Jurisprudence : Vie privée
Cour d’appel de Lyon Chambre sociale A Arrêt du 13 mars 2013
John X. / Société Y.
cnil - déclarations - employeur - géolocalisation - information préalable - licenciement - preuve - salarié - traitement automatisé de données à caractère personnel
FAITS ET PROCÉDURE
John X. a été engagé par la société d’exploitation du périphérique de Lyon (la société Y.) en qualité d’agent de sécurité/viabilité débutant employé d’exécution position Il, par contrat de travail à durée indéterminée en date du 9 juin 2005, la rémunération mensuelle brute de base étant fixée en dernier lieu à 1370 €.
La relation de travail n’a été soumise à aucune convention collective.
Par courrier recommandé avec accusé de réception du 5 mai 2010, la société Y. l‘a convoqué à un entretien préalable à licenciement pour faute grave fixé au 19 mai 2010, reporté au 28 mai 2010 en raison du non retrait du courrier de convocation.
Par courrier recommandé avec accusé de réception du 7 juin 2010, elle lui a signifié son licenciement pour faute dans les termes suivants :
« Par votre comportement indiscipliné qui vous a conduit le 09 mars 2010 à vous soustraire pendant deux heures (de 22h49 à 00h35 le 10 mars 2010,) de votre tour de service pour quitter, sans autorisation de votre hiérarchie, votre secteur d’intervention pour vous rendre dans le local technique dédié aux équipes d’intervention du tunnel de la Croix rousse, vous avez commis un grave manquement incompatible avec la poursuite de votre contrat de travail.
En effet, ainsi que nous l’avons solennellement rappelé en vous sanctionnant à deux reprises pour des faits similaires, la surveillance du tunnel de Fourvière qui est une zone à hauts risques interdit de vous éloigner de votre secteur d’intervention.
L’obligation de sécurité à laquelle est tenue au titre de sa mission de service public ne permet aucune entorse à cette règle. Vous en connaissez pourtant parfaitement l’existence et le contenu pour vous l’avoir rappelé à plusieurs reprises.
Si un accident était survenu sous le tunnel, votre absence présentait un risque élevé d’impossibilité pour vous d’être surplace dans un délai inférieur à 13 minutes pour effectuer la mise en sécurité et prendre les premières dispositions d’urgence. Chaque minute gagnée est primordiale en cas de blessé grave, et permet d’éviter les risques de sur-accident.
Face à ce manquement fautif, nous n’avons d’autre choix que de prononcer votre licenciement pour faute.
Pour mémoire, nous vous rappelons que vous avez également fait l’objet le 29 mai 2007 d’un avertissement pour une absence injustifiée le 17 mai 2007 et de plusieurs rappels à l’ordre pour acte d’indiscipline le 15 octobre 2008 pour utilisation à des fins personnelles des véhicules d’intervention et absence de votre poste pendant 90 minutes le 7 octobre 2008 ; le 5 mai 2009 pour non respect du règlement intérieur et de la charte informatique avec la présence de fichiers illicites sous votre session.
Votre préavis de deux mois commencera à courir à compter de la première présentation de cette lettre à votre domicile ».
John X. a saisi le Conseil de prud’hommes de Lyon le 29 juin 2010.
Par courrier recommandé avec accusé de réception du 20 juillet 2010, la société Y. lui a notifié une mise à pied conservatoire et la convoqué à un entretien préalable en vue d’une rupture anticipée du préavis pour faute lourde.
Par courrier recommandé avec accusé de réception du 9 aout 2010, elle a rompu le contrat de travail la liant à John X. pour faute lourde pour la raison suivante :
« Votre préavis, consécutif au licenciement qui vous a été signifié le 07 juin 2010 pour insubordination est en cours.
Selon le constat établi par Maitre Thibault Z. en date du 29 juillet 2010, il a été constaté que vous avez créé un site dénigrant la société accessible par un lien hypertexte sur votre page Facebook, mais également directement depuis le moteur de recherche Google.
Le contenu de ce site à caractère insultant et malveillant porte gravement atteinte à l’image et la réputation de l’entreprise. Les explications que vous nous avez apportées lors de notre entretien du 6 août dernier ne nous ont pas permis de modifier notre appréciation à ce sujet.
Ce comportement rend impossible la poursuite jusqu’à son terme du préavis. Il caractérise la faute lourde qui nous conduit à rompre immédiatement votre contrat de travail […].
Nous vous confirmons pour les mêmes raisons la mise à pied à titre conservatoire dont vous faites l’objet depuis le 30 juillet 2010.”
Le Conseil de Prud’hommes de Lyon, section commerce, par jugement rendu le 25 juin 2012, a :
– dit le licenciement fondé sur une cause réelle et sérieuse et a débouté John X. de sa demande de dommages et intérêts à ce titre,
– Dire que les propos tenus sur Facebook à l’égard de la société Y. ne relevait pas d’une intention de nuire et a condamné en conséquence la société Y. à lui payer les sommes de 379,37 € au titre du reliquat de préavis et de 37,93 € au titre des congés payés afférents.
John X. a interjeté appel de cette décision par déclaration du 12 juillet 2012.
Aux termes de ses conclusions régulièrement communiquées au soutien de ses observations orales du 16 janvier 2013, il demande à la cour de :
– la réformer en ce quelle l’a débouté de sa demande afférente à absence de cause réelle et sérieuse du licenciement,
– dire le licenciement dénué de toute cause réelle et sérieuse.
– condamner la société Y. à lui payer la somme de 25 000 € titre de dommages et intérêts.
– confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a dit que les propos tenus sur Facebook à l’égard de la société Y. ne relevait pas d’une intention de nuire et d’une faute lourde et condamner l’employeur au paiement de la somme de 379,37€ au titre du reliquat de préavis outre 37,93 € au titre des congés payés afférents.
– condamner la société au paiement de la somme de 2500 € en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile
Dans ses écritures régulièrement communiquées au soutien de ses observations orales du 16 janvier 2013 la société Y. conclut ainsi :
– confirmer la décision déférée sur le licenciement,
– constater le caractère public, dénigrant et diffamatoire des propos tenus par John X. sur la société Y. directement accessibles depuis sa page Facebook, et par conséquent infirmer le jugement sur ce point,
– condamner John X. sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile au paiement d’une indemnité de 2500 €.
DISCUSSION
Sur la cause réelle et sérieuse du licenciement
La société Y. a eu connaissance des faits reprochés à John X. dans la lettre de licenciement par les données fournies par le système de géolocalisation installé sur son véhicule de service, ce point n’est pas contesté.
Elle le mentionne d’ailleurs expressément dans la convocation à l’entretien préalable.
John X. soutient que les institutions représentatives du personnel n’ayant pas été informées et consultées préalablement à l’instauration du système de géolocalisation litigieux, et que lui-même n’en ayant pas été avisé à titre individuel, le mode de preuve utilisé pour motiver son licenciement doit être considéré comme illicite.
L’article L.1121-1 du code du travail dispose que « nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché ».
Selon l’article L.1222-4 du même code, aucune information concernant personnellement un salarié ne peut être collectée par un dispositif qui n’a pas été porté préalablement à sa connaissance. Par ailleurs, selon la norme simplifiée n° 51 du 16 mars 2006 établie par la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil), la mise en œuvre d’un dispositif de géolocalisation n’est admissible que si l’employeur remplit les conditions suivantes :
– effectuer une déclaration simplifiée auprès de cette commission.
– informer et consulter les instances représentatives du personnel avant sa mise en œuvre,
– informer individuellement les employés, préalablement à la mise en œuvre du dispositif, de la finalité poursuivie, des catégories de données traitées, de la durée de conservation des données les concernant, des destinataires ou catégories de destinataires des données, de l’existence d’un droit d’accès, de rectification et d’opposition,
– permettre aux salariés de désactiver la fonction de géolocalisation des véhicules à l’issue de leur temps de travail lorsque ces véhicules peuvent être utilisés à des fins privées.
En l’espèce, il ressort des registres du personnel versés au débat que la société ne pouvait être soumise à la procédure d’information-consultation du comité d’entreprise ou des délégués du personnel, l’effectif de la société en novembre 2006 au moment de l’instauration du système de géolocalisation n’ayant pas atteint le seuil légal de la mise en place de ces institutions. Ce système a été déclaré à la Cnil selon récépissé délivré le 17 novembre 2006.
Par ailleurs, la société prétend avoir procédé à l’information individuelle des salariés lors d’une réunion du personnel tenue le 9 juin 2006 à laquelle John X., convoqué personnellement, a assisté comme en atteste M.M.
Pour autant ne produisant ni compte-rendu ni ordre du jour et la convocation ayant pour objet “une réunion d’information et de présentation de la société », elle ne démontre pas avoir communiqué au salarié les données visées par la Cnil.
Néanmoins, elle produit une note de service affichée le 09 novembre 2006 à destination de l’ensemble des agents de sécurité, catégorie à laquelle appartient John X. et précisant que :
« De façon à mieux gérer nos interventions chez nos clients, nous vous informons que nous avons installé, dans les véhicules, un système permettant de les localiser en temps réel.
Ce service va nous permettre de quantifier les interventions par type et de connaitre les délais et temps d’intervention sur événement. Nous aurons connaissance de l’itinéraire que vous suivez ainsi que des arrêts que vous effectuez.
Notre objectif est de pouvoir établir au mieux des tableaux de bord de nos activités, et en cas de désaccord avec nos clients, apporter un avis contradictoire, notamment sur nos délais d’intervention.
Les données relatives à vos déplacements sont conservées pendant 1 an et 6 mois, et ont pour objet la réalisation de statistiques. Au delà de ce laps de temps toutes les données sont supprimées.
Le service de la direction des ressources humaines et les responsables opérationnels sont seuls destinataires de ces informations.
Conformément aux articles 39 et 40 de la 101 n°78-17 du 6 janvier 1978 modifiée relative à l’informatique aux fichiers et aux libertés, toute personne peut obtenir communication et, le cas échéant, rectification ou suppression des informations la concernant, en s’adressant à la direction générale. Vous bénéficiez également d’un droit d’opposition, sous réserve d’invoquer des motifs légitimes qui seront soumis à l’appréciation de la direction ».
Cette note conforme au guide établi par la Cnil fait bien état de la mise en place d’un système de géolocalisation dans les véhicules mais dans un but purement commercial. Le suivi de l’activité des employés de la société but qui doit être justifié au regard de l‘activité de l’employé n’est pas mentionné au titre des finalités poursuivies.
Les éléments de la procédure disciplinaire menée par la société à l’encontre de John X. démontrent néanmoins que la société a utilisé ainsi le système de géolocalisation, puisqu’elle a sanctionné John X. au vu du relevé des déplacements de son véhicule de service, opérant ainsi un détournement de finalité au regard de celle qui avait été portée à la connaissance du salarié.
Ne pouvant utiliser ces données comme preuve du seul fait reproché à John X. le licenciement est privé de cause réelle et sérieuse.
John X. qui a été licencié alors qu’il comptait plus de deux ans d’ancienneté dans une entreprise occupant habituellement moins de dix salaries, est en droit de prétendre, en application de l’article L. 1235-5 au code du travail, à une indemnité correspondant au préjudice subi.
Il ne donne aucune indication sur sa situation personnelle et professionnelle après la rupture survenue en août 2010, se bornant à produire un document de Pôle Emploi concernant la période du 1er au 31 décembre 2012.
Il convient de fixer son indemnisation à la somme de 6000 €.
Selon l’article L1235-4 du code du travail dans les cas prévus aux articles L 1235-3 et L1235-11 du même code, le juge ordonne le remboursement par l’employeur fautif aux organismes intéressés de tout ou partie des indemnités de chômage versées au salarié licencié, du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé, dans la limite de six mois d’indemnités de chômage par salarié intéressé.
Les deux articles précités ne trouvant pas ici à s’appliquer, la société employant moins de 10 salarié,s il n’y a pas lieu à ordonner ce remboursement.
Sur la rupture du préavis pour faute lourde
Le contrat de travail, avec ses obligations réciproques subsiste pendant la période du préavis.
Lorsque le salarié commet une faute grave ou lourde ou lorsqu’une telle faute est découverte pendant la durée du préavis, l’employeur est en droit de libérer le salarié de ses obligations pour le préavis à venir, seul le préavis déjà effectué restant dû.
Il appartient à l’employeur qui se prévaut d’une faute lourde du salarié de rapporter la preuve d’un fait imputable à celui-ci qui constitue une violation des obligations découlant du contrat de travail ou des relations de travail qui traduit une intention de nuire à son employeur.
La société a rompu le contrat de travail de John X. en cours de préavis en raison d’un site que celui-ci a mis en ligne, accessible depuis sa page personnelle Facebook et depuis un moteur de recherche, Google, dont le contenu est jugé par la société « insultant et malveillant » et portant « gravement atteinte à l’image et à la réputation de l’entreprise ». Le constat d’huissier dressé le 22 juillet 2010 démontre que le site litigieux hébergé par le salarié sur une page personnelle de son fournisseur d’accès à internet Free a été librement accessible depuis un moteur de recherche et depuis un lien hypertexte figurant sur sa page Facebook sur laquelle la confidentialité des échanges n’a pas été limitée, de sorte que la diffusion du site et tout échange s’y rapportant doit être considéré comme relevant du domaine public.
Ce site comporte un onglet « … » qui, lorsqu’il est enclenché fait apparaître une page sur laquelle figurent, stylisés, une voie rapide, un véhicule léger et une camionnette Y. En surimpression est affiché un texte relatif à l’exploitation du tunnel de Fourvière et au service de sécurité. Sur le côté gauche de l’écran, plusieurs onglets sont disponibles : politique, les ASV, actu, FAUX, espaces ASV.
En activant l’onglet politique Y. apparaît sur l’écran une carotte chantant une chanson paillarde. Un autre onglet «FAUX» conduit à un écran sur lequel figure un texte indiquant que les agents de sécurité d’Y. ne participent pas aux exercices de sécurité.
L’employeur produit une copie d’écran faite antérieurement où figure le même texte mais accompagné de la photo d’un véhicule de service et la reprise du texte officiel sur la sécurité que l’on trouvait sur la première page du site barré d’un large bandeau rouge « FAUX ».
Ce site, dont la première page peut faire penser à un site officiel et qui est directement accessible par un moteur de recherche en tapant « I’… » contient des propos dénigrants qui dépassent le cadre normal de la liberté d’expression et constituent un abus dudit droit.
Ils revêtent la qualification de faits fautifs.
S’ils ne révèlent pas une intention de nuire à l’employeur caractérisant la faute lourde, ils constituent une faute grave justifiant la fin immédiate du préavis et le non paiement des jours de la partie restant à courir.
En conséquence, le jugement entrepris sera infirmé sur ce point.
DÉCISION
Par ces motifs, la cour :
. Réforme le jugement entrepris,
. Dit le licenciement sans cause réelle et sérieuse,
. Condamne la société Y. à verser à John X. la somme de 6000 € à titre de dommages et intérêts à ce titre,
. Dit n’y avoir lieu d’ordonner le remboursement par l’employeur des indemnités versées par Pôle Emploi,
. Déboute John X. de sa demande en paiement du solde du préavis,
. Dit n’y avoir lieu à application de l’article 700 du code de procédure civile,
. Condamne la société Y. aux dépens.
La cour : M. Didier Joly (président), M. Hervé Guilbert et Mme Mireille Semeriva (conseillers)
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* Nous portons l'attention de nos lecteurs sur les possibilités d'homonymies particuliérement lorsque les décisions ne comportent pas le prénom des personnes.