Jurisprudence : Vie privée
Tribunal de grande instance de Paris, Ordonnance de référé du 16 septembre 2014
M. et Mme X et M. Y / Google France
déréférencement - diffamation - données personnelles - droit à l'oubli - lien - moteur de recherche - publicité
FAITS
Exposant qu’ils avaient été victimes d’une diffamation par voie électronique dont l’auteur avait été condamné par le tribunal correctionnel le 13 mars 2014, soutenant que, dans le moteur de recherche Google, leurs patronymes renvoient vers des liens contenant les mêmes propos jugés diffamatoires par le tribunal correctionnel, ajoutant qu’ils avaient vainement demandé à la Sarl
Google un déréférencement des liens litigieux, M. et Mme X et M. Y ont, le 5 juin 2014, par acte du 5 juin 2014, fait assigner la Sarl Google France afin, pour l’essentiel, qu’il lui soit fait injonction sous peine d’astreinte, de procéder ou faire procéder à la suppression de liens référencés apparaissant sur le moteur de recherche Google en tapant chacun de leurs patronymes ;
La société Google France a déposé des écritures qu’elle a développées oralement, auxquelles il est expressément référé, au terme desquelles elle conclut à l’annulation de l’acte introductif d’instance, au visa de l’article 53 de la loi du 29 juillet 1881 ou, subsidiairement, de l’article 56 du code de procédure civile, subsidiairement à l’irrecevabilité de la demande dirigée à son
encontre, à titre très subsidiaire au caractère mal fondé de la demande, à titre infiniment subsidiaire au défaut de pouvoir du juge français pour ordonner des mesures autres que visant le moteur de recherche google www.google.fr à destination du public français.
A cette même audience, M. et Mme X et M. Y ont déposé des écritures qu’ils ont soutenues oralement, auxquelles il est expressément référé, au terme desquelles ils maintiennent leur demande.
DISCUSSION
Sur la validité de l’acte introductif d’instance :
Attendu que la société Google France excipe de la nullité de l’assignation, sur le fondement de l’article 53 de la loi du 29 juillet 1881, puis sur celui de l’article 56 du code de procédure civile;
Attendu, sur le terrain de l’article 53 de la loi du 29 juillet 1881, qu’elle soutient que les demandeurs ne peuvent pas contourner les exigences procédurales de la loi du 29 juillet 1881, dès lors qu’ils agissent sur le fondement de propos argués de diffamation, et que « la cascade de responsabilités prévue par la loi en matière de délits de presse est applicable devant la juridiction civile, …..
chaque fois que le contenu incriminé est qualifié de diffamatoire, quel que soit le niveau de responsabilité qui est reproché dans la chaîne de publication » ;
Que, cependant, s’il est vrai que l’article 12 alinéa 2 du code de procédure civile impose au juge de restituer leur exacte qualification aux faits et aux actes litigieux sans s’arrêter à la dénomination que les parties en auraient proposée, M. Y, M. et Mme X ne soutiennent pas que le fait, pour Google, d’avoir mis à la disposition de ses utilisateurs des données à caractère personnel qui ont été jugées diffamatoires à leur égard engage sa responsabilité pour diffamation : que leur demande, tendant à ce que Google supprime les liens référencés attachés à leurs noms dans le moteur de recherche, au motif que ces liens renvoient sur un site et une page Facebook contenant des propos que le tribunal correctionnel de Paris a, le 13 mars 2014, qualifié de diffamatoires et pour lesquels il a condamné son auteur, …………… n’est donc pas une action en diffamation ; que les dispositions de la loi du 29 juillet 1881 ne lui sont dès lors pas applicables ;
Attendu, sur le terrain de l’article 56 du code de procédure civile, que Google France fait grief aux requérants de n’avoir pas satisfait, au stade de l’assignation, à l’exigence d’exposé des moyens en fait et en droit ; qu’elle excipe d’une absence d’élément précis versé aux débats s’agissant du référencement effectif des liens dont la suppression était demandée – visant ici la pièce adverse n° 7 – invoque une atteinte à l’exercice des droits de la défense, soutient que les demandes restent « incertaines » après les conclusions
responsives des requérants ;
Que les demandeurs n’ont cependant pas failli aux prescriptions de l’article 56 du code de procédure civile selon lequel l’assignation contient, à peine de nullité, l’objet de la demande avec un exposé des moyens en fait et en droit ; que la lecture de l’assignation permet en effet de déterminer l’objet de la demande, à savoir le déréférencement de liens attachés aux noms des
demandeurs dans le moteur de recherche Google, les moyens de fait sur lesquels cette demande s’appuie, à savoir un jugement ayant qualifié de diffamatoires les propos contenus dans ces liens, et une mise en demeure restée dans effet, ainsi que les moyens juridiques, à savoir la loi du 6 août 2004, de transposition de la directive européenne 95/46 CE, et l’arrêt rendu le 13 mai 2014 par la cour de justice des communautés européennes; que l’erreur
affectant la pièce n°7 versée à l’appui de l’assignation n’a en rien empêché Google France de comprendre la demande et d’organiser sa défense, ce dont témoignent au demeurant les conclusions qu’elle a déposées et développées lors de l’audience ;
Attendu que l’exception de nullité de l’assignation sera par conséquent rejetée ;
Sur l’irrecevabilité de la demande :
Attendu que pour contester aux demandeurs le droit de rechercher sa responsabilité, Google France fait valoir qu’elle n’a qu’une activité de fourniture de prestations de marketing et de démonstration auprès d’une clientèle utilisant des services publicitaires et est étrangère à toute activité éditoriale ou
d’exploitation de sites internet, que l’éditeur et l’exploitant du moteur de recherche et du site « google.fr » est la société Google Inc, laquelle, en tant que responsable du traitement des données, doit être saisie de toute demande à ce sujet ; qu’elle invoque subsidiairement un formulaire en ligne récemment mis en place par Google Inc permettant à tout requérant de demander la suppression de résultats de recherche contenant des données personnelles ;
Mais attendu que si la société Google Inc est certes l’exploitant du moteur de recherche, Google France, qui en est une filiale à 100%, a pour activité la promotion et la vente d’espaces publicitaires liés à des termes recherchés au moyen du moteur édité par Google Inc, et assure ainsi, par l’activité qu’elle déploie, le financement de ce moteur de recherche ; que la Cour de Justice de l’Union européenne a ainsi, le 13 mai 2014, considéré que l’établissement
ou la filiale implantée par Google Inc dans un Etat membre de la Communauté européenne en est son représentant dans l’Etat concerné et que « les activités de l’exploitant du moteur de recherche et celles de son établissement situé dans l’Etat membre concerné sont indissociablement liées » , après avoir rappelé
l’exigence posée par la Directive 95/46, posée en vue d’assurer une protection efficace ct complète des libertés et des droits fondamentaux des personnes physiques, notamment du droit à la vie privée, que le traitement de données à caractère personnel soit effectué non pas par l’établissement concerné lui-même mais uniquement dans le cadre des activités de celui-ci ; qu’il en résulte que les requérants sont recevables en leur demande dirigée contre
Google France, tendant à ce qu’elle effectue les diligences nécessaires pour mettre fin aux atteintes qu’ils dénoncent ;
Sur le caractère justifié de la demande :
Attendu que Google France allègue de la carence probatoire des requérants ;
Attendu, cependant, que les demandeurs produisent un constat dressé par Me Z, huissier de justice, le 7 juillet 2014 ; que la procédure est orale devant le juge des référés ; que les demandeurs ont, le 9 juillet 2014, communiqué ce constat à la partie adverse, soit antérieurement à l’audience du 15 juillet 2014 à laquelle au demeurant Google France n’a pas sollicité un report d’évocation
de l’affaire ;
Que les propos dont le retrait est présentement demandé ont été définitivement jugés diffamatoires par le tribunal correctionnel de Paris.
Que le constat ci-avant cité établit qu’ils sont reproduits dans le moteur de recherche google, associés aux patronymes de chacun des demandeurs, et par renvoi vers différents liens ;
Que c’est vainement que Google France sollicite à titre infiniment subsidiaire que l’injonction soit limitée aux seuls liens avec Google.fr, alors qu’il n’établit pas l’impossibilité de se connecter depuis le territoire français en utilisant les autres terminaisons du moteur de recherche google ;
Qu’il s’ensuit que la demande est légitimement formée en application de l’article 809 du code de procédure civile donnant pouvoir au juge des référés de mettre fin à un trouble manifestement illicite ;
Qu’il y sera fait droit selon les modalités du dispositif ci-après ;
Sur l’article 700 du code de procédure civile :
Attendu que M. et Mme X et M. Y seront indemnisés de leurs frais irrépétibles par l’allocation d’une somme de 1 500 euros ; que Google France sera débouté de sa prétention sur le même fondement juridique :
DECISION
Statuant publiquement, contradictoirement, en premier ressort et par mise à disposition,
Rejetons les exceptions de nullité,
Déclarons la demande recevable,
Enjoignons à la société Google France de faire procéder à la suppression des liens référencés :
……………………………….
……………………………….
……………………………….
Assortissons cette injonction d’une astreinte provisoire de 1 000 euros par jour de retard, qui courra pendant deux mois, passé le délai d’un mois à compter de la signification de cette ordonnance,
Condamnons la société Google France à verser à M. et Mme X et M. Y, ensemble, une indemnité de 1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’à supporter les dépens de ce référé.
Le Cour : Anne Desmure (président)
Avocats : Ruben Ifrah Christophe Bigot
Notre présentation de la décision
En complément
Maître Christophe Bigot est également intervenu(e) dans les 12 affaires suivante :
En complément
Maître Ruben IFRAH est également intervenu(e) dans l'affaire suivante :
* Nous portons l'attention de nos lecteurs sur les possibilités d'homonymies particuliérement lorsque les décisions ne comportent pas le prénom des personnes.