Jurisprudence : Diffamation
Tribunal de grande instance de Paris 17ème chambre correctionnelle Jugement du 13 février 2014
EPJ / Julien A.
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FAITS ET PROCÉDURE
Par ordonnance, rendue le 24 juin 2013 par l’un des juges d’instruction de ce siège, à la suite de la plainte avec constitution de partie civile déposée par la société Européenne de Protection Juridique (EPJ) le 4 août 2011, Julien A. a été renvoyé devant ce tribunal sous la prévention :
1) d’avoir à Paris le 10 mai 2011 et en tout cas sur le territoire national et depuis temps non couvert par la prescription commis le délit de diffamation publique envers un particulier par un moyen de communication par voie électronique en l’occurrence en étant l’auteur d’un article de Julien A. mis en ligne dans la rubrique « Generali Protection Juridique » sous le titre : « Arnaque et escroquerie : EPJ (Européenne de Protection Juridique) » sur le site «http://www.ciao.fr » à l’adresse « http://ww.ciao.fr/generali_Protection_Jurique_Avisj329902» et contenant les passages suivants :
– « Européenne De Protection Juridique est un partenaire médiocre et malhonnête à fuir comme la peste. Je me suis fait arnaqué et escroqué »
– « Les personnes au sein d’EPJ se moquent totalement de vos droits et de la défense de vos intérêts »
– « Je me suis fait arnaqué en beauté, pour un problème, trivial, de réparation de chauffage ou je demandais à EPJ de lancer une procédure en référé (…). J’ai attendu 1 MOIS 1/2 pour avoir une réponse, un refus, qui n’était pas ce que je demandais »
– « En conclusion, si vous ne voulez pas vous faire arnaquer et les financer pour faire un travail qu’ils ne feront jamais, n‘allez jamais chez EPJ (GENERALI) »
lesdits titre et passages renfermant l’imputation de faits susceptibles de porter atteinte à l’honneur ou à la considération de la société Européenne de Protection Juridique,
2) d’avoir à Paris les 10 et 12 mai 2011, en tous cas sur le territoire national et depuis temps non couvert par la prescription, commis le délit de diffamation publique envers un particulier par un moyen de communication par voie électronique, en l’occurrence en étant l’auteur des messages de Julien A. mis en ligne sur le site “http://www.droit-finances.net” à l’adresse “http://www.droit-finances.commentcamarche.net/forum/affich-4244505-ou-trouver-une-defense- juridique” et contenant les passages suivants : – “Epj Ou Européenne de Protection Juridique du groupe Generali est le dernier prestataire que vous devez choisir !”
– “C’est une bande d’arnaqueurs et d’escrocs, très peu enclins à faire leur travail comme défini dans le contrat qui vous liera à eux”
– “Cela par contre, ils ne savent pas faire, ou plutôt, ils ne veulent pas dépenser un centime pour vous aider. C’est la vision du service client chez EPJ”
– “C’est ma banque qui m’a recommandé ce médiocre prestataire”
-“En conclusion http://www.epj-assurances.fr/ c’est une suberbe arnaque à fuir comme la peste !”
– “Je dois encore me servir des arnaqueurs pendant un moment vu que j’ai des affaires en cours”
lesdits passages renfermant l’imputation de faits susceptibles de porter atteinte à l’honneur ou à la considération de la société Européenne de Protection Juridique,
3) d’avoir à Paris le 10 mai 2011 et en tout cas sur le territoire national et depuis temps non couvert par la prescription commis le délit de diffamation publique envers un particulier par un moyen de communication par voie électronique en l’occurrence en étant l’auteur du message Julien_A mis en ligne sous le titre « Arnaque chez Européenne De Protection Juridique » sur le site « http://www.lesarnaques.com » à l’adresse http://forumlesarnaques.com/banquechez-eurpéenne-protection-juridique-t99788.html. » et contenant les passages :
– « je suis en conflit avec ce lamentable prestataire »
– « Avant toute chose, n’allez jamais chez EPJ (Groupe generali) »
– « Bien qu’EPJ ait reçu toutes les informations nécessaires (le dossier amené au TI), j’ai du attendre 1 MOIS 1/2 pour avoir un avis qui me spécifiait qu’ils étaient tout à fait réservés sur ma procédure »
– « De plus l’avis reçu n’était ni requis, ni demandé et ils sont sensés défendre mes DROITS et mes INTERETS, ce qui n’a jamais été le cas »
– « Ils ne font rien (pas très envie de mettre la main à la poche chez EPJ !!! »
lesdits titre et passages renfermant l’imputation de faits susceptibles de porter atteinte à l’honneur ou à la considération de la société Européenne de Protection Juridique,
faits prévus et réprimés par les articles 23 alinéa 1, 29 alinéa 1, 32 alinéa 1, 42, 43, 44, 45, 46,47 et 48-6° de la loi du 29 juillet 1881 et par les articles 93-2 et 93- 3 de la loi du 29 juillet 1982.
A l’audience du 10 octobre 2013, l’affaire a été renvoyée à l’audience du 9 janvier 2014, pour plaider.
A cette dernière audience, la partie civile était représentée par son avocat, tandis que le prévenu était présent et assisté de son conseil.
Après le rappel des faits et de la procédure, le tribunal a procédé à l’interrogatoire du prévenu ; puis il a entendu, dans l’ordre prescrit par la loi :
– le conseil de la partie civile, qui a développé ses conclusions sollicitant la condamnation du prévenu au paiement d’un euro à titre de dommages-intérêts et de la somme de 1500 € en application de l’article 475-1 du code de procédure pénale,
– le ministère public en ses réquisitions tendant à la relaxe,
– l’avocat de la défense qui a également demandé la relaxe et la condamnation de la partie civile au paiement de la somme de 2000 € sur le fondement de l’article 472 du code de procédure pénale,
– le prévenu ayant eu la parole en dernier.
A l’issue des débats et conformément aux dispositions de l’article 462 alinéa 2 du code de procédure pénale, les parties ont été informées que le jugement serait prononcé le 13 février 2014.
A cette date, la décision suivante a été rendue.
DISCUSSION
La société Européenne de Protection Juridique EPJ poursuit plusieurs passages contenus dans des messages mis en ligne le 10 mai 2011 sur trois forums de discussion par Julien A., qui a reconnu être l’auteur de l’ensemble des propos litigieux, ceux-ci ayant été immédiatement retirés par les responsables des sites après notification de contenus illicites le 20 mai 2011.
Sur le caractère diffamatoire des propos
Il sera rappelé à cet égard que :
– l’article 29 alinéa 1 de la loi du 29 juillet 1881 définit la diffamation comme “toute allégation ou imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé” ;
– il doit s’agir d’un fait précis, susceptible de faire l’objet d’un débat contradictoire sur la preuve de sa vérité, ce qui distingue ainsi la diffamation, d’une part, de l’injure -caractérisée, selon le deuxième alinéa de l’article 29, par “toute expression outrageante, termes de mépris ou invective qui ne renferme l’imputation d’aucun fait”- et, d’autre part, de l’expression d’une opinion ou d’un jugement de valeur, autorisée par le libre droit de critique, celui-ci ne cessant que devant des attaques personnelles ;
– l’honneur et la considération de la personne ne doivent pas s’apprécier selon les conceptions personnelles et subjectives de celle-ci, mais en fonction de critères objectifs et de la réprobation générale provoquée par l’allégation litigieuse, que le fait imputé soit pénalement répréhensible ou manifestement contraire aux règles morales communément admises ;
– la diffamation, qui peut se présenter sous forme d’allusion ou d’insinuation, doit être appréciée en tenant compte des éléments intrinsèques et extrinsèques au support en cause, à savoir tant du contenu même des propos que du contexte dans lequel ils s’inscrivent.
Par ailleurs, un même message peut contenir, à la fois, des propos diffamatoires et des termes injurieux :
– s’ils sont détachables les uns des autres, une double déclaration de culpabilité est justifiée, lorsqu’il résulte du contexte que les termes injurieux ne se réfèrent nullement aux faits visés par les imputations diffamatoires ;
– en revanche, lorsque les expressions injurieuses sont indivisibles d’une imputation diffamatoire, le délit d’injure est absorbé par celui de diffamation et ne peut être relevé seul.
Enfin, dès lorsqu’elles ne concernent pas une personne physique ou morale, les appréciations, même excessives, touchant les produits, les services ou les prestations d’une entreprise industrielle ou commerciale n’entrent pas dans les prévisions de l’article 29 alinéa 1 de la loi du 29 juillet 1881.
La partie civile prétend que les messages incriminés lui imputent une véritable carence -voire une défaillance- dans le traitement des dossiers de ses clients, d’être une société malhonnête et, par insinuation, d’avoir un comportement pénalement répréhensible, les injures étant absorbées par la diffamation.
C’est cependant à juste titre que le prévenu fait valoir que les propos ne sont pas diffamatoires, mais que certains peuvent être injurieux tandis que les autres ne sont que la critique de la qualité des prestations d’EPJ.
En effet, sur les trois forums de discussion des sites ciao-fr, droit-finances.net et lesarnaques.com, Julien A. fait état, en sa qualité de consommateur, de son mécontentement après avoir fait appel à EPJ auquel il demandait de lancer une procédure de référé à la suite d’un problème de chauffage. Il se plaint notamment d’avoir « attendu 1 MOIS 1/2, pour avoir une réponse ; un refus, qui n‘était pas ce » qu’il demandait, ce qui constitue un fait précis, mais qui n’est pas attentatoire à l’honneur ou à la considération de la société EPJ, l’intéressé déplorant seulement l’inefficacité du prestataire.
Quand il estime qu’il s’est fait « arnaqué et escroqué”, le prévenu fait référence de manière subjective au manque de diligence et d’efficacité de celui-ci et non à de quelconques infractions pénales qui auraient pu être commises par la personne morale. Ces propos ne contiennent donc que la critique, particulièrement vive, des prestations fournies par EPJ.
Lorsque Julien A. emploie les termes “partenaire médiocre et malhonnête“, médiocre prestataire », « arnaqueurs » et “lamentable“, il n’impute à la société aucun fait précis ; si ces expressions sont susceptibles de caractériser des injures, celles-ci ne peuvent être absorbées par une diffamation qui n’existe pas dans le reste des messages.
Le prévenu sera donc relaxé pour l’ensemble des propos poursuivis.
Sur l’action civile
La société Européenne de Protection Juridique EPJ est recevable en sa constitution de partie civile, mais elle doit être déboutée de toutes ses demandes en raison de la relaxe prononcée,
Sur la demande fondée sur l’article 472 du code de procédure pénale
La partie civile, qui a mis en mouvement l’action publique, ne peut être condamnée à des dommages-intérêts que s’il est constaté qu’elle a agi de mauvaise foi ou témérairement, cette faute ne pouvant se déduire du seul exercice par celle-ci du droit de déposer une plainte avec constitution de partie civile.
Un tel abus de constitution de partie civile n’est pas caractérisé en l’espèce ; la société Européenne de Protection Juridique EPJ ayant pu se méprendre sur la portée de ses droits, sa mauvaise foi n’est pas démontrée en l’état ; ainsi, la demande de dommages-intérêts formée à son encontre sera rejetée.
DÉCISION
Le tribunal, statuant publiquement, en premier ressort et par jugement contradictoire à l’égard de Julien A., prévenu, et de la société Européenne de Protection Juridique EPJ (article 424 du code de procédure pénale), partie civile,
. Renvoie Julien A. des fins de la poursuite,
. Reçoit la société Européenne de Protection Juridique EPJ en sa constitution de partie civile,
. La déboute de ses demandes,
. Déboute Julien A. de sa demande fondée sur l’article 472 du code de procédure pénale.
Le tribunal : Mme Anne-Marie Sauteraud (président), M. Alain Bourla et Mme Hélène Celier (assesseurs)
Avocats : Me Laeticia Fayon-Boulay, Me Béatrice Dupuy
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