Jurisprudence : Droit d'auteur
Cour de cassation Chambre commerciale Arrêt du18 décembre 2012
Direction générale des finances publiques / Amazon EU
contrôle - contrôle du juge - fiscalité - fraude - saisie - vérification
DISCUSSION
Attendu, selon l’ordonnance attaquée, rendue par le premier président d’une cour d’appel, et les pièces produites, que, le 8 décembre 2010, le juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance d’Orléans a autorisé des agents de l’administration des impôts à effectuer, en vertu de l’article L. 16 B du livre des procédures fiscales, une visite et une saisie de documents dans les locaux et dépendances susceptibles d’être occupés par la société Amazon Fr logistique et (ou) la société Amazon EU, en vue de rechercher la preuve de la fraude dont était suspectée la société Amazon EU, présumée se soustraire à l’établissement et au paiement de l’impôt sur les sociétés ;
Sur le premier moyen
Vu l’article L. 16 B du livre des procédures fiscales ;
Attendu que, pour annuler l’ordonnance du juge des libertés et de la détention ayant fait droit à la requête de l’administration fiscale, ensemble les opérations de visite et saisie, l’ordonnance énonce que la pratique des ordonnances prérédigées est de nature à faire naître dans l’esprit du justiciable des doutes sur l’impartialité du juge et qu’en l’espèce, le premier juge s’est borné à signer, sans en changer une virgule, une ordonnance prérédigée par l’administration, se contentant d’y apposer de façon manuscrite son nom, la date avant laquelle la visite devrait être effectuée et le procès-verbal lui être adressé, ainsi que la date de l’ordonnance ;
Attendu qu’en statuant ainsi, alors qu’en apposant sa signature au pied de la requête, le juge des libertés et de la détention est réputé s’en approprier les motifs, sans que cette manière de procéder soit de nature à faire naître un doute légitime quant à son impartialité, le premier président a violé le texte susvisé ;
Et sur le second moyen
Vu l’article L. 16 B du livre des procédures fiscales, ensemble l’article 561 du code de procédure civile ;
Attendu qu’en application de ces textes, le premier président saisi d’un appel contre une ordonnance ayant autorisé des visites et saisies doit, en vertu de l’effet dévolutif, rechercher et caractériser lui-même les éléments laissant présumer l’existence d’une fraude de nature à justifier la requête de l’administration ;
Attendu que, pour statuer comme il fait, le premier président énonce encore que le juge doit vérifier de manière concrète que la demande d’autorisation qui lui est soumise est bien fondée et que l’absence de contrôle opéré par le premier juge n’est pas compensée par l’existence d’un recours, dès lors que le juge d’appel n’intervient qu’une fois les opérations de visite et saisie effectuées ; qu’il relève que le juge des libertés et de la détention n’a manifestement pas examiné les pièces remises par l’administration, sans quoi il aurait relevé des inexactitudes et erreurs matérielles ;
Attendu qu’en statuant ainsi, sans rechercher si, en dépit d’inexactitudes et d’incohérences supposées relevées dans la requête présentée par l’administration, cette dernière ne contenait pas d’autres éléments laissant présumer la fraude dont était suspectée la société Amazon EU, le premier président a violé les textes susvisés ;
DÉCISION
Par ces motifs :
. Casse et annule, dans toutes ses dispositions, l’ordonnance rendue le 13 décembre 2011, entre les parties, par le premier président de la cour d’appel d’Orléans ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ladite ordonnance et, pour être fait droit, les renvoie devant le premier président de la cour d’appel de Versailles ;
. Condamne les sociétés Amazon aux dépens ;
. Vu l’article 700 du code de procédure civile, les condamne à payer au directeur général des finances publiques la somme globale de 2500 € et rejette leur demande ;
. Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l’ordonnance cassée ;
Moyens produits par Me Foussard, avocat aux conseils, pour le directeur général des finances publiques
Premier moyen de cassation
L’ordonnance attaquée encourt la censure ;
En ce qu’elle a annulé l’ordonnance du juge de la liberté et de la détention du tribunal de grande instance d’Orléans du 8 décembre 2010, ensemble les opérations de visite.
Aux motifs que « selon l’article L. 16 B du livre des procédures fiscales, le juge doit vérifier de manière concrète que la demande d’autorisation qui lui est soumise est bien fondée ; qu’en outre, l’exigence d’impartialité à laquelle il est astreint, suppose qu’il ne puisse, par ses actes ou son comportement être suspecté de partialité ; que la pratique des ordonnances prérédigées, outre qu’elle ne permet pas au juge d’appel de vérifier si le juge des libertés et de la détention a rempli son office, est de nature à faire naître dans l’esprit du justiciable des doutes légitimes sur l’impartialité du juge, voire son indépendance vis-à-vis de l’administration, dès lors que, sous prétexte d’être destinée à faciliter son travail, l’ordonnance pré-rédigée tend en réalité à orienter sa décision, et qu’en la signant sans procéder à son examen critique, il donne de fait un blanc-seing à l’administration ; qu’au regard de l’obligation d’impartialité, le manquement n’est certainement pas moins grave que dans l’hypothèse, pourtant régulièrement sanctionnée par la jurisprudence, où le juge motive sa décision en recopiant les conclusions d’une des parties, alors que, dans cette hypothèse, on a au moins l’assurance que le juge a lu les conclusions, tandis qu’avec la pratique de l’ordonnance pré-rédigée, rien ne garantit même qu’il l’ait lue ;
qu’encore, contrairement à ce que soutient l’administration, »l’ineffectivité » du contrôle opéré par le premier juge n’est pas compensée par l’existence d’un recours, dès lors que c’est oublier que le juge d’appel n’intervient qu’a posteriori, une fois les opérations de visite et saisie effectuées, que le juge n’autorise pas seulement ces opérations mais est encore censé contrôler leur déroulement, et que l’annulation des opérations n’est pas nécessairement de nature à réparer l’entier préjudice que peut avoir subi le contribuable ; que, dans la présente affaire, le premier juge s’est borné à signer, sans en changer une virgule, une ordonnance pré-rédigée par l’administration, se contentant d’y apposer de façon manuscrite son nom, la date avant laquelle la visite devrait être effectuée et le procès-verbal lui être adressé, ainsi que la date de l’ordonnance ; qu’il n’a manifestement pas, et en tout cas de manière sérieuse, examiné les pièces que lui avait remises l’administration, ni lu l’ordonnance qu’il a signée, sans quoi il aurait constaté, l’administration ayant présenté une requête identique à un juge parisien pour des opérations devant s’effectuer à Paris, qu’un certain nombre de paragraphes et de passages de l’ordonnance avaient trait aux opérations parisiennes et étaient donc hors sujet, et que l’ordonnance comportait des inexactitudes et erreurs matérielles – dont les sociétés Amazon ont dressé en pièce n° 7 de leur dossier une liste non exhaustive – qui ne pouvaient pas toutes lui échapper ; Que, dans ces conditions, l’ordonnance entreprise mérite l’annulation ; » (ordonnance p 2-3)
Alors que premièrement, en apposant sa signature au pied du texte portant autorisation de visite, le juge s’approprie personnellement les constatations et les appréciations qui y figurent ; que dès lors ces constatations et appréciations doivent être regardées comme l’œuvre du juge et qu’en apposant sa signature au pied d’un texte, fût-il pré-rédigé, le juge remplit son office, qu’en décidant le contraire, le juge du second degré a violé l’article L 16-B du livre des procédures fiscales.
Alors que, deuxièmement, la manière dont le juge procède, pour fonder sa conviction, entre le moment où l’administration lui remet sa requête, assortie de ses productions, et le moment où il rend sa décision, relèvent de sa seule conscience et ne donnent lieu à aucun contrôle ; qu’ainsi le juge détermine seul, et de façon discrétionnaire, la manière dont il aborde la requête, les méthodes qu’il emploie pour s’assurer de son bien fondé, ou encore le temps qu’il y consacre ; qu’en s’immisçant dans les processus intellectuels et matériels mis en œuvre par le juge avant de délivrer son autorisation, quand ces points relèvent du seul for interne du juge qui a statué, le juge du second degré a de nouveau violé L.16-B du Livre des procédures fiscales ;
Et alors que, troisièmement, lorsqu’il intervient pour autoriser l’administration à mettre en œuvre son droit de visite, le juge qui n’est pas appelé à prendre parti entre deux prétentions opposées, a seulement pour mission de s’assurer des soupçons de fraude invoqués par l’administration à l’effet de dire s’il adhère à l’analyse de l’administration en délivrant l’autorisation, ou s’il refuse d’y adhérer en refusant de délivrer cette autorisation et que dans ce contexte, la circonstance que le juge exprime son adhésion à la requête, au travers d’un texte prérédigé, ne peut caractériser un défaut d’impartialité ; qu’en décidant le contraire, le juge du second degré a violé le principe d’impartialité, ensemble l’article L 16-B du livre des procédures fiscales.
Second moyen de cassation
L’ordonnance attaquée encourt la censure ;
En ce qu’elle a annulé l’ordonnance du juge de la liberté et de la détention du tribunal de grande instance d’Orléans du 8 décembre 2010, ensemble les opérations de visite.
Aux motifs que « selon l’article L. 16 B du livre des procédures fiscales, le juge doit vérifier de manière concrète que la demande d’autorisation qui lui est soumise est bien fondée ;qu’en outre, l’exigence d’impartialité à laquelle il est astreint, suppose qu’il ne puisse, par ses actes ou son comportement être suspecté de partialité ; que la pratique des ordonnances prérédigées, outre qu’elle ne permet pas au juge d’appel de vérifier si le juge des libertés et de la détention a rempli son office, est de nature à faire naître dans l’esprit du justiciable des doutes légitimes sur l’impartialité du juge, voire son indépendance vis-à-vis de l’administration, dès lors que, sous prétexte d’être destinée à faciliter son travail, l’ordonnance pré-rédigée tend en réalité à orienter sa décision, et qu’en la signant sans procéder à son examen critique, il donne de fait un blanc-seing à l’administration ;
qu’au regard de l’obligation d’impartialité, le manquement n’est certainement pas moins grave que dans l’hypothèse, pourtant régulièrement sanctionnée par la jurisprudence, où le juge motive sa décision en recopiant les conclusions d’une des parties, alors que, dans cette hypothèse, on a au moins l’assurance que le juge a lu les conclusions, tandis qu’avec la pratique de l’ordonnance pré-rédigée, rien ne garantit même qu’il l’ait lue ; qu’encore, contrairement à ce que soutient l’administration, »l’ineffectivité » du contrôle opéré par le premier juge n’est pas compensée par l’existence d’un recours, dès lors que c’est oublier que le juge d’appel n’intervient qu’a posteriori, une fois les opérations de visite et saisie effectuées, que le juge n’autorise pas seulement ces opérations mais est encore censé contrôler leur déroulement, et que l’ennui on des opérations n’est pas nécessairement de nature à réparer l’entier préjudice que peut avoir subi le contribuable ;
Or que, dans la présente affaire, le premier juge s’est borné à signer, sans en changer une virgule, une ordonnance pré-rédigée par l’administration, se contentant d’y apposer de façon manuscrite son nom, la date avant laquelle la visite devrait être effectuée et le procès-verbal lui être adressé, ainsi que la date de l’ordonnance ; qu’il n’a manifestement pas, et en tout cas de manière sérieuse, examiné les pièces que lui avait remises l’administration, ni lu l’ordonnance qu’il a signée, sans quoi il aurait constaté, l’administration ayant présenté une requête identique à un juge parisien pour des opérations devant s’effectuer à Paris, qu’un certain nombre de paragraphes et de passages de l’ordonnance avaient trait aux opérations parisiennes et étaient donc hors sujet, et que l’ordonnance comportait des inexactitudes et erreurs matérielles – dont les sociétés Amazon ont dressé en pièce n° 7 de .leur dossier une liste non exhaustive – qui ne pouvaient pas toutes lui échapper ; Que, dans ces conditions, l’ordonnance entreprise mérite l’annulation ; » (ordonnance p 2-3)
Alors que le juge du second degré, lorsqu’il est saisi d’une décision portant autorisation de visites, l’est dans le cadre d’un appel ; que dès lors, au titre de l’effet dévolutif, le juge du second degré se doit, en tout état de cause, si même il estime devoir annuler l’ordonnance, s’interroger sur le bien fondé de la requête de l’administration à l’effet de déterminer si l’autorisation de visites, quelle qu’en soit la forme prise, est légalement justifiée ; qu’en s’abstenant de le faire, le juge du second degré a violé l’article L.16-B du Livre des procédures fiscales, ensemble la règle suivant laquelle l’appel produit un effet dévolutif.
La Cour : M. Espel (président)
Avocats : Me Foussard, SCP Piwnica et Molinié
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