Jurisprudence : Contenus illicites
Cour d’appel de Grenoble 1ère chambre Arrêt du 10 décembre 2013
Procureur général / Patrick C.
blog - compétence territoriale - consultation - droit pénal - lieu - loi applicable - site étranger - site internet
JUGEMENT
Le tribunal, par jugement contradictoire, a déclaré Patrick C. coupable d’avoir à Grenoble (38), courant 2009 et 2010, en tout cas sur le territoire national et depuis temps non couvert par la prescription, étant par état ou profession en raison d’une fonction ou d’une mission temporaire dépositaire d’une information à caractère secret révélé celle-ci, en l’espèce en publiant sur internet une note de service décrivant l’organisation de l’Antenne PJ de Grenoble avec la liste des fonctionnaires de police et des véhicules de service ;
Infraction prévue par l’article 226-13 du code pénal et réprimée par les articles 226-13, 226-31 du code pénal et, en application de ces articles, l’a condamné à 2 mois d’emprisonnement avec sursis ;
[…]
FAITS ET PROCÉDURE
Le 6 décembre 2010 un policier de la direction zonale du renseignement intérieur de Lyon effectuait des recherches sur internet et découvrait sur un blog belge : http://p…..be diverses informations mises en ligne par Patrick C. lieutenant de police ayant été affecté à la direction zonale sud-est des CRS de Lyon, en congé longue maladie et domicilié en Belgique.
Parmi les 417 actes ou liens mis en ligne figurait une note de service du 22 juin 2007 signée par le commissaire de police chef de l’antenne de police judiciaire de Grenoble, décrivant l’organisation de l’antenne de police judiciaire de Grenoble précisant les nom prénom grade fonction des policiers ainsi que la liste des véhicules affectés au service avec les numéros d’immatriculation correspondant
L’enquête permettait d’établir que Patrick C. en résidence administrative à Lyon était domicilié à ….. dans la banlieue de Bruxelles en Belgique, que convoqué à quatre reprises au siège de l’IGPN à Paris il ne s’était pas présenté. Une enquête disciplinaire était en cours. Selon le service des impôts son domicile connu en France se situait à Grenoble.
Dans le rapport de synthèse effectué par le directeur de l’IGPN, les pages internet consultées contiendraient des propos outrageants jetant le discrédit principalement sur l’autorité judiciaire et plus particulièrement sur l’ancien procureur de la République de Grenoble, révéleraient des informations couvertes par le secret professionnel et caractériserait un détournement de correspondance.
Patrick C. produisait des courriers de contestation portant tant sur l’ordonnance de non-lieu rendu le 26 novembre 2006 par le juge d’instruction de Grenoble à la suite de sa plainte pour harcèlement moral, que sur son changement d’affectation qu’il contestait toujours.
Sur les poursuites exercées à raison de ces faits, il était reproché à Patrick C., courant 2009 et 2010 « avoir par état ou profession en raison d’une fonction d’une mission temporaire étant dépositaire d’une information à caractère secret, révélé celle-ci en l’espèce en publiant sur internet une note de service décrivant l’organisation de l’antenne PJ de Grenoble avec la liste des fonctionnaires de police, des véhicules de service ».
Le tribunal correctionnel de Grenoble par un jugement en date du 18 avril 2013 rejetait l’exception de nullité et le condamnait à un emprisonnement délictuel de deux mois assortis totalement du sursis.
Appel du prévenu était effectué le 25 avril 2013 et celui du parquet le 26 avril 2013.
À l’audience de la cour d’appel de Grenoble :
Le syndicat Sud intérieur se constituait partie civile, déposait des conclusions et sollicitait la relaxe de Patrick C.
Il soutenait outre la recevabilité de sa constitution de partie civile :
– la violation des droits statutaires : la note serait un faux pour avoir créé l’apparence d’une situation,
– le changement d’affectation serait irrégulier pour n’avoir pas respecté la procédure habituelle administrative,
– le changement d’affectation aurait également été pris en violation de la prohibition liée au harcèlement moral,
– l’habilitation d’OPJ lui aurait été retirée irrégulièrement,
– la procédure de l’IGPN ne pourrait servir de base légale à l’action publique car viole le secret de la procédure,
– la note publiée relèverait de la liberté de presse, et de la liberté d’expression d’un fonctionnaire.
Patrick C. déposait des conclusions aux fins d’exception préjudicielle, la note du 2 juin 2007 servant de base aux poursuites serait un faux en écriture publique faisant échec à la loi et au procès équitable.
Ce faux constituant une nullité substantielle d’ordre public retirerait à ce qui sert de base à la poursuite le caractère d’une infraction.
La note litigieuse créait l’apparence d’une situation juridique qui lui était préjudiciable car il avait été privé d’un déroulement de carrière normale et avait été mis à la retraite d’office pour invalidité à l’issue d’un congé longue maladie.
Il invoquait en outre le harcèlement moral dont il avait été victime pour considérer que son changement d’affectation était illégal d’autant que la procédure administrative n’avait pas été respectée.
Il contestait l’absence d’habilitation d’OPJ qui n’avait pas été proposée au procureur général et qui constituait une réduction illégale de ses responsabilités.
Cette note de service du 22 juin 2007 établissait la persistance d’agissements ayant pour effet une dégradation de ses conditions de travail et caractériserait la persistance du harcèlement moral dont il serait victime et serait constitutive de faits nouveaux justifiant la réouverture de l’instruction close par un non-lieu.
Il sollicitait sa relaxe et un supplément d’information sur le faux en écriture publique et le harcèlement moral.
Son avocat qui ne soutenait pas cette exception déposait des conclusions aux fins de nullité du jugement et de la procédure, soulevait l’incompétence de la juridiction grenobloise, et subsidiairement sollicitait la relaxe de Patrick C.
Le ministère public requérait le rejet des exceptions, soutenait l’application de la loi française et la compétence du lieu du dernier domicile connu à Grenoble ainsi que la confirmation du jugement déféré.
Les incidents étaient joints au fond.
DISCUSSION
Attendu que conformément aux dispositions de l’article 113-2 du code pénal, la loi française est applicable aux infractions commises sur le territoire de la République et une infraction est réputée commise sur le territoire de la République dès lors qu’un de ses faits constitutifs a eu lieu sur ce territoire ;
Qu’il est admis qu’une infraction véhiculée par un site internet qui pourrait être situé à l’étranger mais qui n’en est pas moins orienté vers le public français et dont il a été constaté que l’information qu’il diffuse a été consultée depuis un lieu situé sur le territoire national entraîne la compétence des autorités judiciaires françaises ;
Qu’il est établi que les faits poursuivis ont été constatés par les services de police à Lyon, puis à Paris ;
Qu’il n’y a dès lors aucune discussion sur l’application de la loi française au présent litige, l’infraction étant réputée commise sur le territoire national ;
Que pour admettre la compétence territoriale de Grenoble le premier juge a considéré que la diffusion s’effectuait également sur le ressort du TGI de Grenoble, ressort destinataire au premier chef des informations figurant sur le blog, mais il n’a pas établi qu’une constatation ait été réellement et concrètement effectuée sur son territoire ;
Que la seule diffusion contrairement à la constatation impliquerait la compétence de toutes les juridictions du territoire ;
Que tel n’est pas le cas, les critères de la compétence territoriale restent ceux prévus par les dispositions de l’article 382 du code de procédure pénale et résultent du lieu de l’infraction, de la résidence de l’une des personnes, du lieu d’arrestation et du lieu de détention ;
Que les dispositions de l’article 693 du code de procédure pénale régissant les infractions commises hors du territoire de la République ne sont pas applicables en l’espèce et doivent être écartées, dans la mesure où il vient d’être constaté que l’infraction est réputée commise sur le territoire national ;
Qu’aucun fait de consultation concret sur le ressort du tribunal de grande instance de Grenoble n’est établi ni même invoqué ;
Que s’agissant de la résidence de Patrick C., il est établi par toutes les pièces de la procédure que sa résidence en Belgique était parfaitement connue (il est inscrit au registre national de la population belge depuis le mois de janvier 2009), que toutes les convocations lui ont été adressées en ce lieu, qu’aucun acte ne lui a été adressé à Grenoble ;
Que si pour des raisons fiscales, il a maintenu une résidence en France, il n’est pas établi qu’il y demeure effectivement, que Patrick C. affirme sans être démenti qu’il s’agit d’une simple domiciliation fiscale imposée par une convention internationale ;
Qu’en conséquence il ne peut qu’être constaté qu’aucun critère ne donne compétence au tribunal de grande instance de Grenoble pour statuer sur les faits reprochés ;
Que le jugement déféré doit donc être annulé, et le ministère public renvoyé à se mieux pourvoir ;
Que l’erreur de saisine du parquet est sans incidence sur la validité qui s’attache aux actes d’enquête et de poursuite, qu’aucune cause de nullité de la saisine n’est établie ;
DÉCISION
Statuant publiquement, contradictoirement, en matière correctionnelle, après en avoir délibéré conformément à la loi,
. Déclare le tribunal de grande instance de Grenoble incompétent pour statuer sur les faits reprochés,
. Prononce la nullité du jugement,
. Renvoie le ministère public à se pourvoir ainsi qu’il avisera.
La cour : Mme Mireille Liotard-Gazquez, Président, M. Gérard Dubois et Mme Annabelle Cledat (conseillers)
Avocat : Me Stephen Duval
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