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Jurisprudence : Logiciel

mercredi 04 novembre 2015
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Cour d’appel de Paris, Pôle 5 – Chambre 11, arrêt du 16 octobre 2015

Le Saint Alexis / Apicius.com

Contrat de développement - fonctionnalité non prévue - inexécution de l’obligation de délivrance - livraison inadaptée aux besoins - paiement en ligne

Décision déférée à la Cour : Jugement du 20 Février 2013 – Tribunal de Commerce de
PARIS – RG n° 2010039946

ARRÊT :
– contradictoire
– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
– signé par Monsieur Paul-André Richard, Conseiller Hors Hiérarchie, et par Madame Patricia Dardas, greffière à laquelle la minute du présent arrêt a été remise par le magistrat signataire.

La société Apicius a notamment pour activité le marketing et la communication sur
l’Internet pour l’hôtellerie de luxe et la restauration gastronomique.

La société Le Saint Alexis a pour activité la gestion et l’exploitation d’un hôtel de luxe sur l’Île de la Réunion.

Par contrat du 28 avril 2009, la société Le Saint Alexis a confié à la société Apicius la
réalisation de prestations de conception et de réalisation d’un site internet afin de faire évoluer son site internet en site marchand permettant à un client de réserver une chambre et de procéder à un règlement immédiat.

Insatisfaite des prestations délivrées, la société le Saint Alexis s’est abstenue de régler la totalité des factures émises par la société Apicius.

Par lettre du 29 novembre 2009, la société Le Saint Alexis a remis en cause l’ensemble des relations contractuelles la liant à la société Apicius.

Par acte d’huissier du 26 mai 2010, la société Apicius a assigné devant le tribunal de
commerce de Paris la société Le Saint Alexis en paiement des factures qui lui avaient été adressées dans le cadre de l’exécution du contrat.

Par jugement du 20 février 2013, le tribunal de commerce de Paris a, sous bénéfice de l’exécution provisoire :
– condamné la société Le Saint Alexis à payer à la société Apicius la somme de
13.352,68€ TTC assortie d’intérêts de retard égaux à trois fois le taux légal
conformément à l’article L.441-6 du code de commerce, à compter du 26 mai 2010
ainsi que la somme de 3.000€ au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– débouté les parties de leurs autres demandes.

La société Le Saint Alexis a interjeté appel de cette décision.

Par conclusions signifiées le 15 avril 2015, la société Apicius demande à la cour de :
– confirmer le jugement du tribunal de commerce de Paris du 20 février 2013 en ce qu’il a débouté la société Le Saint Alexis de toutes ses demandes et prétentions,
– réformer le jugement du tribunal de commerce de Paris sur le quantum des
condamnations et condamner la société Le Saint Alexis à verser à la société
Apicius, la somme de 15.415,78€, diminuée de l’avoir de 950€ consenti au titre du
défaut de traduction en russe et en japonais du logiciel «Console My Room», soit
la somme de 14.465.78€, assortie d’un intérêt de retard égal à trois fois le taux légal
conformément à l’article L.441-6 du code de commerce, au titre des factures en
date des 29 mai 2009, 11 août 2009, 29 octobre 2009 et 10 décembre 2009,
En tout état de cause :
– condamner la société Le Saint Alexis à payer à la société Apicius la somme de
8.000€ en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

Par conclusions signifiées le 7 mai 2015, la société Le Saint Alexis demande à la cour de :
– débouter la société Apicius de l’ensemble de ses demandes,
En conséquence :
A titre principal,
– infirmer le jugement dont appel en toutes ses dispositions
– prononcer la nullité du contrat passé entre les parties pour dol,

A titre subsidiaire,
– infirmer le jugement dont appel en toutes ses dispositions
– prononcer la nullité du contrat passé entre les parties pour erreur,

À titre plus subsidiaire
– infirmer le jugement dont appel en toutes ses dispositions,
– prononcer la résolution du contrat passé entre les parties pour manquement de la société
Apicius à une obligation essentielle et à son devoir de conseil ;

En tout état de cause et en conséquence :
– ordonner à la société Apicius de restituer l’intégralité des sommes déjà perçues en exécution du contrat soit 8.474,18€ TTC,
– ordonner à la société Apicius la restitution des sommes perçues en exécution du jugement soit la somme de 13.352,68€ TTC et la somme de 598,23€ au profit de la société Le Saint Alexis,
– rejeter la demande de la société Apicius de réformation du jugement du tribunal de commerce de Paris du 2 novembre 2011 quant au quantum des condamnations prononcées,
– condamner la société Apicius à payer à la société Le Saint Alexis la somme de 13.000€ au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Il est expressément référé aux écritures des parties pour un plus ample exposé des faits, de leur argumentation et de leurs moyens.

DISCUSSION

Au regard du bon de commande, signé le 28 avril 2009, la société Apicius s’est engagée à intégrer au site internet conçu pour la société Le Saint Alexis un logiciel en ligne nommé «Console My Room» traduit en 8 langues différentes, permettant aux clients de procéder à une réservation et également d’effectuer un paiement.

Quant aux prestations liées au paiement, il est uniquement précisé au sein de ce bon de commande que la société Apicius s’engage à assurer un «paiement sécurisé» et un
«cryptage SSL».

À cet égard, la société Le Saint Alexis soutient que cette prestation comprend celle
consistant à interconnecter le logiciel de réservation et le serveur de sa banque en vue de permettre un paiement automatisé des clients directement en ligne tandis que pour la société Apicius, une telle fonctionnalité n’était pas prévue et ladite prestation consistait uniquement à recueillir les coordonnées de carte bancaire des clients de l’hôtel le Saint Alexis et à assurer leur transfert sur le serveur de la société Le Saint Alexis de manière totalement cryptée, afin de permettre à cette dernière de les enregistrer manuellement sur son terminal de paiement pour donner l’ordre à sa propre banque de mettre en oeuvre le processus de paiement destiné à débiter les comptes bancaires des clients et à créditer les comptes de la société le Saint Alexis des montants recouvrés.

Ainsi la société Le Saint Alexis soutient s’être aperçue postérieurement à la signature du bon de commande de cette restriction de fonctionnalité, et plus précisément, à la réception d’un courrier électronique le 10 novembre 2009 du directeur business développement de la société Apicius, lui indiquant qu’un tel souhait était techniquement réalisable sous réserve de souscrire à l’option «Paybox it» obligatoire, développée par une autre société dénommée «Interface Technologies».

Selon la société Apicius, cette fonctionnalité n’avait pas été sollicitée lors de la conclusion du contrat par la société Le Saint Alexis de sorte qu’il s’agissait d’une nouvelle prestation nécessitant la conclusion d’un contrat spécial avec un tiers, la société Interface Technologies.

Ainsi, la société Le Saint Alexis demande la nullité du contrat en soutenant que la société Apicius a commis une réticence dolosive en s’abstenant de révéler les restrictions en termes de paiement sécurisé et de cryptage SSL du logiciel Console My Room.

Elle soutient subsidiairement avoir commis une erreur sur l’objet des prestations de la
société Apicius en ayant signé le bon de commande sous la croyance erronée que les
prestations de paiement sécurisé comprenaient l’interconnexion du logiciel Console My
Room avec le serveur de sa banque, permettant un paiement en ligne automatique.

Elle sollicite en dernier lieu la résolution du contrat en raison notamment de la violation du devoir de conseil de la société Apicius qui aurait dû informer la société Le Saint Alexis de cette restriction de fonctionnalité ce qui a entraîné la non conformité du logiciel de paiment livré.

La société Apicius soutient pour sa part que l’ensemble de ces demandes doivent être
rejetées dans la mesure où la société Le Saint Alexis ne l’a jamais informée de l’existence d’un tel besoin et ce, en violation de la clause du bon de commande l’obligeant à informer la société Apicius de l’ensemble de ses besoins spécifiques.

La société Le Saint Alexis soutient à juste titre que la société Apicius était débitrice envers elle d’un devoir de conseil. A cet égard, il appartenait non seulement à celle-ci d’informer la société Le Saint Alexis des limites de sa prestation et donc des restrictions concernant les fonctionnalités du logiciel Console My Room mais également de se renseigner sur les besoins de son client et de l’aider à exprimer ses besoins afin de l’orienter au mieux dans ses choix et de lui faire connaître, le cas échéant, la nécessité de souscrire un contrat auprès d’un tiers pour obtenir ladite fonctionnalité.

La société Apicius objecte qu’une clause des conditions générales de vente annexées au bon de commande obligeait la société Le Saint Alexis à spécifier expressément ses attentes concernant certains besoins spécifiques et qu’en vertu de cette clause, la société Le Saint Alexis aurait dû préciser expressément qu’elle attendait une telle fonctionnalité, ce qu’elle ne prouve pas.

Ce moyen est néanmoins inopérant dans la mesure où cette clause n’entend pas restreindre le domaine du devoir de conseil de la société Apicius mais a uniquement pour objet de limiter sa garantie de conformité concernant les besoins spécifiques du client à ceux qui auront été formulés expressément au plus tard à la signature du bon de commande.

À cet égard, les termes «Paiement sécurisé et cryptage SSL», en l’absence de précisions supplémentaires, pouvaient apparaître pour la société Le Saint Alexis, professionnel du secteur de l’hôtellerie n’ayant pas de compétences spécifiques en matière d’informatique, comme englobant une telle fonctionnalité.

En outre, la société Le Saint Alexis fournit d’une part à l’appui de ses prétentions un contrat d’adhésion au système carte bancaire “cyber plus paiement”, des factures auprès de OVH Hébergements et solutions internet” pour le paiement sécurisé Cyberplus démontrant que son site internet antérieur permettait d’effectuer un paiement directement en ligne en renvoyant l’internaute sur le site internet de la banque de la société Le Saint Alexis. Elle produit également un avant projet d’amélioration de son site internet, signé le 11 janvier 2007 auprès d’une junior-entreprise, antérieur au projet confié à la société Apicius ; le cahier des charges de cet avant- projet détaille dans un paragraphe le module de paiement en ligne fourni par la banque.

La prestation de paiement sécurisé et cryptage SSL que la société Le Saint Alexis
interprétait comme “le paiement sécurisé et crypté des données jusqu’à l’établissement bancaire” revêtait pour elle un caractère déterminant puisque la conclusion du contrat était motivée par le souci de moderniser son site internet. À cet égard, la société Apicius démontre que le logiciel qu’elle fournit permet tout de même, contrairement à ce que soutient la société Le Saint Alexis, de réaliser un paiement, par un processus impliquant la collecte des données de carte bancaire des internautes, leur cryptage par un algorithme et leur transfert sur le serveur de la société le Saint Alexis pour décryptage grâce à une clé privée lui permettant de saisir des données collectées, sur son terminal de paiement électronique.

Le mode de paiement réclamé par la société le Saint Alexis, facilitant et sécurisant les
paiements en ligne, constituait pour le client un élément devant être intégré au site internet.

Elle démontre l’inexécution par la société Apicius de son devoir de conseil pesant sur le prestataire informatique dans la mesure où cette fonctionnalité dont l’intérêt ne fait aucun doute eu égard à la commodité et la sécurité qu’elle présente en supprimant un intermédiaire dans la chaîne du paiement, était suffisamment importante pour que l’information tenant à son inexistence lui soit délivrée.

A cet égard, la société Apicus se prévaut du seul bon de commande au sein duquel les prestations sont définies de manière rudimentaire et par lequel elle ne précise pas
clairement le sens qu’elle confère à la notion de “paiement sécurisé et cryptage SSL” pour en exclure la fonctionnalité litigieuse.

Si les demandes de nullité pour dol en l’absence de démonstration de manoeuvres
frauduleuses et pour erreur sur la chose doivent être rejetées, le manque d’information de la société Apicus envers son client et l’absence d’étude quant aux besoins de la société le Saint Alexis quant au système de paiement sécurisé alors que le contrat portait sur l’amélioration du site internet et que le mode de paiement s’agissant d’un site marchand est un élément à définir précisément ont conduit à la fourniture d’un site internet inadapté aux besoins évidents du client et donc à une inexécution de son obligation de délivrance conforme. Il sera en conséquence fait droit à la demande de résolution du contrat et la société Apicus sera déboutée de sa demande en paiement de sa prestation soit la somme de 14.465,78€ augmentée des intérêts.

La société le Saint Alexis demande que soit ordonnée la restitution des sommes versées en vertu du jugement assorti de l’exécution provisoire. Cependant, le présent arrêt, infirmatif sur ce point, constitue le titre ouvrant droit à la restitution des sommes versées en exécution du jugement. Il n’y a pas lieu en conséquence de statuer sur cette demande.

En revanche, la société le Saint Alexis établit par la production de ses relevés bancaires et le compte réservé à la société Apicus qu’elle a versé la somme de 8.474,18€ TTC en exécution du contrat. La société Apicus devra en conséquence lui reverser cette somme du fait de la résolution du contrat.

Il y a lieu de condamner la société Apicius à verser à la société le Saint Alexis la somme de 3.000€ en application de l’article 700 du code de procédure civile ; l’intimée sera déboutée de sa demande ce chef ;

DECISION

Infirme le jugement en toutes ses dispositions,

Prononce la résolution du contrat de prestations signé le 24 avril 2009 par la société Le Saint Alexis auprès de la société Apicius,

Déboute la société Apicus de sa demande en paiement de la somme de 14.465,78€ TTC augmentée des intérêts,

Condamne la société Apicus à verser à la société Le Saint Alexis la somme de 8.474,18€ TTC perçue en exécution du contrat,

Dit n’y avoir lieu à statuer sur la demande de restitution des sommes versées en vertu de l’exécution provisoire attachée au jugement déféré à la cour,

Condamne la société Apicius à verser à la société le Saint Alexis la somme de 3.000€ en application de l’article 700 du code de procédure civile,

Rejette toute autre demande,

Condamne la société Apicius aux dépens de première instance et d’appel qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

La Cour : Paul André Richard (conseiller hors hiérarchie), Marie-Annick Prigent (conseillère), Irène Luc (conseiller), Patricia Dardas (greffier)

Avocats : Me Marie Janet, Me François-Pierre Lani, Me Emmanuel Jarry, Me Cédric Seguin, Me Claire Deshayes

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* Nous portons l'attention de nos lecteurs sur les possibilités d'homonymies particuliérement lorsque les décisions ne comportent pas le prénom des personnes.