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Jurisprudence : Logiciel

mercredi 05 septembre 2001
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Tribunal de Grande Instance de Paris, 3ème chambre, 1ère section Jugement du 5 septembre 2001

SA Cadremploi / SA Keljob et Sté Colt Télécommunications France

base de données - concurrence déloyale - contrefaçon de marque - déchéance - dénomination sociale - logiciel - nom de domaine - publication décision de justice

Faits et Procédure

La société Cadremploi est titulaire de l’enregistrement de la marque « Cadremploi » n° 1 726 602, déposée le 20 décembre 1990, renouvelée par déclaration du 7 novembre 2000.

Cet enregistrement désigne, en classes 35, 38 et 42, les services suivants :

« Publicité et affaires, aide et conseil aux entreprises industrielles, commerciales et libérales en matière de recrutement, tous services de sélection, recrutement, détachement de personnel et de main-d’œuvre dans toutes les branches d’activités. Publicité télématique, promotion des activités de recrutement ».

Elle est également titulaire de l’enregistrement de la marque semi-figurative « 36-17 Cadremploi » n° 1 662 221, déposée le 16 mai 1991, qui couvre les mêmes services.

Elle exploite par ailleurs un site internet accessible par les noms de domaine « cadremploi.fr », « cadremploi.tm.fr », « cadreemploi.fr », « cadresemploi.fr » et « cadremploi.com ».

Elle propose sur ce site des offres d’emploi pour les cadres et dirigeants provenant de cabinets de recrutement, d’agences de communication pour l’emploi, et de la presse.

Elle a constaté que la société Keljob, créée en mai 2000, exploitait depuis le mois de juillet 2000 un site internet « www.keljob.com » proposant d’accéder aux offres de 26 sites de recrutement, dont le sien.

Après y avoir été autorisée par ordonnance du 10 octobre 2000, elle a fait procéder le 18 octobre 2000 à une saisie-contrefaçon dans les locaux de la société Keljob et dans ceux de la société Colt.

Puis, au vu des éléments recueillis, elle a, par acte du 26 octobre 2000, assigné les sociétés Keljob et Colt devant ce tribunal, aux fins de voir constater que la société Keljob a commis des actes de contrefaçon de sa marque « Cadremploi » n° 1 726 602, de reproduction de sa dénomination sociale, de concurrence déloyale et de parasitisme, et a porté atteinte à ses droits sur sa base de données.

Elle sollicite le prononcé de mesures d’interdiction sous astreinte et de publication, la condamnation de la société Keljob à lui payer des indemnités de 500 000 F, 1 500 000 F, 500 000 F, 5000 F et 1 500 000 F en réparation de son préjudice, l’exécution provisoire sur le tout, ainsi que l’allocation d’une somme de 30 000 F au titre de l’article 700 du nouveau code de procédure civile.

Par ordonnance du 13 novembre 2000, le juge statuant en la forme des référés a partiellement rétracté l’ordonnance du 10 octobre 2000, en ce qu’elle avait ordonné la suppression immédiate de toute référence aux offres « Cadremploi » et la suspension immédiate de tout téléchargement de la base de données sous astreinte.

La société Cadremploi a, par acte du 21 novembre 2000, assigné la société Keljob en référé d’heure à heure.

Le juge des référés de ce tribunal a, par ordonnance du 8 janvier 2001, fait interdiction, sous astreinte, à la société Keljob de reproduire la marque « Cadremploi » ainsi que l’un quelconque des éléments de la base de données de la société Cadremploi.

Cette ordonnance a été infirmée par arrêt de la cour d’appel du 25 mai 2001.

La société Keljob demande au tribunal, dans ses dernières écritures du 10 mai 2001, de :

– déclarer nulle la marque « Cadremploi » n° 1 726 602, pour absence de caractère distinctif,

– subsidiairement, prononcer la déchéance des droits de la demanderesse sur cette marque pour défaut d’usage sérieux,

– rejeter les demandes en contrefaçon de marque et atteinte à la dénomination sociale,

– dire que la base de données ne satisfait pas à la condition d’originalité nécessaire à la protection par le droit d’auteur,

– dire que la preuve d’un investissement financier matériel ou humain substantiel n’est pas rapportée,

– subsidiairement, constater qu’il n’a pas été porté atteinte aux droits de propriété de la société Cadremploi sur cette base de données,

– juger qu’elle n’a commis aucun acte de concurrence déloyale ou de parasitisme,

– ordonner la publication de la décision à intervenir,

– condamner la société Cadremploi à lui payer la somme de 100 000 F au titre de l’article 700 du nouveau code de procédure civile.

Elle expose que le site qu’elle exploite a pour objet de faciliter l’accès des demandeurs d’emploi aux offres diffusées sur internet ; qu’il repose sur un moteur de recherche unique, dont les agents intelligents explorent les offres d’emploi en fonction de critères déterminés ; qu’il répertorie, sans reproduire leur contenu, les offres contenues sur ces sites et favorise la mise en relation des internautes avec les sites concernés par un lien hypertexte d’accès direct.

Elle conteste la validité de la marque invoquée, descriptive selon elle pour désigner un service d’offres d’emploi pour les cadres, et soutient qu’il n’est fait aucun usage sérieux de cette marque, l’usage dont il est justifié concernant soit la marque distincte « 36-17 Cadremploi », soit la dénomination sociale de la demanderesse.

Elle soutient en tout état de cause que l’utilisation qu’elle fait de la dénomination « Cadremploi » pour désigner le site de la demanderesse, dans un but d’information de l’internaute, n’est pas illicite ; elle se prévaut du caractère authentique des services désignés.

Elle considère que la base de données de la société Cadremploi ne peut bénéficier ni de la protection du droit d’auteur, ni de la protection spécifique instituée par les articles L. 341-1 et suivants du code de la propriété intellectuelle, et conteste la pertinence des pièces produites pour justifier des moyens mis en œuvre pour la constituer.

Elle estime qu’en tout état de cause elle n’extrait que des parties infimes et non substantielles de cette base de données et que cette utilisation est licite, en application de l’article L. 342-3-1 du code de la propriété intellectuelle.

Elle conteste l’atteinte aux logiciels invoquée.

Elle soutient que les sociétés ne sont pas en situation de concurrence ; qu’elle ne commet aucune faute, et que les actes de concurrence déloyale et de parasitisme ne sont pas établis.

La société Colt Télécommunications France prie le tribunal de :

– débouter la société Cadremploi de ses prétentions,

– lui donner acte de ce qu’elle s’engage à suspendre le site de la société Keljob dès que lui sera notifié par acte extrajudiciaire le non-respect du jugement définitif intervenu,

– condamner la société Keljob à lui payer la somme de 10 000 F au titre de l’article 700 du nouveau code de procédure civile.

Elle expose qu’elle n’a été attraite dans la procédure qu’en sa qualité d’hébergeur ; qu’il lui est demandé de mettre en œuvre les moyens de faire respecter les interdictions susceptibles d’être prononcées.

Elle soutient qu’elle n’a pas les capacités techniques d’empêcher la reproduction de la marque et de la dénomination « Cadremploi » et qu’elle ne peut intervenir pour supprimer des liens vers d’autres sites ; qu’il ne peut lui être imposé de surveiller le contenu de tous les sites qu’elle héberge.

La société Cadremploi réfute dans ses dernières conclusions du 17 mai 2001 les arguments opposés par ses adversaires.

Elle demande au tribunal de :

– constater que la société Keljob a commis des actes de contrefaçon de sa marque « Cadremploi » n° 1 726 602, a reproduit sa dénomination sociale, a porté atteinte à ses droits sur sa base de données, et commis des actes de concurrence déloyale et de parasitisme,

– interdire sous astreinte à la société Keljob de reproduire sa marque et sa dénomination, de créer un lien entre leurs sites, et d’extraire et utiliser des données de sa base,

– faire injonction à la société Colt Télécommunications France de mettre en œuvre les moyens nécessaires pour faire respecter ces interdictions,

– condamner la société Keljob à lui payer les sommes de 500 000 F au titre de la contrefaçon de marque, 5 millions de francs en réparation des atteintes portées à sa base de données, 500 000 F au titre de la contrefaçon de logiciels, 500 000 F au titre de la reproduction de dénomination sociale, 5 millions de francs au titre de la concurrence déloyale et du parasitisme,

– ordonner la publication du jugement à intervenir dans 5 journaux et revues, ainsi que sur la page d’accueil du site de la société Keljob,

– ordonner l’exécution provisoire,

– condamner la société Keljob à lui payer la somme de 350 000 F au titre de l’article 700 du nouveau code de procédure civile.

Elle soutient que sa marque est valable et a en tout état de cause acquis un caractère distinctif par l’usage ; qu’elle est exploitée ; qu’elle est reproduite par la société Keljob sur son site, et sur la plaquette qu’elle adresse à ses clients ; que cette reproduction à des fins commerciales est constitutive de contrefaçon. Elle estime que les offres qu’elle répertorie constituent une base de données au sens de l’article L. 112-3 du code de la propriété intellectuelle ; que cette base doit bénéficier de la protection instituée par les articles L. 341-1 et suivants du code de la propriété intellectuelle, dès lors qu’elle justifie avoir mis en œuvre pour la constituer, et la tenir à jour, des moyens matériels, financiers et humains considérables ; que la société Keljob, qui extrait et réutilise sans son autorisation une partie substantielle des données de cette base, en se connectant tous les jours à son site, effectuant des requêtes massives afin de télécharger les données qu’il comporte, et en intégrant une partie de ces données à son propre site, méconnaît les dispositions de l’article L. 341-1 et L. 341-2 du code de la propriété intellectuelle.

Elle expose qu’en utilisant dans ces conditions sa base de données, la défenderesse exploite également sans autorisation les logiciels qu’elle a mis en place.

Elle considère qu’en établissant sans son autorisation des liens hypertextes profonds, renvoyant directement aux pages secondaires de son site sans passer par sa page d’accueil, en détournant les internautes de son site en leur faisant croire qu’elle répertorie ses offres, en se situant dans son sillage et axant sa publicité sur les mêmes supports, en commettant des erreurs qui font penser à l’utilisateur que le classement « Cadremploi » est défaillant, et ce avec mauvaise foi, la défenderesse a commis des actes de concurrence déloyale et de parasitisme, et porté atteinte à son image.

Elle précise qu’il est très facile à la société Colt Télécommunications France de mettre en place un filtre bloquant toute requête du site Keljob vers le site Cadremploi.

1) Sur les demandes en contrefaçon de marque :

Sur la validité de la marque  » Cadremploi  » n° 1 726 602 :

Attendu que la marque « Cadremploi » consiste en un néologisme, constitué de la contraction des termes « cadre » et « emploi » ;

que ce signe, s’il est évocateur d’un service ayant pour objet le recrutement des cadres, n’est pas pour autant descriptif de ses caractéristique ;

qu’il présente, de par sa construction, un certain caractère arbitraire et de fantaisie ;

qu’il est distinctif des produits et services désignés à l’enregistrement, et que la demande de nullité formée par la société Keljob sera rejetée ;

Sur la déchéance :

Attendu que l’article L. 714-5 du code de la propriété intellectuelle dispose :

« Encourt la déchéance de ses droits le propriétaire de la marque qui, sans justes motifs, n’en a pas fait un usage précieux, pour les produits et services visés dans l’enregistrement, pendant une période ininterrompue de cinq ans (…). La déchéance peut être demandée en justice par toute personne intéressée. Si la demande ne porte que sur une partie des produits ou services visés dans l’enregistrement, la déchéance ne s’étend qu’aux produits et services concernés.

L’usage sérieux de la marque commencé ou repris postérieurement à la période de cinq ans visés au premier aliéna du présent article n’y fait pas obstacle s’il a été entrepris dans les trois mois précédant la demande de déchéance et après que le propriétaire ait eu connaissance de l’éventualité de cette demande.

La preuve de l’exploitation incombe au propriétaire de la marque dont la déchéance est demandée. Elle peut être apportée par tous moyens.

La déchéance prend effet à la date d’expiration du délai de cinq ans prévu au premier aliéna du présent article. Elle a un effet absolu. » ;

Attendu que la société Cadremploi verse aux débats de nombreuses pièces attestant qu’elle a utilisé la dénomination « Cadremploi » pour désigner d’abord un service télématique proposant des offres d’emploi ; que les sondages publiés dans les revues Que Choisir ? de mars 1993 et octobre 1995 attestent d’un nombre de connexions très important, ce service étant décrit dans les coupures de presse produites comme l’un des plus sérieux ;

Attendu que depuis septembre 1996 la demanderesse exploite en outre sous cette dénomination un site internet consacré au recrutement des cadres, ainsi qu’il résulte des très nombreux articles de 1996, 1997, 1999 et 2000 qu’elle produit ; que ce site est l’un des cinq les plus utilisés en matière de recherche d’emploi ;

Attendu que l’usage qu’elle fait du signe « cadremploi », pour désigner tant son site que les services de sélection et de recrutement qui y sont proposés, est bien un usage à titre de marque, et non de dénomination sociale ;

que c’est bien la marque dénominative « Cadremploi » n° 1 726 602 qui est ainsi utilisée, et non la marque semi-figurative n° 1 662 221 ;

Attendu que la société Cadremploi justifie donc par l’ensemble de ces éléments avoir fait un usage constant et sérieux de la marque « Cadremploi » n° 1 726 602 pour les services de sélection, recrutement, détachement de personnel et de main-d’œuvre dans toutes les branches d’activité, promotion des activités de recrutement, aide et conseil aux entreprises industrielles, commerciales et libérales en matière de recrutement couverts par l’enregistrement ;

que la demande de déchéance sera, en ce qui concerne ces services, rejetée ;

Attendu qu’elle ne justifie en revanche d’aucun usage de sa marque pour les services de publicité et affaires et publicité télématique désignés à l’enregistrement ;

qu’il sera fait droit, pour ces services, à la demande de déchéance, qui prendra effet à l’expiration du délai de cinq ans à compter de la date de l’entrée en vigueur de la loi du 4 janvier 1991 dont l’article L. 714-5 du code de la propriété intellectuelle est issu, soit le 28 décembre 1996 ;

Sur la contrefaçon :

Attendu que la société Keljob reproduit sur son site, qui sélectionne selon certains critères des offres provenant d’autres sites, la marque « Cadremploi » ;

que l’utilisateur qui lance une recherche, voit s’afficher une liste de postes, avec en regard le nom du site qui les propose ;

que la plaquette de présentation qu’elle a adressée aux annonceurs est illustrée par des pages écran sur lesquelles la dénomination « Cadremploi » apparaît ;

Attendu qu’en reproduisant ainsi sans autorisation, dans le cadre de son service de sélection d’offres d’emploi, la marque dont la société Cadremploi est titulaire, la société Keljob commet des actes de contrefaçon prohibés par l’article L. 713-2 du code de la propriété intellectuelle ;

que cette exploitation est bien effectuée à des fins commerciales, et non dans le seul but désintéressé d’informer l’utilisateur ;

que la société Keljob tire ainsi profit de la réputation de sérieux de la marque « Cadremploi » ;

qu’elle ne peut tirer argument du fait que les offres ainsi proposées seraient « authentiques » ;

qu’en effet, cette notion est inopérante dès lors que la marque désigne des services et non des produits ;

qu’elle ne se borne pas à citer la marque comme elle pourrait l’être dans un guide, mais l’utilise dans le cadre d’une activité de recensement et de sélection d’offres d’emploi directement concurrente de celle exercée par la demanderesse, et couverte par l’enregistrement de la marque invoquée ;

que la contrefaçon est dès lors constituée ;

2) Sur les demandes fondées sur la dénomination sociale :

Attendu qu’en utilisant le signe « Cadremploi », sans l’autorisation de la société Cadremploi, et dans le secteur d’activité de celle-ci, la société Keljob a en outre porté atteinte aux droits de cette dernière sur sa dénomination sociale, compte tenu des risques de confusion ;

3) Sur les atteintes aux droits de la société Cadremploi sur sa base de données :

Sur le caractère protégeable de la base de données :

Attendu que la société Cadremploi revendique exclusivement la protection spécifique instituée par les articles L. 341-1 et suivants du code de la propriété intellectuelle, et non la protection par le droit d’auteur ; qu’elle ne cite en effet l’article L. 112-3 dernier alinéa que pour démontrer que les offres qu’elle répertorie sur son site constituent une base de données, ce qui au demeurant n’est pas contesté ;

Attendu que l’article L. 341-1 du code de la propriété intellectuelle dispose que « le producteur d’une base de données, entendu comme la personne qui prend l’initiative et le risque des investissements correspondants, bénéficie d’une protection du contenu de sa base lorsque la constitution, la vérification ou la présentation de celui-ci atteste d’un investissement financier, matériel ou humain substantiel » ;

Attendu que la société Cadremploi verse aux débats un rapport réalisé par Hubert Bitan qui, s’il n’a pas été établi contradictoirement, et n’a pas valeur d’expertise, constitue néanmoins un élément du débat sur lequel les parties se sont expliquées ;

qu’il conclut que la société Cadremploi justifie d’un investissement substantiel pour la constitution de sa base de données, renouvelée de façon progressive depuis sa création, à savoir 1991 ;

qu’il évalue cet investissement, sur le plan financier, à 53 658 000 F au total dont 12 317 000 F pour l’année 2000, sur le plan matériel à 8 773 000 F au total dont 3 956 000 F pour l’année 2000, et sur le plan humain à 22 083 000 F dont 1 959 000 F pour l’année 2000 ;

qu’il précise que cet investissement est aussi qualitativement important, en raison des efforts de promotion effectués, de la chaîne de traitement des données qui permet la numérisation des offres, du travail de classement et de tri qui permet de valoriser la base et de la rendre plus facilement exploitable, et de la présentation de cette base à travers un site performant, esthétique et ergonomique ;

Attendu que la société Cadremploi, qui établit que l’exploitation, la vérification et la mise à jour de sa base de données constituent l’essentiel de son activité, ce qui rend sans objet une partie des critiques formulées par la société Keljob, produit en outre de très nombreuses factures attestant de l’importance de cet investissement ;

qu’elle justifie de ce que sa base est mise à jour en temps réel, tous les jours jusqu’à 22 heures, ce qui occupe quatre salariés à temps plein, et ce même si les informations sont données par les cabinets de recrutement ; que le fait que certains salariés aient été recrutés récemment atteste simplement de l’essor du site ;

que les observations de la société Keljob, qui portent sur certains éléments ponctuels, n’ont pas pour effet de priver de pertinence l’ensemble des pièces produites, dont il ressort que des moyens substantiels ont été et sont mis en œuvre, sur le plan matériel, financier et humain, pour constituer et mettre à jour cette base de données ;

Attendu que la société Cadremploi, qui justifie avoir pris le risque et l’initiative de ces investissements, peut revendiquer la protection instituée par les articles L. 341-1 et suivants du code de la propriété intellectuelle ;

Sur les atteintes :

Attendu que le producteur de données a, aux termes de l’article L. 342-1 du code de la propriété intellectuelle, le droit d’interdire l’extraction, par transfert permanent ou temporaire de la totalité ou d’une partie qualitativement ou quantitativement substantielle du contenu d’une base de données sur un autre support, ainsi que la réutilisation, par mise à la disposition du public, de la totalité ou d’une partie qualitativement substantielle du contenu de la base ;

qu’il peut également interdire, selon l’article L. 342-2 du même code, l’extraction ou la réutilisation répétée et systématique de parties qualitativement ou quantitativement non substantielles du contenu de la base lorsque des opérations excèdent manifestement les conditions d’utilisation normales de la base ;

que l’article L. 342-3 dispose que lorsqu’une base de données est mise à la disposition du public par le titulaire des droits, celui-ci ne peut interdire l’extraction ou la réutilisation d’une partie non substantielle, appréciée de façon qualitative ou quantitative, du contenu de la base par la personne qui y a licitement accès ;

Attendu qu’il résulte en l’espèce des pièces versées aux débats que la société Keljob interroge chaque nuit le site de la société Cadremploi ;

qu’elle sélectionne les offres qui l’intéressent ;

qu’après cette sélection, la société Keljob extrait les éléments essentiels que sont pour chaque offre l’intitulé du poste, le secteur d’activité concerné, la zone géographique, la date de parution sur le site Cadremploi, ainsi que l’adresse URL ;

que si le contenu de l’offre lui-même n’est reproduit, de sorte que le volume d’informations extrait par la société Keljob est évalué par l’expert dont elle a sollicité l’avis à moins de 12 % du volume représenté par les offres, il demeure que les éléments extraits sont qualitativement substantiels ;

qu’ils portent notamment sur les informations dites de sélection et de référencement qui font la valeur de la base de données de la société Cadremploi ;

qu’une partie très importante des offres proposées sur le site Cadremploi est en outre sélectionnée ;

que le 18 octobre 2000, date des opérations de saisie-contrefaçon, 12 735 enregistrements avaient été effectués sur le site Keljob, alors que 12 744 offres étaient proposées sur le site Cadremploi ce jour-là ; que, le 24 octobre 2000, un tiers des offres proposées sur le site Cadremploi était répertorié sur le site Keljob ;

Attendu qu’il résulte de ces éléments que la société Keljob extrait et réutilise quotidiennement une partie qualitativement substantielle de la base de données de la société Cadremploi, sans l’autorisation de cette dernière ;

que le fait que l’utilisateur soit, s’il veut accéder au détail de l’offre, dirigé vers le site de la société Cadremploi, n’a pas pour effet de rendre l’extraction et l’utilisation effectuées licites ;

que si aucune offre ne l’intéresse, l’internaute ne consultera pas le site de la société Cadremploi dont la base de données aura été néanmoins utilisée ;

Attendu que la société Keljob, en agissant ainsi, porte atteinte aux droits de la société Cadremploi sur sa base de données, et tire profit des investissements considérables effectués par cette dernière pour la constituer et la mettre à jour ;

qu’elle s’approprie indûment le travail et les efforts de la demanderesse en réutilisant à son profit une partie substantielle de cette base ;

4) Sur la contrefaçon de logiciels :

Attendu que la société Cadremploi se borne à soutenir que :

« Du fait des actes dénoncés ci-dessus, à savoir le pillage de la base de données de la société Cadremploi et son exploitation et en donnant accès aux internautes, via son site, aux offres du site Cadremploi et donc à la base de données de la société Cadremploi, la société Keljob utilise sans autorisation les logiciels mis en place par la société Cadremploi. Or, les logiciels sont des œuvres de l’esprit, protégés à ce titre par le droit d’auteur. Ainsi, toute utilisation sans autorisation du titulaire est constitutive de contrefaçon. » ;

Attendu qu’elle n’identifie pas les logiciels sur lesquels elle prétend détenir des droits et ne précise pas en qui consiste l’œuvre prétendument reproduite ;

qu’elle ne pourra qu’être déboutée de ce chef de demande ;

5) Sur la concurrence déloyale :

Attendu que les sociétés Keljob et Cadremploi, qui exploitent toutes deux des sites de sélection et de recherches d’emploi sur internet, sont bien en situation de concurrence ;

que la société Keljob référence en effet non seulement les sites, mais aussi les offres qui y sont proposées ; que sa clientèle est identique à celle de la société Cadremploi ;

Attendu que la société Cadremploi incrimine au titre de la concurrence déloyale la mise en place de liens hypertextes dits « profonds » vers son site, liens qui renvoient directement aux pages secondaires de celui-ci, et qui sont selon elle prohibés dans la mesure où ils dénaturent et détournent le contenu de son site, et portent atteinte à son intégrité ;

Attendu que la demande à ce titre est distincte de celles au titre de la contrefaçon de la marque « Cadremploi » et de l’extraction frauduleuse de base de données ;

Attendu qu’en l’espèce l’utilisateur est averti par une page écran intermédiaire qu’il est mis en relation avec le site Cadremploi, qui est clairement identifié ;

qu’il se retrouve ensuite sur le site Cadremploi sur lequel il peut poursuivre sa navigation si bon lui semble ;

que la demanderesse ne caractérise pas en quoi le contenu de son site serait dénaturé par ce procédé ;

qu’il n’existe aucun risque de confusion dans l’esprit de l’utilisateur entre les deux sites ;

Attendu que la société Cadremploi soutient également que la société Keljob détourne sa clientèle et ses annonceurs ;

que le détournement de trafic qu’elle invoque et établit partiellement est toutefois la conséquence des actes de contrefaçon de marque, et d’atteinte à la base de données préalablement constatés ;

qu’il ne peut être reproché à la défenderesse de démarcher des annonceurs, comme toute société exploitant un site internet ;

que le fait de sponsoriser des événements sportifs est courant, de même que le fait pour une entreprise consacrée au recrutement de faire paraître des annonces dans Le Figaro ;

Attendu qu’en l’absence de faits distincts de ceux incriminés au titre de la contrefaçon de marque et de l’extraction d’éléments de bases de données, ce chef de demande sera rejeté ;

Attendu que la société Cadremploi fait enfin valoir que les offres seraient mal répertoriées et comporteraient des erreurs ; qu’elle n’en justifie toutefois pas ; que ses demandes seront rejetées ;

6) Sur les mesures réparatrices :

Attendu que pour mettre fin aux actes de contrefaçon, d’atteinte à la dénomination sociale et d’atteintes à la base de données incriminées, il convient de faire droit aux mesures d’interdiction sollicitées, dans les conditions précisées au dispositif ;

Attendu que la société Keljob a, en réutilisant une partie substantielle de la base de données de la société Cadremploi, tiré profit des investissements effectués par cette dernière dont elle s’est approprié le travail ; qu’elle a en outre détourné une partie de sa clientèle ;

que le tribunal peut, au vu des éléments dont il dispose, évaluer le préjudice subi par la société Cadremploi du fait des atteintes à sa base de données, à la somme de 600 000 F ;

que le préjudice résultant des actes de contrefaçon de marques, qui a permis d’attirer une partie de la clientèle, peut être évalué à la somme de 300 000 F ;

que l’atteinte portée à la dénomination sociale de la société Cadremploi sera réparée par l’allocation d’une somme de 100 000 F ;

que la société Keljob sera condamnée au paiement de ces sommes ;

Attendu qu’à titre de réparation complémentaire, la publication de la décision sera ordonnée, dans trois journaux ou revues et sur le site de la société Keljob, dans les conditions précisées au dispositif ;

Attendu qu’il appartiendra à la société Colt Télécommunications France de mettre en œuvre les moyens qu’elle jugera appropriés pour assurer le respect des mesures d’interdiction prononcées, sans qu’il y ait lieu de lui donner l’acte sollicité ;

Attendu que l’exécution provisoire des mesures d’interdiction, compatible avec la nature de l’affaire, est nécessaire et sera ordonnée ;

Attendu que l’équité commande d’allouer à la société Cadremploi, qui justifie pour partie des frais irrépétibles qu’elle a engagés, la somme de 100 000 F au titre de l’article 700 du nouveau code de procédure civile;

que la société Keljob qui succombe, sera déboutée de la demande qu’elle forme sur le même fondement ;

qu’elle sera par ailleurs condamnée à payer à lasociétéColtTélécommunications France, conformément à l’article 13 de la convention les liant, la somme de 10 000 F qu’elle réclame au titre de ses frais irrépétibles.

Par ces motifs

Le tribunal, statuant publiquement, par jugement contradictoire et en premier ressort :

. déboute la société Keljob de sa demande de nullité ;

. prononce la déchéance des droits de la société Cadremploi sur la marque « Cadremploi » n° 1 726 602 pour les services de publicité et affaires, publicité télématique désignés au dépôt, avec effet au 28 décembre 1996 ;

. déboute au surplus la société Keljob de sa demande en déchéance ;

. dit que la société Keljob a, en reproduisant sur son site internet, la marque « Cadremploi » n° 1 726 602 dont la société Cadremploi est propriétaire, commis des actes de contrefaçon au préjudice de cette dernière ;

. dit qu’elle a en outre porté atteinte aux droits de la société Cadremploi sur sa dénomination sociale ;

. dit que la société Keljob a porté atteinte aux droits de la société Cadremploi sur sa base de données ;

. interdit à la société Keljob de poursuivre ces agissements, sous astreinte de 5 000 F par infraction constatée passé le délai d’un mois à compter de la signification du présent jugement ;

. condamne la société Keljob à payer à la société Cadremploi la somme de 600 000 F à titre de dommages et intérêts en réparation des atteintes portées à sa base de données, la somme de 300 000 F en réparation du préjudice subi du fait de la contrefaçon de marque et celle de 100 000 F au titre de l’atteinte à la dénomination sociale ;

. autorise la société Cadremploi à faire publier le dispositif de la présente décision, par extraits ou en entier, dans trois journaux et revues de son choix, aux frais de la société Keljob, sans que le coût de ces publications n’excède à la charge de cette dernière la somme totale hors taxes de 60 000 F, ainsi qu’en première page du site internet de la société Keljob, aux frais de celle-ci, dans un espace n’excédant pas la moitié de l’écran, pendant un délai d’un mois ;

. ordonne l’exécution provisoire des mesures d’interdiction ;

. dit que le présent jugement est opposable à la société Colt Télécommunications France ;

. rejette le surplus des demandes ;

. condamne la société Keljob à payer à la société Cadremploi la somme de 100 000 F au titre de l’article 700 du nouveau code de procédure civile et à la société Colt Télécommunications France la somme de 10 000 F sur le même fondement ;

. condamne la société Keljob aux dépens, avec droit de recouvrement directe profit de Me Itéanu, en application des dispositions de l’article 699 du nouveau code de procédure civile.

Le tribunal : Mme Blum (vice-président), Mmes Farthouat-Danon et Tapin (juges).

Avocats : Mes Olivier Itéanu et Michel Laval.

Notre présentation de la décision

 
 

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Maître Michel Laval est également intervenu(e) dans l'affaire suivante  :

 

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Maître Olivier Iteanu est également intervenu(e) dans les 141 affaires suivante  :

 

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Le magistrat Farthouat-Danon est également intervenu(e) dans les 6 affaires suivante  :

 

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Le magistrat Odile Blum est également intervenu(e) dans les 22 affaires suivante  :

 

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Le magistrat Tapin est également intervenu(e) dans les 17 affaires suivante  :

 

* Nous portons l'attention de nos lecteurs sur les possibilités d'homonymies particuliérement lorsque les décisions ne comportent pas le prénom des personnes.