser à la société Chérie FM la somme de 30 000 € à titre de dommages et intérêts ;
– ordonner l’exécution provisoire du jugement à intervenir ;
– condamner Monsieur Mohamed E. au paiement des frais de constat réalisé par l’Agence pour la Protection des programmes ainsi qu’aux entiers dépens qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile, et au paiement de la somme de 7500 € en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
Monsieur Mohamed E. a constitué avocat, lequel a présenté oralement ses explications au cours de l’audience du 23 mai 2012. Il conteste la mauvaise foi qui lui est reprochée en exposant qu’il n’a tiré aucun bénéfice du parking des noms de domaine en cause et qu’il s’agit de termes génériques, Chérie hd pouvant se lire en marocain. Il expose que s’il a été assigné valablement, il résidait pour six mois à Strasbourg et a passé l’année précédente au Maroc de sorte que seule une certaine nonchalance peut lui être reprochée. Il soutient avoir été trompé par une personne étrangère à la société Chérie FM qui s’est rapprochée de lui pour obtenir la cession des noms de domaine et il indique que la validité de ceux-ci expirait la veille de l’assignation et qu’il les a reconduits pour pouvoir les céder à la société Chérie FM, le transfert amiable ayant eu lieu. Il précise, enfin, qu’il est étudiant étranger, ses seuls revenus étant constitués des virements de son père.
DISCUSSION
Sur la contrefaçon
L’article L.713-3 du code de la propriété intellectuelle dispose que : “sont interdit, sauf autorisation du propriétaire, s’il peut en résulter un risque de confusion dans l’esprit du public :
a) la reproduction, l’usage ou l’apposition d’une marque, ainsi que l’usage d’une marque reproduite, pour des produits ou services similaires à ceux désignés dans l’enregistrement ;
b) l’imitation d’une marque et l’usage d’une marque imitée, pour des produits ou services identiques ou similaires à ceux désignés dans l’enregistrement”.
La société Chérie FM justifie être titulaire des droits sur les marques verbale (Chérie FM) n° 1402656 et semi-figurative (Chérie FM) n°3422035 qu’elle invoque, depuis 1987 pour la première et 2006 pour la seconde.
Par ailleurs, il est constant et établi par les pièces versées aux débats, que la société Chérie FM édite et exploite, sous le nom de domaine “cheriefm.fr”, réservé depuis le 19 mai 1998, un site internet qui présente son activité, l’actualité musicale et donne accès à de nombreuses webradios telles que “CHERIE DUO”, “CHERIE FRENCHY” ou encore “Chérie by A. Manoukian” animée par le célèbre auteur, compositeur et pianiste de jazz ; qu’elle est également titulaire du nom de domaine “chériefm.com” et qu’elle a acquis une notoriété certaine, au travers de la station Chérie FM qui compte plus de deux millions d’auditeurs français quotidiennement mais également du fait du succès de l’application mobile “Chérie FM” et de l’édition de compilations intitulées “Chérie pour elles”, “Chérie Love Songs”, “Chérie pure duos” ou encore “Best of Chérie”.
Enfin, la notoriété du signe distinctif Chérie FM a été reconnue par décision du Centre d’arbitrage de l’Ompi en date du 26 décembre 2002 en ces termes : “La marque Chérie FM est largement connue et a fait l’objet d’une large exploitation, notamment par le biais de campagnes publicitaires”.
Monsieur Mohamed E. a procédé à l’enregistrement des noms de domaine :
“cheriehd.net”, “cherie-hd.com”, “cherie-hd.net”, “cherihd.fr” et “cheri-hd.fr” le 7 avril 2011, soit deux jours après la publication d’un communiqué de presse du Groupe NRJ sur le lancement de la chaîne ChérieHD.
Ces noms de domaine étaient proposés aux enchères sur la plate-forme www.sedo.fr de la société Sedo et permettaient l’accès à un site internet constitué de lien hypertextes publicitaires pointant à destination de sites internet édités en français proposant des produits et services identiques et/ou similaires aux produits et services désignés par le signe distinctif Chérie FM, tel que cela résulte du procès-verbal de constat dressé par l’Agence pour la Protection des Programmes en date du 12 et du 19 décembre 2011.
A la demande de la société Chérie FM la société 1&1 internet, en sa qualité de bureau d’enregistrement des noms de domaine litigieux, a procédé à titre conservatoire au gel des domaines litigieux le 20 janvier 2012.
Monsieur Mohamed E. ne justifie d’aucun droit ou intérêt légitime à détenir ces noms de domaine, lesquels prêtent à confusion, la suppression d’espace entre les mots, l’adjonction au signe distinctif et dominant “Cherie” du suffixe hd (haute définition) ou encore des suffixes descriptifs.com, .net ou .fr étant inopérante à faire disparaître l’imitation des marques antérieures Chérie FM de telle sorte qu’il existe un risque de confusion dans l’esprit du public.
Monsieur Mohamed E. qui n’avait pas répondu à l’ultime lettre de mise en demeure adressée par la demanderesse le 18 janvier 2012 a procédé au transfert amiable des noms de domaine litigieux en cours de procédure, tel que cela résulte du courrier qui lui a été adressé par le conseil de la société Chérie FM, le 4 mai 2012, versé aux débats. Il apparaît, dans ces conditions, qu’il ne conteste pas sérieusement les faits de contrefaçon de marques qui lui sont reprochés.
Sur l’atteinte à la dénomination sociale, au nom commercial et à l’enseigne de la société Chérie FM
Il résulte des éléments relevés précédemment quant à la notoriété du signe distinctif Chérie FM, dénomination sociale, nom commercial et enseigne de la demanderesse, que Monsieur Mohamed E. ne pouvait ignorer les droits de celle-ci ; qu’il a, ainsi, enregistré et utilisé les noms de domaines litigieux de mauvaise foi, contrairement à ses affirmations, dans le seul but d’en tirer un profit financier. A ce titre, il convient de relever que certains des noms de domaine litigieux ont été enregistrés de manière anonyme par Monsieur Mohamed E., qu’ils étaient proposés à la vente aux enchères via le site internet Sedo à des prix conséquents et généraient également des revenus publicitaires par leur exploitation via des pages parking de la plateforme Sedo.
L’atteinte à la dénomination sociale, au nom commercial et à l’enseigne de la société Chérie FM est ainsi caractérisée.
Sur la demande d’indemnisation
La demanderesse formule une demande globale d’indemnisation du préjudice causé par les agissements de Monsieur Mohamed E. en invoquant tout à la fois l’atteinte portée à son signe distinctif par la réservation des noms de domaine litigieux, le galvaudage de son signe distinctif, le détournement de ses investissements, notamment de ses efforts publicitaires et le préjudice d’image qui résulte de cette situation.
En l’absence d’éléments justificatifs des préjudices invoqués et compte tenu de la nature des faits de contrefaçon en cause, il y a lieu de condamner Monsieur Mohamed E. à verser à la société Chérie FM la somme de 6000 € à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice résultant de l’atteinte à ses marques par contrefaçon et de rejeter toute autre demande, le transfert amiable des noms de domaine en cause étant intervenu.
Sur l’application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile et l’exécution provisoire sollicitée
Il convient de condamner Monsieur Mohamed E. au paiement de la somme de 3000 € en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, tenant compte des frais de constat réalisé par l’Agence pour la Protection des Programmes, et d’ordonner l’exécution provisoire de la présente décision, justifiée par son caractère indemnitaire.
DÉCISION
Par ces motifs,
. Condamne Monsieur Mohamed E. à verser à la société Chérie FM la somme de 6000 € à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice causé par les actes de contrefaçon des marques Chérie FM numéros 1402656 et 3422035 et la somme de 3000 € en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;
. Déboute la société Chérie FM du surplus de ses demandes ;
. Ordonne l’exécution provisoire de la présente décision ;
. Condamne monsieur Mohamed E. aux entiers dépens qui pourront être recouvrés directement par maître Cyril Fabre, avocat, conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.
Le tribunal : Mme Nicole Girerd (1ère vice présidente), Mme Gwenaël Cougard (vice présidente), M. Benoît Chamouard (juge)
Avocats : Me Cyril Fabre, Me Aïcha Brahma
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