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Jurisprudence : Diffamation

jeudi 19 mars 2015
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Cour d’appel de Paris, Pôle 2- Chambre 7, arrêt du 15 janvier 2015

M. D. et Ministère Public / M. R

bonne foi - messages courts - réseaux sociaux

Prononcé publiquement le jeudi 15 janvier 2015, par le Pôle 2 – Ch.7 des appels correctionnels,

Sur appel d’un jugement du tribunal de grande instance de Paris- du 21 février 2014,

LA PROCÉDURE

La saisine du tribunal et la prévention

M. D. a été poursuivi par ordonnance de renvoi devant le tribunal du juge d’instruction rendue le 23 novembre 2012, à la suite de la plainte avec constitution de partie civile déposée par M. R. le 27 mai 2011, sous la prévention :
– d’avoir à Paris et sur l’ensemble du territoire national, le 14 mai 2011, en tout cas depuis temps n’emportant pas prescription, commis le délit de diffamation publique envers un particulier, en étant l’auteur d’un message diffusé sur le réseau social « Twitter », et porté des allégations ou imputations de faits de nature à porter atteinte à l’honneur ou à la considération de M. R., à raison des passages suivants :

« M. R. est a la limite de l’abus de bien social avec ses jobs X ou Y (on ne sait plus trop) tout en bossant pour #S. »

faits prévus et réprimés par les articles 23,29 alinéa 1 ,32 alinéa 1, 42, 43, 46, 4 7 et 48 de la loi du 29 juillet 1881, 93-2 et 93-3 de la loi du 29 juillet 1982.

Le jugement

Le tribunal de grande instance de Paris – par jugement contradictoire, en date du 21 février 2014,

Sur l’action publique :
– a renvoyé M. D. à des fins de la poursuite.

Sur l’action civile :
– a reçu M. R. en sa constitution de partie civile,
– l’a débouté de ses demandes.

L’appel

Appel a été interjeté par: le conseil de M. R., le 28 février 2014 contre
Monsieur M. D., son appel étant limité aux dispositions civiles

Les arrêts interruptifs de prescription

Par arrêts interruptifs de prescription en date du 15 mai 2014, du 03 juillet 2014, du 18 septembre 2014, l’affaire était fixée pour plaider à l’audience du 11 septembre 2014.

DÉROULEMENT DES DÉBATS

À l’audience publique du 27 novembre 2014, le président a constaté l’absence de toutes
les parties, qui sont représentées par leur avocat.

Maître Cellupica Nicolas, avocat du prévenu a déposé des conclusions, lesquelles
ont été visées par le président et le greffier, jointes au dossier.

Maître Burguburu Marie, avocat de la partie civile a déposé des conclusions,
lesquelles ont été visées par le président et le greffier, jointes au dossier.

L’appelant a sommairement indiqué les motifs de son appel,

Sophie-Hélène Château a été entendue en son rapport,

Ont été entendus :

Maître Burguburu Marie, avocat de la partie civile, en ses conclusions et
plaidoirie,

Madame l’avocat général, qui ne formule pas d’observations, s’agissant d’un appel sur les dispositions civiles,

Maître Cellupica, avocat de la personne poursuivie, en ses conclusions et plaidoirie,

Puis la cour a mis l’affaire en délibéré et le président a déclaré que l’arrêt serait rendu à l’audience publique du 15 janvier 2015.

Et ce jour, le 15 janvier 2015, en application des articles 485, 486 et 512 du code de procédure pénale, et en présence du ministère public et du greffier, Sophie Portier, président ayant assisté aux débats et au délibéré, a donné lecture de l’arrêt.

DÉCISION

Rendue après en avoir délibéré conformément à la loi,

En la forme,

L’appel de la partie civile, interjeté dans les délais et dans les formes requis par la loi, est régulier et recevable,

Au fond

Il résulte des éléments du dossier exactement exposés par les premiers juges que M. R. se présente comme étant porte-parole du groupe X et membre exécutif de ce groupe, ancien salarié du groupe Y.
Il y exerce les fonctions de directeur des relations extérieures. Parallèlement, il était l’un des communicants de M. S. , alors directeur général du Z. (…)
Par la publication d’une photo de l’AFP où l’on aperçoit Monsieur S. et Madame S. montant dans un véhicule P., il a été révélé par le Parisien le 3 mai 2011 comme étant le conducteur du véhicule.
M. D. se présente comme étant un entrepreneur ayant développé plusieurs sociétés sur internet.
Estimant que le message signé M. D. diffusé sur le réseau social Twitter le 14 mai 2011 comportait des propos diffamatoires à son égard, M. R. s’est constitué partie civile le 27 mai 2011.
Le 10 août 2011, une information judiciaire était ouverte contre personne non dénommée du chef visé dans la plainte.
Sur commission rogatoire, les enquêteurs de la brigade de répression de la délinquance contre la personne identifiaient M. D. comme étant l’auteur du message incriminé. Interrogé, il confirmait cette qualité.
Le 2 juillet 2012, M. D. confirmait devant le juge d’instruction être l’auteur de ce message et était mis en examen du chef de diffamation publique envers un particulier.

Par ordonnance rendue le 23 novembre 2012 par l’un des juges d’instruction du tribunal de grande instance de Paris, à la suite de la plainte avec constitution de partie civile déposée par M. R. le 27 mai 2011, M. D. a été renvoyé devant
ce tribunal sous la prévention :
– d’avoir à Paris et sur l’ensemble du territoire national, le 14 mai 2011, en tout cas depuis temps n’emportant pas prescription, commis le délit de diffamation publique envers un particulier, en étant l’auteur d’un message diffusé sur le réseau social  »Twitter », et porté des allégations ou imputations de faits de nature à porter atteinte à l’honneur ou à la considération de M. R., à raison des passages suivants:
« M. R. est a la limite de l’abus de bien social avec ses jobs X ou Y (on ne sait plus trop) tout en bossant pour #S.! »
faits prévus et réprimés par les articles 23, 29 alinéa l, 32 alinéa 1, 42, 43, 46, 4 7 et 48 de la loi du 29 juillet 1881,93-2 et 93-3 de la loi du 29 juillet 1982.
Le 24 décembre 2012, le prévenu a fait notifier une offre de preuve de la vérité des faits réputés diffamatoires, en vertu des dispositions de l’article 55 de la loi du 29 juillet 1881, dénonçant sept documents.

À l’audience en première instance, avant toute défense au fond, le conseil du prévenu a soulevé la nullité de la plainte avec constitution de partie civile et des actes subséquents au motif que les propos poursuivis, tenus sur Twitter, dans le cadre d’une communauté d’intérêts, ne peuvent être considérés comme publics.

Par jugement en date du 21 février 2014 la 17ème chambre correctionnelle du tribunal de grande instance de Paris a renvoyé des fins de la poursuite M. D.,
estimant que les propos poursuivis ne sont que l’expression d’une opinion subjective
qui peut être librement discutée. Sur le caractère public ou non du tweet en cause, le tribunal a estimé que la question constituait un argument de fond et non une nullité et qu’elle était sans objet.

Devant la cour

La partie civile M. R., représentée par son avocat, a déposé des
conclusions soutenues oralement par lesquelles il fait valoir que le tweet a un caractère public, que le caractère imprécis de 1′ offre de preuve la rend imparfaite, que les propos poursuivis lui imputent des faits précis et déterminés qui portent atteinte à son honneur et à sa considération puisqu’ils visent un comportement qui encourt la réprobation publique en lui imputant la commission éventuelle d’un abus de bien social, que la locution « à la limite de » s’apparente à une prétérition, qu’en tout état de cause la bonne foi ne pourra être retenue en l’absence de légitimité, de prudence et de mesure et compte tenu de l’animosité personnelle de l’auteur envers la partie civile et demande à la cour
de :
– juger recevable et bien fondé l’appel interjeté par M. R. ;
En conséquence,
– Infirmer le jugement entrepris,
– Rejeter la nullité soulevée in limine litis,
– Rejeter l’exceptio véritatis et juger les poursuites recevables,
– Juger que les éléments constitutifs du délit de diffamation publique envers un particulier sont réunis :
– Condamner M. D. à régler la somme de 13.000 euros à M. R.
– Condamner M. D. à régler la somme de 4.000 euros à M. R.
au titre de l’article 475-1 du code de procédure pénal.
– Condamner M. D. aux entiers dépens.

Madame l’avocat général ne fait pas d’observations, n’étant pas appelante,

L’intimé, M. D., représenté par son conseil, a déposé des conclusions,
soutenues oralement, par lesquelles il demande à la cour de :
A titre principal :
– Confirmer le jugement entrepris, sur le défaut de caractérisation d’une faute civile eu égard à l’absence de propos diffamatoire ;
Subsidiairement :
– Dire et juger que la preuve de la vérité des faits diffamatoires est rapportée et parfaite;
– Dire et juger que les faits justificatifs de la bonne foi exclusifs de responsabilité doivent bénéficier à M. D. ;
En tout état de cause :
– Dire et juger que la caractérisation d’une faute civile commise par l’Intimé fait défaut ;
– Condamner la partie civile appelante à la somme de 1000 euros de dommages et intérêts sur le fondement de l’article 4 72 du Code de procédure pénale ;
– Condamner la partie civile appelante à la somme de 2600 euros sur le fondement de l’article 800-2 du Code de procédure pénale.
Il ne conteste plus le caractère public du tweet soulevé in limine titis en première instance.

SUR CE,
LA COUR,

Considérant que le prévenu ayant été relaxé définitivement, il convient d’apprécier si M. D. a commis une faute fondée sur la prévention de diffamation ouvrant
droit à réparation ;

Considérant que l’article 29 alinéa 1er de la loi du 29 juillet 1881 définit la diffamation
comme « toute allégation ou imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la
considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé » ledit fait devant être
suffisamment précis pour pouvoir faire l’objet du débat sur la preuve de sa vérité
organisé par les articles 35, 55 et 56 de cette loi ; que ce délit, qui est caractérisé même
si l’imputation est formulée sous forme déguisée, dubitative ou par voie d’insinuation,
se distingue ainsi d’une part, de l’injure, que l’alinéa 2 du même article 29 définit
comme « toute expression outrageante, termes de mépris ou invective qui ne renferme
l’imputation d’aucun fait » et doit être appréciée en tenant compte des éléments
intrinsèques et extrinsèques au support en cause, à savoir tant du contenu même des
propos que du contexte dans lequel ils s’inscrivent, d’autre part, de l’expression d’une
opinion ou d’un jugement de valeur, autorisée par le libre droit de critique, celui-ci ne
cédant que devant des attaques personnelles ;

Considérant que l’atteinte à l’honneur ou à la considération ne pouvant résulter que de
la réprobation unanime qui s’attache soit aux agissements constitutifs d’infractions pénales, soit aux comportements communément considérés comme contraires aux
valeurs morales et sociales admises par la communauté nationale au jour où le juge
statue, ces notions doivent s’apprécier, non pas en fonction de la sensibilité personnelle
et subjective de la personne visée, mais selon un critère objectif ;

Considérant que l’appelant conteste l’analyse des premiers juges qui ont estimé que les
propos n’étaient que l’expression d’une opinion subjective qui peut être librement
discutée ; qu’il affirme que le message de l’intimé est aussi lapidaire que précis et direct
et l’accuse clairement d’un comportement susceptible d’être passible de sanctions
pénales s’agissant d’un abus de bien social ; que de plus, la locution « à la limite de »
n’est qu’une prétérition, précaution factice ;

Considérant que les propos poursuivis « M. R. est a la limite de l’abus de bien
social avec ses jobs X ou Y (on ne sait plus trop) tout en bossant
pour #S.!  » ont été écrits dans le cadre d’un tweet sans qu’aucun élément
extrinsèque ne puisse les introduire ou les préciser; qu’ainsi la lecture seule de cette
phrase ne permet pas de comprendre ce qui pourrait être constitutif d’abus de bien
social ; que la seule référence à différents « jobs chez X ou Y ou pour
S. » ne fait pas référence à un fait suffisamment précis pour faire l’objet d’un débat
contradictoire sur la preuve de sa vérité ; que s’il est insinué qu’il pourrait lui être
reproché « un mélange des genres », le manque de précision sur cette critique générale
empêche tout débat probatoire; que s’il est certain que l’auteur des propos présente ce
cumul d’emploi comme critiquable, il ne fait qu’exprimer une opinion personnelle, qui
n’est pas constitutive de diffamation; que de surcroît s’il cite le terme d’abus de bien
social c’est pour l’exclure expressément de son propos en spécifiant « à la limite de »,
qu’aucun élément ne permet en effet d’affirmer que l’utilisation de cette locution soit
une prétérition utilisée sous forme d’ironie négative tel que le prétend la partie civile ;

Considérant que la confusion insinuée par la formule placée entre parenthèses  » on ne
sait plus trop » fait directement référence aux différents emplois de M. R.
sans être constitutive pour autant d’une infraction pénale ou d’un comportement
contraire aux règles morales communément admises ;

Qu’il convient donc de confirmer l’analyse des premiers juges qui n’ont pas retenu le
caractère diffamatoire des propos poursuivis, s’agissant de 1′ expression d’une opinion
subjective qui peut être librement discutée ;
Qu’il y a lieu de confirmer le jugement sur ce point et de débouter la partie civile de ses demandes de dommages-intérêts ;

Considérant que la partie civile qui a mis en mouvement l’action publique ne peut être
condamnée à des dommages et intérêts que s’il est constaté qu’elle a agi de mauvaise
foi ou témérairement, cette faute ne pouvant se déduire du seul exercice par celle-ci du
droit de délivrer une citation directe ;
Considérant qu’un tel abus de constitution de partie civile n’est pas caractérisé en
l’espèce ; que la demande d’M. D. de dommages et intérêts au titre de
l’article 472 du code de procédure pénale sera donc rejetée ;

Considérant que l’équité ne commande pas que la partie ci vile soit condamnée à verser
à M. D. une somme à titre d’indemnité compensatrice des frais qu’il a dû
exposer pour les besoins de sa défense en application des articles 800-2 du code de
procédure pénale ;
Qu’en conséquence la cour déboutera l’intimé de sa demande de ce chef ;

DECISION

LA COUR,

Statuant publiquement, par arrêt contradictoire et après en avoir délibéré ;

Statuant dans les limites de l’appel ;

Reçoit l’appel interjeté par la partie civile, M. R. ;

Confirme le jugement déféré en ses dispositions civiles ;

Déboute les parties de toutes autres demandes.

La Cour : Sophie Portier (président), Pierre Dillange, Sophie-Hélène Château (conseillers), Maria Ibnou Touzi Tazi (greffier)

Avocat général : Nathalie Savi

Avocats : Me Nicolas Cellupica, Me Marie Burguburu

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