Jurisprudence : Responsabilité
Tribunal administratif de Montreuil, 2ème chambre, jugement du 15 octobre 2015
Urbaction 93, Mathilda M. et Khadija A. / Interxion
annulation de l’arrêté - Datacenter - étude d’impact - nuisances - urbanisme
Vu la procédure suivante :
Par une requête et un mémoire enregistrés le 4 novembre 2014 et le 24 août 2015, l’association Urbaction 93, Mme Mathilda M. et Mme Khadija A., représentées par Me Lepage, demandent au Tribunal :
1°) d’annuler l’arrêté du préfet de la Seine-Saint-Denis du 13 décembre 2013 relatif à l’exploitation par la société Interxion d’un « data center » dans un établissement situé 1-3 rue Râteau sur la commune de La Courneuve ;
2°) de mettre à la charge de l’Etat et de la société Interxion une somme de 4 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
L’association Urbaction 93, Mme M. et Mme A. soutiennent, dans le dernier état de leurs écritures :
– que l’arrêté a été pris en méconnaissance des dispositions de l’article R. 123-11 du code de l’environnement dès lors que l’avis d’enquête a été publié pendant les fêtes de noël et qu’il était incomplet ;
– qu’il a été pris en méconnaissance des dispositions de l’article R. 123-10 de ce même code dès lors que le dossier d’enquête publique n’était consultable en mairie qu’en semaine et pendant les heures de bureau ;
– qu’il a été pris en méconnaissance des dispositions des articles L. 123-15 et R. 123-19 de ce même code dès lors que l’avis du commissaire enquêteur n’est pas motivé ;
– qu’il a été pris en méconnaissance des dispositions des articles R. 512-8 et R. 122-5 du code de l’environnement dès lors que l’étude d’impact est insuffisante en ce qui concerne l’analyse de l’état initial du site, des effets du projet et du volet « remise en état » et ne comporte ni examen des différents partis envisagés ni analyse des méthodes utilisées ;
– qu’il a été pris en méconnaissance des dispositions de l’article R. 512-9 du code de l’environnement dès lors que l’étude de dangers est insuffisante ;
– qu’enfin l’arrêté a été pris en méconnaissance des dispositions des articles L. 511-1 et L 512-1 du code de l’environnement dès lors que le projet comporte des atteintes excessives à la commodité du voisinage, des risques excessifs pour la santé et la sécurité publique et ne comprend aucune prescription de nature à valoriser une utilisation rationnelle de l’énergie.
Par un mémoire en défense, enregistré le 4 février 2015, le préfet de la Seine-Saint-Denis conclut au rejet de la requête.
Il soutient que l’association Urbaction 93 n’a ni capacité ni intérêt à agir et que les moyens de la requête ne sont pas fondés.
Par deux mémoires, enregistrés les 25 mars et 14 septembre 2015, la SAS Interxion, représenté par Me levain et Me Prats-Denoix, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge solidaire de l’association Urbaction 93, de Mme M. et de Mme A. la somme de 3 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
La SAS Interxion soutient que les moyens de la requête sont infondés.
Vu:
– la décision attaquée ;
– les autres pièces du dossier.
Vu:
– le code de l’environnement ;
– le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.
Ont été entendus au cours de l’audience publique :
– le rapport de M. L’hôte, rapporteur ;
– les conclusions de Mme Luyckx Gürsoy, rapporteur public ;
– les observations de Me Sageloli, substituant Me Lepage, pour l’association Urbaction 93, Mme M. et Mme A. et celles de Me Prats-Denoix, substituant Me Levain, pour la SAS Interxion.
1. Considérant que l’association Urbaction 93, Mme M. et Mme A. demandent l’annulation de l’arrêté du préfet de la Seine-Saint-Denis du 13 décembre 2013, relatif à l’exploitation par la société Interxion d’un « data center », dans un établissement situé 1-3 rue Râteau sur la commune de La Courneuve ;
Sur les fins de non recevoir soulevées en défense :
2. Considérant que l’intérêt à agir de Mme M. et Mme A., habitant respectivement au 00 et 00 rue R., n’est pas contesté en défense ; que, dès lors qu’il admet l’intérêt d’un des requérants pour demander l’annulation de la décision attaquée, le juge peut ne pas examiner l’intérêt ou la qualité à agir des autres demandeurs ; qu’ainsi les fins de non recevoir tirées du défaut de capacité et d’intérêt à agir de l’association Urbaction 93 n’ont pas à être examinées ;
Sur les conclusions à fin d’annulation :
3. Considérant qu’aux termes de l’article R. 122-5 du code de l’environnement : « Le contenu de l’étude d’impact est proportionné à la sensibilité environnementale de la zone susceptible d’être affectée par le projet, à l’importance et la nature des travaux, ouvrages et aménagements projetés et à leurs incidences prévisibles sur l’environnement ou la santé humaine. / II.-L’étude d’impact présente : (…) / (…) 3° Une analyse des effets négatifs et positifs, directs et indirects, temporaires (y compris pendant la phase des travaux) et permanents, à court, moyen et long terme, du projet sur l’environnement, en particulier sur les éléments énumérés au 2° et sur la consommation énergétique, la commodité du voisinage (bruits, vibrations, odeurs, émissions lumineuses), l’hygiène, la santé, la sécurité, la salubrité publique, ainsi que l’addition et l’interaction de ces effets entre eux ; (…) » ;
4. Considérant que les inexactitudes, omissions ou insuffisances d’une étude d’impact ne sont susceptibles de vicier la procédure et donc d’entraîner l’illégalité de la décision prise au vu de cette étude que si elles ont pu avoir pour effet de nuire à l’information complète de la population ou si elles ont été de nature à exercer une influence sur la décision de l’autorité administrative ;
5. Considérant qu’il résulte de l’instruction, que le développement de l’activité de data center, autorisé par l’arrêté attaqué, générera des nuisances sonores supplémentaires, notamment à raison de la présence de groupes électrogènes avec moteur à combustion, certes prévus pour fonctionner en secours de l’alimentation électrique et lors des essais mensuels et la maintenance, mais également de systèmes de réfrigération, installés à l’air libre sur les terrasses de l’installation, ces derniers étant prévus fonctionner en permanence, ainsi qu’en raison d’un trafic quotidien de l’ordre de 15 véhicules poids lourds ; que l’étude d’impact se borne à mentionner qu’une étude de l’état initial sonore a été réalisée en mars 2011, que les locaux des groupes électrogènes seront insonorisés, qu’un écran de protection acoustique sera installé en terrasse, que de nouvelles études acoustique seront réalisées, avant de chiffrer le coût financier de ces mesures compensatoires, pour en conclure que les nuisances sonores seront « ( … ) limitées et très probablement conformes à la réglementation»; que cette étude d’impact, s’agissant des effets de l’installation projetée sur les bruits et les vibrations, ne comporte ainsi aucune évaluation chiffrée de ces nuisances sonores supplémentaires et des effets des mesures compensatoires envisagées pour les atténuer, données qui pouvaient être recueillies par la SAS Interxion, en se référant aux caractéristiques techniques des appareils et équipements utilisés ou, par référence aux données disponibles sur les sites des 28 «data centers » qu’elle exploite par ailleurs ; que la SAS Interxion ne saurait utilement se prévaloir de ce que le niveau sonore est déjà élevé, du fait de la proximité de l’autoroute A 86, et de ce que l’étude de l’état initial sonore, réalisée sur six points du site, a permis de constater des niveaux résiduels sonores compris entre 51,5 dB (A) et 64,5 dB (A, niveaux qu’elle qualifie tour à tour d’élevés et de moyens dans l’étude d’impact et dont les plus faibles ont été mesurés à proximité des habitations voisines du site ; que cette absence d’analyse des impacts sonores du projet a ainsi pu avoir pour effet de nuire à l’information complète du public et a été de nature à exercer une influence sur la décision de l’autorité administrative ; qu’il s’ensuit que le moyen, tiré de la méconnaissance des dispositions susmentionnées du 3° de l’article R. 122-5 du code de l’environnement, doit être accueilli ;
6. Considérant qu’il résulte de ce qui précède que, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens de la requête, l’arrêté du 13 décembre 2013 du préfet de la Seine-Saint-Denis doit être annulé ;
Sur les conclusions tendant à l’application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :
7. Considérant que les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l’association Urbaction 93, de Mme M. et de Mme A., qui ne sont pas les parties perdantes dans la présente instance, la somme que la SAS Interxion réclame au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ; qu’il y a lieu, en revanche et dans les circonstances de l’espèce, de faire application de ces dispositions et de mettre à la charge de l’Etat, une somme de 750 euros, et à la charge de la SAS Interxion une même somme de 750 euros, sommes à verser à l’association Urbaction 93, à Mme M. et à Mme A., au titre des frais exposés par les requérantes et non compris dans les dépens ;
DECISION
Article 1er : L’arrêté du préfet de la Seine-Saint-Denis du 13 décembre 2013 est annulé.
Article 2 : L’Etat versera une somme de 750 (sept-cent-cinquante) euros à l’association Urbaction 93, à Mme M. et à Mme A., en application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3: La SAS lnterxion versera une somme de 750 (sept-cent-cinquante) euros à l’association Urbaction 93, à Mme M. et à Mme A., en application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Les conclusions de la SAS Interxion, présentées sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative, sont rejetées.
Article 5 : Le présent jugement sera notifié à l’association Urbaction 93, à Mme Mathilda M., à Mme Khadija A., au préfet de la Seine-Saint-Denis et à la SAS Interxion.
Délibéré après l’audience du 1er octobre 2015, à laquelle siégeaient :
– M. Boulanger, président,
– M. Marias, premier conseiller,
– M. L’hôte, premier conseiller.
Lu en audience publique le 15 octobre 2015.
La République mande et ordonne au ministre de l’intérieur et au ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie en ce qui les concernent et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution de la présente décision.
Le Tribunal : Ch. Boulanger (président), Franck L’hôte (rapporteur), Nathalie Luyckx-Gürsoy (rapporteur public), K. Dunghi (greffier)
Avocats : Me Lepage, Me Sageloli, Me levain et Me Prats-Denoix
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* Nous portons l'attention de nos lecteurs sur les possibilités d'homonymies particuliérement lorsque les décisions ne comportent pas le prénom des personnes.