Jurisprudence : Vie privée
Tribunal de grande instance de Paris, 17e chambre correctionnelle, jugement du 24 mars 2015
V. P. et F. Z. / A. S. et K. G
atteinte à l’honneur et à la considération - délit - élément intentionnel - élément matériel - réseaux sociaux - téléphone portable - Usurpation d’identité numérique
A.S.
Prévenue du chef de :
USURPATION DE L’IDENTITE D’UN TIERS OU USAGE DE DONNEES
PERMETTANT DE L’IDENTIFIER EN VUE DE TROUBLER SA TRANQUILLITE
OU CELLE D’AUTRUI OU DE PORTER ATTEINTE A SON HONNEUR OU A SA
CONSIDERATION faits commis le 14 mars 2012 à Paris et à Courbevoie
K. G
Prévenu du chef de :
USURPATION DE L’IDENTITE D’UN TIERS OU USAGE DE DONNEES
PERMETTANT DE L’IDENTIFIER EN VUE DE TROUBLER SA TRANQUILLITE
OU CELLE D’AUTRUI OU DE PORTER ATTEINTE A SON HONNEUR OU A SA
CONSIDERATION faits commis le 14 mars 2012 à Paris et à Courbevoie
PROCEDURE
Par ordonnance rendue le 4 février 2014 par l’un des juges d’instruction de ce siège, à
la suite de la plainte avec constitution de partie civile déposée le 20 septembre 2012
par V. P. et F. Z., K. G. et A. S.
ont été renvoyés devant le tribunal correctionnel pour y répondre :
– d’avoir à Paris, Courbevoie, le 14 mars 2012, en tout cas sur le territoire
national depuis temps n’emportant pas prescription, en vue de troubler sa tranquillité
ou celle d’autrui, ou de porter atteinte à son à honneur ou à sa considération, usurpé
l’identité de F. Z. ou fait usage d’une ou de plusieurs données
de toute nature permettant de l’identifier, en l’espèce en créant un faux profil
facebook à ce nom contenant des photos personnelles de M. Z. et
de Mme P. V., ainsi que des propos injurieux,
faits prévus et réprimés par les articles 226-4-1, 226-5 et 226-31 du code
pénal ;
Appelée pour fixation à l’audience du 20 mars 2014, l’affaire a été renvoyée aux
audiences des 13 mai 2014, pour relais, et 3 février 2015, pour plaider.
DEBATS
A cette dernière date, les débats se sont ouverts en présence de F. Z.,
partie civile, assisté de son conseil, lequel représentait également V. P.,
partie civile. A. S., prévenue, était représentée par son avocat, tandis que
K. G., n’a pas comparu et n’était pas représenté.
En l’absence de comparution de K. G., celui-ci ayant eu connaissance
de la date d’audience, il y a lieu de statuer par jugement contradictoire à signifier à son
égard, par application des dispositions de l’article 410 du Code de procédure pénale.
Les débats se sont tenus en audience publique.
Après rappel de la prévention, le président a rappelé les faits et la procédure, puis il a
procédé à l’audition de F. Z., partie civile.
Le tribunal a alors entendu dans l’ordre prescrit par la loi :
– l’avocat des parties civiles, en ses demandes et plaidoiries ;
– le représentant du ministère public en réquisitions de condamnation ;
– l’avocat d’A. S. en ses moyens de défense et plaidoiries.
A l’issue des débats, l’affaire a été mise en délibéré et le président, dans le respect de
l’article 462, alinéa 2, du code de procédure pénale, a informé les parties que le
jugement serait prononcé le 24 mars 2015.
…
A cette date, la décision suivante a été rendue :
DISCUSSION
Sur les faits :
Le 20 septembre 2012, F. Z. et V. P. déposaient plainte
avec constitution de partie civile pour usurpation d’identité.
La plainte précisait que F. Z. et V. P. vivaient en couple
depuis 2010, que F. Z. avait rencontré une autre femme, A.
S., sur son lieu de travail, qu’il avait entretenu une relation avec celle-ci qui avait
cessé en février 2012.
Par suite, F. Z. avait constaté, le 28 février 2012, la disparition de
son téléphone portable de son lieu de travail.
Le 14 mars 2012, F. Z. avait en outre découvert, sur le réseau social
Facebook, la présence d’un profil public usurpant son identité, créé sous ses nom et
prénom et comportant plusieurs photographies personnelles qui se trouvaient sur le
téléphone portable dérobé, représentant F. Z. et V. P. en
petites tenues, surtout cette dernière alors enceinte.
Il indiquait que le faux profil Facebook comportait aussi le terme « Ma meuf la
cochonne », soulignant qu’il avait une formation de « CAP de lécheur », avec comme
spécialisation un « BEP suceur de bites », ainsi qu’un « CAP lécheur de chattes », et
qu’il était employé par l’entreprise « lécheur de chatte » en tant que
« débroussailleur ».
Il ajoutait qu’une photographie représentant le ventre de V. P., enceinte,
comportait le commentaire « Et voilà le fruit du travail acharné ! Futur lécheur de
chatte comme son père ».
Après ouverture d’une information judiciaire, les investigations menées sur
commission rogatoire montraient que le compte litigieux avait été ouvert à partir d’une
adresse de courriel : x@x.com.
Le titulaire de cette adresse était identifié comme étant K. G., ami d’A. S..
Tous deux reconnaissaient finalement devant les services de police être à l’origine de
la création du faux compte, réalisée dans un cybercafé à La Défense.
A. S. soulignait qu’elle avait voulu nuire à F. Z. suite à la rupture de leur relation, et qu’elle avait même utilisé le numéro téléphone d’un tiers pour réactiver le compte.
K. G. précisait qu’il avait agi en connaissance de cause, déclarant qu’il savait que « le but d’A. était de nuire à F. et de montrer qu’il était déjà en couple ».
A. S. confirmait devant le magistrat instructeur avoir été l’instigatrice de
l’usurpation en cause.
Elle confirmait aussi qu’elle avait bien récupéré le téléphone portable de F.
Z. et qu’elle avait utilisé les photographies présentes sur celui-ci.
K. G. déclarait lui aussi devant le magistrat instructeur avoir participé à la
création du faux compte, mettant à profit ses connaissances informatiques.
A l’audience, le conseil de F. Z. et de V. P. sollicite la
condamnation des prévenus à verser à chacune des deux parties civiles la somme de
25.000 euros en réparation de leur préjudice moral, outre le remboursement du
téléphone portable volé à F. Z., soit la somme de 509 euros.
Il demande également la condamnation solidaire des deux prévenus à verser aux
parties civiles la somme de 10.000 euros en application des dispositions de l’article
475-1 du code de procédure pénale, outre l’exécution provisoire.
Le conseil d’A. S. sollicite l’indulgence du tribunal, la non-inscription de la
condamnation au bulletin n°2 du casier judiciaire, la modération des sommes
demandées au titre des dommages et intérêts.
Sur l’infraction reprochée :
En application des dispositions de l’article 226-4-1 du code pénal, le fait d’usurper
l’identité d’un tiers ou de faire usage d’une ou plusieurs données de toute nature
permettant de l’identifier en vue de troubler sa tranquillité ou celle d’autrui, ou de
porter atteinte à son honneur ou à sa considération, est puni d’un an d’emprisonnement
et de 15.000 euros d’amende.
Cette infraction est punie des mêmes peines lorsqu’elle est commise sur un réseau de
communication au public en ligne.
En l’espèce, il y a lieu de rappeler que, pour se venger de F. Z., A.
S. et K. G. ont créé le faux profil Facebook.
La matérialité des faits n’est pas contestée par les deux prévenus, qui ont non
seulement usurpé l’identité de F. Z. mais ont aussi mis en ligne des
photographies de celui-ci et de V. P., le tout accompagné de termes
vulgaires, en vue de troubler leur tranquillité et de leur nuire.
Ainsi, le délit poursuivi est parfaitement constitué.
Il y a donc lieu de déclarer A. S. et K. G. coupable des faits qui leur sont reprochés.
Sur la peine :
Le bulletin n° l du casier judiciaire d’A. S. porte la mention «néant», tout
comme celui de K. G.
Il y a lieu de tenir compte de l’absence d’antécédents judiciaires des intéressés, mais
aussi de la particulière gravité de l’infraction pour les victimes de l’infraction en cause.
Il faut aussi souligner qu’A. S. est à l’origine, par volonté de se venger, de la
fabrication du faux compte.
Aussi, au regard de l’ensemble de ces éléments, il y a lieu de condamner A. S.
à la peine de 4.000 euros d’amende assortis en totalité du sursis, et de condamner
K. G. à la peine de 3.000 euros d’amende également avec sursis.
Par ailleurs, il sera fait droit à la demande formulée par A. S. tendant à la
non-inscription de la condamnation au bulletin n°2 de son casier judiciaire.
Sur l’action civile :
ll y a lieu de recevoir F. Z. et V. P. en leur constitution
de partie civile.
Le préjudice moral sera justement réparé, au vu des éléments de la cause, et
notamment des photographies du profil qui représentent V. P. enceinte,
par l’octroi des sommes de 3.000 euros pour V. P. et de 2.000 euros pour
F. Z., à verser solidairement par les deux personnes condamnées.
Il y a en outre lieu de faire droit à la demande tendant au versement provisoire des
dommages et intérêts ainsi alloués.
Par contre, la demande relative à la somme de 509 euros, réclamée au titre du vol du
téléphone portable, ne pourra être accueillie, faute de poursuite sur le délit de vol
simple dans la présente procédure.
Enfin, en application des dispositions de l’article 475-1, A. S. et K. G. seront, chacun, condamnés à verser aux parties civiles la somme de 1.250 euros.
DECISION
Le tribunal, statuant publiquement, en premier ressort et par jugement contradictoire
à l’égard d’A. S., prévenue (article 411 du code de procédure pénale), et de
F. Z., partie civile, de V. P., partie civile (article 424 du
code de procédure pénale) et par jugement contradictoire à signifier à l’égard de
K. G., prévenu (article 410 du code de procédure pénale) :
Déclare K. G. coupable du délit d’USURPATION DE L’IDENTITE
D’UN TIERS OU USAGE DE DONNEES PERMETTANT DE L’IDENTIFIER EN
VUE DE TROUBLER SA TRANQUILLITE OU CELLE D’AUTRUI OU DE
PORTER ATTEINTE A SON HONNEUR OU A SA CONSIDERATION, commis le
14 mars 2012 à Paris et à Courbevoie,
En répression, vu les articles susvisés :
Le condamne à la peine de TROIS MILLE EUROS (3 .000€) d’amende ;
Vu les articles 132-29 à 132-34 du Code pénal :
Dit qu’il sera sursis totalement à l’exécution de cette peine dans les conditions
prévues par ces articles,
L’avertissement prévu à l’article 132-29 du Code pénal n’a pu être donné au
condamné, absent au prononcé,
Déclare A. S. coupable du délit d’USURPATION DE L’IDENTITE D’UN
TIERS OU USAGE DE DONNEES PERMETTANT DE L’IDENTIFIER EN VUE
DE TROUBLER SA TRANQUILLITE OU CELLE D’AUTRUI OU DE PORTER
ATTEINTE A SON HONNEUR OU A SA CONSIDERATION commis le 14 mars
2012 à Paris et à Courbevoie,
En répression, vu les articles susvisés :
La condamne à la peine de QUATRE MILLE EUROS (4.000€) d’amende,
Vu les articles 132-29 à 132-34 du Code pénal :
Dit qu’il sera sursis totalement à l’exécution de cette peine dans les conditions
prévues par ces articles,
L’avertissement prévu à l’article 132-29 du Code pénal n’a pu être donné à la
condamnée, absente au prononcé,
Dit qu’en application des dispositions de l’article 775-1 du Code de procédure
pénale, il ne sera pas fait mention au bulletin n°2 du casier judiciaire
d’A. S. de la condamnation qui vient d’être prononcée,
Reçoit F. Z. et V. P. en leur constitution de partie
civile,
Condamne solidairement A. S. et K. G. à verser à F.
Z., la somme de DEUX MILLE EUROS (2 .000€) à titre de dommages
et intérêts,
Condamne solidairement A. S. et K. G. à verser à V.
P. la somme de TROIS MILLE EUROS (3 .000€) à titre de dommages et
intérêts,
Ordonne le versement provisoire des dommages et intérêts alloués,
Déboute les parties civiles du surplus de leurs demandes,
Condamne A. S. à verser à F. Z. et V. P. la
somme globale de 1.250 euros en application des dispositions de l’article 475-1 du
code de procédure pénale,
Condamne K. G. à verser à F. Z. et V.
P. la somme globale de 1.250 euros en application des dispositions de l’article
475-1 du code de procédure pénale,
En application de l’article 1018 A du code général des impôts, la présente décision est
assujettie à un droit fixe de procédure de 127 euros dont est redevable A. S. et
de 254 euros dont est redevable K. G..
Les condamnés sont informés qu’en cas de paiement de l’amende et du droit fixe de
procédure dans le délai d’un mois à compter de la date où ils ont eu connaissance du
jugement, ils bénéficient d’une diminution de 20% sur la totalité de la somme à payer.
Le paiement de l’amende ne fait pas obstacle à l’exercice des voies de recours.
Dans le cas d’une voie de recours contre les dispositions pénales, il appartient à
l’intéressé de demander la restitution des sommes versées.
Les prévenus sont informés de la possibilité pour les parties civiles, non éligibles à la
CIVI, de saisir le SARVI, s’ils ne procèdent pas au paiement des dommages intérêts
auxquels ils ont été condamnés dans le délai de 2 mois à compter du jour où la décision
est devenue définitive.
Le Tribunal : Fabienne Siredey-Garnier, Thomas Rondeau, Julien Senel (vices-présidents), Aude Duret (substitut), Martine Vail (greffier)
Avocats : Me Anthony Bem, Me Olivier Touchot
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* Nous portons l'attention de nos lecteurs sur les possibilités d'homonymies particuliérement lorsque les décisions ne comportent pas le prénom des personnes.