Jurisprudence : Vie privée
Tribunal de grande instance Nanterre 1ère chambre Jugement du 6 septembre 2012
M. C. / Cerise Media
atteinte - bonne foi - droit à l'image - internet - lien - presse - site
FAITS ET PROCÉDURE
La société Cerise Media, société éditrice du site internet www.newsdestars.com, a publié un article intitulé «M. C. : découvrez la bouille de son petit M.!» consacré à M. C. et son fils M., et proposant aux internautes un lien hypertexte qui conduit sur une page d’un site américain www.usmagazine.com qui reproduit une photographie de M. C. tenant son bébé dans ses bras, ainsi qu’il résulte d’un constat d’huissier établi le 9 septembre 2011 par Maître Clotilde Griffon.
Estimant qu’il a ainsi été porté atteinte à son droit à l’image et à sa vie privée M. C. a fait citer la société Cerise Media par acte d’huissier du 6 octobre 2011 au visa des articles 9 du code civil et 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, et demande, aux termes de cette assignation et des conclusions signifiées le 24 avril 2012 la condamnation de la défenderesse à lui payer les sommes de 15 000 € en réparation du préjudice causé, 3500 € au titre des frais irrépétibles, l’interdiction de reproduction des photographies litigieuses, le tout avec exécution provisoire.
Au soutien de ses prétentions, M. C. fait valoir que :
– l’article est entièrement consacré à la divulgation fautive de l’image de la comédienne surprise avec son bébé dans des moments de vie personnelle,
– le fait de diriger vers un site américain qui publie une photographie prise à l’insu de la comédienne est fautif,
– le fait qu’elle n’ait pas poursuivi le site américain n’exonère pas la société défenderesse de sa responsabilité,
– le préjudice est aggravé par le sentiment d’avoir été involontairement exposé dans un moment de vie personnelle ; la société éditrice ne justifie pas du bénéfice retiré de cette publication.
En réponse, par dernières conclusions du 14 mai 2012, la société Cerise Media demande au tribunal de rejeter les prétentions de M. C., et subsidiairement ne lui allouer d’autre réparation que de principe.
Elle affirme être de bonne foi, pensant qu’il s’agissait d’une photographie officielle, et précise avoir retiré le cliché litigieux dès réception de l’assignation.
Elle fait valoir que la photographie n’a pas été prise à l’insu de la comédienne, qu’elle est une personnalité importante pour le public français, ce qui autorise les publications concernant son actualité publique ; qu’aucun préjudice n’est ici démontré.
Elle ajoute qu’elle n’a pas publié la photographie litigieuse sur son site, qu’en outre l’article n’a été que très peu consulté, qu’elle en a retiré un revenu très limité.
DISCUSSION
Sur l’existence d’une atteinte à l’inimité de la vie privée et au droit à l’image
Les articles 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et 9 du code civil garantissent à toute personne, quelles que soient sa notoriété, sa fortune, ses fonctions présentes ou à venir, le respect de sa vie privée et de son image.
L’article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales garantit l’exercice du droit à l’information des organes de presse dans le respect du droit des tiers.
La combinaison de ces deux principes conduit à limiter le droit à l’information du public, d’une part, aux éléments relevant pour les personnes publiques de la vie officielle et, d’autre part, aux informations et images volontairement livrées par les intéressés ou que justifie une actualité ou un débat d’intérêt général.
Ainsi chacun peut s’opposer à la divulgation d’informations ou d’images ne relevant pas de sa vie professionnelle ou de ses activités officielles et fixer les limites de ce qui peut être publié ou non sur sa vie privée, ainsi que les circonstances et les conditions dans lesquelles ces publications peuvent intervenir.
L’article évoque la publication par le site de Us Weekly d’une photographie de M. C. et de son fils M. C., prise à l’aéroport de Los Angeles et revient sur les projets professionnels de la comédienne.
Au terme de l’article, est publiée une courte phrase «pour découvrir la jolie bouille de M. c’est ici qu’il faut cliquer !» offrant ainsi un lien hypertexte qui donne accès à une page du site Us Weekly présentant une photographie de M. C., tenant dans ses bras son fils M.
En offrant la possibilité aux internautes d’accéder par un lien hypertexte à un site différant cette photographie de M. C. avec son enfant dans les bras, la société Cerise Media participe à la diffusion d’un cliché qui, fixé sans le consentement de l’intéressée, viole son droit à l’image, et la saisissant dans un moment de vie personnelle avec son bébé, porte atteinte à sa vie privée, peu important le caractère public du lieu de fixation de l’image.
La bonne foi de la société défenderesse ne saurait l’exonérer de sa responsabilité.
L’existence de précédentes publications de ce cliché est également indifférente à la caractérisation de l’atteinte à la vie privée, alors que la défenderesse ne peut arguer de la notoriété de M. C. pour minimiser le caractère illicite de la publication, qui ne s’inscrit pas dans un contexte d’actualité ou de débat d’intérêt général.
Sur le préjudice allégué
La seule constatation de la violation de la vie privée ou bien de celle du droit à l’image ouvre droit à réparation, dont la forme est laissée à la libre appréciation du juge, qui tient de l’article 9 du code civil le pouvoir de prendre toute mesure propre à empêcher ou à faire cesser l’atteinte ainsi qu’à en réparer le préjudice, son évaluation étant souverainement appréciée par le juge au jour où il statue. .
Le préjudice moral ne peut résulter du bénéfice tiré par l’organe de presse mais est évalué en considérant la gravité du dommage causé au demandeur, qui en l’espèce, ne fait pas la preuve de répercussions particulières provoquées par cet article, limité à la diffusion de cette photographie, sur un site dont l’audience est très marginale, réduisant le dommage effectivement subi.
En considération de l’ensemble de ces éléments, M. C. ne justifie pas d’un préjudice à la hauteur de ses demandes indemnitaires, celui-ci étant justement réparé par la condamnation de la société Cerise Media à lui payer la somme de 1500 €, à titre de dommages et intérêts.
La violation délibérée de la loi par le défendeur rend nécessaire et proportionnée au but recherché la demande d’interdiction de toute nouvelle publication de la photographie litigieuse, intrinsèquement attentatoire à la vie privée de l’intéressée. Il convient de faire droit à la demande à ce titre dans les termes du dispositif.
Sur l’article 700 du code de procédure civile et les dépens
II serait inéquitable de laisser à la charge de M. C. les frais par elle exposés et non compris dans les dépens. La société Cerise Media sera condamnée à lui verser la somme de 1500 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
Sur l’exécution provisoire
L’exécution provisoire est nécessaire et compatible avec la nature de l’affaire, eu égard à son caractère indemnitaire et à la défense de nouvelle publication de photographies ordonnée sous astreinte.
DÉCISION
Par ces motifs, le tribunal :
. Condamne la société Cerise Media à payer à M. C. la somme de 1500 € en réparation de l’atteinte portée à sa vie privée et à son droit à l’image,
. Interdit à la société Cerise Media de procéder à toute nouvelle publication, par quelque moyen que ce soit notamment par un lien hypertexte, de la photographie représentant M. C., publiée sur le site www.usweekly.com, sous astreinte de 3000 € par infraction constatée, à compter de la signification du présent jugement,
. Se réserve la liquidation éventuelle de l’astreinte,
. Rejette les autres demandes plus amples ou contraires,
. Condamne la société Cerise Media à payer à M. C. la somme de 1500 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
. Condamne la société Cerise Media aux entiers dépens, qui pourront être recouvrés directement par maître Vincent Toledano conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.
. Ordonne l’exécution provisoire.
Le tribunal : Mme Nicole Girerd (vice présidente), Mme Gwenaël Cougard (vice présidente), M. Benoit Chamouard (juge)
Avocats : Me Vincent Toledano, Me Marie-Laure Bouze
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