Les avocats du net

 
 


 

Jurisprudence : Vie privée

mercredi 29 juillet 2015
Facebook Viadeo Linkedin

Tribunal de grande instance de Paris, ordonnance de référé du 27 juillet 2015

Leonardo Di Caprio / Oops

article 9 du code civil - complaisance - droit à l'image - droit au respect de la vie privée - droit d’informer - liberté d'expression - notoriété

DÉBATS

A l’audience du 16 Juin 2015, tenue publiquement, présidée par Fabienne Siredey-Garnier, Vice-Présidente, assistée de Christine-Marie Chollet, Greffier,

Nous, Président,

Vu l’assignation en référé à heure indiquée délivrée par acte du 3
juin 2015 à la société OOPS par Leonardo Di Caprio qui nous
demande, au visa des articles 9 du code civil, 808 et 809 du code
de procédure civile, de :

-constater qu’en publiant le numéro 188 du 13 au 28 mai 2015 la
société OOPS a porté atteinte à son droit à l’image et au respect
de sa vie privée ;

-condamner la société OOPS à lui payer quinze mille euros à titre
provisionnel sur les préjudices subis ;

-la condamner à la publication d’un communiqué judiciaire dans
le magazine suivant immédiatement le prononcé de la présente
ordonnance sous astreinte de 10.000 euros ;

-la condamner au paiement de la somme de 3000 euros sur le
fondement de l’article 700 du code de procédure civile et aux
entiers dépens.

Vu les conclusions déposées le 16 juin 2015 par le conseil de la
défenderesse, qui nous demande de :

-débouter Leonardo Di Caprio de l’ensemble de ses demandes ;

-condamner Leonardo Di Caprio à lui payer la somme de 3000
euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile
et aux entiers dépens.

A l’issue de l’audience, il a été indiqué que l’affaire était mise en
délibéré et que la décision serait rendue le 20 juillet 2015 à 15
heures par mise à disposition au greffe des référés. Par la suite, les
conseils des parties ont été avisés de ce que le délibéré était
prorogé au 27 juillet 2015, également à 15 heures par mise à
disposition au greffe des référés.

****

Sur les faits

Leonardo Di Caprio est un comédien américain mondialement
connu.

Le magazine OOPS! a publié dans son numéro 188 du 13 au 28
mai 2015, aux pages 14 et 15 un article intitulé « Rihanna enceinte
de Leonardo! »
, cet article étant annoncé sur environ les deux-tiers
de la page de couverture, avec le même titre, le sous-titre « il ne
veut pas reconnaître le bébé… »
, la mention « SCOOP OOPS! » et
deux photos accolées de Rihanna et Leonardo Di Caprio et étant,
par ailleurs, mentionné dans le sommaire, toujours avec le même
titre.

L’article lui-même comporte, outre plusieurs textes consacrés à la
prétendue grossesse de Rihanna et au refus de Leonardo Di Caprio
d’assumer sa paternité, plusieurs photos des deux protagonistes,
trois de Rihanna et deux de Leonardo Di Caprio, volées selon lui.

Sur les atteintes à la vie privée et au droit à l’image

En l’espèce, le conseil de Leonardo Di Caprio souligne que l’article
litigieux procède par pure affirmation, sans nuance ni réserve, alors
même que d’une part les informations rapportées, qui touchent à
l’un des aspects les plus intimes de la vie privée, sont fausses,
d’autre part que les photos publiées l’ont été sans autorisation ou
détournées de leur objet.

Le conseil de la société OOPS estime, en revanche, que Leonardo
Di Caprio, star mondialement connue, ne peut arguer d’aucune
violation de sa vie privée, l’intéressé exposant régulièrement ses
liaisons et s’étant d’ailleurs personnellement exprimé sur ce point
lors d’une interview qu’il a accordée le 20 février 2014 à la chaîne
américaine CBS ; que sa relation avec Rihanna était d’ailleurs
notoire et qu’il n’a pas jugé utile de la démentir ; que, s’agissant des
photographies illustrant l’article et la couverture, celles-ci,
parfaitement anodines au demeurant, ont été prises soit dans un
cadre officiel, lors de la cérémonie au cours de laquelle il a été élu
« messager de la paix de l’ONU », et régulièrement acquises par le
magazine, soit dans la rue ou un lieu public.

Conformément à l’article 9 du code civil et à l’article 8 de la
Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et
des libertés fondamentales, toute personne, quelle que soit sa
notoriété, a droit au respect de sa vie privée et est fondée à en
obtenir la protection en fixant elle-même ce qui peut être divulgué
par voie de presse.

De même, elle dispose sur son image, attribut de sa personnalité,
et sur l’utilisation qui en est faite d’un droit exclusif qui lui permet
de s’opposer à sa diffusion sans son autorisation.

Cependant, ces droits doivent se concilier avec le droit à la liberté
d’expression et peuvent céder devant la liberté d’informer, par le
texte et la représentation iconographique, sur tout sujet susceptible
d’entrer dans le champ de l’intérêt légitime du public, sous réserve
du respect de la dignité de la personne humaine.

Enfin, la diffusion d’informations anodines ou déjà notoirement
connues du public n’est pas constitutive d’une atteinte au respect de
la vie privée.

Au cas particulier, c’est à tort que la société défenderesse soutient
que l’article incriminé ne porterait pas atteinte au droit au respect
de la vie privée de Léonardo Di Caprio. De fait, contrairement à
ce qu’elle prétend, le sujet traité dans l’article n’est nullement la
liaison supposée entre Leonardo Di Caprio et Rihanna – liaison
effectivement rapportée par de nombreux medias, mais que les
intéressés ont pris soin de démentir, par le biais respectivement
d’une déclaration au Los Angeles Times et au magazine
britannique Hello – mais la prétendue grossesse de Rihanna et,
surtout, l’attitude prêtée à Leonardo Di Caprio face à cet
événement, l’intéressé étant successivement décrit comme n’ayant
« pas franchement sauté au plafond », fuyant « à toutes jambes »
et « l’assum(ant) : si Rihanna garde l’enfant, il ne le reconnaîtra
pas »
, un encadré précisant même en gros caractères sur fond jaune
« Le bébé, il n’en veut pas! ».
Eu égard tant au caractère particulièrement intime d’une telle
révélation que de l’absence de tout élément de nature à accréditer,
ne serait-ce que de manière infinitésimale, l’exactitude des faits
allégués, l’atteinte au respect de la vie privée est, en l’espèce,
parfaitement caractérisée, l’information querellée ne relevant en
rien d’une légitime information du public.

Il en est de même de l’atteinte au droit à l’image invoquée en
l’espèce, les clichés litigieux étant soit pris à l’insu de l’intéressé,
soit dénaturés par le biais d’un photomontage renforçant, de par la
juxtaposition des photographies sur la page de couverture, l’idée
d’une liaison avérée entre Rihanna et Leonardo Di Caprio et,
partant, la vraisemblance de la grossesse annoncée.

Sur les mesures sollicitées

sur la demande de provision

Le conseil de Leonardo Di Caprio estime que la publication
litigieuse, de par son caractère intrusif et racoleur, a engendré un
préjudice moral d’autant plus significatif que le magazine a été
diffusé, de nombreuses affiches publicitaires à l’appui, durant le
Festival de Cannes, où son client était présent, et que le magazine
OOPS est vendu à plus de 150.000 exemplaires.

La société OOPS soutient, en revanche, que le préjudice subi par
le demandeur ne saurait être, en toute hypothèse, que symbolique,
l’intéressé n’hésitant pas à utiliser les médias pour construire sa
carrière et s’affichant par ailleurs publiquement au bras de ses
nombreuses conquêtes.

Sur ce point, il convient tout d’abord de rappeler que si la seule
constatation de l’atteinte au respect de la vie privée et au droit à
l’image par voie de presse ouvre droit à réparation, le préjudice
étant inhérent à ces atteintes, le demandeur doit justifier de
l’étendue du dommage allégué,laquelle s’apprécie au jour où le
juge statue, en fonction de la nature des atteintes et des éléments
concrets produits à l’appui des prétentions exposées.
En l’espèce, force est de constater que l’article incriminé, occupant
une place importante dans le magazine et la majeure partie de la
couverture, est intrinsèquement de nature à porter gravement
atteinte à Leonardo Di Caprio, celui-ci se voyant ouvertement et
avec insistance prêter, sur un sujet particulièrement intime, un
comportement à tout le moins peu courageux et irresponsable,
ainsi qu’en atteste de manière éloquente, outre les extraits évoqués
supra, la phrase « Une histoire dont on n’a pas fini d’entendre
parler et qui prouve, au passage, à quel point ce bon vieux
Leonardo est un modèle de courage… »
venant conclure l’encadré
« le bébé il n’en veut pas! ».

Par ailleurs, la complaisance alléguée de Leonardo Di Caprio
envers les médias n’est nullement établie, la société défenderesse
ne produisant qu’une seule interview donnée par l’intéressé où
celui-ci s’exprime au demeurant de manière extrêmement générale
sur son type de femme idéale, les autres articles versés aux débats
ne consistant qu’en des commentaires journalistiques, illustrés de
photographies, sur telle ou telle liaison supposée de l’acteur et
aucun élément attestant de ce que celui-ci se serve de sa vie privée
pour entretenir une carrière et une notoriété largement établies.

Il y a lieu, par conséquent, d’allouer à Leonardo Di Caprio une
provision de 8000 euros à valoir sur la réparation de son préjudice
moral résultant des atteintes portées à sa vie privée et à son droit
à l’image, l’obligation de la société défenderesse n’apparaissant pas
sérieusement contestable à hauteur de ce montant.

sur la demande de publication

Compte-tenu de la gravité de l’atteinte portée en l’espèce aux droits
de Leonardo Di Caprio, il sera fait droit à la demande de
publication telle que formulée dans l’assignation, sans qu’il soit
nécessaire toutefois d’assortir cette mesure de l’astreinte réclamée.

sur l’article 700 du code de procédure civile

Il convient enfin d’accorder à Leonardo Di Caprio la somme de
1500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure
civile, la réclamation de la défenderesse sur le fondement de ce
texte étant rejetée.

DECISION

Statuant publiquement, par mise à disposition au greffe, par
ordonnance contradictoire et en premier ressort,

Condamnons la société OOPS à payer à Leonardo Di Caprio une
provision de 8000 euros à valoir sur la réparation du préjudice
moral résultant des atteintes portées à sa vie privée et à son droit
à l’image dans le numéro 188 du magazine OOPS ainsi que la
somme de 1500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de
procédure civile,

Ordonnons la publication, en page de couverture du magazine
OOPS!, dans le numéro suivant le numéro paru après la date de la
signification de la présente ordonnance, du communiqué suivant :

« Par ordonnance du 27 juillet 2015 le juge des référés du tribunal
de grande instance de Paris a condamné la société OOPS éditrice
du magazine OOPS!, à payer une indemnité provisionnelle à
Leonardo Di Caprio pour avoir publié dans son numéro 188, du
13 au 28 mai 2015, un article portant atteinte au respect de sa vie
privée et de son droit à l’image »
,

ledit communiqué devant figurer, en dehors de toute mention
ajoutée et sans cache en couvrant tout ou partie, en page de
couverture, dans un encadré sur fond blanc occupant, sur toute sa
largeur, le tiers inférieur de la page et d’une dimension permettant
de contenir l’intégralité du communiqué, de manière parfaitement
lisible, en caractères majuscules gras et noirs, sous le titre, luimême
en caractères majuscules gras, de couleur rouge, de 1,5 cm
de hauteur : « OOPS! CONDAMNE A LA DEMANDE DE
LEONARDO DI CAPRIO »
,

Déboutons les parties du surplus de leurs demandes,

Condamnons la société OOPS aux dépens.

Le Tribunal : Fabienne Siredey-Garnier (vice-présidente), Fabienne Félix (greffier)

Avocats : Me Vincent Toledano, Me Francis Pudlowski

Notre présentation de la décision

 
 

En complément

Maître Francis Pudlowski est également intervenu(e) dans les 2 affaires suivante  :

 

En complément

Maître Vincent Toledano est également intervenu(e) dans les 32 affaires suivante  :

 

En complément

Le magistrat Fabienne Felix est également intervenu(e) dans les 6 affaires suivante  :

 

En complément

Le magistrat Fabienne Siredey Garnier est également intervenu(e) dans les 12 affaires suivante  :

 

* Nous portons l'attention de nos lecteurs sur les possibilités d'homonymies particuliérement lorsque les décisions ne comportent pas le prénom des personnes.