Jurisprudence : E-commerce
Tribunal de commerce de Nanterre, 3ème chambre, jugement du 5 février 2015
AFJ Nerim venant aux droits de la sas Normaction / Fast Lease
appel téléphonique - facture - fraude informatique - installateur - maintenance - pabx - responsabilité - téléphonie
Faits
La société L’Automobile selon vos Règles,(« Fast Lease ») est une PME spécialisée dans la location longue durée de véhicules automobiles auprès des petites et moyennes structures (PME, TPE, professions libérales) et des particuliers. Pour les besoins de son activité, Fast Lease utilise une installation téléphonique lui permettant de communiquer avec ses clients et
prospects.
La société Normaction SA, aujourd’hui liquidée, était un prestataire de téléphonie, installant des centraux téléphoniques auprès d’entreprises clientes et leur fournissant ensuite des prestations de communications, qu’elle-même achetait auprès d’un opérateur téléphonique, en l’occurrence SFR. Une société soeur, AET Normaction, s’occupait plus particulièrement de la partie installation, puis maintenance.
A la suite d’une transmission universelle de patrimoine, la SAS Nerim vient aux droits de la société Normaction SAS, laquelle avait repris les actifs de Normaction SA après sa liquidation.
La société United Telecom et Travaux (« UTT ») est une société de maintenance de matériel téléphonique qui existe depuis 1997. En octobre 2010, UTT reprend l’activité de maintenance de la société AET Normaction.
Le 24 juin 2009, Fast Lease signe un contrat de location de matériel téléphonique avec la société Normaction SA pour une durée de 36 mois et pour un loyer mensuel de 159,02 €TTC. Le même jour, elle conclut avec la société AET Normaction un contrat de maintenance de service. Elle conclut ensuite un contrat d’ouverture de compte avec la société Normaction SA ayant pour
objet la fourniture d’un service téléphonique. Le service choisi, intitulé «Action PABX », est facturé pour un montant de 132,96 € HT par mois.
Le 10 juillet 2009, Fast Lease signe le procès-verbal de réception du matériel qui indique que « Chaque élément du matériel/logiciel désigné aux présentes a été livré, vérifié et est conforme à la commande et est en parfait état de fonctionnement, ne comporte aucun dommage apparent et à ce titre est accepté sans restriction ni réserve par le locataire».
Par jugements des 6 et 27 octobre 2010, le tribunal de commerce de Nanterre place les sociétés Normaction SA et AET Normaction en redressement judiciaire.
Par jugement du 26 janvier 2011, le tribunal de commerce de Nanterre cède les actifs des sociétés AET Normaction et Normaction SA à la société SEQUOR INVEST 1.
A la suite de cette reprise d’actifs, la société SEQUOR INVEST 1 est renommée Normaction SAS ( « Normaction ») et devient automatiquement le cocontractant de Fast Lease en lieu en place des sociétés Normaction SA et AET Normaction.
Normaction cède le contrat de maintenance du PABX installé dans les locaux de Fast Lease à la société UTT.
Par courrier RAR du 26 juin 2012, Normaction informe Fast Lease d’une utilisation anormale de sa ligne téléphonique dans les tenues suivants :
« Suite à une facturation anormalement élevée de vos consommations du mois de juin 2012. il a été constaté, après examen de celles-ci, de nombreux appels, notamment en destination des Maldives et/a Serbie (Mobiles).
Si ces appels n’ont pas été passés par le personnel de votre entreprise, vous avez été victime d’un piratage. Il s’agit d’un vol effectué par des personnes malveillantes qui se connectent sur votre matériel téléphonique afin de procéder à des appels intempestifs. »
Elle précise qu’il est souhaitable de « changer vos codes d’accès sur le matériel téléphonique. Cette intervention sur le PABX permettra de sécuriser votre installation téléphonique tout de suite. C’est le seul moyen d’enrayer le processus de piratage( .. .)».
Par courrier recommandé du 29 juin 2012, Fast Lease répond à Normaction qu’elle n’est pas à l’origine du piratage de sa ligne téléphonique et par conséquent, qu’elle refuse de payer la facture relative à ces désordres.
Le 30 juin 2012, Normaction adresse une facture d’un montant de 12 492,30€TTC à Fast Lease au titre de ses communications du mois de juin 2012.
Par courrier du 24 juillet 2012, Fast Lease accuse réception de la facture de Normaction et lui indique :
« Vous trouverez ci-joint à ce courrier un règlement de 283,59 euros correspondant aux communications que nous avons réellement passées et déduction faite des communications frauduleuses.
Nous vous prions par ailleurs de nous faire parvenir sous huitaine un avoir pour les communications objet du piratage et dont vous êtes responsable. »
Le 30 juillet 2012, Normaction adresse à Fast Lease une mise en demeure de payer le montant restant de la facture de juin 2012.
Le 26 octobre 2012, Normaction saisit le Président du tribunal de commerce de Nanterre d’une demande en injonction de payer, à laquelle il est fait droit par ordonnance du 8 novembre 2012 et qui est signifiée à la société Groupe Fast Lease, maison mère de Fast Lease Sarl le 19 décembre 2012.
Par courrier du 16 janvier 2013, le conseil de la société Groupe Fast Lease forme opposition à injonction de payer au motif qu’il y a erreur sur la société visée par l’injonction, car elle n’est pas la Sarl Fast Lease.
Normaction présente alors des conclusions au fond le 14 mars 2013 devant le tribunal de commerce de Nanterre. L’affaire est enrôlée sous le numéro 2013F00738.
Par acte d’huissier signifié à personne en date du 9 avril 2013, Fast Lease assigne UTT en intervention forcée aux fins de la voir condamner à garantir les sommes qui seraient mises à sa charge au profit de Normaction. Cette procédure est enrôlée sous le numéro 2013F0I696 et jointe à la procédure 2013F00738 à l’audience du 25 avril 2013.
Après plusieurs échanges d’écritures, par conclusions du 12 mars 2014, Nerim informe les parties au litige qu’elle vient aux droits de la société Normaction SASU à la suite d’une transmission universelle de patrimoine puis, par conclusions N°4 du 18 juin 2014, récapitulatives au sens de l’article 446-2 second alinéa du code de procédure civile, Nerim demande de :
Vu les articles 1134 et 1315 du code civil ;
Vu l’article 700 du code de procédure civile ;
– DÉCLARER la société Nerim recevable et bien fondée à intervenir aux droits de la société Normaction SASU à la suite de la transmission universelle de patrimoine intervenue le 25 novembre 2013,
– DIRE ET JUGER la Société Normaction recevable et bien fondée en l’ensemble de ses demandes, moyens, fins et prétentions ;
– DIRE ET JUGER que la Société Nerim aux droits de laquelle vient la société Normaction a exécuté l’ensemble de ses obligations contractuelles ;
– CONSTATER eu égard aux factures détaillées émises par la Société Normaction aux droits de laquelle vient la société Nerim que la Société Normaction a acheminé l’ensemble des communications téléphoniques,
– DIRE ET JUGER que la Société Fast Lease est responsable du matériel téléphonique fourni et de l’utilisation de sa ligne téléphonique au titre de la Loi et du contrat ACTION CONNECT du 15 juin 2008 ;
– DIRE ET JUGER que la Société Fast Lease ne peut s’exonérer de son obligation contractuelle de paiement,
– CONSTATER que la société AET Normaction et non la société Normaction a procédé à l’installation des lignes et équipements téléphoniques et devait assurer la maintenance,
– CONSTATER que la Société UNITED TÉLÉCOM ET TRAVAUX a repris l’activité de la société AET Normaction et est en charge de la maintenance des équipements téléphoniques fournis à la société Fast Lease depuis le 5 décembre 2010,
En conséquence,
– DIRE ET JUGER qu’en conséquence la Société Nerim venant aux droits de la société Normaction n’est pas responsable d’un éventuel piratage téléphonique ni n’a commis de faute engageant sa responsabilité,
En conséquence :
– DÉBOUTER les sociétés Fast Lease et UTT de toutes leurs demandes, fins et conclusions envers Normaction ;
– CONDAMNER la Société Fast Lease à payer à la Société Nerim venant aux droits de la société Normaction la somme 12.208,71 euros au titre des factures échues et impayées, outre les intérêts de retard à parfaire au jour de la décision ;
En tout état de cause
– CONDAMNER la Société Fast Lease à payer à la Société Nerim la somme de 4.500 euros en application de l’article 700 du CPC et en tous les dépens de l’instance ;
– CONDAMNER la société UTT à payer à la Société Nerim la somme de 4.500 euros en application de l’article 700 du CPC et en tous les dépens de l’instance
– ORDONNER l’exécution provisoire de la décision à intervenir, sans caution ni garantie.
Par conclusions déposées à l’audience du 9 avril2014, L’Automobile selon vos Règles
(ASR), dénommée Fast Lease demande de :
Vu les articles 331 et 367 du code de procédure civile,
Vu l’article 1134 du code civil,
1. A titre principal,
– DIRE ET JUGER que le piratage téléphonique dont la société L’Automobile selon vos Règles a été la victime constitue un cas de force majeure,
– DIRE ET JUGER que la société L’Automobile selon vos Règles n’est pas responsable des actes de piratage téléphonique,
– DIRE ET JUGER que la société Nerim est responsable des actes de piratage dont la société L’Automobile selon vos Règles a été la victime, en raison du défaut de sécurisation du matériel fourni par la société Normaction,
Par conséquent,
– DIRE ET JUGER que la société L’Automobile selon vos Règles ne peut être tenue de régler le montant de la facture résultant de ce cas de force majeure,
– DEBOUTER la société Nerim de toutes ses demandes, fins et conclusions,
2. A titre subsidiaire,
– DIRE ET JUGER que, compte tenu du principe de réparation intégrale du préjudice, la société Nerim ne peut pas valablement réaliser de bénéfice sur la facture émise à la suite des actes de piratage dont la société L’Automobile selon vos Règles a été la victime,
Par conséquent,
– FAIRE INJONCTION à la société Nerim de justifier du coût réel des communications
litigieuses et de son paiement entre les mains de son fournisseur,
– DIRE ET JUGER qu’aucune condamnation ne pourra porter sur une somme supérieure au coût réel de ces communications supporté par la société Nerim,
3. En tout état de cause,
– DIRE ET JUGER la société L’Automobile selon vos Règles recevable et bien fondée en sa demande en garantie à l’encontre de la société United Telecom et Travaux,
– DIRE ET JUGER que la société United Telecom et Travaux a manqué à ses obligations contractuelles en ne procédant pas à une mise à jour régulière de l’autocommutateur mis à la disposition de la société L’Automobile selon vos Règles, en violation du contrat de maintenance dudit matériel,
– DIRE ET JUGER que ce manquement contractuel est directement à l’origine des actes de piratage de l’autocommutateur dont la société L’Automobile selon vos Règles a été la victime,
Par conséquent,
– CONDAMNER la société United Telecom et Travaux à garantir la société
L’Automobile selon vos Règles contre toute condamnation et somme qui serait mise à sa charge au profit de la société Nerim,
– PRONONCER l’exécution provisoire de la décision à intervenir,
– CONDAMNER les sociétés Nerim et United Telecom à payer chacune à la société L’Automobile selon vos Règles une somme de 6.000 (six mille) euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile,
– CONDAMNER les sociétés Nerim et United Telecom aux entiers dépens.
Par conclusions régularisées à l’audience du juge chargé d’instruire l’affaire du 17 décembre 2014, UTT demande de :
Vu les articles 325 et 334 du code de procédure civile,
Vu le contrat de maintenance signé entre les sociétés United Telecom et Travaux et L’Automobile selon vos Règles,
Vu l’article 1134 du code civil,
Vu l’article 1147 du code civil,
Vu l’article 1217 et 1218 du code civil,
– Débouter la société L’Automobile selon vos Règles de sa demande de garantie des
condamnations qui pourraient être prononcées à son encontre au profit de la société Normaction SASU dans le cadre de l’instance principale n° RG 20132 F 00738
– Constater la caducité du contrat de maintenance qui lie la société United Telecom et Travaux à la société Fast Lease
Subsidiairement,
– limiter la garantie de la société United Telecom et Travaux des condamnations prononcées à l’encontre de la société L’Automobile selon vos Règles, à la somme de 3 400 €
En tout état de cause,
– Condamner la société L’Automobile selon vos Règles à payer à la société United Telecom et Travaux la somme de 6 000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– La condamner aux entiers dépens.
A la même audience, le juge chargé d’instruire l’affaire clôt les débats et met l’affaire en délibéré, pour un jugement devant être prononcé par mise à disposition au greffe le 5 février 2015 conformément aux dispositions de l’article 450 du CPC.
Moyens des parties et Discussion
Sur la nullité de la procédure d’injonction de payer
Fast Lease fait valoir que l’injonction de payer a été délivrée à la société GROUPE Fast Lease et non à Fast Lease Sarl. Ce tribunal a été saisi de cette opposition et l’affaire a été appelée pour la première lois à l’audience du 14 février 2013.
Lors de cette audience, Normaction a souhaité rectifier l’identité de la défenderesse en indiquant qu’il s’agirait de « la société Fast Lease, société à responsabilité limitée (. .. ) immatriculée au RCS de Nanterre sous le numéro 451 522 742 ». Néanmoins, la procédure était déjà nécessairement viciée et le tribunal devra en tirer toutes les conséquences qui s’imposent.
Sur ce, le tribunal
Attendu que l’erreur de signification de l’injonction de payer a été rectifiée à l’audience du 14 février 2013; qu’elle ne fait pas grief à Fast Lease Sarl ; le tribunal dira la nullité de procédure couverte ;
Sur la recevabilité de l’opposition à l’injonction de payer
Attendu que l’opposition à l’injonction de payer a été formée dans les délais légaux, le tribunal la dira recevable ;
Sur la demande principale
Nerim dit qu’elle a fourni à Fast Lease du trafic de communication que celle-ci doit donc payer, puisqu’au surplus le piratage n’est absolument pas confirmé. Le détail des factures téléphoniques démontre que les communications ont été passées par Fast Lease et les appels passés frauduleusement ou à l’insu des abonnés n’exonèrent pas ces derniers de leur obligation de payer les factures. Nerim dit que sa créance est donc certaine liquide et exigible et que Fast Lease doit la régler.
Pour Fast Lease, la facture dont Nerim réclame le paiement résulte d’un acte de piratage de son serveur téléphonique. Les communications téléphoniques frauduleuses sont l’oeuvre de tierces personnes qui ont profité d’un défaut de sécurisation de l’autocommutateur mis à la disposition de Fast Lease pour s’introduire dans le dispositif téléphonique et ainsi passer des centaines
d’appels vers l’étranger.
Il s’agit d’un cas de force majeure qui dispense Fast Lease de toute obligation de paiement. Il s’agit en effet d’un événement
– extérieur à l’installation téléphonique de Fast Lease, et même à Fast Lease, puisqu’il est le fait de tiers,
– irrésistible dans le sens où Fast Lease ne pouvait pas l’empêcher,
– et imprévisible dans la mesure où Fast Lease n’a jamais été informée de la possibilité de la survenance d’un tel événement,
– Fast Lease n’a donc aucune raison de payer les sommes réclamées.
Sur ce,
Attendu que si Fast Lease avait suivi les préconisations du constructeur du central téléphonique et protégé son installation d’un mot de passe, le piratage aurait été rendu impossible ; qu’il n’y avait ainsi aucun caractère inévitable dans ces événements, que la force majeure ne peut donc être retenue ;
Attendu que les appels passés frauduleusement ou à l’insu des abonnés n’exonèrent pas ces derniers de leur obligation de payer les factures ;
En conséquence, le tribunal fera droit à la demande de Nerim et condamnera Fast Lease à lui payer la somme de 12.208,71 euros avec intérêts au taux légal à compter du 30 juin 2012.
Sur les responsabilités
Nerim dit que :
Normaction est étrangère et irresponsable des éventuelles fautes antérieures au 26 janvier 2011. En effet, c’est par un jugement du tribunal de commerce de Nanterre du 26 janvier 2011, qu’un plan de cession a emporté le transfert à la société Normaction SASU (dénommée à cette date « Sequor lnvest 1 ») des actifs, et seulement des actifs de Normaction SA. Le passif n’a pas été
repris.
Dans cette affaire, la société Normaction SA, puis la société Normaction SASU, n’ont que la qualité de bailleur du matériel téléphonique et de vendeur de « droits de passage sur les réseaux d’opérateurs tiers ». L’installation du matériel a été en fait opérée par la société AET.
C’est la société UTT, qui a repris les activités d’AET, qui était responsable de la maintenance du matériel et des autres obligations attachées à ce contrat de maintenance, Normaction ayant alors comme seule responsabilité de s’assurer que les communications étaient bien acheminées par SFR. Dans ce contexte, Normaction a parfaitement exécuté l’ensemble de ses obligations contractuelles.
Dès lors que Normaction SA avait cédé AET à UTT, professionnel averti, c’était à cette dernière de s’assurer de la bonne exécution de la prestation d’assistance envers Fast Lease, laquelle recouvre notamment un devoir d’information et de renseignement.
Enfin, Fast Lease est seule responsable de l’utilisation de son matériel téléphonique et de ses lignes téléphoniques, en sa qualité de gardien dudit matériel téléphonique. En signant le procès-verbal de recette et de mise en service le 10 juillet 2009, elle a reconnu que l’ensemble de la documentation relative lui a été remis et que la formation de son personnel a été correctement effectuée. Elle était donc seule responsable des codes de sécurité nécessaires à là protection de
son installation.
Fast Lease fait état d’une absence de sécurisation du matériel de la part de la société Normaction SA, mais il est parfaitement impossible que le PABX ait pu résister pendant près de 3 ans si les codes d’origine n’avaient pas été changés, ce qui est confirmé par le bon d’intervention d’UTT, qui parle de « modification paramètres de sécurité ».
Par contre, il n’est pas inenvisageable qu’une menace logicielle ayant conduit le PABX à émettre des appels vers les numéros surtaxés ait été introduite dans le réseau informatique de Fast Lease, involontairement, par un de ses salariés, au moyen d’un « support amovible vérolé » ou par le biais d’un téléchargement dissimulant un outil de corruption de PABX.
Fast Lease dit que :
Contrairement à ce qu’affirme Nerim, Normaction SA était bel et bien le fournisseur du matériel litigieux et son installateur, en plus d’en être le bailleur. En effet, le matériel de Fast Lease a été installé au nom et pour le compte de Normaction SA, ainsi que cela résulte du procès-verbal du 10 juillet 2009, qui mentionne la « mise en place d’un IPBX dans le cadre du dégroupage total » Ce même procès-verbal indique expressément que le matériel a été « paramétré » par le technicien de Normaction.
Au vu des événements qui ont suivi, on comprend que cette opération n’a pas été faite correctement, puisque le technicien n’a pas modifié le code de sécurité par défaut du PABX. Normaction a repris les contrats conclus antérieurement par la société Normaction SA, aujourd’hui en liquidation judiciaire, mais elle a conservé à la fois un rôle d’installateur du matériel et de fournisseur de communications. Nerim joue aujourd’hui ce rôle, à la suite de la transmission universelle de patrimoine intervenue.
Cela signifie qu’en tant qu’installateurs professionnels et fournisseurs des communications téléphoniques, Normaction et Nerim sont présumées connaître
des matériels qu’elles mettent à la disposition de leurs clients. Elles ont une obligation d’information, de conseil et de mise en garde, qui existe non seulement au moment de la conclusion du contrat mais également tout au long de son exécution.
Or, Normaction n’a informé Fast Lease des actes de piratage survenus et de l’un des moyens d’y résoudre, qu’après qu’ils se soient réalisés. En aucun cas le manque de sécurisation du PABX n’était « notoire » pour Fast Lease, qui s’est vue remettre un matériel et l’a utilisé sans que son attention ne soit attirée sur ce point, ni par l’installateur initial, ni par le prestataire de maintenance.
Il n’est pas contestable que la cause du piratage relevé par Normaction réside exclusivement dans un défaut de maintenance du matériel, puisque ni l’installateur ni le tiers mainteneur n’ont configuré correctement le PABX ni n’ont vérifié, après l’installation, que la configuration était conforme aux usages. Même si le matériel a fonctionné correctement pendant trois ans, il était insuffisamment sécurisé parce que l’installateur, Normaction SA, n’a pas procédé à un paramétrage correct, de nature à empêcher les intrusions de tiers. C’est l’installateur qui est responsable du paramétrage du matériel et non le client, ce qui dispense d’autant plus Fast Lease
du paiement de cette facture.
Par ailleurs, parallèlement à Normaction, dans le cadre de son contrat, UTT était tenue à une obligation de maintenance préventive. C’est parce qu’UTT a manqué à ses obligations découlant du contrat de maintenance de l’autocommutateur que les communications litigieuses ont pu être passées. UTT doit donc garantir Fast Lease de toute condamnation qui serait prononcée à son encontre dans le cadre de cette procédure.
Enfin, au cas où Fast Lease serait condamnée au paiement de la facture, il serait parfaitement anormal et inéquitable que Nerim réalise le moindre bénéfice sur cette facture. Fast Lease ne pourrait donc pas être condamnée à payer l’intégralité de cette somme.
UTT dit que :
Le contrat de maintenance a été signé à l’origine par AET Normaction. La prestation de maintenance prévue à ce contrat se limite à la réparation dans des délais d’intervention prescrits du matériel téléphonique listé dans le contrat. Dans ce cadre, UTT ne gérait donc pas l’accès au réseau téléphonique de Fast Lease, ni l’utilisation de sa ligne téléphonique. Le contrat de maintenance a ainsi un objet parfaitement limité qui n’implique pas le choix des mots de passe de l’utilisateur, ni leur modification.
La visite préventive fixée au contrat a pour objet de remplacer, réviser ou réparer un élément du matériel avant que ce dernier ne tombe en panne. Elle a donc pour principal objectif d’améliorer la durabilité du bien et de prévenir son éventuelle défaillance. Lors d’une visite préventive, le technicien ne procède pas aux changements des mots de passe de l’utilisateur. Ce dernier est seul à choisir et gérer ses mots de passe.
UTT a donc parfaitement rempli ses obligations au titre du contrat de maintenance.
Par ailleurs, Normaction a repris l’activité d’«installateur» et d’«opérateur» téléphonique de la société Normaction SA. C’est ce qui ressort clairement du Kbis de la société Normaction SASU précisant « La commercialisation de services de télécommunication, la commercialisation et l’installation de réseaux et d’appareils de télécommunication ».
La société AET Normaction agissait au nom et pour le compte de la société Normaction SA et c’est en son nom que la société AET a procédé à l’installation. En sa qualité d’installateur du matériel téléphonique et surtout de bailleur du matériel téléphonique et d’opérateur de téléphonie, Normaction était tenue de s’assurer que la cliente était parfaitement informée des modalités de sécurisation de son installation téléphonique.
Le matériel de la marque ALCATEL-LUCENT n’est livré avec aucun mot de passe. Ces derniers doivent être rentrés par l’utilisateur au fûr à mesure de la configuration de son installation. L’installateur doit par conséquent, expliquer à l’utilisateur comment programmer ses propres mots de passe confidentiels et doit lui conseiller de les changer impérativement et régulièrement.
Or, UTT a été informée par Fast Lease, au cours de son intervention le 28 juin 2012, que cette dernière utilisait un mot de passe« 0000 »pour accéder aux fonctions de l’IPBX. Le piratage de la ligne téléphonique de Fast Lease n’est pas lié à une faille de sécurité du logiciel, mais au choix par l’utilisateur d’un mot de passe trivial pour l’accès à ses fonctions téléphoniques, soit 0000. Ce constat démontre sa méconnaissance de l’utilisation du matériel qu’elle louait, ce qui est uniquement imputable à Normaction.
Normaction ne s’est à aucun moment assurée que la société Fast Lease mettait bien en oeuvre ses recommandations de sécurité, pour autant qu’elle les lui ait effectivement délivrées, ni que sa cliente avait parfaitement compris les implications de ce paramétrage en terme de sécurité.
Normaction est donc pleinement responsable d’un défaut d’information de la société Fast Lease sur les modalités de sécurisation de son installation téléphonique en sa qualité de bailleur d’un matériel technologique complexe et d’opérateur de téléphonie.
Enfin, la programmation d’un mot de passe est une opération strictement confidentielle à la charge uniquement de l’utilisateur qui ne doit le donner à personne. La négligence fautive de la société Fast Lease ne peut être écartée dans le cadre du piratage de sa ligne téléphonique. Cette dernière a en effet signé un procès-verbal de réception du matériel téléphonique sans aucune réserve.
Sur ce, le tribunal,
Attendu qu’il est établi à travers les déclarations de Nerim et d’UTT que la sécurité d’une installation téléphonique et sa résistance aux risques de piratage dépend exclusivement de sa protection à travers un mot de passe, ce que confirment les « Recommandations de sécurité » de la société ALCATEL-LUCENT ;
Attendu qu’UTT affinne sans être contredite que, lors de l’intervention de son technicien à la suite du piratage du mois de juin 2012, il a été constaté que le mot de passe utilisé sur l’installation de Fast Lease était toujours « 0000 » ; que ce mot de passe, programmé en usine par défaut, est banal et ne fournit aucune protection, ce qui a pennis l’intrusion des pirates sur le PABX de Fast Lease ct l’utilisation frauduleuse de ce dernier pour des appels vers des sites surtaxés ;
Attendu que Fast Lease est un professionnel de la location de voitures et n’a aucune connaissance particulière en matière de téléphonie, ce qui explique qu’elle ait pu utiliser son PABX pendant 3 ans sans changer le mot de passe d’usine et sans avoir conscience de courir le moindre risque ;
Attendu que c’est à l’utilisateur d’une installation téléphonique de gérer la sécurité de celle-ci en changeant régulièrement le mot de passe ; mais que cela suppose qu’il ait été informé de cette nécessité ct qu’onlui ait également montré comment procéder ;
Attendu que dans les conditions générales du contrat de maintenance signé initialement avec AET Nonnaction puis repris par UTT, la société de maintenance déclare « être un professionnel en la matière et détenir les compétences et l’expérience requises pour des PRESTATIONS fiables et être à même de répondre aux besoins d’assistance en matière de télécommunications du CLIENT »; qu’il est également déclaré dans ce document que le client souhaite lui confier la
«mission d’assistance en matière de télécommunication » ;
Attendu qu’ainsi, les missions d’inforn1ation, d’assistance et de fonnation incombaient au prestataire de maintenance c’est-à-dire à UTT ; que c’est lui le seul interlocuteur technique de l’utilisateur, et non le fournisseur de trafic téléphonique ;
Attendu qu’il appartenait à la société UTT, qui était tenue de procéder à un minimum d’une visite annuelle de l’installation dans le cadre d’une formule « EXCELLENCE », de vérifier l’état de sécurisation de l’installation téléphonique de sa cliente et de vérifier que celle-ci l’utilisait dans des conditions optimales de sécurité et d’efficacité ; qu’elle devait dans ce contexte s’assurer qu’elle était informée de la nécessité de modifier son mot de passe régulièrement ;
Attendu que le mot de passe d’usine n’a pas été modifié durant trois années d’utilisation ; que le comportement de Fast Lease établit qu’elle n’avait aucune conscience des risques qu’elle courait ; que la preuve est ainsi rapportée d’un comportement fautif d’UTT, qui n’a pas sensibilisé Fast Lease à ce problème, et ne lui a fourni aucune assistance ou formation à la sécurité, alors qu’elle était tenue de le faire, la laissant par négligence dans un état de grande vulnérabilité; que cette faute a permis le piratage dont Fast Lease a été victime; qu’UTT devra
garantir Fast Lease des sommes dues au titre des condamnations prononcées contre elles dans ce cadre, rien ne justifiant que ces sommes soient limitées ;
En conséquence, le tribunal condamnera UTT à rembourser à Fast Lease la somme de 12.208,71 euros avec intérêts au taux légal à compter du 30 juin 2012, au paiement de laquelle elle sera condamnée dans le dispositif du présent jugement.
Sur l’article 700 du CPC et les dépens
Attendu que pour faire reconnaître ses droits, les sociétés Nerim et Fast Lease ont dû exposer des frais non compris dans les dépens qu’il serait inéquitable de laisser à sa charge, le tribunal, compte tenu des éléments d’appréciation en sa possession, condamnera la société UTT à leur payer la somme de 3 000 € chacune au titre de l’article 700 du CPC ainsi qu’aux dépens, déboutant du surplus.
Sur la demande d’exécution provisoire
Attendu que l’exécution provisoire du jugement est sollicitée et qu’elle est compatible avec la nature de la cause, le tribunal l’estimant nécessaire, l’ordmmera sans constitution de garantie.
DECISION
Le tribunal statuant publiquement par jugement contradictoire en premier ressort,
– dit couverte la nullité de procédure d’injonction de payer,
– dit recevable l’opposition à l’injonction de payer,
– condamne la société L’Automobile selon vos Règles, dénommée Fast Lease, à payer à la SAS Nerim la somme de 12.208,71 euros avec intérêts au taux légal à compter du 30 juin 2012,
– condamne la Sarl United Telecom et Travaux à payer à la société L’Automobile selon vos Règles, dénommée Fast Lease, la somme de 12.208,71 euros avec intérêts au taux légal à compter du 30 juin 2012,
– condamne la Sarl United Telecom et Travaux à payer à la société L’Automobile selon vos Règles, dénommée Fast Lease, et à la SAS Nerim la somme de 3 000 € chacune au titre de l’article 700 du CPC, déboutant du surplus,
– ordonne l’exécution provisoire sans constitution de garantie,
– condamne la Sarl United Telecom et Travaux aux dépens.
Liquide les dépens du Greffe à la somme de 160,48 €uros, dont TVA 26,75 €uros.
Délibéré par Mme Le Chatelier, M. Sompairac et M. Valson.
Le présent jugement est mis à disposition au greffe de ce Tribunal, les parties en ayant été préalablement avisées verbalement lors des débats dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du C.P.C.
Le Tribunal : Mme Le Chatelier (président du délibéré), Mme Monique Farjounel (greffier), M. Sompairac (juge), M. Valson.
Avocats : Me Jean-François Menier, Me Pierre Herne, Me Thomas Rabant, SEP Ortolland, Me Sandrine Farge-Voute, Me Berguig
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