Jurisprudence : E-commerce
Tribunal de commerce de Paris Ordonnance de référé 20 mars 2013
Corida et autres / Viagogo
autorisation - billets - hébergeur - internaute - plateforme - producteur - responsable - site internet - spectacle - tiers - vente en ligne
FAITS
La société de droit américain Viagogo Inc. gère un site internet sur lequel sont proposés à la ventes notamment des billets pour des spectacles ; Viagogo garantit l’authenticité des billets vendus et propose un paiement en ligne. Considérant que ce site contrevient à la réglementation française et à leurs droits, un certain nombre de producteurs de spectacles vivants engagent la présente action.
PROCÉDURE
Pour les motifs énoncés en son assignation introductive d’instance en date du 10 janvier 2013, signifiée conformément à la convention de la Haye du 15 novembre 1965, la société Corida nous a demandé, le 21 février 2013, de :
Vu l’article 313-6-2 du code pénal,
Vu les articles 872 et 873 du code de procédure civile,
Vu l’urgence,
– Constater que la publication sur le site www.viagogo.fr de contenus relatifs aux billets du festival Sonisphére et des concerts des BB Brunes, de Christophe Maé, de Dead Can Dance, d’lron Maiden, de Lana Del Rey, de Muse, de Mylène Farmer, de Paul Kalkbrenner, de Rammstein et de Sigur Ros, ainsi que de tout autre spectacle ou concert produits par Corida, Alias, Camus Productions, Nous et TS3 viole l’article 313-6-2 du code pénal, ce qui constitue un trouble manifestement illicite ;
En conséquence,
– Ordonner à Viagogo le retrait des sites internet qu’il exploite, et notamment du site www.viagogo.fr de toute offre ou contenu relatifs aux billets de concerts ou spectacles produits par Corida, Alias, Camus Productions, Nous et TS3, et notamment des concerts suivants organisés en France en 2013 :
* BB Brunes
* Christophe Maé
* Dead Can Dance
* Iron Maiden
* Lana Del Rey
* Muse
* Mylène Farmer
* Paul Kalkbrenner
* Rammstein
* Sigur Ros
* Le festival Sonisphère
produits par lesdits producteurs,
et ce, dans les 24 heures de la signification de l’ordonnance, sous astreinte de 2000 € par jour de retard et par offre illicite ;
– Condamner Viagogo à publier le dispositif de l’ordonnance à intervenir, ainsi que des extraits des motifs de celle-ci choisis par les producteurs, sur la partie immédiatement accessible de la page d’accueil du site internet www.viagogo.fr, accessible à l’adresse http://www.viagogo.fr, ou à toutes autres adresses qui pourraient lui être substituées par Viagogo en caractères lisibles de taille 12, de couleur noire sur fond blanc, sur une surface égale à au moins 50% de fa surface de la page d’accueil, dans la partie supérieure de celle-ci, dans un encadré parfaitement visible intitulé « Publication judiciaire », et ce dans un délai de trois jours à compter de la signification de l’ordonnance à intervenir, le tout sous astreinte de 2000 € par jour de retard ;
– Dire que cette publication judiciaire devra être maintenue en ligne sur le site www.viagogo.fr sans interruption pendant une durée de trois mois, sous astreinte de 2000 € par jour de manquement constaté à cette obligation ;
– Dire que le président du tribunal de commerce de Paris se réserve de liquider l’astreinte ;
– Condamner Viagogo au versement de 2000 € à chacun des demandeurs, à savoir Corida, Alias, Camus Productions, Nous et TS3, au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
– Condamner Viagogo aux entiers dépens.
La Société Viagogo Inc. se fait représenter par son conseil lequel dépose des conclusions motivées aux termes desquelles il nous demande de :
À titre principal :
Nous déclarer territorialement incompétent au profit des juridictions américaines, en application de l’article 75 du code de procédure civile ;
A titre subsidiaire :
Prononcer la nullité de l’acte introductif d’instance, en application de l’article 56-2 du code de procédure civile ;
À titre plus subsidiaire :
Dire que les sociétés Corida, Jean-Claude Camus Productions, J.H.D Productions, Nous et TS3 sont irrecevables en leurs demandes pour défaut d’intérêt à agir, en application de l’article 122 et 124 du code de procédure civile ;
À titre encore plus subsidiaire :
– Prononcer la nullité du procès-verbal de constat du 6 décembre 2012 constituant la pièce 11 des demanderesses, en application de l’ordonnance n°45-2592 du 2 novembre 1945 relative au statut des huissiers ; à tout le moins, l’écarter des débats pour défaut de farce probante ;
– Dire qu’il existe une contestation sérieuse faisant obstacle à l’application de l’article 572 du code de procédure civile ;
– Dire que l’absence de trouble manifestement illicite fait obstacle à l’application de l’article 873 du code de procédure civile ;
– Dire n’y avoir lieu à référé ;
– Débouter les sociétés Corida, Jean-Claude Camus Productions, J.H.D Productions, Nous et TS3 de toutes leurs demandes, fins et prétentions ;
En tout état de cause :
– Reconventionnellement s’il était fait droit à la demande de publication formée par les demanderesses, condamner solidairement ces dernières à en supporter le coût à raison de 10 000 € par jour de présence sur la page d’accueil du site de Viagogo ;
– Condamner les sociétés Corida, Jean-Claude Camus Productions, JHD Productions, Nous et TS3 à verser à la société Viagogo la somme globale de 10 000 €, en application de l’article 700 du code de procédure civile ;
– Condamner solidairement les sociétés Corida, Jean-Claude Camus Productions, JRD Productions, Nous et TS3 aux entiers dépens.
Sous toutes réserves, nous avons renvoyé l’affaire en cabinet au 1er mars 2013, pour entendre les parties. A cette audience, le conseil des demandeurs réitère sa demande.
Le Conseil du défendeur nous demande de : lui adjuger l’entier bénéfice de ses précédentes écritures.
Nous constatons que les parties se présentent aux audiences du 21 février et du 1er mars 2013 par leur conseil respectif. Après avoir écouté leurs explications, nous avons clos les débats, mis l’affaire en délibéré et annoncé que l’ordonnance serait mise à la disposition des parties au Greffe le 20 mars 2013.
DISCUSSION
Sur notre compétence
Nous constatons que la société Viagogo soulève in limine litis notre incompétence territoriale au motif qu’elle est de droit américain, qu’elle est domiciliée aux Etats Unis, ne dispose d’aucun établissement en France, et que la seule accessibilité de son site internet depuis la France ne saurait suffire à établir la compétence des tribunaux français ;
Nous relevons que cette exception est soulevée avant tout moyen de fond et qu’elle indique la jurisprudence qui, selon elle, serait compétente, et qu’elle est donc recevable ;
Nous retenons que, si en matière de responsabilité délictuelle, et en application de l’article 46 du code de procédure civile, le demandeur, outre la juridiction où demeure le défendeur, peut saisir celle du fait dommageable ou celle dans le ressort de laquelle le dommage a été subi, il ne peut pour autant être attribuée aux juridictions françaises une compétence générale et systématique du seul fait que le réseau internet couvre nécessairement la France ; qu’il convient en conséquence d’analyser dans le cas d’espèce la nature et le lieu du fait dommageable, ou du dommage subi ;
Nous notons que le site incriminé a une adresse française, qu’il est rédigé en Français, que l’action vise un certain nombre de spectacles vivants se déroulant en France, en diverses villes, et s’adressant donc a priori à un public principalement Français ;
Nous retenons que le fait que les serveurs de Viagogo, qui hébergent les annonces, soient situés aux Etats-Unis, comme l’affirme le défendeur, sans le prouver d’ailleurs, est inopérant dans la cause car le service rendu ne consiste pas en un simple hébergement d’annonces et le lieu de cet hébergement est sans incidence ; qu’en effet le service rendu par Viagogo consiste, en réalité, à permettre à un vendeur de billets et à un acheteur de se rapprocher, à organiser la transaction, notamment en garantissant la réalité et l’authenticité des billets vendus et leur acheminement jusqu’à l’acquéreur et à sécuriser le paiement de la transaction ; que de la nature des spectacles dont s’échangent les billets, découle que, dans la plupart des cas, le vendeur et l’acquéreur seront Français, que la transaction et son paiement se dérouleront en France ; que ces transactions sont susceptibles d’avoir un impact économique sur le public et le marché français ; qu’il existe ainsi un lien substantiel et significatif entre les faits et actes dommageables allégués et le territoire français ;
En conséquence de quoi, faisant application de l’article 45 du code de procédure civile, nous déclarerons l’exception d’incompétence soulevée par la société Viagogo recevable mais mal fondée, et l’en débouterons.
Sur la recevabilité de l’action
Nous écarterons des débats la prétention de Viagogo selon laquelle l’assignation serait nulle faute pour l’acte introductif d’instance de préciser « l’objet de la demande avec un exposé des moyens en faits et en droits » alors que l’assignation cite précisément un certain nombre d’artistes et de concerts, avec les lieux et les dates, dont elle demande d’interdire la vente des billets par le défendeur, et la règle de droit sur laquelle les demandeurs appuient leur prétention, en l’occurrence l’article 313-6-2 du code pénal ;
Nous écarterons également l’argument de Viagogo selon lequel les demandeurs n’auraient pas qualité à agir faute de prouver qu’ils sont entrepreneurs de spectacles vivants, activité réglementée par les article L.7122-1, L.7122-2 et R.7122-1 du code du travail, puisque leur licence d’entrepreneurs de spectacles vivants, licences délivrées par les préfets compétents, ont été produites aux débats ;
Nous notons également que Viagogo conteste que les requérantes établissent leur qualité de producteur des spectacles revendiqués et donc leur intérêt à agir ; qu’effectivement, l’organisation d’un spectacle peut revêtir des modalités multiples et qu’il n’existe pas de document unique établissant que telle société est le producteur de tel spectacle ; que cependant, dans le cas d’espèces :
– les demandeurs versent aux débats :
* des copies de billets de spectacles, dont le défendeur conteste il est vrai le caractère probant au motif qu’il ne s’agit que d’échantillons et non de billets véritables achetés,
* des copies d’écrans de leurs sites internet présentant les spectacles organisés, dont le défendeur conteste le caractère probant au motif que le contenu de ces sites est défini par les demandeurs,
* des attestations d’un certain nombre de salles de spectacles ;
– nous avons pu, par ailleurs, vérifier que la plupart des sites internet sur lesquels se vendent des billets des spectacles concernés, comme par exemple celui de la FNAC, ou des sites des salles où ils seront donnés, mentionnent un nom de producteur corroborant les dires des défendeurs ;
Nous constatons, à l’inverse, que si le défendeur verse aux débats certains éléments de nature à jeter un doute sur la qualité de producteur de certains spectacles pour l’un des demandeurs – éléments qui, à eux seuls ne sont au demeurant pas parfaitement probants – il n’établit pour aucun des demandeurs qu’il n’est producteur, ou co-producteur, d’aucun des spectacles qu’il revendique, ce qui le priverait alors de tout intérêt à agir ;
Nous retenons ainsi que, même si chacun des éléments versés aux débats, pris isolément peut être contesté, ils constituent globalement un faisceau de preuves convergentes et probantes ;
Nous notons enfin que tout producteur d’un spectacle a un intérêt direct dans la façon dont les billets sont commercialisés et, dans le cas d’espèce, dans les circuits de revente ;
Qu’en outre quand bien même les demandeurs ne seraient-ils pas producteurs exclusifs des spectacles revendiqués, ce qu’ils ne revendiquent d’ailleurs pas nécessairement, ou n’en seraient-ils que co-producteurs, ils conserveraient néanmoins leur intérêt propre à agir ;
Nous écarterons donc l’argument de Viagogo selon lequel, en application de l’article 124 du code de procédure civile, l’action serait irrecevable faute d’intérêt à agir des demandeurs ;
Nous constatons enfin que Viagogo a renoncé au cours des débats, à soutenir la nullité du constat d’huissier du 6 décembre 2012 effectué par la SCP « Jean-Daniel L., Franck G., Sylvain T., Fabienne B. » au motif qu’un certain Monsieur Z. y a assisté et aurait pu influencer l’huissier ;
En conséquence de quoi, nous déclarerons l’action recevable, et débouterons la société Viagogo de sa prétention contraire.
Sur le fond
– Sur les textes applicables
Nous relevons que les demandeurs affirment que le site Viagogo viole les dispositions de l’article 313-6-2 du code pénal, inséré au livre III chapitre III intitulé « De l’escroquerie et des infractions voisines », article qui dispose que « Le fait de vendre, d’offrir à la vente ou d’exposer en vue de la vente ou de la cession ou de fournir les moyens en vue de la vente ou de la cession des titres d’accès à une manifestation sportive, culturelle ou commerciale ou à un spectacle vivant, de manière habituelle et sans l’autorisation du producteur, de l’organisateur ou du propriétaire des droits d’exploitation de cette manifestation ou de ce spectacle, est puni de 15 000 € d’amende. Celle peine est portée à 30 000 € d’amende en cas de récidive » ; que les demandeurs considèrent que cette violation constitue un trouble manifestement illicite auquel le président du tribunal de commerce peut mettre fin en application de l’article 873 du code de procédure civile qui dispose que : « Le président peut, …, et même en présence d’une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite » ;
Des fondements de la demande qui, même si les visas au titre de l’assignation sont plus larges, ne retiennent en réalité que la nécessité de mettre un terme à un trouble manifestement illicite, nous retenons qu’il y a lieu d’examiner successivement si la cause, comme le prétend Viagogo, n’excède pas les pouvoirs du juge des référés, si le site Viagogo respecte les dispositions sus-visées du code pénal et, à supposer que l’infraction soit avérée, si elle constitue un trouble manifestement illicite au sens de l’article 873 du code de procédure civile, existence d’une contestation sérieuse.
– Sur la qualité de simple hébergeur revendiquée par Viagogo et la prétendue existence d’une contestation sérieuse
Nous constatons que Viagogo soutient que les dispositions de l’article L. 313-6-2 du code pénal ne s’appliquent qu’aux éditeurs de sites internet alors qu’elle n’est qu’un prestataire technique d’hébergement au sens de la Loi n° 2044-575 du 21 juin 2004 pour la Confiance dans l’économie numérique (ci-après LCEN) ; qu’en effet elle n’intervient ni dans la rédaction des annonces, ni dans la fixation du prix, qu’elle ne devient jamais propriétaire des billets vendus, ne prodigue aucun conseil ; que cette qualité d’hébergeur, en application de l’article 6-1-7 de ladite loi ne la soumet pas « à une obligation générales de surveiller les informations qu’elles [les sociétés d’hébergement] transmettent ou stockent, ni à une obligation générale de rechercher des faits ou des circonstances révélant des activités illicites », sauf dans certaines conditions précisées à l’article 6-l-5 de la loi LCEN précitée, conditions qui selon le défendeur ne seraient pas remplies dans le cas d’espèce ;
Qu’en demandant à Viagogo de vérifier que les annonces qu’elle publie ne contreviennent pas aux dispositions de l’article L. 313-6-2 du code pénal, les sociétés demanderesses contestent ainsi, de fait, son statut de simple hébergeur ;
Que l’attribution, ou non, de la qualité d’hébergeur requiert un examen attentif des conditions d’exploitation de son site internet et des service fournis, et qu’il y a là une contestation sérieuse dont l’appréciation excède les pouvoirs du juge des référés, juge de l’évidence, et relève des seuls pouvoirs du juge du fond éventuellement saisi ;
Nous retenons cependant que le moyen est inopérant dans la cause puisque :
– en application de l’article 873 du code de procédure civile le président du tribunal de commerce peut, même en présence d’une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires qui s’imposent pour faire cesser un trouble manifestement illicite ;
– et, d’autre part, la rédaction de l’article 313-6-2 du code pénal qui prohibe le fait « d’exposer en vue de la vente ou de la cession ou de fournir les moyens en vue de la vente ou de la cession des titres d’accès … à un spectacle vivant » n’opère pas de distinction entre tes moyens technologiques utilisés, est de rédaction très générale et qu’il ne peut donc en être inférée que cet article ne s’appliquerait pas aux sites internet qui ont le statut de simple hébergeur ;
Qu’au surplus, si les offres de ventes disputées sont reconnues illicites, la présente assignation contient les mentions requises par l’article 6 de la LCEN, vaut signification au sens de ladite loi, et la société Viagogo sera tenue de les retirer ou de rendre leur accès impossible, quand bien même ne serait-elle qu’un hébergeur ;
En conséquence de quoi, nous débouterons Viagogo de sa demande de renvoi de la cause au juge du fond, éventuellement saisi, au motif d’une prétendue contestation sérieuse qui relèverait de ses seuls pouvoirs d’appréciation.
– Sur le respect de l’article 313-6-2 du code pénal
Nous constatons que le titre même de la LCEN qui l’a introduit dans le code pénal, montre que l’article L. 313-6-2 concerne principalement les sites internet, même si sa rédaction, plus générale, couvre tous les moyens de diffusion ;
Nous retenons qu’il n’est pas réfutable qu’en organisant sur internet une bourse de vente de billets de spectacles, Viagogo expose en vue de la vente ou de la cession et fournit des moyens en vue de la vente ou de la cession de titres d’accès à des spectacles vivants, de manière habituelle ; que son activité se révèle ainsi directement visée par les dispositions de l’article L 313-6-2 du code pénal ;
Nous retenons que la société Viagogo ne conteste pas cette situation, mais fait observer qu’une telle activité n’est prohibée que si lui fait défaut « l’autorisation du producteur, de l‘organisateur ou du propriétaire des droits d’exploitation » ; qu’elle n’est pas l’auteur des propositions de ventes paraissant sur son site, qui sont librement remplies par les internautes à partir de leur propre ordinateur, et que le fait de valider une proposition de vente de billets pour un spectacle aux fins de publication vaut, par définition, autorisation par l’auteur de la proposition de participer au processus de vente ainsi initié et qu’en conséquence Viagogo ne contrevient pas aux dispositions de l’article L. 313-6-2 du code pénal si l’annonceur est lui-même une personne habilitée, au sens de cet article, à commercialiser les billets de spectacle proposés ;
Que Viagogo soutient, à cet égard :
– d’une part, que l’organisation de la vente des billets d’un spectacle est complexe, fait intervenir en général différents acteurs, outre le producteur, et que les requérantes n’apportent pas une seule constatation que les propositions de vente de billets qu’elles ont relevées sur le site Viagogo n’émanent pas de personnes habilitées, telles que désignées par l’article L.313-6-2 du code pénal, ou qui ne soient valablement délégataires d’une personne habilitée au sens de cet article ;
– d’autre part, que son site s’adresse, pour l’essentiel, à des particuliers souhaitant revendre des billets dont ils n’ont plus l’usage et que les requérantes n’établissent pas davantage que les transactions relevées sont effectuées par des annonceurs agissant « à titre habituel» ;
Nous relevons cependant là un surprenant renversement de la charge de la preuve, dans la mesure où la société Viagogo est la seule à connaître l’identité de son annonceur et donc à avoir la capacité à vérifier, ou à assurer qu’il est bien habilité à vendre les billets du spectacle qu’il propose ou qu’il ne le fait pas à titre habituel ;
Que, dans l’espèce, pour les cas relevés par les demanderesses, pas une seule fois Viagogo n’établit que l’annonceur est une personne autorisée à proposer à la vente les billets présentés, ni même que l’annonceur n’est qu’un vendeur occasionnel, ne se livrant pas à de telles ventes de manière habituelles ;
En conséquence de quoi, nous constaterons que Viagogo, à qui revient la charge de la preuve, n’établit pas que les offres de vente disputées ne sont pas répréhensibles au sens de l’article L313-6-2 du code pénal,
– Sur le trouble manifestement illicite
Nous notons que, en période normale de réservation de places et d’achat de billets pour un spectacle, l’existence de plusieurs circuits de commercialisation non coordonnés entre eux, et à des prix différents pour les mêmes billets, ne peut, en tout état de cause, que perturber le consommateur, acheteur final, et indirectement nuire au producteur qui est, en principe, chargé d’organiser cette commercialisation ;
Nous retenons, de plus que l’existence de circuits de revente de billets, en l’absence de tout contrôle, peut facilement conduire à un certain nombre d’abus, dénoncés depuis longtemps par les associations de consommateurs :
– le risque de falsification des billets, même si Viagogo prétend l’éviter en s’engageant à rembourser les billets qui s’avéreraient faux, remboursement qui en tout état de cause ne compense qu’imparfaitement le préjudice et la déconvenue du consommateur, qui ne découvre la difficulté qu’en se présentant au spectacle ;
– la catégorie exacte des places vendues peut prêter à interprétation et l’acheteur final se retrouver avec des places de catégorie inférieure à celle qu’il croyait avoir achetée ;
– la possibilité de revendre facilement des billets, surtout, développe un comportement spéculatif pour les spectacles les plus courus, certains acquéreurs peu scrupuleux achetant des billets, si possible en nombre important, à seule fin de les revendre avec bénéfice dès la clôture des réservations ; ce comportement, de plus, accélère l’assèchement du marché et encourage la flambée des prix ;
Nous constatons, d’ailleurs, que les annonces versées aux débats, telles que publiées par Viagogo, proposent à la vente des billets de spectacle à un prix – outre les frais d’intermédiation de Viagogo – supérieur à leur valeur faciale et que le risque spéculatif est ainsi avéré ;
Que c’est précisément ces inconvénients qui ont conduit le Parlement, en mars 2012, à adopter la loi qui est devenue l’article L 313-6-2 du code pénal dent l’objet, comme l’ont souligné les débats parlementaires, est de mettre un terme à un trouble manifeste.
En conséquence de quoi, nous retiendrons que les infractions à l’article L.313-6-2 du code pénal constatées dans la cause constituent un trouble manifestement illicite.
– Sur le retrait des annonces des sites internet
Nous constatons qu’en application de l’article 873 du code de procédure civile, et en l’absence de tout dommage imminent allégué que les requérantes n’invoquent pas, il appartient seulement au juge des référés de prescrire les mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent pour faire cesser un trouble manifestement illicite ; qu’en conséquence, les mesures prescrites ne peuvent concerner qu’un trouble identifié et avéré, à l’exclusion de tout trouble hypothétique ou de toute mesure d’ordre générale ;
Que dans le cas d’espèce, Viagogo publie sur son site internet d’adresse www.viagogo.fr un certain nombre d’offres de vente de billets pour des spectacles produits par les demanderesses sans qu’il soit établi que ces annonces ne sont pas prohibées par les dispositions de l’article L. 313-6-2 du code pénal ;
En conséquence de quoi,
– Nous ordonnerons à la société Viagogo de retirer du site internet d’adresse www.viagogo.fr qu’elle exploite toute offre relative à la vente de billets des concerts ou spectacles produits par les demanderesses et plus amplement énumérés dans le dispositif, à moins que cette offre n’émane d’une personne autorisée par le producteur, l’organisateur ou un propriétaire des droits d’exploitation, ou qu’elle n’émane d’une personne ne se livrant pas de manière habituelle à de telles offres, et ce dans un délai de dix jours ouvrés à compter de la signification de l’ordonnance à intervenir et sous astreinte de 1000 € par jour de retard et par offre illicite constatée, pendant une période de 60 jours à l’issue de laquelle il sera à nouveau dit droit ; nous débouterons pour le surplus de la demande.
Sur les autres demandes des parties
– Sur la demande de publication de l’ordonnance à intervenir
Nous constatons qu’une mesure de publication est, par nature, irréversible et qu’elle excède les pouvoirs du juge des référés et relève du seul pouvoir d’appréciation du juge du fond, éventuellement saisi ;
En conséquence de quoi, nous débouterons les sociétés Corida, Jean-Claude Camus Productions, J.H.D. Production, Nous et TS3 de leur demande de publication de l’ordonnance à intervenir.
– Sur les demandes au titre de l’article 700 et les dépens
Constatant que les défenderesses ont dû engager des frais irrépétibles pour faire valoir leurs droits qu’il serait inéquitable de laisser à leur charge,
Nous condamnerons la société Viagogo verser la somme de 2000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile à chacune des sociétés Corida, Jean-Claude Camus Productions, J.H.D, Production, Nous et TS3.
Viagogo qui succombe en ses prétentions sera en outre condamnée aux dépens de l’instance.
DÉCISION
Statuant par ordonnance rendue de façon contradictoire et en premier ressort :
Vu l’article L. 313-6-2 du code pénal,
Vu l’article 873 du code de procédure civile
. Disons l’exception d’incompétence territoriale soulevée par la société Viagogo recevable mais mal fondée et l’en déboutons ;
. Déboutons la société Viagogo de sa demande que soit prononcée la nullité de l’acte introductif d’instance ;
. Disons les sociétés Corida, Jean-Claude Camus Productions, J.H.D. Production, Nous et TS3 recevables en leurs demandes et déboutons la société Viagogo de ses prétentions contraires pour défaut de qualité ou d’intérêt à agir ;
. Prenons acte du retrait par la société Viagogo de sa demande de nullité du procès- verbal de constat d’huissier du 6 décembre 2012 ;
. Ordonnons à la société Viagogo Inc. de retirer du site internet d’adresse www.viagogo.fr qu’elle exploite, dans un délai de dix jours ouvrés à compter de la signification de la présente ordonnance, toute offre relative à la vente de billets des concerts ou spectacles suivants :
* les concerts de Rammstein, produits par Corida le 23 avril 2013 au Park&Suites Aréna à Montpellier, le 24 avril 2013 à la Halle Tony Garnier à Lyon, le 7 juillet 2013 au Zenith de Nancy Maxéville,
* les concerts de Christophe Maé en France, produits par Camus Production, du 4 au 13 octobre 2013 au Palais des sports à Paris Porte de Versailles,
* les concerts de Muse, produits par Alias les 21 et 22 juin 2013 au Stade de France à Saint Denis et te 26 juin 2013 au stade Nikaia à Nice,
* la tournée des BB Brunes en France en 2013, produite par Nous, pour les spectacles qu’il reste donner, le 2 avril au Havre, le 3 avril à Caluire et Cuire, le 5 avril à Nice, le 6 avril à Vichy, le 9 avril à Caen, le 11 avril à Saint Etienne, le 12 avril à Montpellier, le 18 avril à Lille, le 19 avril à Brest, le 12 mai à Amiens, le 23 novembre au Zenith de Paris,
* Les concerts de Lana DeI Rey, produits par Nous, les 27 et 28 avril 2013 à l’Olympia à Paris,
* le concert de Dead Can Dance, produit par Nous, le 30 juin 2013 au Zenith de Paris,
* le festival Sonisphère, produit par Nous, les 8 et 9 juin 2013 à Amnéville,
* les concerts de Mylène Farmer, produits par TS3, les 7, 8, 10, 11, 13, 17, 18, 20, et 21 septembre 2013 au Palais Omnisport de Paris, les 24, 25, 27 et 28 septembre 2013 à la Halle Tony Garnier à Lyon, les 1, 2 et 5 octobre 2013 au Park&Suites Arena à Montpellier, les 15 et 16 octobre 2013 au Zenith de Strasbourg, les 20, 22 et 23 novembre 2013 au Gayant Expo à Douai, les 26, 27 et 30 novembre 2013 au Zenith de Toulouse, le 3 décembre 2013 au Zenith d’Auvergne à Clermont Ferrand et le 6 décembre 2013 au Palais Nikaia de Nice ;
à moins qu’une telle offre n’émane d’une personne autorisée par le producteur, l’organisateur ou un propriétaire des droits d’exploitation, ou qu’elle n’émane d’une personne ne se livrant pas de manière habituelle à de telles offres ;
. Assortissons l’ordonnance de retrait d’une astreinte de 1000 € par jour de retard et par offre illicite constatée, pendant une période de 60 jours à l’issue de laquelle il sera à nouveau dit droit ;
. Laissons au juge de l’exécution le soin de liquider l’astreinte s’il y a lieu ;
. Déboutons les sociétés Corida, Jean-Claude Camus Productions, J.H.D. Production, Nous et TS3 de leur demande de publication de l’ordonnance, les renvoyant à se mieux pourvoir, le cas échéant ;
. Condamnons la société Viagogo à verser la somme de 2000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile à chacune des sociétés Corida, Jean-Claude Camus Productions, J.H.D. Production, Nous et TS3 ;
. Déboutons les parties de toutes leurs demandes autres plus amples ou contraires ;
. Condamnons en outre la société Viagogo Inc. aux dépens de l’instance.
Le tribunal : M. Jeanjean (président)
Avocats : Me Etienne Papin, Me Diane Mullenex
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