Jurisprudence : E-commerce
Cour de cassation Chambre commerciale Arrêt 24 septembre 2013
CDS et autres / FPDC
atteinte - clause - concurrence - contrat - distribution sélective - parapharmacie - réseau - site inernet - vente en ligne
DISCUSSION
Attendu, selon l’arrêt attaqué (Toulouse, 17 janvier 2012) que les sociétés Caribéenne de diététique et santé (CDS), Martinique alimentation diététique (MAD) et Compagnie de diététique du marin (CDM), qui exploitent chacune une parapharmacie en Martinique, sont distributeurs agréés des produits cosmétiques fabriqués par les sociétés Pierre Fabre dermo-cosmétique (PFDC), Laboratoires Klorane, Laboratoires dermatologiques Ducray, Laboratoires dermatologiques Avene, René X…, Laboratoires dermatologiques Galenic et Pierre Fabre médicament composant le groupe Pierre Fabre dermo-cosmétique (les sociétés du groupe PFDC) ; qu’en décembre 2008, les sociétés du groupe PFDC ont retiré leur agrément aux sociétés CDS, MAD et CDM en invoquant le non-respect de leur obligation, inscrite à l’article 1. 1 des conditions générales de distribution et de vente, de ne vendre les produits que sur le conseil d’un diplômé en pharmacie physiquement présent sur le lieu de vente ; que les trois sociétés ont assigné les sociétés du groupe PFDC aux fins de voir constater la nullité de la clause invoquée ainsi que le caractère abusif de la rupture des relations commerciales, et d’en voir ordonner la reprise, sous astreinte ;
Sur le premier moyen
Attendu que les sociétés du groupe PFDC font grief à l’arrêt d’avoir accueilli ces demandes alors, selon le moyen :
1°/ que le juge a l’obligation de faire application aux parties de la loi du contrat ; que l’article 1. 1 des conditions générales de distribution et de vente de la société PFDC imposait aux distributeurs agréés la présence physique et permanente d’un diplômé en pharmacie dans leur point de vente pendant toute l’amplitude horaire d’ouverture ; que la société PFDC a retiré son agrément aux sociétés CDS, MAD et CDM pour violation de cette obligation ; qu’il résultait des procès-verbaux dressés par huissier au sein des trois parapharmacies Z… Center qu’il était déclaré que M. Y…, pharmacien, aurait été tout à la fois présent dans la parapharmacie détenue par la société CDM dont il était « salarié », et « présent en permanence » dans la parapharmacie détenue par la société CDS dont il était « salarié », bien qu’il se soit « absenté une demi-heure pour soigner une douleur » ; que la cour d’appel a justement considéré que l’article 1. 1 des conditions générales imposait la présence effective et continue d’un pharmacien pendant les heures d’ouverture ; qu’en décidant néanmoins que l’infraction à l’article 1. 1 n’était pas constituée à l’égard des sociétés CDS et CDM, sans expliquer, ainsi qu’il le lui était demandé, comment ces dernières, employant le même pharmacien salarié pour être présent en permanence dans deux parapharmacies différentes, pouvaient respecter l’obligation résultant de cet article, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article 1134 du code civil ;
2°/ qu’un fabricant est libre d’organiser la distribution de ses produits sous réserve que le mode de distribution mis en œuvre n’ait pas pour objet ou pour effet de porter atteinte à la concurrence ; qu’un fabricant peut notamment exiger de ses distributeurs la présence sur le lieu de vente d’une personne titulaire d’un diplôme de pharmacie, spécialement qualifiée pour prodiguer des conseils aux acheteurs, cette exigence revêtant un caractère objectif ; qu’en jugeant illicite la clause des conditions générales de distribution et de vente de la société PFDC et de ses filiales imposant la présence sur le lieu de vente d’un diplômé en pharmacie, sans établir que cette exigence ne reposerait pas sur un critère objectif et serait susceptible de restreindre le jeu de la concurrence, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article L. 420-1 du code de commerce ;
3°/ qu’une convention est prohibée si elle a pour objet ou peut avoir pour effet d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence sur un marché ; qu’en jugeant que la clause imposant la présence sur le lieu de vente d’un diplômé en pharmacie faussait le jeu de la concurrence et était illicite car « les produits PFDC sont également vendus par la voie d’internet, ce qui a été autorisé par décision du Conseil de la concurrence du 29 octobre 2008 », quand les produits ne sont pas vendus par le biais d’internet en raison du sursis à exécution frappant cette décision du Conseil de la concurrence, la cour d’appel s’est fondée sur un motif inopérant pour caractériser l’atteinte à la concurrence, et a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 420-1 du code de commerce et 101 § 1 TFUE ;
4°/ qu’en jugeant que, dès lors que l’intervention d’un pharmacien lors de la vente par internet ne serait « ni prévue ni sans doute envisageable », l’exigence de la présence d’un diplômé en pharmacie pour les distributeurs pratiquant la vente classique serait de nature à fausser la concurrence, sans expliquer en quoi la possibilité de vendre les produits sur internet interdirait le maintien de la clause exigeant la présence d’un diplômé en pharmacie sur le lieu de vente, la cour d’appel a privé derechef sa décision de base légale au regard des articles L. 420-1 du code de commerce et 101 § 1 TFUE ;
5°/ que le juge ne peut statuer par un moyen relevé d’office sans avoir au préalable invité les parties à présenter leurs observations ; qu’en se fondant sur la distorsion de concurrence qui résulterait de la possibilité de vendre les produits sur internet sans l’intervention d’un pharmacien, sans avoir au préalable invité les parties à présenter leurs observations sur ce moyen qui n’avait pas été avancé par les sociétés CDS, MAD et CDM, la cour d’appel a violé l’article 16 du code de procédure civile ;
6°/ que chaque partie doit prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention ; que la société PFDC et ses filiales démontraient la licéité de la clause de qualification professionnelle en faisant notamment valoir que de nombreux autres laboratoires de produits dermo-cosmétiques exigeaient la présence d’un diplômé en pharmacie sur le lieu de vente ; que la cour d’appel a affirmé que, contredites sur ce point, les exposantes ne produisaient « aucun justificatif à cette affirmation » ; qu’en se déterminant ainsi, quand l’exigence, par des entreprises concurrentes, de cette qualification professionnelle résultait des pièces versées au débat et notamment des décisions du Conseil de la concurrence des 1er octobre 1996 et 8 mars 2007, la cour d’appel a violé les dispositions de l’article 9 du code de procédure civile ;
7°/ que pour juger illicite la clause exigeant la présence d’un diplômé en pharmacie sur le lieu de vente, la cour d’appel a, par motifs adoptés, affirmé que la décision du Conseil de la concurrence du 1er octobre 1996, ayant admis la licéité de cette clause, était contredite par une autre décision du même Conseil de la concurrence du 29 octobre 2008 ; qu’en statuant par de tels motifs, quand le Conseil de la concurrence dans sa décision du 29 octobre 2008 ne s’est prononcé que sur la licéité de l’interdiction faite par la société PFDC à ses distributeurs agréés de vendre par le biais d’internet, mais n’est nullement revenu sur la licéité de la clause de qualification professionnelle, la cour d’appel a dénaturé les termes clairs et précis de la décision du Conseil de la concurrence du 29 octobre 2008, violant ainsi les articles 4 du code de procédure civile et 1134 du code civil ;
Mais attendu que la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE), saisie d’une question préjudicielle, a dit pour droit, le 13 octobre 2011 (aff. C-439/ 09), qu’une clause contractuelle, dans le cadre d’un système de distribution sélective, exigeant que les ventes de produits cosmétiques et d’hygiène corporelle soient effectuées dans un espace physique en présence obligatoire d’un pharmacien diplômé, ayant pour conséquence l’interdiction de l’utilisation d’internet pour ces ventes, constitue une restriction par objet au sens de l’article 101 § 1 TFUE si, à la suite d’un examen individuel et concret de la teneur et de l’objectif de cette clause contractuelle et du contexte juridique et économique dans lequel elle s’inscrit, il apparaît que, eu égard aux propriétés des produits en cause, cette clause n’est pas objectivement justifiée ; qu’après s’être référé à cette décision, l’arrêt relève que les produits dermo-cosmétiques n’entrent pas dans le monopole des pharmaciens, qu’il n’est pas établi que les produits du groupe PFDC nécessitent sur le plan de la santé des utilisateurs des conseils particuliers et que le conseil d’utilisation sollicité le cas échéant par le consommateur peut être dispensé par toute personne ayant bénéficié d’une formation adéquate, en dermatologie ou cosmétologie par exemple ; qu’il en déduit qu’en ce qu’elle exige la présence sur le lieu de vente d’un diplômé en pharmacie, la clause a un caractère disproportionné et qu’elle est illicite ; qu’il relève encore que si une restriction par objet peut bénéficier d’une exemption individuelle au sens de l’article 101 § 3 TFUE, c’est à la condition qu’une telle pratique restrictive de concurrence contribue à un progrès économique et soit indispensable à la réalisation de ce progrès, ce qui n’est pas prétendu ; qu’en l’état de ces énonciations, constatations et appréciations, et dès lors que les sociétés du groupe PFDC se bornaient à réclamer le bénéfice de l’exemption individuelle prévue par l’article 101 § 3 TFUE et par l’article L. 420-4 du code de commerce, la cour d’appel, qui a fait la recherche visée par la deuxième branche et qui n’avait pas à faire celle, inopérante, visée par la première branche, a, abstraction faite des motifs surabondants critiqués par les autres branches, légalement justifié sa décision ; que le moyen, qui n’est pas fondé en ses deux premières branches, ne peut être accueilli pour le surplus ;
Et sur le second moyen
Attendu que les sociétés du groupe PFDC font grief à l’arrêt de les avoir condamnées solidairement à payer différentes sommes à titre de dommages-intérêts aux sociétés CDS, MAD et CDM, alors, selon le moyen, que les parties ne peuvent soumettre de nouvelles prétentions à la cour d’appel ; que ne tendent pas aux mêmes fins la demande de reprise des relations commerciales, qui vise à faire exécuter un contrat, et la demande de dommages et intérêts, ayant pour but l’indemnisation du préjudice qui serait né de l’absence de ventes pendant la période d’interruption des relations commerciales ; qu’en jugeant recevable, comme constituant la conséquence ou le complément des demandes soumises aux premiers juges, la demande de dommages et intérêts formée pour la première fois en cause d’appel par les sociétés CDS, MAD et CDM, la cour d’appel a violé l’article 564 du code de procédure civile ;
Mais attendu que la demande de réparation du préjudice résultant de l’arrêt des livraisons constitue le complément des demandes soumises aux premiers juges tendant à la constatation du caractère abusif de la rupture des relations commerciales ; que le moyen n’est pas fondé ;
DÉCISION
Par ces motifs :
. Rejette le pourvoi ;
. Condamne les sociétés Pierre Fabre dermo-cosmétique, Laboratoires Klorane, Laboratoires dermatologiques Ducray, Laboratoires dermatologiques Avene, René X…, Laboratoires dermatologiques Galenic et Pierre Fabre Médicament aux dépens ;
. Vu l’article 700 du code de procédure civile, les condamne à payer la somme globale de 3000 € aux sociétés Caribéenne de diététique et santé, Martinique alimentation diététique et Compagnie de diététique du marin, et rejette leurs demandes ;
. Vu l’article R. 470-2 du code de commerce, dit que sur les diligences du directeur de greffe de la Cour de cassation, le présent arrêt sera notifié, par lettre recommandée avec avis de réception, à la Commission européenne, à l’Autorité de la concurrence et au ministre chargé de l’économie ;
Moyens produits par Me Copper-Royer, avocat aux conseils, pour les sociétés Pierre Fabre dermo-cosmétique, Laboratoires Klorane, Laboratoires dermatologiques Ducray, Laboratoires dermatologiques Avene, René X…, Laboratoires dermatologiques Galenic et Pierre Fabre Médicament.
Premier moyen de cassation
Le moyen fait grief à l’arrêt confirmatif attaqué d’avoir constaté l’illicéité de l’article 1.1 des conditions générales de distribution et de vente des Laboratoires Pierre Fabre dermo-cosmétique et d’avoir ordonné aux sociétés Pierre Fabre dermo-cosmétique, Klorane, Ducray, Avene, René X… et Pierre Fabre médicament de reprendre leurs relations commerciales avec les pharmacies Z… Center sous astreinte provisoire de 1000 € par jour de retard commençant à courir le quinzième jour suivant la signification du jugement.
Aux motifs adoptes des premiers juges que « sur l’illicéité de la clause 1.1 des conditions générales de distribution et de vente :
« (…) la Commission Européenne considère que la distribution sélective purement qualitative ne relève pas de l’article 81-1 du règlement de la Commission européenne n° 2790/ 1999, car elle ne produit pas d’effets préjudiciables à la concurrence pour autant que trois conditions soient satisfaites :
– la nature du produit doit requérir un système de distribution sélective, c’est-à-dire qu’un tel système doit constituer une exigence légitime eu égard à la nature du produit concerné afin d’en préserver la qualité et d’en assurer le bon usage,
– les revendeurs doivent être choisis sur la base de critères objectifs de caractère qualitatif, qui sont fixés de manière uniforme pour tous les revendeurs potentiels et appliqués de façon non discriminatoire,
– les critères définis ne doivent pas aller au-delà de ce qui est nécessaire, (…) lors des questions orales au Sénat du 30/ 11/ 2006, Monsieur Philippe A…, Ministre Délégué à la Sécurité Sociale, aux Personnes Agées, aux Personnes Handicapées et à la Famille à répondu, concernant la présence d’un pharmacien dans les boutiques de parapharmacie :
« « Certains fabricants de produits cosmétiques ont élaboré des contrats de distribution sélective qui imposent aux revendeurs la présence d’un personnel qualifié pour donner des conseils sur les produits vendus. Toutefois, les qualifications exigées sont variables selon les contrats, lesquels ne prévoient pas toujours la présence d’un pharmacien diplômé d’état…
« « Le Conseil de la Concurrence a accepté ces contrats de distribution sélective, dans la mesure où ils ne constituent pas une entrave au marché. Il n’a pas limité la définition du personnel qualifié devant être présent aux heures d’ouverture aux seuls pharmaciens. Il exige en revanche un niveau de qualification professionnelle, « « qu’il s’agisse d’un diplôme de pharmacien, d’un diplôme universitaire équivalent ou d’un diplôme scientifique ou professionnel. » »
« « Aussi les parapharmacies ne sont-elles pas dans l’illégalité quand elles n’emploient pas un pharmacien si elles emploient une personne qualifiée ayant un diplôme équivalent. » »
« (…) donc les Hautes Autorités estiment que les parapharmacies ne sont pas dans l’illégalité si elles n’emploient pas un pharmacien dès lors qu’une personne est qualifiée pour la vente de produits parapharmaceutiques et donc de produits d’hygiène et de cosmétique,
« l’article 8-1 du règlement de la Commission Européenne n° 2790/1999 concernant les pratiques concurrentielles dispose que les critères des contrats de distribution sélective ne doivent pas aller au-delà de ce qui est nécessaire,
« l’article L. 420-1 du code de commerce dispose que sont prohibées les conventions qui ont pour effet de restreindre, d’empêcher ou de fausser le libre exercice de la concurrence,
« (…) le Conseil de la Concurrence et le Tribunal de Première Instance ont considéré que l’exigence d’un pharmacien était disproportionnée pour la vente en parapharmacie de produits cosmétiques, (…) le Conseil de la Concurrence, dans sa décision du 29 octobre 2008, a d’autre part contraint les Laboratoires Fabre à autoriser la vente de ses produits sur internet,
« (…) l’activité de parapharmacie n’est ni médicale, ni paramédicale, elle peut être exercée sans diplôme particulier, (…) peuvent y être vendus les produits et accessoires de cosmétiques, ainsi que les produits et accessoires d’hygiène corporelle,
« (…) les produits cosmétiques doivent présenter un étiquetage informant les consommateurs des conditions normales et prévisibles d’utilisation, conforme aux dispositions de l’article R. 51314 du code de la Santé Publique,
« (…) il relève de ses dispositions que la clause des conditions générales de distribution et de vente des Laboratoires Fabre présente un caractère disproportionné par rapport à la mise sur le marché de ses produits cosmétiques,
« (…) donc (…) la clause litigieuse des conditions générales de distribution et de vente des Laboratoires Fabre ne repose sur aucun caractère obligatoire ou législatif,
« (…) d’autre part (…) le dogme selon lequel une parapharmacie ne pourrait vendre des produits cosmétiques sans la présence d’un diplômé en pharmacie, alors que la vente sur internet des mêmes produits est autorisée, présente un caractère discriminatoire en contradiction avec les règles de la Concurrence,
« (…) les arguments des Laboratoires Pierre Fabre concernant la licéité du contrat reposent sur une décision du Conseil de la Concurrence du 01/ 10/ 1996, (…) cette décision est contredite par une autre décision du même Conseil de la Concurrence du 29/ 10/ 2008,
« (…) les produits cosmétiques des Laboratoires Fabre sont incontournables et nécessaires au bon achalandage d’une parapharmacie,
« (…) en conséquence, le Tribunal constatera l’illicéité de l’article 1. 1 des Conditions Générales de Distribution et de Vente des Laboratoires Pierre Fabre et ordonnera aux sociétés des Laboratoires Pierre Fabre de reprendre leurs relations commerciales avec les parapharmacies Z… Center sous astreinte provisoire de 1000 € par jour de retard commençant le quinzième suivant la signification du présent jugement » (jugement p. 9, 9 derniers § et p. 10, § 1 à 9).
Et aux motifs propres que «- Sur les infractions reprochées à la clause litigieuse :
« Le contrat liant les parties prévoit (conditions générales de distribution et de vente des produits Pierre Fabre Dermo Cosmétique) en son article 1. 1 l’obligation pour chaque distributeur agréé de justifier de la présence physique et permanente dans son point de vente et pendant toute l’amplitude horaire de celui-ci d’au moins une personne… titulaire du diplôme de pharmacien délivré ou reconnu en France.
« Les sociétés du Groupe Pierre Fabre ont après deux rappels des dispositions contractuelles et une mise en demeure du 23 juin 2008 fait signifier l’ordonnance sur requête du président du tribunal de grande instance de Fort de France du 27 novembre 2008 autorisant à se rendre sur les lieux de vente et à constater la présence d’un pharmacien.
« C’est ainsi que le 28 novembre 2008 l’huissier se rendait au siège de la société MAD à Fort de France où il lui était déclaré qu’un pharmacien était sur place sans qu’il puisse être nommé et qu’il ne pouvait le recevoir. Le même jour l’huissier se rendait au siège de la société CDS où il rencontrait Alex Z…, gérant et ayant la qualité de pharmacien. Le 4 décembre 2008 au siège de la société CDM l’huissier constatait la présence d’un pharmacien en la présence de M. Y….
« (…) »
« La clause impose clairement la présence d’un pharmacien, quel que soit son statut, sur les points de vente, cette présence ne pouvant qu’être effective et continue pendant les heures d’ouverture sauf à la priver de tout effet. Toutefois il ne ressort des constats précités qu’une seule infraction établie à l’encontre de la société MAD.
«- Sur la licéité de la clause litigieuse
« (…)
« (…) Il est constant que les produits dermo-cosmétiques n’entrent pas dans le monopole des pharmaciens même s’ils peuvent à l’occasion être prescrits par un médecin, qu’ils sont soumis pour leur fabrication, leur conditionnement et leur étiquetage à des règles strictes garantissant a priori leur innocuité pour la santé et que dès lors le conseil d’utilisation sollicité le cas échéant par le consommateur peut être dispensé par toute personne ayant bénéficié d’une formation adéquate, en dermatologie ou cosmétologie par exemple. En dehors de leur notoriété il n’est pas établi que les produits Pierre Fabre Dermo Cosmétique nécessitent sur le plan de la santé des utilisateurs des conseils particuliers par rapport à la concurrence. Par ailleurs la prescription par un médecin donnera lieu à délivrance par un pharmacien en officine.
« Les appelantes faisant valoir que les entreprises concurrentes fabricant de produits dermo-cosmétiques imposent à leurs distributeurs la même exigence de présence d’un pharmacien sur les lieux de vente sont contredites sur ce point et ne produisent aucun justificatif à cette affirmation.
« Mais surtout les produits Pierre Fabre Dermo Cosmétique sont également vendus par la voie d’internet, ce qui a été autorisé par décision du Conseil de la Concurrence du 29 octobre 2008 au motif qu’il ne s’agit pas de médicaments, et l’intervention d’un pharmacien au moment de la vente par ce moyen n’est ni prévue ni sans doute envisageable. Dès lors l’exigence maintenue pour les distributeurs pratiquant la vente « « classique » » de la présence sur le lieu de vente d’un diplômé en pharmacie est de nature à fausser le jeu de la concurrence et la clause l’imposant est illicite.
« C’est la solution qui peut s’induire de l’arrêt de la CJUE du 13 octobre 2011 qui, sur question préjudicielle posée par la cour d’appel de Paris dans un arrêt du 29 octobre 2009, a dit qu’« « une clause contractuelle, dans le cadre d’un système de distribution sélective, exigeant que les ventes de produits cosmétiques et d’hygiène corporelle soient effectuées en présence obligatoire d’un pharmacien diplômé, ayant pour conséquence l’interdiction de l’utilisation d’internet pour ces ventes, constitue une restriction par objet au sens de l’article 101 § 1 du TFUE si, à la suite d’un examen individuel et concret de la teneur et de l’objectif de cette clause contractuelle et du contexte juridique et économique dans lequel elle s’inscrit, il apparaît que, eu égard aux propriétés des produits en cause, cette clause n’est pas objectivement justifiée. » »
« Par ailleurs si une restriction par objet peut bénéficier d’une exemption individuelle au sens de l’article 101 § 3 du TFUE c’est à condition qu’une telle pratique restrictive de concurrence contribue à un progrès économique et soit indispensable à la réalisation de ce progrès, ce qui n’est pas ici prétendu.
« Il ne peut en conséquence, et sans qu’il soit utile d’examiner la notion invoquée par les intimées de critère quantitatif tenant à l’insularité, y avoir eu rupture abusive des relations commerciales et les appelantes doivent être déboutées.
« (…) Les relations commerciales entre le Groupe Pierre Fabre et les sociétés intimées doivent être poursuivies et les dispositions du jugement ayant statué sur ce point seront confirmées. » (arrêt p. 4, dernier §, p. 5, § 1, 2 et 4, p. 6, 3 derniers §, p. 7, § 1 à 5).
Alors, de première part, que le juge a l’obligation de faire application aux parties de la loi du contrat ; que l’article 1. 1 des conditions générales de distribution et de vente de la société Pierre Fabre Dermo Cosmétique imposait aux distributeurs agréés la présence physique et permanente d’un diplômé en pharmacie dans leur point de vente pendant toute l’amplitude horaire d’ouverture ; que la société Pierre Fabre Dermo Cosmétique a retiré son agrément aux sociétés CDS, MAD et CDM pour violation de cette obligation ; qu’il résultait des procès-verbaux dressés par huissier au sein des trois parapharmacies Z… Center qu’il était déclaré que Monsieur Y…, pharmacien, aurait été tout à la fois présent dans la parapharmacie détenue par la société CDM dont il était « salarié », et « présent en permanence » dans la parapharmacie détenue par la société CDS dont il était « salarié », bien qu’il se soit « absenté une demi-heure pour soigner une douleur » ; que la Cour a justement considéré que l’article 1. 1 des conditions générales imposait la présence effective et continue d’un pharmacien pendant les heures d’ouverture ; qu’en décidant néanmoins que l’infraction à l’article 1. 1 n’était pas constituée à l’égard des sociétés CDS et CDM, sans expliquer, ainsi qu’il le lui était demandé, comment ces dernières, employant le même pharmacien salarié pour être présent en permanence dans deux parapharmacies différentes, pouvaient respecter l’obligation résultant de cet article, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article 1134 du code civil.
Alors, de deuxième part, qu’un fabricant est libre d’organiser la distribution de ses produits sous réserve que le mode de distribution mis en œuvre n’ait pas pour objet ou pour effet de porter atteinte à la concurrence ; qu’un fabricant peut notamment exiger de ses distributeurs la présence sur le lieu de vente d’une personne titulaire d’un diplôme de pharmacie, spécialement qualifiée pour prodiguer des conseils aux acheteurs, cette exigence revêtant un caractère objectif ; qu’en jugeant illicite la clause des conditions générales de distribution et de vente de la société Pierre Fabre Dermo Cosmétique et de ses filiales imposant la présence sur le lieu de vente d’un diplômé en pharmacie, sans établir que cette exigence ne reposerait pas sur un critère objectif et serait susceptible de restreindre le jeu de la concurrence, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article L. 420-1 du code de commerce.
Alors, de troisième part, qu’une convention est prohibée si elle a pour objet ou peut avoir pour effet d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence sur un marché ; qu’en jugeant que la clause imposant la présence sur le lieu de vente d’un diplômé en pharmacie faussait le jeu de la concurrence et était illicite car « les produits Pierre Fabre Dermo Cosmétique sont également vendus par la voie d’internet, ce qui a été autorisé par décision du Conseil de la Concurrence du 29 octobre 2008 », quand les produits ne sont pas vendus par le biais d’internet en raison du sursis à exécution frappant cette décision du Conseil de la Concurrence, la cour d’appel s’est fondée sur un motif inopérant pour caractériser l’atteinte à la concurrence, et a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 420-1 du code de commerce et 101 § 1 du TFUE.
Alors, de quatrième part, qu’en jugeant que, dès lors que l’intervention d’un pharmacien lors de la vente par internet ne serait « ni prévue ni sans doute envisageable », l’exigence de la présence d’un diplômé en pharmacie pour les distributeurs pratiquant la vente classique serait de nature à fausser la concurrence, sans expliquer en quoi la possibilité de vendre les produits sur internet interdirait le maintien de la clause exigeant la présence d’un diplômé en pharmacie sur le lieu de vente, la cour d’appel a privé derechef sa décision de base légale au regard des articles L. 420-1 du code de commerce et 101 § 1 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne.
Alors, de cinquième part, que le juge ne peut statuer par un moyen relevé d’office sans avoir au préalable invité les parties à présenter leurs observations ; qu’en se fondant sur la distorsion de concurrence qui résulterait de la possibilité de vendre les produits sur internet sans l’intervention d’un pharmacien, sans avoir au préalable invité les parties à présenter leurs observations sur ce moyen qui n’avait pas été avancé par les sociétés CDS, MAD et CDM, la cour d’appel a violé l’article 16 du code de procédure civile.
Alors, de sixième part, que chaque partie doit prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention ; que la société Pierre Fabre Dermo Cosmétique et ses filiales démontraient la licéité de la clause de qualification professionnelle en faisant notamment valoir que de nombreux autres laboratoires de produits dermo-cosmétiques exigeaient la présence d’un diplômé en pharmacie sur le lieu de vente ; que la cour d’appel a affirmé que, contredites sur ce point, les exposantes ne produisaient « aucun justificatif à cette affirmation » ; qu’en se déterminant ainsi, quand l’exigence, par des entreprises concurrentes, de cette qualification professionnelle résultait des pièces versées au débat et notamment des décisions du Conseil de la Concurrence des 1er octobre 1996 et 8 mars 2007, la cour d’appel a violé les dispositions de l’article 9 du code de procédure civile.
Et alors, enfin, que pour juger illicite la clause exigeant la présence d’un diplômé en pharmacie sur le lieu de vente, la cour d’appel a, par motifs adoptés, affirmé que la décision du Conseil de la Concurrence du 1er octobre 1996, ayant admis la licéité de cette clause, était contredite par une autre décision du même Conseil de la Concurrence du 29 octobre 2008 ; qu’en statuant par de tels motifs, quand le Conseil de la Concurrence dans sa décision du 29 octobre 2008 ne s’est prononcé que sur la licéité de l’interdiction faite par la société Pierre Fabre Dermo Cosmétique à ses distributeurs agréés de vendre par le biais d’internet, mais n’est nullement revenu sur la licéité de la clause de qualification professionnelle, la cour d’appel a dénaturé les termes clairs et précis de la décision du Conseil de la Concurrence du 29 octobre 2008, violant ainsi les articles 4 du code de procédure civile et 1134 du code civil.
Second moyen de cassation, subsidiaire
Le moyen fait grief à l’arrêt attaqué d’avoir condamné solidairement les sociétés Pierre Fabre dermo-cosmétique, Klorane, Ducray, Avene, René X… et Pierre Fabre médicament à payer à titre de dommages et intérêts à la société MAD la somme de 30 329 €, à la société CDS la somme de 26 764 € et à la société CDM la somme de 10 534 € et de les avoir solidairement condamnées à payer aux sociétés MAD, CDS et CDM les sommes de 2000 et 3500 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Aux motifs adoptes des premiers juges que : « le Tribunal constatera l’illicéité de l’article 1. 1 des Conditions Générales de Distribution et de Vente des Laboratoires Pierre Fabre et ordonnera aux sociétés des Laboratoires Pierre Fabre de reprendre leurs relations commerciales avec les parapharmacies Z… Center sous astreinte provisoire de 1000 € par jour de retard commençant le quinzième suivant la signification du présent jugement » (jugement p. 10, § dernier).
Et aux motifs propres que : « (…) Les intimées invoquent en cause d’appel le préjudice ayant résulté pour elles de l’arrêt des livraisons entre le mois de décembre 2008, date de retrait de l’agrément, et l’ordonnance du 23 juin 2010 ayant rejeté la demande d’arrêt de l’exécution provisoire, soit une période de dix-huit mois, constitué par un préjudice matériel soit la perte de marge brute sur la vente des produits et par un préjudice d’image causé par la disparition des produits de leurs rayons, s’agissant d’une marque « « phare » » ainsi que par une perte de clientèle.
« Ces demandes, qualifiées de nouvelles en appel et irrecevables au visa de l’article 564 du code de procédure civile par les appelantes, sont la conséquence ou le complément des demandes soumises au premier juge et sont donc recevables en application de l’article 566 du code de procédure civile.
« Les appelantes contestent la durée de la période concernée du fait de l’existence d’un stock qui a pu être vendu, et le taux de marge (50 %) appliqué aux chiffres d’affaires repris de 2008 pour aboutir aux sommes réclamées.
« Les montants de chiffres d’affaires concernant les produits Pierre Fabre étant justifiés et une période de douze mois étant retenue il sera fait droit, après application d’un taux de marge brute de 20 %, aux demandes indemnitaires des intimées pour les sommes de 30 329 € (société MAD), 26 764 € (société CDS) et 10 534 € (société CDM), la perte de clientèle et le préjudice d’image ne pouvant être pris en compte sur une période aussi brève.
« Il sera ainsi ajouté au jugement.
« Il n’y a pas lieu au prononcé d’une amende civile.
« Il sera fait droit à la demande de condamnation sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile des intimées à hauteur de 3500 € pour chacune » (arrêt p. 7, 3 derniers § et p. 8, 5 premiers §).
Alors que les parties ne peuvent soumettre de nouvelles prétentions à la cour d’appel ; que ne tendent pas aux mêmes fins la demande de reprise des relations commerciales, qui vise à faire exécuter un contrat, et la demande de dommages et intérêts, ayant pour but l’indemnisation du préjudice qui serait né de l’absence de ventes pendant la période d’interruption des relations commerciales ; qu’en jugeant recevable, comme constituant la conséquence ou le complément des demandes soumises aux premiers juges, la demande de dommages et intérêts formée pour la première fois en cause d’appel par les sociétés CDS, MAD et CDM, la cour d’appel a violé l’article 564 du code de procédure civile.
La Cour : M. Espel (président)
Avocats : Me Copper-Royer, SCP Baraduc et Duhamel
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