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Jurisprudence : Responsabilité

jeudi 26 mars 2015
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Tribunal de grande instance de Paris, 5ème chambre – 2ème section, jugement du 19 mars 2015

La Ligue de Football Professionnel / Puerto 80 Projects, S.L.U

absence d'autorisation - éditeur - hébergeur - internautes - liens hypertextes - publication judiciaire - rôle actif - streaming - suppression de liens

DEBATS

A l’audience du 29 Janvier 2015,
tenue en audience publique après clôture des débats, avis a été donné
aux avocats que le jugement serait rendu par mise à disposition au
greffe le 19 Mars 2015.

JUGEMENT

Prononcé par mise à disposition
Contradictoire
en premier ressort

LE LITIGE

La Ligue de Football Professionnel (LFP) a concédé à titre exclusif les
droits d’exploitation audiovisuelle en direct des championnats de ligue
1 et 2 de 2012 à 2020 aux chaînes de télévision accessibles aux
titulaires d’abonnements payants Canal+ et beIN et en différé sur les
sites internet autorisés Youtube, Dailymotion, l’Equipe ainsi que les
téléphones mobiles Orange.

La société Puerto 80 exploite un site internet accessible à l’adresse
www.rojadirecta.me qui permet d’accéder à la diffusion gratuite de
compétitions sportives exclusivement.
Elle propose en effet un agenda sportif avec des séries de liens
hypertextes permettant de visionner en direct ou léger différé des
matches, dont ceux organisés par LFP.

L’association LFP s’en est plaint par courriers des 22 juillet et 13
octobre 2014, mettant en demeure la société Puerto 80 de
supprimer les liens critiqués et prendre toutes mesures pour prévenir
leur mise en ligne. Elle joignait une capture d’écran avec les liens
litigieux.

Elle a fait établir un constat d’huissier le 2 novembre 2014.
L’huissier a constaté la présence d’une annonce sur le match de la ligue
1 Marseille/Lens et de liens permettant de le visionner en direct à 21
heures.
Se transportant dans un autre lieu (locaux de la société TMG), il a
constaté que l’on pouvait visionner le match ; qu’un courriel de
notification adressé à 21H14 à “adminin@rojadirecta.es” reproduisant
trois adresses URL disponibles sur son site était sans effet, le match
étant toujours diffusé à 22 heures.

Par exploit du 14 novembre 2014, l’association LFP a fait assigner à
jour fixe la société Puerto 80 devant ce tribunal.

Aux termes de ses dernières conclusions signifiées le 26 janvier
2015
, elle sollicite, au visa des articles 5 du règlement CE 44/2001 du
22 décembre 2000, 4.1 du règlement CE 864/2007 du 11 juillet 2007,
L333-2 al. 1 et R.333-2 al 1 du Code du sport, de l’article 6-1-2 de la
loi du 21 juin 2004 pour la confiance pour l’économie numérique, 1382
du Code Civil :
– que soient reconnues la compétence du tribunal et l’application de la
loi française, la responsabilité de Puerto 80 pour avoir organisé la
diffusion en direct et léger différé des matches en fraude de ses droits;
sur le fond, de voir :

– “ORDONNER à Puerto 80 de procéder à la suppression du
site accessible à l’adresse www.rojadirecta.me et/ou
www.rojadirecta.es de tout contenu, en ce inclus les liens hypertextes,
permettant de visionner depuis le territoire français les matches de
Ligue 1, de Ligue 2, de Coupe de la Ligue, du Trophée des
Champions ou de toute compétition organisée par la LFP, sous
astreinte de 20.000 euros par jour et par lien constaté qui commencera
à courir à compter de la signification de la décision à intervenir ;

– ORDONNER à Puerto 80 de procéder à la suppression sur le Site
de toute rubrique intitulée d’après l’un quelconque des matches de
Ligue 1, de Ligue 2, de Coupe de la Ligue, du Trophée des Champions
ou de toute compétition organisée par la LFP, consacrée exclusivement
à des contenus portant atteinte aux droits de cette dernière, sous
astreinte de 20.000 euros par jour de retard qui commencera à compter
de la signification de la décision à intervenir ;

– ORDONNER à Puerto 80 de rendre impossible pour l’avenir
la mise en ligne sur le site accessible à l’adresse
www.rojadirecta.me et/ou www.rojadirecta.es de tout contenu, en ce
inclus les liens hypertextes, permettant de visionner depuis le territoire
français les matches de Ligue 1, de Ligue 2, de Coupe de la Ligue, du
Trophée des Champions ou de toute compétition organisée par la LFP,
sous astreinte de 20.000 euros par jour et par lien constaté qui
commencera à courir à compter de la signification de la décision à
intervenir ;

– ORDONNER à Puerto 80 de rendre impossible pour l’avenir
la mise en ligne de rubriques destinées à accueillir et à
répertorier des liens hypertextes relatifs à des vidéos des matches
deLigue 1, de Ligue 2, de Coupe de la Ligue, du Trophée des
Champions ou de toute compétition organisée par la LFP, sous
astreinte de 20.000 euros par jour et par lien constaté qui commencera
à courir à compter de la signification de la décision à intervenir ;

A titre subsidiaire,
– DIRE ET JUGER que Puerto 80 engage sa responsabilité
envers la LFP en sa qualité d’hébergeur des liens hypertextes
publiés sur le site accessible à l’adresse www.rojadirecta.me et/ou
www.rojadirecta.es pour ne pas avoir promptement retiré ni empêché
la publication des liens, dûment signalés comme illicites, permettant de
visionner en direct et en léger différé les matches organisés par la LFP
en fraude de ses droits ;

En conséquence,
– ORDONNER à Puerto 80 de mettre en oeuvre un mécanisme
permettant à la LFP de lui signaler en direct le caractère illicite des
contenus diffusés et appelant une réponse dans un délai qui ne pourrait
excéder 15 minutes compte tenu de la nature des contenus diffusés
(matches en direct), sous astreinte de 20.000 euros par tranche de 5
minutes par lien hypertexte illicite publié sur le Site ;

En tout état de cause,
– CONDAMNER Puerto 80 à publier, outre le dispositif de la
décision à intervenir, dans un encart visible en haut de chacune
des pages du Site, en caractères lisibles de taille 12, un texte
informant les internautes de l’illicéité de la publication de liens
permettant de visionner en direct et en léger différé les matches
organisés par la LFP, dans un délai de 24 heures à compter de
la signification du jugement à intervenir, pour une durée de trois mois
sans interruption, sous astreinte de 20.000 euros par jour de retard
et/ou par jour de manquement constaté ;

– CONDAMNER Puerto 80 à payer à la LFP une somme de
8.280.000 euros en indemnisation de son préjudice moral et financier ;

– CONDAMNER Puerto 80 à payer à la LFP une somme de
30.000 euros en application de l’article 700 du Code de Procédure
Civile.”

La LFP fait valoir que :

sur la responsabilité de Puerto 80 en qualité d’éditeur du site
– le seul fait qu’elle édite un site entièrement dédié à la diffusion
d’événements sportifs sans l’autorisation des titulaires des droits suffit
à engager sa responsabilité pour avoir donné aux internautes les moyens
de visionner des contenus protégés en fraude des droits des ayants-droit;
– en effet, elle met à jour en temps réel un agenda sportif par rubriques,
types d’évènements et matchs s’assimilant à un outil interne avec
sélection des contenus diffusés, excluant tous liens non sportifs ou en
rapport avec des matchs passés, met à disposition un moteur de
recherche par mots clés type “ligue”, un tutoriel expliquant la marche à
suivre pour visionner ;

– elle a un rôle actif, utilisant la technique de la “transclusion” qui donne
l’impression aux internautes que la vidéo est diffusée depuis son propre
site ; les liens hypertextes renvoient en effet vers des pages sur
lesquelles s’affiche le logo du site avec des encarts publicitaires ;

– le fait de fournir des liens hypertextes renvoyant vers des contenus
protégés et de contourner la restriction d’accès aux seuls abonnés
constitue un acte de représentation et une atteinte aux droits de LFP
(arrêt Svensson de la CJUE).

Sur la responsabilité de Puerto 80 en qualité d’hébergeur des
liens hypertextes :

– sa responsabilité est engagée pour avoir hébergé les liens répertoriés
dans l’agenda sportif accessible à l’adresse URL
http://www.rojadirecta.me (et non les vidéos auxquelles ces liens
renvoient) ;

– ces liens étaient précisés dans les notifications adressées à Puerto
80, qui est seule à connaître l’identité de l’éditeur, s’agissant, sinon
d’elle-même, de ses abonnés ; le mot clé “ligue” permet d’afficher tous
les liens répertoriés pour ces événements ;

– les notifications adressées contiennent les mentions requises par
l’article 6-I-5 de la LCEN ;

– le constat d’huissier du 2 novembre 2014 établit que les liens sont
restés accessibles jusqu’à la fin du match ; leur désactivation ultérieure –
et non immédiate- ne présente plus d’intérêt.

Sur son préjudice
Elle encaissera 610 millions d’euros des diffuseurs pour 380 matches de
ligue 1 de la saison 2014/2015, son taux de marge étant de 85% soit un
préjudice de 8.180.000 € pour 6 matchs diffusés en direct par Puerto
80 en 2014.

Il s’y ajoute 100.000 € au titre de son préjudice moral, de la nécessité
de justifier auprès des diffuseurs les mesures prises pour protéger les
droits concédés.

Par écritures signifiées le 29 janvier 2015 la société Puerto 80
conclut :

– à l’irrecevabilité de l’action de la LFP, les droits relatifs à la
captation, production et diffusion des matches appartenant aux chaînes
de télévision les ayant acquis ;

– au rejet des demandes mettant en cause sa responsabilité
– en l’absence d’atteinte aux droits de LFP, l’existence d’un lien ne
constituant pas un acte d’exploitation et le site n’étant pas destiné au
public français ;

– en l’absence de faute de la concluante au titre de l’article 1382 du
Code Civil dès lors qu’en sa qualité d’hébergeur des liens postés par ses
utilisateurs, elle a agi promptement et n’a pas engagé sa responsabilité;
qu’elle ne capte, ne retransmet ne diffuse pas les compétitions ;

– en l’absence de préjudice direct, actuel et personnel de la LFP

– au rejet des demandes financières et mesures sollicitées
– eu égard au caractère infondé et disproportionné des demandes
financières et de publication ;

– au caractère inacceptable en son principe, interdit par les textes, non-nécessaire
et disproportionné de la mesure sollicitée consistant à rendre
impossible pour l’avenir la mise en ligne de tout contenu permettant de
visionner les matches ;

– à la prise d’acte que la concluante continuera de retirer les liens
signalés par la LFP sous réserve d’identification par leur adresse URL
suffisamment à l’avance ;

– à la condamnation de la LFP au paiement de 30.000 € au titre de
l’article 700 du Code de Procédure civile.

Elle expose que :

En fait
– elle regroupe une communauté de plus de 865.000 utilisateurs
participant à la diffusion de l’information sportive et qui partagent des
liens vers des sites tiers permettant de visionner des matches en direct
et en “streaming” sur internet de manière gratuite et légale (par exemple
TF1 pour la coupe du monde de football) ;

– ainsi son rôle se borne à celui d’un hébergeur des “entrées événement”
et des liens vers les sites tiers ; les utilisateurs saisissent eux-mêmes les
informations et liens qu’ils souhaitent publier et la concluante
n’intervient ni sur les entrées ni sur les liens inclus ;

– le courrier de LFP du 22 juillet 2014 ne précisait pas les adresses URL
des liens critiqués à retirer ; celui du 13 octobre 2014 a permis
d’identifier huit liens prétendus illicites qui ont été désactivés ; le
courriel du 2 novembre signalait trois liens qui ont été désactivés.

Discussion
– seuls les acquéreurs des droits cédés par LFP pourraient exciper de
droits d’auteur ou droits voisins sur les images captées ;

– l’existence d’un lien n’est pas un acte d’exploitation susceptible de
porter atteinte à des droits privatifs ; ce sont les sites tiers diffusant les
matchs qui réalisent des actes de reproduction en infraction aux droits
acquis par les ayants droit ;

– le site n’est pas destiné à un public français ;

– la concluante n’a aucun rôle actif de type éditorial dans le cadre de
l’exploitation du site “rojadirecta”et sur la publication des liens
critiqués: la liste de logiciels et la page tutoriel donnent des
renseignements d’ordre général et technique destinés à permettre aux
internautes de disposer des outils nécessaires au visionnage des vidéos;
la concluante n’exerce pas de contrôle sur les publications des
internautes et l’origine des liens publiés ;

– elle a respecté ses obligations d’hébergeur en désactivant les liens
identifiés après notifications des 13 octobre et 2 novembre 2014 ; elle
a donné des informations à LFP sur l’identification des exploitants et
adressé une lettre de rappel aux utilisateurs ;

– l’huissier mandaté par la LFP le 2 novembre 2014 n’a pas vérifié si les
différents liens listés sur “ rojadirecta” étaient actifs et n’a pas procédé
aux opérations de purge de l’ordinateur lors de son constat dans les
locaux de la société TMG ;

– l’hébergeur n’a pas d’obligation générale de surveiller les informations
stockées (article 15 de la directive commerce électronique) ;

– il n’est pas établi que les diffusions critiquées ont eu un quelconque
impact sur le nombre d’abonnés aux chaînes partenaires de LFP et sur
les revenus générés par la cession des droits.

En application des articles 455, 753 du Code de procédure civile , il est
référé aux dernières conclusions des parties pour plus ample
développement.

MOTIVATION

– Sur la recevabilité et le droit à agir de LFP

Aux termes des articles L333-2 et R333-2 a1 1 du code du sport “la ligue
professionnelle commercialise à titre exclusif les droits d’exploitation
audiovisuelle et de retransmission en direct ou en léger différé, en intégralité ou par extraits […] de tous les matchs et compétitions qu’elle organise.”

Le 2 novembre 2014 l’huissier s’est connecté en son étude sur le site
accessible à l’adresse “rojadirecta” et déroulant sur la première page
proposée le menu des programmes “today on internet TV” a constaté à
21 heures une annonce “ligue 1 : olympique de Marseille-RC de Lens”
et différents liens permettant de le visionner en direct.

L’officier ministériel s’est rendu chez un utilisateur tiers qui, après avoir
mis en oeuvre en sa présence le visionnage du match en direct sur trois
liens proposés par “rojadirecta”, a notifié électroniquement à 21H14 à
l’exploitant du site au moyen du contact indiqué
(“admin@rojadirecta.es”) les liens critiqués en précisant les adresses
URL ; il a constaté que le match pouvait toujours être visionné à 22
heures.

Le site “ rojadirecta” exploité par la société Puerto 80 permettant de
voir des matches de clubs français en France et en français, la loi
française est applicable par le tribunal français où le dommage s’est
produit [article 5 du règlement CE 44/2001 du 22 décembre 2000
(Bruxelles I) et 4.1 du règlement CE 864/2007 du 11 juillet 2007 (Rome
II)].

La LFP détient un droit à agir sur le fondement de l’article 1382 du
Code civil puisqu’ayant un intérêt pécuniaire important à préserver,
sans concurrence déloyale de diffusions gratuites, à savoir l’exclusivité
de la vente de ses droits à prix élevé à ses partenaires commerciaux.
Par ailleurs l’exécution tardive du retrait des liens critiqués est sans
intérêt une fois les matchs terminés et déjà visionnés en direct par les
internautes utilisateurs du site.

– Sur la qualité d’éditeur de Puerto 80

L’ article 6-I-2 de la loi pour la confiance dans l’économie numérique
(LCEN) du 21 juin 2004 donne la définition de l’hébergeur, dont il se
déduit a contrario celle de l’éditeur.

Les hébergeurs “assurent, même à titre gratuit, pour mise à disposition
du public par des services de communication au public en ligne, le
stockage de signaux, d’écrits, d’images, de sons ou de messages de
toute nature fournis par les destinataires de ces services.”

L’activité d’éditeur, par référence à la définition d’éditeur de service de
média audiovisuel donné dans les lois 86-1067 du 30 septembre 1986
et 2009-258 du 5 mars 2009 se définit par une “maîtrise éditoriale” sur
les contenus, la mise à disposition d’un contenu original.

Pour voir conférer à Puerto 80 la qualité d’éditeur, il faut établir
qu’elle joue un rôle actif lui donnant la connaissance et le contrôle des
liens qu’elle propose au public pour visionner les matches dont
l’association LFP a l’exclusivité et qui sont de nature à constituer une
atteinte fautive à ses droits sur le fondement de l’article 1382 du Code
Civil.

La société Puerto 80 se retranche derrière sa qualité de simple
hébergeur, n’ayant pas le contrôle des contenus diffusés, soumis au
régime de responsabilité limitée de l’article 6 de la loi 2004-575 du 21
juin 2004 sur la confiance dans l’économie numérique (LCEN).

Le 23 janvier 2015 l’huissier mandaté par l’association LFP a constaté
l’impossibilité de d’accéder à une page internet dont l’adresse URL
serait “http//channel.rojadirecta.me” supposée permettre à un internaute
de poster un lien permettant de faire partager une vidéo.

Quelques jours auparavant, le 13 janvier 2015, un huissier mandaté par
la société Puerto 80 a au contraire réussi à accéder à ce lien ; avec le
formulaire proposé, il a créé une entrée événement pour un match de
tennis qui est apparu sur la page d’accueil du site rojadirecta.

Il s’en déduit que la possibilité pour des internautes de poster des liens
est aléatoire, pas toujours opérationnelle, sans être impossible ou
inexistante.

Il est constant que les contenus sans rapport avec la diffusion de matches
sportifs ne peuvent être diffusés et que “ rojadirecta” propose une sorte
d’agenda sportif horaire actualisé permettant d’être informé en temps
réel sur les matches proposés au visionnage selon la nature désirée
(football, tennis…) ; que le mot clé “ligue” renvoie aux matches
organisés par l’association LFP.

La société Puerto 80 répertorie, stocke, organise et propose, avec une
présentation pertinente, à la fois chronologique et par types de sport,
alliée à un moteur de recherche, des liens supposés envoyés par des tiers
et permettant de voir en direct des matches sportifs d’actualité. Elle
exerce ainsi un contrôle et une maîtrise éditoriale sur les contenus, dans
le but déterminé de permettre de voir en direct ces matches normalement
réservés à des publics restreints d’abonnés sur les chaînes et sites
auxquels les droits de diffusion ont été vendus.

Elle ne peut donc être assimilée à des sites comme “youTube” qui se
sont vus reconnaître le statut d’hébergeur, dont l’objet est la mise en
ligne et le partage de vidéos sans distinction de contenus et non
d’accéder en direct à des événement ciblés qui relèvent de droits
vendus en exclusivité à des tiers.

Tous les liens ne sont pas nécessairement illicites et de nature à porter
atteinte aux droits d’exclusivité de la LFP mais un nombre conséquent
le sont, à savoir notamment ceux donnant accès à des championnats et
matches de ligue 1 et 2 réservés à un public restreint d’abonnés de
chaînes clientes de la plaignante, ce que n’ignore pas la société
Puerto 80.

Un même site peut relever de deux qualifications distinctes ; s’agissant
du “forum”, le site “rojadirecta” répond à la définition d’hébergeur en
ce qu’il se borne à répertorier des liens renvoyant à des vidéos de courte
durée adressées par des internautes (résumés de matchs), ainsi qu’il
ressort du constat d’huissier du 13 janvier 2015 produit par Puerto
80.

Enfin, s’agissant de la diffusion des matches en direct, la notification
prévue par l’article 6-I-5 de la LCEN s’avère inefficace à faire cesser le trouble en temps utile, ainsi qu’il résulte de la demande non suivie
d’effet faite par l’huissier le 2 novembre 2014 au début de la
compétition, alors que Puerto 80 indique dans ses écritures avoir
procédé aux retraits sollicités.

En conclusion, si techniquement “rojadirecta” se présente sous
l’apparence d’un hébergeur, au delà de cet aspect technique, dont relève
accessoirement son “forum”, elle organise en fait sciemment,
intentionnellement et à titre principal une sélection, un choix éditorial
sur un thème précis, à savoir des compétitions sportives d’actualité dans
des domaines ciblés mis à jour en permanence, avec un agenda horaire
et un moteur de recherche adéquat, permettant à tout public d’accéder
facilement et gratuitement à des contenus protégés réservés à un public
restreint d’abonnés, à savoir des compétitions de la ligue en cours, en
direct et en intégralité.

De ce fait, elle n’est pas fondée à cet égard à prétendre bénéficier du
régime de responsabilité allégée accordé aux hébergeurs par la LCEN.

– Sur les mesures d’injonction et publication sollicitées

L’article 6 de la LCEN du 21 juin 2004 subordonnant le retrait de
données illicites à une notification circonstanciée du plaignant et dont
il s’évince qu’il ne peut être ordonné une mesure préventive générale
impliquant un contrôle des éléments stockés ne concerne que le cas de
l’hébergeur.

En conséquence il sera fait droit à la demande tendant à voir supprimer
et interdire sous astreinte la mise en ligne sur son site de liens
hypertextes permettant de visionner les matches de compétitions
organisées par la LFP en direct ou léger différé (à l’exclusion de liens
permettant d’accéder à des matches passés précédemment diffusés) et
de toute rubrique répertoriant ces liens.

L’astreinte sera fixée à 5.000 € par jour de retard au regard de
l’importance du public concerné.

La société Puerto 80 déclarant son site approvisionné au moyen de
liens fournis par des internautes, il est nécessaire que ceux-ci soient
informés, par un encart lisible lors de la connexion et pendant un temps
limité qui sera fixé à quinze jours, de l’interdiction de la publication de
compétitions organisées par LFP en direct ou léger différé.
Cette information sera également assortie d’une astreinte.

L’exécution provisoire sera ordonnée concernant ces mesures, afin de
faire cesser le trouble.

– Sur le préjudice subi

L’association LFP n’établit aucunement avoir subi à ce jour une perte
sur le montant de la cession des droits de diffusion en direct à ses
partenaires commerciaux, suite à la mise en ligne par la société
Puerto 80 le 2 novembre 2014, de liens permettant de voir
gratuitement certains matches de la ligue.

Elle n’établit pas de plainte qui lui ait été adressée par ces partenaires en
raison d’une diminution des abonnés payants consécutive aux mises en
ligne critiquées.

Pour autant force est de constater que, bien que se reconnaissant la
qualité d’hébergeur, la société Puerto 80 n’a pas de bonne foi donné
suite aux notifications adressées par la LFP, notamment le 2 novembre
2014.

En effet le retrait tardif des liens critiqués est inopérant une fois les
matches terminés puisque l’objet et l’intérêt principaux du site sont de
permettre de les regarder en direct (ou léger différé) et non après.

Le préjudice établi par la LFP consiste en une perte de crédibilité, la
nécessité de pouvoir justifier à ses partenaires les mesures mises en
place pour garantir les droits concédés, le risque de mise en difficulté
pour négocier à l’avenir la cession de ses droits en exclusivité – relevant
du préjudice qualifié de “moral” par la plaignante- et qui sera fixé à la
somme sollicitée de 100.000 €.

Par application de l’article 700 du Code de procédure civile, il apparaît
équitable de fixer à 10.000 € la participation du défendeur aux frais
engagés par le demandeur.

DECISION

Le Tribunal, statuant en audience publique, par mise à disposition
au greffe, par jugement contradictoire et en premier ressort ;

ORDONNE à la société Puerto 80 :

– de procéder à la suppression, sur le site accessible à l’adresse
www.rojadirecta.me et/ou www.rojadirecta.es, de tout contenu, en ce
inclus les liens hypertextes, permettant de visionner en direct ou léger
différé depuis le territoire français les matches de Ligue 1, de Ligue 2,
de Coupe de la Ligue, du Trophée des Champions ou de toute
compétition organisée par la Ligue de Football Professionnel (LFP),
ainsi que de toute rubrique consacrée exclusivement à ces contenus,
sous astreinte de 5.000 euros par jour et par lien constaté qui
commencera à courir le 8 ème jour suivant la signification du jugement ;

– de rendre impossible pour l’avenir la mise en ligne des contenus
précités incluant les liens hypertextes en rapport, sous la même astreinte,
courant à compter du 8ème jour suivant la signification du jugement ;

Ordonne la mise en ligne par la société Puerto 80 sur le site internet
accessible à l’adresse URL précitée, d’un communiqué informant les
internautes de l’illicéité de la publication de liens permettant de
visionner en direct et en léger différé les matchs organisés par la
Ligue de Football Professionnel ;

Dit que ce communiqué, placé sous le titre “DECISION JUDICIAIRE”,
devra être rédigé en caractères de taille 12, être accessible dans les huit
jours qui suivront la signification du jugement et pendant une durée de
15 jours, soit directement sur le premier écran de la page d’accueil du site, soit par l’intermédiaire, depuis ce premier écran, d’un lien
hypertexte identique au titre et en mêmes caractères et ce, sous astreinte
de 5.000 euros par jour de retard pendant quinze jours ;

Ordonne l’exécution provisoire concernant les mesures de suppression
des contenus et de publicité ci-dessus énoncées ;

Condamne la société Puerto 80 à payer à la Ligue de Football
Professionnel (LFP) la somme de 100.000 € de dommages et intérêts
et la somme de 10.000 € au titre de l’article 700 du Code de procédure
civile ;

Condamne la société Puerto 80 aux dépens, qui pourront à la
demande des avocats être recouvrés conformément à l’article 699 du
Code de procédure civile.

Le Tribunal : Edmée Bongrand (vice-président), Clotilde Bellino (juge), Stéphanie Vacher (juge), Laure Poupet (greffière)

Avocats : Me Fabrice Hercot, Me Romain Soiron, Me Alexandra Neri

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* Nous portons l'attention de nos lecteurs sur les possibilités d'homonymies particuliérement lorsque les décisions ne comportent pas le prénom des personnes.