Jurisprudence : Vie privée
Cour d’appel d’Aix en Provence, 17eme chambre, arrêt au fond du 13 janvier 2015
Catherine S. C. / AIS 2
charte informatique - internet - licenciement - réglement intérieur - salarié - temps de connexion - temps de travail - usage abusif - usage privé
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de NICE –
section AD- en date du 30 Octobre 2012, enregistré au répertoire général
sous le n° 1 0/2106.
PROCEDURE
Par lettre recommandée postée le 26 novembre 2012, Mme S. C. a relevé
appel du jugement rendu le 30 octobre 2012 par le conseil de prud’hommes de Nice
condamnant la société AIS 2 à lui verser les sommes suivantes :
5 582,28 euros pour préavis,
7 443,04 euros au titre de l’indemnité de licenciement,
3 721,52 euros en paiement du salaire retenu durant une mise à pied conservatoire.
Les premiers juges condamnent l’employeur à délivrer des documents sociaux rectifiés.
En cause d’appel, cette salariée poursuit la condamnation de l’employeur à lui verser les
sommes suivantes :
134 400 euros pour licenciement nul,
150 000 euros pour licenciement illégitime et vexatoire,
5 582,28 euros pour préavis,
7 443,04 euros au titre de l’indemnité de licenciement,
3 721,52 euros en paiement du salaire retenu durant la mise à pied conservatoire,
16 800 euros pour travail dissimulé,
3 500 euros pour frais irrépétibles.
Son conseil réclame à nouveau, sous astreinte, la délivrance de documents sociaux rectifiés.
Le conseil de l’employeur conteste la recevabilité des pièces numérotées 11 et 12 sur le
bordereau de communication de l’appelante.
Sur le fond, au bénéfice de son appel incident, cet employeur conclut au rejet de toutes les
prétentions de la salariée et lui réclame le remboursement de la somme de 7 288,69 euros ;
son conseil chiffre à 1 000 euros ses frais non répétibles.
La longueur de la procédure d’appel s’explique par la radiation de l’affaire prononcée le 28
janvier 2014, la cour refusant une remise.
La cour renvoie pour plus ample exposé aux écritures reprises et soutenues par les conseils
des parties à l’audience d’appel tenue le 3 novembre 2014.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Mme S. C. a été au service de la société AIS 2, en qualité de responsable
d’agence, du 5 janvier 1998 au 26 octobre 2010 ; elle a été licenciée par une lettre en date du
25 octobre 2010 ainsi rédigée :
« Nous vous indiquions lors de cet entretien qu’il avait été porté à notre connaissance le
constat, sur votre Proxy (serveur), d’une liste très importante d’adresses de connexions à
Internet toutes opérées à partir de votre poste de travail.
Les statistiques de connexions, que nous vous avons soumises, réparties sur un document
de plus de 100 pages, révélaient en effet :
7.874 connexions sur le site eBay,
98 connexions à Paypal (site de paiement en ligne pour les achats sur Internet)
790 connexions à La Redoute,
306 cormexions au site Quelle,
300 connexions au site des 3 Suisses,
841 connexions au site Sarenza (site de vente de chaussures en ligne),
25 connexions au site Doctissimo (forums médicaux).
Lors de cet entretien, vous nous avez affirmé ne pas vous être connectée à eBay depuis votre
poste de travail. Vous avez également nié une connexion massive sur d’autres sites internet.
Or, nous avons pu constater que le plus grand nombre de connexion a été opéré sur le site de ventes aux enchères eBay à partir du pseudo « C », pseudo que vous utilisiez également pour votre mail personnel dans le cadre de vos communications avec Sandra J.
Nous avons également constaté sur ce même site :
http://… que plusieurs évaluations ont été rédigées par vous pendant vos horaires de travail et depuis votre poste de travail (à titre d’exemple, et notamment, nous relevons les deux évaluations laissées sur eBay les 16 décembre 2009 à 9 heures 13 pour un « pull LA FEE MARABOUTEE et 23 avril 2010 à 10 h 21 pour un « superbe débardeur kaki taille 38 »).
Pendant l’entretien, vous n’avez pas contesté que ces connexions sont sans aucun lien avec
l’activité de l’entreprise à savoir le soutien scolaire.
Par ailleurs, vous n’ignorez pas que, aux termes de notre règlement intérieur, notre
entreprise interdit notamment tout « usage abusif de l’Internet à des fins personnelles
notamment l’accès à des sites de rencontre, shopping, jeux en ligne à plusieurs joueurs « .
En développant une intense activité sur le site de ventes aux enchères en ligne eBay à partir
de l’accès Internet de l’entreprise, vous avez enfreint le règlement intérieur de l’entreprise.
Nous ne pouvons tolérer votre utilisation massive des moyens de la société (matériel et outil
mis à votre disposition pour un usage strictement professionnel) et accès Internet, à des fins
personnelles, et pendant vos horaires de travail.
Comme vous le savez, l’organisation informatique de notre entreprise et de ses accès
Internet fait que la totalité des accès Internet est réalisée à partir d’un accès privé et
sécurisé, dit Virtual Private Network ou VPN, et tous les accès sont amenés vers un noeud
et un serveur (proxy) pour ensuite se retrouver sur l’extérieur, à savoir Internet. Votre
connexion massive à des sites étrangers à nos activités, a forcément eu des répercussions
sur la qualité des accès Internet mis à disposition par notre entreprise à l’ensemble de ses
collaborateurs.
… Pis encore, nous ne pouvons davantage tolérer votre consultation d’images inappropriées
car érotiques ou à tout le moins suggestives sur votre poste de travail.
En effet, la consultation en ligne de vente de lingerie ou celle de plaisanteries à caractère
érotique sont doublement préjudiciable à l’entreprise.
Tout d’abord, parce que votre mission en tant que chef d’agence suppose des contacts
réguliers sinon quotidiens avec de jeunes enfants au sein de l’agence, mineurs susceptibles
de visualiser ces images à tout moment, Vous n’ignorez pas que la consultation d’images
déplacées peut heurter le sensibilité des plus jeunes et qu’une telle situation peut être
reprochée à l’entreprise.
… Pour toutes ces raisons, nous vous informons que nous avons, en conséquence, décidé de
vous licencier pour faute grave ».
La salariée, pour contester son licenciement, verse à son dossier les pièces 11 et 12 dont son
adversaire demande à ce qu’elles soient écartées des débats en raison de leur fausseté.
Lesdites pièces sont :
– 11 : un témoignage rédigé le 11 décembre 2012 par une ancienne salariée, Mme
J.,
– 12 : un courriel daté du 11 décembre 2012, échangé entre les délégués du personnel
de l’entreprise.
L’employeur n’ayant pas saisi le juge pénal d’une plainte pour faux témoignage dirigée à
l’encontre de ces deux pièces, la cour est en capacité d’en apprécier le bien-fondé.
En conséquence, les pièces 11 et 12 sont admises aux débats.
…/…
Au principal la salariée conclut à la nullité de son licenciement pour avoir été
prononcé sans autorisation préalable de l’inspection du travail alors que sa qualité de
candidate aux élections des délégués du personnel devait lui assurer une protection syndicale.
Pour contester cette présentation des faits, l’employeur indique que Mme S. C.
a été convoquée à l’entretien préalable à son licenciement par une lettre postée à Paris le 16
septembre 2010, à 18 heures 43, comme en fait foi le récépissé de La Poste, mais dont un
exemplaire lui a été remis en main propre à Nice, dans la matinée du 17, avant que sa candidature ne soit portée à sa connaissance.
La salariée se prévaut du témoignage de la déléguée syndicale J. (pièce 6 dossier
salariée), laquelle déclare à la cour avoir reçu un appel téléphonique le 17 septembre 2010
au matin « très peu de temps avant de remettre la liste syndicale en main-propre à
l’employeur », la salariée l’appelant pour l’instruire de sa convocation à un entretien préalable
assortie d’une mise à pied immédiate.
Ce témoignage établit incontestablement que l’employeur a notifié la convocation préalable
à sa destinataire avant que le syndicat ne fasse connaître à l’employeur sa désignation aux
fonctions de déléguée du personnel titulaire.
Le président du comité d’entreprise atteste avec objectivité en ce sens (pièce 8 dossier
employeur).
II convient encore de rechercher si cet employeur a pu avoir connaissance de l’imminence de
sa candidature avant la notification de cette convocation.
Pour soutenir cette hypothèse, qu’il présente comme une certitude, le conseil de la salariée
met en exergue le fait que l’employeur a dépêché de toute urgence de Paris à Nice son
directeur d’exploitation afin de notifier à la salariée sa convocation à l’entretien préalable,
d’où il déduit que cet employeur avait connaissance de l’imminence de sa désignation
syndicale.
Mais le directeur d’exploitation atteste que le suivi habituel des procédures en vigueur dans
l’entreprise consiste, lorsque la mise à pied à titre conservatoire concerne un responsable
d’agence, à se rendre sur place pour changer les serrures ; qu’il en fut pour Mme S. C.
comme pour les directeurs des agences de Compiègne, Nancy et Bourg-en-Bresse et
précise que l’intéressée a eu la permission de prendre une copie des informations personnelles
contenues dans l’ordinateur mis à sa disposition, de récupérer ses affaires en présence d’un
ami et d’appeler la déléguée du personnel (pièce 18 dossier employeur).
Ce mode opératoire ne permet pas de retenir que le déplacement de ce directeur
d’exploitation s’inscrivait dans une stratégie d’évitement.
Le compte-rendu de ce directeur est conforté par les déclarations de la déléguée J. qui
précise que la salariée avait reçu l’ordre de quitter immédiatement l’agence, cet ordre étant
la conséquence logique de sa mise à pied.
En page 5 de ses écritures, le conseil de la salariée soutient que sa candidature a été tenue
secrète jusqu’au 16 septembre 2010, journée au cours de laquelle l’intéressée « a appelé un
certain nombre de personnes du siège social parisien … afin de leur indiquer qu’elle ne se
présenterait pas au deuxième tour (personnes non syndiquées) mais dès le premier tour ».
Le « certain nombre de personnes » reste indéfini et aucun membre de l’entreprise n’atteste
du fait non seulement qu’il fut mis dans la confidence de la candidature imminente de Mme
S. C. mais encore que cette information confidentielle aurait été transmise à
l’employeur.
Du reste rien ne permettait de présumer que Mme S. C. pouvait être présentée par
le syndicat CGT en qualité de candidate aux fonctions de représentante du personnel
puisqu’elle n’ est devenue membre de ce syndicat que la veille de sa déclaration de candidature
(pièce 4 dossier salariée).
Sachant que Mme S. C. avait eu un engagement syndical remontant à 2005, en
candidate libre, l’employeur ne pouvait subodorer cette adhésion syndicale éclair doublée
d’une candidature de dernière minute.
D’où il suit que les premiers juges ont exactement retenu que le licenciement de Mme
S. C. ne pouvait être dit nul pour violation d’un statut protecteur.
En conséquence, la salariée ne recevra pas la somme de 133 974,72 euros liée directement à l’inobservation d’un statut protecteur.
…/…
Sur le licenciement, Mme S. C. ne peut sérieusement contestée s’être
connectée pendant son temps de travail à de très nombreuses reprises à de nombreux sites
extra professionnels tels eBay -site d’achat et de vente de vêtements ou de livres- ou La
Redoute -site de mode – ou encore Doctissimo -site consacré à la santé-, dès lors que ces
connexions sont identifiables par son nom de code personnel « C. », l’utilisation de ce
pseudonyme n’étant pas contestée.
Lors de l’audience d’appel tenue le 3 novembre 2014, Mme S. C. a reconnu se
connecter sur différents sites extra professionnels une heure par jour comme le mentionne la
note d’audience signée du président d’audience et du greffier d’audience.
Pour minimiser sa responsabilité l’intéressée soutient qu’elle ne se connectait que durant son
temps de pause ce qui n’est pas exact à l’examen des relevés de ses connexions à des heures
ne correspondant pas au temps de pause du déjeuner (milieu de la matinée, après-midi).
C’est en vain que Mme S. C. prétend s’affranchir d’un interdit en déclarant à la
cour que ses connexions ne portaient pas préjudice à l’entreprise puisque les abonnements
à internet sont illimités, de sorte que son activité parallèle n’a pas engendré de surcoût.
C’est oublier en effet que lorsque la salariée était connectée à un site ludique, elle bloquait
l’accès à son poste de travail et devenait de ce fait injoignable, cet état de fait ayant
nécessairement eu des conséquences préjudiciables à l’entreprise comme l’indique la lettre
de licenciement.
Enfin, et surtout, l’employeur a payé à la sa salariée de très nombreuses heures de présence
sans contrepartie d’un travail effectif
L’article 3-4 du règlement intérieur en vigueur au sein de l’entreprise dispose au chapitre
USAGE DU MATERIEL ET DES LOCAUX que « Les matériels informatiques, leurs
supports et leurs logiciels, ainsi que les accès intranet et internet, mis à la disposition du
personnel, doivent être utilisés conformément à leur objet et aux besoins de la fonction « .
L’article 2-2 du chapitre CHARTE D’UTILISATION DE LA MESSAGERIE
ELECTRONIQUE D’INTRANET, D’INTERNET dispose que « L’usage abusif de l’Intranet
et/ou de l’accès à Internet à des fins personnelles notamment l’accès à des sites de
rencontre, shopping privé, jeux en ligne à plusieurs joueurs » relève « D’AGISSEMENTS
PROSCRITS ».
Ces dispositions affichées dans les locaux de l’entreprise n’appellent pas d’observation.
Le comportement de la salariée caractérise une violation délibérée et répétée de la charte
informatique en vigueur au sein de son entreprise.
Pour faire reste de droit, peu important le fait que M. H., chargé au sein de
l’entreprise de la vérification des trafics informatiques devait alerter sa direction au constat
du volume très important des connexions reprochées (80 000 connexions sur 2 ans) dès lors
que les connexions extra professionnelles identifiées avec certitude comme procédant des
agissements de la salariée sont, en toute hypothèse, trop nombreuses pour être tolérées par
un employeur.
D’où il suit que le comportement fautif de la salariée interdisait son maintien au sein de
l’entreprise, même durant le temps de son préavis.
En conséquence, la cour supprimera les condamnations prononcées par les premiers juges aux
sommes de 5 582,28 euros, 7 443,04 euros et 3 721,52 euros, ainsi que la condamnation de
l’employeur à délivrer des documents sociaux rectifiés.
Il fut dit que le directeur d’exploitation dépêché à l’agence de Nice pour organiser le départ de sa directrice a eu la courtoisie de lui permettre de récupérer des données personnelles (a priori nombreuses) et d’alerter la déléguée syndicale sur son cas.
On cherchera en vain dans ce mode opératoire matière à nourrir l’hypothèse d’un licenciement vexatoire, étant observé que la rédaction de la convocation à l’entretien à l’entretien préalable et celle de la lettre de licenciement n’appellent aucune critique.
En conséquence, Mme S. C. ne recevra pas 150 000 euros pour licenciement
illégitime et vexatoire.
…/…
Pour réclamer paiement de 16 800 euros correspondant, selon la salariée, à un
« sursalaire », procédé utilisé pour déguiser des heures supplémentaires, le conseil de
l’employeur objecte à bon droit que cette salariée ne verse aux débats aucune pièce de nature
à étayer sa demande en paiement d’heures supplémentaires, pas même un décompte pouvant
lui permettre à cet employeur une défense utile.
Cette carence conduit à ne pas retenir sa demande.
…/…
Le présent arrêt conduira Mme S. C. à restituer la somme de 7 288,09
euros versée par son contradicteur au bénéfice del’ exécution provisoire de droit ; il n’y a lieu
à condamnation de ce chef.
…/…
L’appelante supportera les entiers dépens.
DECISION
La cour, statuant par arrêt contradictoire prononcé publiquement par mise à
disposition au greffe de la cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions
prévues par l’article 450 du code de procédure civile :
Infirme le jugement ;
Et, statuant à nouveau :
Dit légitime le licenciement pour faute grave de Mme S. C. comme tel privatif
de son préavis et de son indemnité de licenciement ;
Rejette les prétentions plus amples ou contraires ;
Condamne l’appelante aux entiers dépens ;
Vu l’article 700 du code de procédure civile, condamne Mme S. C. à verser 1. 000 euros à la société AIS 2.
La Cour : Gilles BOURGEOIS (president)
Avocats : Me Alexis MANCILLA, Me Olivier ITEANU
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