Jurisprudence : Logiciel
Conseil d’État 4ème et 5ème sous-sections réunies Décision du 22 mai 2013
M. A. / CNRS
base de données - droit d'auteur - fonctionnaire - intéressement - moteur de recherche - protection - public
FAITS ET PROCÉDURE
Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 18 janvier et 11 avril 2011 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentés pour M. B… A…, demeurant … ; M. A… demande au Conseil d’Etat :
1°) d’annuler l’arrêt n° 09NC00916 du 2 décembre 2010 par lequel la cour administrative d’appel de Nancy a rejeté sa requête tendant, d’une part, à l’annulation du jugement n° 0701021 du 28 avril 2009 du tribunal administratif de Nancy en tant qu’il a rejeté ses demandes tendant à la condamnation du centre national de la recherche scientifique (CNRS) à lui verser la prime d’intéressement aux produits tirés de diverses créations du CNRS, au versement d’une provision de 10 000 € et à la désignation d’un expert, d’autre part, à la condamnation du CNRS à lui verser une prime d’intéressement aux produits tirés de l’exploitation du logiciel “Stella » et de ses applicatifs dans le cadre de l’exploitation de la base de données “Frantext“ et de la vente des CD-ROM du “Trésor de la langue française“ ainsi qu’une provision de 10 000 €, et à la désignation d’un expert chargé de déterminer le montant des produits tirés par le CNRS de ses créations et le taux de prime à lui allouer ;
2°) réglant l’affaire au fond, de faire droit à son appel ;
3°) de mettre à la charge du CNRS une somme de 3000 € en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de la propriété intellectuelle ;
Vu le décret n° 96-858 du 2 octobre 1996 ;
Vu le code de justice administrative ;
[…]
DISCUSSION
1. Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. A…, qui était, jusqu’à sa retraite en 2006, ingénieur de recherche au sein du laboratoire d’analyse et de traitement de la langue française du centre national de la recherche scientifique (CNRS) a conçu, dans l’exercice de ses fonctions, un logiciel de moteur de recherche, baptisé Stella, permettant d’accéder aux données numérisées du CNRS relatives à la langue et à la littérature françaises ; que ce logiciel a été utilisé dans des applications adaptées à la base de données de textes anciens “Frantext“ et pour l’informatisation du dictionnaire “Trésor de la langue française informatisé (TLFi)“ ; que ces deux bases de données ont été commercialisées par le CNRS, sous forme d’abonnement pour la première, de Cdrom pour la seconde ; que le CNRS a refusé d’attribuer à M. A… la prime d’intéressement sur les produits tirés de ces créations, qu’il sollicitait sur le fondement du décret du 2 octobre 1996 ; que, par l’arrêt attaqué du 2 décembre 2010, la cour administrative d’appel de Nancy a confirmé le jugement du tribunal administratif de Nancy rejetant sa demande de versement de cette prime d’intéressement ;
2. Considérant qu’aux termes de l’article L. 113-9 du code de la propriété intellectuelle, dont les dispositions sont, en vertu de son troisième alinéa, également applicables aux agents de l’Etat, des collectivités publiques et des établissements publics à caractère administratif : “Sauf dispositions statutaires ou stipulations contraires, les droits patrimoniaux sur les logiciels et leur documentation créés par un ou plusieurs employés dans l’exercice de leurs fonctions ou d’après les instructions de leur employeur sont dévolus à l’employeur qui est seul habilité à les exercer…“ ; qu’aux termes de l’article 1er du décret du 2 octobre 1996 relatif à l’intéressement de certains fonctionnaires et agents de l’Etat et de ses établissements publics ayant participé directement à la création d’un logiciel (…) ou à des travaux valorisés : “Les fonctionnaires ou agents publics de l’Etat et de ses établissements publics (…) qui ont directement participé, soit lors de l’exécution de missions de création ou de découverte correspondant à leurs fonctions effectives, soit à l’occasion d’études et de recherches qui leur avaient été explicitement confiées, à la création d’un logiciel (…) bénéficient d’une prime d’intéressement aux produits tirés, par la personne publique, de ces créations, découvertes et travaux./ Lorsque la personne publique décide de ne pas procéder à la valorisation de la création, de la découverte ou des travaux, les agents mentionnés à l’alinéa précédent peuvent en disposer librement, dans les conditions prévues par une convention conclue avec ladite personne publique“ ; qu’il résulte de ces dispositions que, lorsqu’un agent public a participé à la création d’un logiciel dans les conditions qu’elles définissent, il peut percevoir une prime d’intéressement si, ces créations ayant donné lieu à une exploitation commerciale, la personne publique en a directement tiré un produit ;
3. Considérant que, lorsque qu’une personne publique commercialise une base de données dont l’exploitation est subordonnée à l’utilisation d’un moteur de recherche, les produits tirés de cette commercialisation doivent être regardés, pour l’application des dispositions du décret du 2 octobre 1996, comme étant également tirés de la commercialisation du moteur de recherche ;
4. Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que le logiciel “ Stella “ a été conçu et adapté afin de permettre l’interrogation des bases de données “ Frantext “ et “ TLFi “ ; que l’exploitation commerciale de ces bases de données n’a été rendue possible qu’en raison de l’adjonction à celles-ci de ce moteur de recherche, qui permet aux utilisateurs d’accéder aux informations qu’elles contiennent ; qu’il s’en suit qu’en jugeant que M. A… ne pouvait prétendre au versement d’une prime d’intéressement au titre de la création d’un logiciel au motif que le CNRS ne tirait pas directement de produits de la commercialisation du moteur de recherche “ Stella “, mais seulement des bases de données consultables à l’aide de ce logiciel, la cour administrative d’appel a commis une erreur de droit ; que M. A… est fondé, pour ce motif et sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens de son pourvoi, à demander l’annulation de l’arrêt attaqué ;
5. Considérant que les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que la somme que demande le CNRS au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens, soit mise à la charge de M.A…, qui n’est pas, dans la présente instance, la partie perdante ; qu’il y a lieu, en revanche, de mettre à la charge du CNRS le versement à M. A… d’une somme de 3000 € au même titre ;
DÉCISION
Article 1er : L’arrêt du 2 décembre 2010 de la cour administrative d’appel de Nancy est annulé.
Article 2 : L’affaire est renvoyée à la cour administrative d’appel de Nancy.
Article 3 : Le Centre national de la recherche scientifique versera une somme de 3000 € à M. A… au titre des dispositions de l’article L.761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Les conclusions présentées par le Centre national de la recherche scientifique et la société CNRS Editions au titre de l’article L.761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à M. B… A…, au Centre national de la recherche scientifique et la société CNRS Editions.
Le conseil : M. Hervé Guichon (rapporteur), Mme Gaëlle Dumortier (rapporteur public)
Avocats : SCP Benabent, Jehannin ; SCP Meier-Bourdeau, Lecuyer
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