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jeudi 07 janvier 2016
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Cour de justice de l’Union européenne, 3ème chambre, arrêt du 17 décembre 2015

WebMindLicenses Kft. / Nemzeti Adó- és Vámhivatal Kiemelt Adó- és Vám Főigazgatóság

abus de droit - charte des droits fondamentaux de l’Union européenne - fiscalité - lieu de la prestation fournie - optimisation fiscale - site internet - TVA

« Renvoi préjudiciel – Taxe sur la valeur ajoutée – Directive 2006/112/CE – Articles 2, 24, 43, 250 et 273 – Lieu de la prestation de services fournie par voie électronique – Fixation artificielle de ce lieu au moyen d’un montage dépourvu de réalité économique – Abus de droit – Règlement (UE) n° 904/2010 – Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – Articles 7, 8, 41, 47, 48, 51, paragraphe 1, 52, paragraphes 1 et 3 – Droits de la défense – Droit d’être entendu – Utilisation par l’administration fiscale de preuves obtenues dans le cadre d’une procédure pénale parallèle et non clôturée à l’insu de l’assujetti – Interceptions de télécommunications et saisies de courriers électroniques »

Dans l’affaire C 419/14,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Fővárosi Közigazgatási és Munkaügyi bíróság (tribunal administratif et du travail de Budapest, Hongrie), par décision du 3 septembre 2014, parvenue à la Cour le 8 septembre 2014, dans la procédure

WebMindLicenses Kft.

contre

Nemzeti Adó- és Vámhivatal Kiemelt Adó- és Vám Főigazgatóság,

LA COUR (troisième chambre),

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 16 septembre 2015,

rend le présent

Arrêt

1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation des articles 2, paragraphe 1, sous c), 24, paragraphe 1, 43 et 273 de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée (JO L 347, p. 1, ci-après la «directive TVA»), du règlement (UE) n° 904/2010 du Conseil, du 7 octobre 2010, concernant la coopération administrative et la lutte contre la fraude dans le domaine de la taxe sur la valeur ajoutée (JO L 268, p. 1), des articles 4, paragraphe 3, TUE, 49, 56 et 325 TFUE, ainsi que des articles 7, 8, 41, 47, 48, 51 et 52 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la «Charte»).

2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant WebMindLicenses Kft. (ci-après «WML») à la Nemzeti Adó- és Vámhivatal Kiemelt Adó- és Vám Főigazgatóság (administration nationale des impôts et des douanes, direction principale des impôts et des douanes pour les grands contribuables, ci-après l’«administration nationale des impôts et des douanes») au sujet d’une décision de cette dernière ordonnant le paiement de diverses sommes au titre des impôts concernant les exercices 2009 à 2011 ainsi que d’une amende et de pénalités de retard.

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

3 Selon l’article 2, paragraphe 1, sous c), de la directive TVA, sont soumises à la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) les prestations de services effectuées à titre onéreux sur le territoire d’un État membre par un assujetti agissant en tant que tel.

4 Aux termes de l’article 9, paragraphe 1, second alinéa, de cette directive:
« Est considérée comme ‘activité économique’ toute activité de producteur, de commerçant ou de prestataire de services, y compris les activités extractives, agricoles et celles des professions libérales ou assimilées. Est en particulier considérée comme activité économique, l’exploitation d’un bien corporel ou incorporel en vue d’en tirer des recettes ayant un caractère de permanence. »

5 L’article 24, paragraphe 1, de ladite directive précise qu’est considérée comme « prestation de services » toute opération qui ne constitue pas une livraison de biens.

6 Dans sa version en vigueur du 1er janvier 2007 au 31 décembre 2009, la directive TVA prévoyait, à son article 43 :

« Le lieu d’une prestation de services est l’endroit où le prestataire a établi le siège de son activité économique ou dispose d’un établissement stable à partir duquel la prestation de services est fournie ou, à défaut d’un tel siège ou d’un tel établissement stable, au lieu de son domicile ou de sa résidence habituelle. »

7 Dans sa version issue de la directive 2008/8/CE du Conseil, du 12 février 2008, modifiant la directive TVA en ce qui concerne le lieu des prestations de services (JO L 44, p. 11), en vigueur à compter du 1er janvier 2010, cette dernière prévoit, à son article 45:

« Le lieu des prestations de services fournies à une personne non assujettie est l’endroit où le prestataire a établi le siège de son activité économique. Toutefois, si ces prestations sont effectuées à partir de l’établissement stable du prestataire situé en un lieu autre que l’endroit où il a établi le siège de son activité économique, le lieu des prestations de ces services est l’endroit où cet établissement stable est situé. À défaut d’un tel siège ou d’un tel établissement stable, le lieu des prestations de services est l’endroit où le prestataire a son domicile ou sa résidence habituelle. »

8 L’article 56 de cette directive, dans sa version en vigueur du 1er janvier 2007 au 31 décembre 2009, prévoyait :

« 1. Le lieu des prestations de services suivantes, fournies à des preneurs établis en dehors de la Communauté ou à des assujettis établis dans la Communauté mais en dehors du pays du prestataire, est l’endroit où le preneur a établi le siège de son activité économique ou dispose d’un établissement stable pour lequel la prestation de services a été fournie ou, à défaut, le lieu de son domicile ou de sa résidence habituelle :

[…]

k) les services fournis par voie électronique, notamment ceux visés à l’annexe II ;

[…] »

9 Ladite annexe II, intitulée « Liste indicative des services fournis par voie électronique visés à l’article 56, paragraphe 1, point k) », mentionne notamment «la fourniture et l’hébergement de sites informatiques, maintenance à distance de programmes et d’équipement » ainsi que « la fourniture d’images, de textes et d’informations, et mise à disposition de bases de données ».

10 L’article 59 de la directive TVA, dans sa version issue de la directive 2008/8, prévoit :

« Le lieu des prestations de services suivantes, fournies à une personne non assujettie qui est établie ou a son domicile ou sa résidence habituelle hors de la Communauté, est l’endroit où cette personne est établie ou a son domicile ou sa résidence habituelle :

[…]

k) les services fournis par voie électronique, notamment ceux visés à l’annexe II.

[…] »

11 Aux termes de l’article 250, paragraphe 1, de la directive TVA :

« Tout assujetti doit déposer une déclaration de TVA dans laquelle figurent toutes les données nécessaires pour constater le montant de la taxe exigible et celui des déductions à opérer, y compris, et dans la mesure où cela est nécessaire pour la constatation de l’assiette, le montant global des opérations relatives à cette taxe et à ces déductions ainsi que le montant des opérations exonérées. »

12 L’article 273 de la directive TVA dispose :

« Les États membres peuvent prévoir d’autres obligations qu’ils jugeraient nécessaires pour assurer l’exacte perception de la TVA et pour éviter la fraude, sous réserve du respect de l’égalité de traitement des opérations intérieures et des opérations effectuées entre États membres par des assujettis, et à condition que ces obligations ne donnent pas lieu dans les échanges entre les États membres à des formalités liées au passage d’une frontière.

[…] »

13 Le règlement n° 904/2010 énonce à son considérant 7 :

« Afin de collecter la taxe due, les États membres devraient coopérer afin de contribuer à l’assurance de l’établissement correct de la TVA. Par conséquent, ils doivent non seulement contrôler l’application correcte de la taxe due sur leur propre territoire mais devraient également aider les autres États membres à veiller à l’application correcte de la taxe relative à une activité exercée sur leur propre territoire mais due dans un autre État membre. »

14 Aux termes de l’article 1er de ce règlement :

« 1. Le présent règlement détermine les conditions dans lesquelles les autorités compétentes chargées, dans les États membres, de l’application de la législation relative à la TVA coopèrent entre elles ainsi qu’avec la Commission en vue d’assurer le respect de cette législation.

À cette fin, il définit des règles et des procédures permettant aux autorités compétentes des États membres de coopérer et d’échanger entre elles toutes les informations susceptibles de permettre l’établissement correct de la TVA, de contrôler l’application correcte de la TVA, notamment sur les opérations intracommunautaires, et de lutter contre la fraude à la TVA. Il définit notamment des règles et procédures permettant aux États membres de collecter et d’échanger par voie électronique lesdites informations.

[…] »

Le droit hongrois

15 L’article 37 de la loi n° CXXVII de 2007 relative à la taxe sur la valeur ajoutée (az általános forgalmi adóról szóló 2007. évi CXXVII. törvény) prévoit :

« (1) Dans le cas de prestations de services fournies à une personne assujettie, le lieu de la prestation de services est l’endroit où le preneur du service s’est établi pour exercer une activité économique ou, à défaut d’un tel établissement à but économique, le lieu de son domicile ou de sa résidence habituelle.

(2) Dans le cas de prestations de services fournies à une personne non assujettie, le lieu de la prestation de services est l’endroit où le prestataire du service s’est établi pour exercer une activité économique ou, à défaut d’un tel établissement à but économique, le lieu de son domicile ou de sa résidence habituelle. »

16 L’article 46 de cette loi dispose :

« (1) Pour les services visés dans le présent article, le lieu de la prestation de services est l’endroit où, dans ce contexte, le preneur non assujetti est établi ou, à défaut d’établissement, le lieu de son domicile ou de sa résidence habituelle, à condition que celui-ci soit en-dehors du territoire de la Communauté.

(2) Les services relevant du présent article sont les suivants :

[…]

k) services fournis par voie électronique.

[…] »

17 L’article 50, paragraphes 4 à 6, de la loi n° CXL de 2004 portant dispositions générales relatives aux prestations et à la procédure administratives (a közigazgatási hatósági eljárás és szolgáltatás általános szabályairól szóló 2004. évi CXL. törvény) prévoit :

« (4) Dans le cadre de la procédure administrative, il est possible d’utiliser les preuves qui sont de nature à faciliter l’éclaircissement des faits. Les preuves sont en particulier: les déclarations des parties, les documents, les témoignages, les procès-verbaux de visite des lieux, les rapports d’expertise, les procès-verbaux réalisés lors du contrôle administratif et les preuves matérielles.

(5) L’autorité administrative choisit librement les moyens de preuve à utiliser. La loi peut imposer à l’autorité administrative de prendre pour fondement de sa décision un moyen de preuve exclusivement; en outre, une disposition législative ou réglementaire peut, pour certaines affaires, imposer l’utilisation d’un moyen de preuve particulier ou exiger de requérir l’avis d’un organe déterminé.

(6) L’autorité administrative apprécie les preuves prises isolément et dans leur globalité, et établit les faits en fonction de la conviction qu’elle s’est forgée sur cette base. »

18 Aux termes de l’article 51 de la loi n° CXXII de 2010 relative à l’office des impôts et des douanes (a Nemzeti Adó- és Vámhivatalról szóló 2010. évi CXXII. törvény) :

« (1) La direction principale des affaires pénales de [l’office des impôts et des douanes] et les services de niveau intermédiaire de la direction principale des affaires pénales (ci-après les ‘services autorisés’) peuvent recueillir clandestinement – dans le cadre tracé par la présente loi – des informations afin de prévenir, d’empêcher, de détecter, d’interrompre la commission d’une infraction pénale relevant de la compétence d’enquête de [l’office des impôts et des douanes] en vertu de la loi relative à la procédure pénale, d’établir l’identité de l’auteur, de l’arrêter, de localiser son lieu de séjour et d’obtenir des preuves, y compris afin de protéger les personnes participant à la procédure pénale et les personnes appartenant à l’administration en charge de la procédure, ainsi que les personnes qui coopèrent avec la justice.

(2) Les mesures prises sur le fondement du paragraphe 1 ci-dessus, de même que les données des personnes physiques, des personnes morales et des organisations dépourvues de personnalité morale qui sont concernées par ces mesures, ne peuvent pas être divulguées.

(3) Les services autorisés, ainsi que, pour ce qui concerne les données obtenues et la mesure de recueil d’informations en elle-même, le procureur et le juge, peuvent prendre connaissance du contenu des données classées – sans autorisation spécifique – pendant le recueil de ces informations. »

19 L’article 97, paragraphes 4 à 6, de la loi n° XCII de 2003 portant code de procédure fiscale (az adózás rendjéről szóló 2003. évi XCII. törvény) précise :

« (4) Au cours du contrôle, l’administration fiscale a l’obligation d’établir et de prouver les faits, sauf dans les cas où c’est le contribuable qui, en vertu d’une loi, a la charge de la preuve.

(5) Les moyens de preuve et preuves sont en particulier: les documents, les expertises, les déclarations du contribuable, de son représentant, de ses employés ou encore d’autres contribuables, les témoignages, les visites sur les lieux, les achats-tests, les achats-tests mystères, les productions à l’essai, les inventaires sur place, les données d’autres contribuables, les constatations des contrôles connexes qui ont été ordonnés, le contenu des informations communiquées, les données ou les informations électroniques provenant des registres d’autres administrations, ou accessibles au public.

(6) Lorsqu’elle établit les faits, l’administration fiscale a l’obligation de rechercher également les faits qui jouent en faveur du contribuable. Un fait ou une circonstance non prouvés ne peuvent pas – sauf dans la procédure d’estimation – être appréciés en défaveur du contribuable. »

Les faits du litige au principal et les questions préjudicielles

20 WML est une société commerciale immatriculée en Hongrie, créée au cours de l’année 2009, dont le gérant détient l’intégralité du capital. Par contrat du 1er septembre 2009, cette société a acquis gratuitement d’Hypodest Patent Development Company, une société sise au Portugal, un savoir-faire permettant l’exploitation d’un site Internet par lequel étaient fournis des services audiovisuels interactifs à caractère érotique faisant intervenir en temps réel des personnes physiques se trouvant dans le monde entier (ci-après le «savoir-faire de WML»). Elle a, le même jour, donné ce savoir-faire en location, par un contrat de licence, à Lalib – Gestão e Investimentos Lda. (ci-après «Lalib»), société établie à Madère (Portugal).

21 À la suite d’un contrôle fiscal auprès de WML portant sur une partie de l’année 2009 ainsi que sur les années 2010 et 2011, l’autorité fiscale de première instance a, par une décision du 8 octobre 2013, procédé à divers redressements et imposé à cette société le paiement de diverses sommes, dont celles de 10 293 457 000 forints hongrois (HUF) au titre de la TVA, de 7 940 528 000 HUF à titre d’amende et de 2 985 262 000 HUF au titre des pénalités de retard, au motif que, selon les éléments de preuve qu’elle avait réunis, le transfert du savoir-faire de WML à Lalib ne correspondait pas à une opération économique réelle, ce savoir-faire étant exploité en réalité par WML, de sorte qu’il devait être considéré que l’exploitation dudit savoir-faire avait eu lieu sur le territoire hongrois.

22 Cette décision a été modifiée partiellement par l’administration nationale des impôts et des douanes qui a cependant considéré également que le savoir-faire de WML n’avait pas été exploité réellement par et pour Lalib et que, dès lors, en concluant avec elle le contrat de licence, WML avait commis un abus de droit visant à contourner la législation fiscale hongroise, moins avantageuse que la législation fiscale portugaise. À l’appui de cette conclusion, il a été relevé, notamment, que WML n’avait jamais eu l’intention de transférer à Lalib la mise en valeur des bénéfices provenant de l’exploitation du savoir-faire de WML, qu’il existait des liens personnels étroits entre le titulaire de ce savoir-faire et les sous-traitants qui exploitaient effectivement le site Internet concerné, que la société portugaise avait une gestion irrationnelle et une activité délibérément déficitaire et ne disposait pas d’une capacité d’exploitation autonome.

23 WML a formé un recours contre la décision de l’administration nationale des impôts et des douanes à laquelle elle fait grief d’avoir utilisé des preuves obtenues à son insu au moyen d’interceptions de télécommunications et d’une saisie de courriers électroniques dans le cadre d’une procédure pénale parallèle à laquelle elle n’a pas eu accès.

24 Elle a fait valoir, par ailleurs, que la participation de Lalib à l’exploitation du savoir-faire de WML avait des raisons commerciales, techniques et juridiques. En effet, les services en cause accessibles par Internet contre paiement n’auraient pu être fournis à partir de la Hongrie pendant la période examinée, l’affiliation à un système de carte bancaire étant alors impossible dans ce pays pour de tels services. Elle n’aurait eu ni personnel, ni compétence technique, ni les actifs, ni le portefeuille de contrats, ni le rattachement international lui permettant d’exploiter le site Internet concerné. C’est Lalib, titulaire des noms de domaine, qui, en tant que fournisseur de contenu, aurait supporté la responsabilité civile et pénale des services proposés. Dès lors, la conclusion du contrat de licence avec Lalib n’aurait pas eu un but fiscal et la TVA aurait été régulièrement acquittée au Portugal. En outre, elle n’aurait pas bénéficié d’un véritable avantage fiscal, la différence des taux de TVA appliqués en Hongrie et au Portugal étant alors peu importante.

25 Se référant aux arrêts Cadbury Schweppes et Cadbury Schweppes Overseas (C 196/04, EU:C:2006:544) et Newey (C 653/11, EU:C:2013:409), la juridiction de renvoi expose qu’elle s’interroge, eu égard à la particularité des services en cause offerts par Internet, sur les circonstances qu’il convient de prendre en compte pour apprécier, afin de déterminer le lieu de la prestation de services, si la construction contractuelle utilisée procède d’une pratique abusive.

26 Elle se demande, par ailleurs, s’il résulte des objectifs de la directive TVA que l’administration fiscale peut recueillir des preuves obtenues dans le cadre d’une procédure pénale, y compris par des moyens secrets, et utiliser celles-ci pour fonder une décision administrative. À cet égard, se référant à l’arrêt Åkerberg Fransson (C 617/10, EU:C:2013:105), elle s’interroge sur les limites posées par la Charte à l’autonomie institutionnelle et procédurale des États membres.

27 La juridiction de renvoi expose, en outre, que l’affaire au principal soulève aussi la question de savoir comment l’administration fiscale d’un État membre doit procéder, dans le cadre de la coopération administrative transfrontalière, dans le cas où la TVA a déjà été payée dans un autre État membre.

28 Dans ces conditions, le Fővárosi Közigazgatási és Munkaügyi bíróság (tribunal administratif et du travail de Budapest) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1) Dans le cadre de l’application de l’article 2, paragraphe 1, sous c), de l’article 24, paragraphe 1, et de l’article 43 de la directive TVA, lorsqu’il s’agit d’établir, aux fins de la TVA, la personne du prestataire de services, est-il pertinent pour l’interprétation, lors de l’examen du caractère purement artificiel, dépourvu de réalité économique et commerciale, d’une transaction qui aurait été effectuée à la seule fin d’obtenir un avantage fiscal, que, dans l’affaire au principal, le gérant de la société donneuse de licence et son actionnaire à 100 % soit la personne physique qui a créé le savoir-faire par ailleurs transféré par le contrat de licence en question ?

2) En cas de réponse affirmative à la première question, est-il pertinent, dans le cadre de l’application de l’article 2, paragraphe 1, sous c), de l’article 24, paragraphe 1, et de l’article 43 de la directive TVA, ainsi que de la constatation d’une pratique abusive, que cette personne physique ait ou puisse avoir une influence informelle sur la manière dont la société preneuse de licence exploite la licence ainsi transmise, ainsi que sur ses décisions commerciales? Dans ce contexte, peut-il être pertinent pour l’interprétation que le créateur du savoir-faire participe ou puisse participer directement ou indirectement, en ayant par ailleurs une activité de consultant et en donnant des conseils sur le développement ou l’exploitation du savoir-faire, aux décisions commerciales se rapportant à la fourniture du service qui repose sur le savoir-faire en question ?

3) Dans les circonstances de l’affaire au principal – compte tenu de la deuxième question – s’agissant d’établir, aux fins de la TVA, la personne du prestataire de services, est-il pertinent, en plus de l’examen de la transaction contractuelle sous-jacente, de savoir si le créateur du savoir-faire, en tant que personne physique, exerce une influence, voire une influence dominante, ou un contrôle sur les modalités de la fourniture du service qui repose sur le savoir-faire en question ?

4) En cas de réponse affirmative à la troisième question, quels sont, lors de la détermination du degré d’influence ou de contrôle, les éléments ou les critères susceptibles d’être pris en compte pour établir que le créateur du savoir-faire exerce une influence déterminante sur la fourniture du service et que le contenu économique réel de la transaction sous-jacente a été mis en œuvre pour le compte de la société donneuse de licence ?

5) Dans la situation au principal, lors de l’examen de l’obtention d’un avantage fiscal, est-il pertinent, aux fins de l’appréciation des rapports entre les personnes et les opérateurs économiques concernés par la transaction, que les contribuables qui sont parties à la transaction à laquelle on reproche de viser un but d’évasion fiscale soient des personnes morales, alors que l’administration fiscale nationale impute à une personne physique la prise des décisions stratégiques et opérationnelles afférentes à l’exploitation du savoir-faire et, dans l’affirmative, importe-t-il de savoir quel est l’État membre sur le territoire duquel la personne physique en question a pris ces décisions? Dans des circonstances telles que celles de la présente affaire, s’il s’avère que le statut contractuel des parties n’est pas déterminant, est-il pertinent pour l’interprétation que la gestion des transactions financières, du personnel et des moyens techniques nécessaires à la fourniture du service ici litigieux, basé sur Internet, soit assurée par des sous-traitants ?

6) À supposer que l’on constate que les clauses du contrat de licence ne reflètent pas un contenu économique réel, la requalification des clauses contractuelles et le rétablissement de la situation telle qu’elle aurait été en l’absence de la transaction constitutive d’une pratique abusive impliquent-ils que l’administration fiscale de l’État membre peut dès lors déterminer différemment l’État membre du lieu de la prestation de services et, partant, le lieu de l’obligation fiscale, y compris dans le cas où le preneur de licence a par ailleurs satisfait à son obligation fiscale dans l’État membre dans lequel il a son siège, conformément aux conditions prévues par la législation dudit État ?

7) Faut-il interpréter les articles 49 TFUE et 56 TFUE en ce sens qu’est contraire à leurs dispositions, et que peut être qualifié d’abus de la liberté d’établissement et de la libre prestation de services, le fait d’élaborer une configuration contractuelle telle que celle en cause au principal, dans laquelle une entreprise assujettie établie dans un État membre donne en location à une entreprise assujettie établie dans un autre État membre, au moyen d’un contrat de licence, le savoir-faire et le droit d’exploitation afférents à la fourniture d’un service interactif au contenu classé X qui repose sur une technologie de communication basée sur Internet, dans un cas de figure où l’imposition au titre de la TVA du service ainsi transféré est plus avantageuse dans l’État dans lequel le preneur de licence a son siège ?

8) Dans des circonstances telles que celles de la présente espèce, quelle importance convient-il d’accorder aux considérations d’ordre commercial qui, outre la perspective d’obtenir un avantage fiscal, ont guidé l’entreprise donneuse de licence et, dans un tel contexte en particulier, est-il pertinent pour l’interprétation que le gérant et actionnaire à 100 % de la société donneuse de licence soit la personne physique qui a initialement créé le savoir-faire ?

9) Lors de l’examen du comportement abusif, peut-on accorder de l’importance et, dans l’affirmative, laquelle, à des circonstances analogues à celles qui ont été examinées au principal, telles que celles liées aux aspects techniques et à l’infrastructure nécessaires à la mise en place et au fonctionnement du service faisant l’objet de la transaction litigieuse, ainsi qu’à la compétence et au personnel du donneur de licence pour fournir le service en question ?

10) Sur la base des faits de la présente affaire, faut-il interpréter l’article 2, paragraphe 1, sous c), l’article 24, paragraphe 1, l’article 43 et l’article 273 de la directive TVA, compte tenu de l’article 4, paragraphe 3, TUE, et de l’article 325 TFUE, en ce sens que, afin d’assurer l’effectivité de l’obligation des États membres relative à la perception efficace et exacte de l’intégralité de la TVA et d’éviter les pertes budgétaires liées à la fraude et à l’évasion fiscale transfrontalières, l’administration fiscale d’un État membre, pour pouvoir, dans le cas d’une transaction portant sur une prestation de services, établir quelle est la personne du prestataire de services, a le droit, lors de la procédure de preuve intervenant au cours de la procédure fiscale (administrative), de reprendre, à l’occasion de la recherche des faits, des données, des informations et des moyens de preuve obtenus – par le service d’enquête de l’administration fiscale dans le cadre de la procédure pénale – à l’insu de l’assujetti, par exemple des procès-verbaux d’interceptions, ainsi que de les exploiter et d’en tirer des conséquences juridiques, et que la juridiction administrative qui contrôle la décision administrative rendue par l’administration fiscale de l’État membre a quant à elle le droit de les apprécier dans le cadre des preuves, par la même occasion qu’elle contrôle la légalité des preuves ?

11) Sur la base des faits de la présente affaire, faut-il interpréter l’article 2, paragraphe 1, sous c), l’article 24, paragraphe 1, l’article 43 et l’article 273 de la directive TVA, compte tenu de l’article 4, paragraphe 3, TUE, et de l’article 325 TFUE, en ce sens que, afin d’assurer l’effectivité de l’obligation de l’État membre relative à la perception efficace et exacte de l’intégralité de la TVA, c’est-à-dire d’assurer la mise en œuvre de l’obligation de l’État membre de garantir le respect des obligations mises à la charge des assujettis, que la marge de manœuvre octroyée aux États membres en ce qui concerne la manière d’utiliser les moyens à la disposition de l’administration fiscale nationale inclut le droit de celle-ci d’utiliser des moyens de preuve initialement obtenus dans un but pénal afin de lutter contre les comportements d’évasion fiscale, y compris lorsque le droit national, en lui-même, ne permet pas de recueillir clandestinement des données dans le cadre de la procédure administrative afin de lutter contre les comportements d’évasion fiscale, ou qu’il subordonne le recueil clandestin de données effectué dans le cadre de la procédure pénale à des garanties qui ne sont pas prévues dans la procédure fiscale administrative, mais que, par ailleurs, l’administration fiscale peut, en vertu du droit national, se fonder sur le principe de liberté de la preuve dans le cadre de ses procédures ?

12) L’article 8, paragraphe 2, de la [convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950 (ci-après la «CEDH»)] exclut-il, compte-tenu de l’article 52, paragraphe 2, de la Charte, que l’on reconnaisse à l’administration fiscale d’un État membre la compétence évoquée aux dixième et onzième questions ci-dessus, ou peut-on, dans les circonstances de la présente affaire, considérer que l’utilisation dans le cadre de la procédure fiscale, aux fins de la lutte contre l’évasion fiscale, des résultats du recueil clandestin de données est justifiée, aux fins de la perception efficace de l’impôt, en raison du ‘bien-être économique du pays’ ?

13) Dans la mesure où il ressort de la réponse apportée aux dixième à douzième questions que l’administration fiscale de l’État membre, dans le cadre de la procédure administrative, peut utiliser de tels moyens de preuve, l’administration fiscale nationale a-t-elle, afin de garantir l’effectivité des droits de la défense et du droit à une bonne administration, une obligation absolue – sur le fondement des articles 7, 8, 41 et 48 de la Charte et compte tenu de l’article 51, paragraphe 1, de celle-ci – d’entendre l’assujetti au cours de la procédure administrative, de lui assurer l’accès aux résultats obtenus grâce aux méthodes clandestines de recueil de données, ainsi que de respecter la finalité à laquelle est subordonnée l’obtention des données figurant dans ces moyens de preuve, ou bien faut-il considérer que, à ce titre, justement, la finalité pénale exclusive des méthodes clandestines de recueil de données exclut d’emblée l’utilisation de tels moyens de preuve ?

14) Dans le cas de moyens de preuve obtenus et utilisés en violation des articles 7, 8, 41 et 48 de la Charte – compte tenu de l’article 47 de celle-ci –, faut-il considérer que satisfait au droit à un recours effectif une réglementation nationale en vertu de laquelle un recours juridictionnel en contestation de la légalité, quant à la procédure, de décisions rendues dans des affaires fiscales, ne peut prospérer et conduire à l’annulation de la décision que lorsqu’il est concrètement envisageable, au regard des circonstances de l’espèce, que la décision attaquée aurait été différente sans le vice de procédure, et que ce vice de procédure affecte en outre une position juridique matérielle du requérant, ou les vices de procédure ainsi commis doivent-ils pouvoir entraîner l’annulation dans une mesure plus importante, indépendamment de l’incidence de l’irrégularité procédurale, contraire à la Charte, sur l’issue de la procédure ?

15) L’effectivité de l’article 47 de la Charte suppose-t-elle que, dans une situation procédurale telle que celle ici en cause, la juridiction administrative qui procède au contrôle juridictionnel de la décision de l’administration fiscale de l’État membre puisse contrôler la légalité de l’obtention de moyens de preuve recueillis clandestinement, à des fins de poursuite pénale, dans le cadre de la procédure pénale, en particulier lorsque le contribuable faisant l’objet de la procédure n’a pas pu, dans la procédure pénale parallèle, prendre connaissance de ces documents, ni en contester la légalité devant une juridiction ?

16) Au regard également de la sixième question, faut-il interpréter le règlement n° 904/2010 – au regard notamment de son considérant 7, selon lequel, pour collecter la taxe due, les États membres devraient coopérer afin de contribuer à l’assurance de l’établissement correct de la TVA et, par conséquent, doivent non seulement contrôler l’application correcte de la taxe due sur leur propre territoire, mais devraient également aider les autres États membres à veiller à l’application correcte de la taxe relative à une activité exercée sur leur propre territoire mais due dans un autre État membre –, en ce sens que, en présence de faits tels que ceux en l’espèce, l’administration fiscale qui découvre l’existence d’une dette fiscale a l’obligation d’adresser sa demande à l’administration fiscale de l’État membre dans lequel l’assujetti faisant l’objet du contrôle fiscal a déjà satisfait à son obligation de s’acquitter de l’impôt ?

17) S’il est répondu par l’affirmative à la seizième question: si une juridiction constate, à la suite de leur contestation, que des décisions rendues par l’administration fiscale de l’État membre sont illégales quant à la procédure en raison de l’omission du recueil d’informations et d’une demande adressée aux autorités compétentes d’un autre État membre, quelle conséquence la juridiction qui procède au contrôle des décisions rendues par l’administration fiscale de l’État membre doit-elle appliquer, compte tenu également de la quatorzième question ?»

Sur la demande de réouverture de la procédure orale

29 Par acte déposé au greffe de la Cour le 17 août 2015, WML a sollicité, sur le fondement de l’article 83 du règlement de procédure de la Cour, la réouverture de la procédure orale en faisant valoir que, lors de l’audience, l’administration nationale des impôts et des douanes avait, pour établir l’existence d’un montage artificiel dans l’affaire au principal, fait état de circonstances qui n’avaient jamais été évoquées auparavant ou qui ne l’avaient pas été à cette fin.

30 Cette demande est intervenue avant la présentation des conclusions de M. l’avocat général et, partant, avant la clôture de la phase orale de la procédure prononcée conformément à l’article 82, paragraphe 2, dudit règlement de procédure. Elle doit dès lors se comprendre comme une demande de réouverture de l’audience de plaidoirie.

31 Or, d’une part, WML a participé à l’audience et a eu la possibilité de répliquer oralement aux observations de l’administration nationale des impôts et des douanes. D’autre part, la Cour considère qu’elle est suffisamment éclairée sur les circonstances du litige au principal pour apporter une réponse utile aux questions posées par la juridiction de renvoi, à laquelle il incombe, en tout état de cause, d’apprécier lesdites circonstances pour trancher ce litige (voir notamment, en ce sens, arrêt Gauweiler e.a., C 62/14, EU:C:2015:400, point 15).

32 Par conséquent, la demande est rejetée.

Sur les questions préjudicielles

Sur les première à cinquième et septième à neuvième questions

33 Par ses première à cinquième et septième à neuvième questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si le droit de l’Union doit être interprété en ce sens que, pour apprécier si, dans des circonstances telles que celles de l’affaire au principal, un contrat de licence ayant pour objet la location d’un savoir-faire permettant l’exploitation d’un site Internet par lequel étaient fournis des services audiovisuels interactifs, conclu avec une société établie dans un État membre autre que celui sur le territoire duquel était établie la société donneuse de cette licence, procédait d’un abus de droit visant à bénéficier de ce que le taux de TVA applicable à ces services était moins élevé dans cet autre État membre, sont pertinents le fait que le gérant et unique actionnaire de la société donneuse de la licence était le créateur de ce savoir-faire, le fait que cette même personne exerçait une influence ou un contrôle sur le développement et l’exploitation dudit savoir-faire et la fourniture des services qui reposaient sur celui-ci ainsi que le fait que la gestion des transactions financières, du personnel et des moyens techniques nécessaires à la fourniture desdits services était assurée par des sous-traitants. Elle demande, en outre, si les raisons d’ordre commercial, technique, organisationnel et juridique avancées par la société donneuse de la licence pour expliquer la location de ce même savoir-faire à la société établie dans l’autre État membre sont à prendre en considération.

34 Ainsi que la juridiction de renvoi le relève, c’est à elle qu’il incombe d’apprécier les faits qui lui sont soumis et de vérifier si les éléments constitutifs d’une pratique abusive sont réunis dans le litige au principal. La Cour, statuant sur renvoi préjudiciel, peut toutefois apporter des précisions visant à la guider dans son interprétation (voir notamment, en ce sens, arrêts Halifax e.a., C 255/02, EU:C:2006:121, points 76 et 77, ainsi que Part Service, C 425/06, EU:C:2008:108, points 54 à 56).

35 À cet égard, il convient de rappeler que la lutte contre la fraude, l’évasion fiscale et les abus éventuels est un objectif reconnu et encouragé par la directive TVA et que le principe d’interdiction des pratiques abusives, qui s’applique au domaine de la TVA, conduit à prohiber les montages purement artificiels, dépourvus de réalité économique, effectués à la seule fin d’obtenir un avantage fiscal (voir, en ce sens, arrêts Halifax e.a., C 255/02, EU:C:2006:121, point 70, ainsi que Newey, C 653/11, EU:C:2013:409, point 46 et jurisprudence citée).

36 Aux points 74 et 75 de l’arrêt Halifax e.a. (C 255/02, EU:C:2006:121), la Cour a jugé que la constatation d’une pratique abusive en matière de TVA exige, d’une part, que les opérations en cause, malgré l’application formelle des conditions prévues par les dispositions pertinentes de la directive TVA et de la législation nationale la transposant, aient pour résultat l’obtention d’un avantage fiscal dont l’octroi serait contraire à l’objectif poursuivi par ces dispositions et, d’autre part, qu’il résulte d’un ensemble d’éléments objectifs que le but essentiel des opérations en cause se limite à l’obtention de cet avantage fiscal.

37 S’agissant, en premier lieu, de savoir si une opération telle que le contrat de licence en cause dans l’affaire au principal a pour résultat l’obtention d’un avantage fiscal contraire aux objectifs de la directive TVA, il y a lieu d’observer, d’une part, que la notion de «lieu de la prestation de services», qui détermine le lieu d’imposition de ladite prestation, a, comme les notions d’«assujetti», de «prestation de services» et d’«activité économique», un caractère objectif et s’applique indépendamment des buts et des résultats des opérations concernées, sans que l’administration fiscale soit obligée de rechercher l’intention de l’assujetti (voir, en ce sens, arrêts Halifax e.a., C 255/02, EU:C:2006:121, points 56 et 57, ainsi que Newey, C 653/11, EU:C:2013:409, point 41).

38 Concernant les services fournis par voie électronique tels que ceux en cause au principal, il résulte des articles 43 et 56, paragraphe 1, sous k), de ladite directive dans sa version en vigueur du 1er janvier 2007 au 31 décembre 2009 ou des articles 45 et 59, premier alinéa, sous k), de cette directive dans sa version issue de la directive 2008/8, que le lieu de la prestation de services fournie à un non-assujetti établi dans l’Union européenne est l’endroit où le prestataire a établi le siège de son activité économique ou dispose d’un établissement stable ou, à défaut, le lieu de son domicile ou de sa résidence habituelle.

39 D’autre part, les différences entre les taux normaux de TVA appliqués par les États membres résultent d’une absence d’harmonisation complète opérée par la directive TVA, qui ne fixe que le taux minimal.

40 Dans ces conditions, le fait de bénéficier dans un État membre d’un taux normal de TVA moins élevé que celui en vigueur dans un autre État membre ne saurait être considéré en lui-même comme un avantage fiscal dont l’octroi est contraire aux objectifs de la directive TVA.

41 En revanche, il en est autrement si la prestation de services est en réalité fournie dans cet autre État membre. En effet, une telle situation est contraire à l’objectif des dispositions de la directive TVA déterminant le lieu d’imposition des prestations de services qui est d’éviter, d’une part, des conflits de compétence susceptibles de conduire à des doubles impositions et, d’autre part, la non-imposition de recettes. (voir, en ce sens, arrêt Welmory, C 605/12, EU:C:2014:2298, point 42). En outre, en ce qu’elle aboutit à éluder la TVA due dans un État membre, elle est contraire tant à l’obligation des États membres, qui découle des articles 4, paragraphe 3, TUE, 325 TFUE, 2, 250, paragraphe 1, et 273 de la directive TVA, de prendre toutes les mesures législatives et administratives propres à garantir la perception de l’intégralité de la TVA due sur leur territoire et à lutter contre la fraude qu’au principe de neutralité fiscale inhérent au système commun de la TVA, selon lequel des opérateurs économiques qui effectuent les mêmes opérations ne doivent pas être traités différemment en matière de perception de la TVA (voir, en ce sens, arrêts Commission/Italie, C 132/06, EU:C:2008:412, points 37, 39 et 46; Belvedere Costruzioni, C 500/10, EU:C:2012:186, points 20 à 22, ainsi que Åkerberg Fransson, C 617/10, EU:C:2013:105, points 25 et 26).

42 Quant à la question de savoir, en second lieu, si le but essentiel d’une opération se limite à l’obtention de cet avantage fiscal, il convient de rappeler que, en matière de TVA, la Cour a déjà jugé que, lorsque l’assujetti a le choix entre deux opérations, il n’est pas obligé de choisir celle qui implique le paiement du montant de TVA le plus élevé, mais a le droit, au contraire, de choisir la structure de son activité de manière à limiter sa dette fiscale (voir, notamment, arrêts Halifax e.a., C 255/02, EU:C:2006:121, point 73; Part Service, C 425/06, EU:C:2008:108, point 47, ainsi que Weald Leasing, C 103/09, EU:C:2010:804, point 27). Les assujettis sont ainsi généralement libres de choisir les structures organisationnelles et les modalités transactionnelles qu’ils estiment les plus appropriées pour leurs activités économiques et pour limiter leurs charges fiscales (arrêt RBS Deutschland Holdings, C 277/09, EU:C:2010:810, point 53).

43 En ce qui concerne l’affaire au principal, il importe de relever qu’il ressort du dossier soumis à la Cour que Lalib est une société distincte de WML, n’étant ni une succursale, ni une filiale, ni une agence de celle-ci, et qu’elle s’est acquittée de la TVA au Portugal.

44 Dans ces circonstances, afin de constater que le contrat de licence en cause procédait d’une pratique abusive visant à bénéficier d’un taux de TVA moins élevé à Madère, il faut établir que ledit contrat constituait un montage purement artificiel dissimulant le fait que la prestation de services concernée, à savoir l’exploitation du site Internet utilisant le savoir-faire de WML, n’était pas réellement fournie à Madère par Lalib, mais l’était en fait en Hongrie par WML. S’agissant de vérifier quel était le lieu réel de ladite prestation, une telle constatation doit reposer sur des éléments objectifs et vérifiables par des tiers, tels que l’existence physique de Lalib en termes de locaux, de personnel et d’équipements (voir, par analogie, arrêt Cadbury Schweppes et Cadbury Schweppes Overseas, C 196/04, EU:C:2006:544, point 67).

45 Pour déterminer si ledit contrat constituait un tel montage, il incombe à la juridiction de renvoi d’analyser l’ensemble des éléments factuels qui lui sont soumis en recherchant, notamment, si l’implantation du siège de l’activité économique ou de l’établissement stable de Lalib à Madère n’était pas réelle ou si cette société, aux fins de l’exercice de l’activité économique concernée, ne possédait pas une structure appropriée en termes de locaux, de moyens humains et techniques, ou encore si ladite société n’exerçait pas cette activité économique pour son propre nom et pour son propre compte, sous sa propre responsabilité et à ses propres risques.

46 En revanche, le fait que le gérant et unique actionnaire de WML était le créateur du savoir-faire de WML, que cette même personne exerçait une influence ou un contrôle sur le développement et l’exploitation de ce savoir-faire et la fourniture des services qui reposaient sur celui-ci, que la gestion des transactions financières, du personnel et des moyens techniques nécessaires à la fourniture desdits services était assurée par des sous-traitants, de même que les raisons qui peuvent avoir conduit WML à donner en location le savoir-faire en cause à Lalib au lieu de l’exploiter elle-même n’apparaissent pas décisifs en eux-mêmes.

47 Enfin, pour répondre aux interrogations de la juridiction de renvoi, s’agissant de la question de savoir si un contrat de licence, tel que celui en cause au principal, pourrait être considéré comme une pratique abusive au regard de la liberté d’établissement et de la libre prestation de services, il y a lieu de constater, d’une part, que la nature des relations existantes entre la société donneuse de la licence concernée, à savoir WML, et la société preneuse de celle-ci, à savoir Lalib, n’apparaît pas relever du champ d’application de la liberté d’établissement, Lalib n’étant pas la filiale, la succursale ou l’agence de WML.

48 D’autre part, dans la mesure où les différences entre les taux normaux de TVA appliqués par les États membres résultent d’une absence d’harmonisation complète opérée par la directive TVA, le simple fait qu’un contrat de licence, tel que celui en cause au principal, a été conclu avec une société établie dans un État membre qui applique un taux normal de TVA moins élevé que celui de l’État membre où la société donneuse de licence est établie ne saurait, en l’absence d’autres éléments, être considéré comme une pratique abusive au regard de la libre prestation de services.

49 Par conséquent, il convient de répondre aux première à cinquième et septième à neuvième questions que le droit de l’Union doit être interprété en ce sens que, pour apprécier si, dans des circonstances telles que celles de l’affaire au principal, un contrat de licence ayant pour objet la location d’un savoir-faire permettant l’exploitation d’un site Internet par lequel étaient fournis des services audiovisuels interactifs, conclu avec une société établie dans un État membre autre que celui sur le territoire duquel est établie la société donneuse de cette licence, procédait d’un abus de droit visant à bénéficier de ce que le taux de TVA applicable à ces services était moins élevé dans cet autre État membre, le fait que le gérant et unique actionnaire de cette dernière société était le créateur de ce savoir-faire, que cette même personne exerçait une influence ou un contrôle sur le développement et l’exploitation dudit savoir-faire et la fourniture des services qui reposaient sur celui-ci, que la gestion des transactions financières, du personnel et des moyens techniques nécessaires à la fourniture desdits services était assurée par des sous-traitants, de même que les raisons qui peuvent avoir conduit la société donneuse de licence à donner en location le savoir-faire en cause à une société établie dans cet autre État membre au lieu de l’exploiter elle-même, n’apparaissent pas décisifs en eux-mêmes.

50 Il appartient à la juridiction de renvoi d’analyser l’ensemble des circonstances de l’affaire au principal pour déterminer si ce contrat constituait un montage purement artificiel dissimulant le fait que la prestation de services en cause n’était pas réellement fournie par la société preneuse de la licence, mais l’était en fait par la société donneuse de la licence, en recherchant notamment si l’implantation du siège de l’activité économique ou de l’établissement stable de la société preneuse de licence n’était pas réelle ou si cette société, aux fins de l’exercice de l’activité économique concernée, ne possédait pas une structure appropriée en termes de locaux, de moyens humains et techniques, ou encore si ladite société n’exerçait pas cette activité économique pour son propre nom et pour son propre compte, sous sa propre responsabilité et à ses propres risques.

Sur la sixième question

51 Par sa sixième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si le droit de l’Union doit être interprété en ce sens que, en cas de constatation d’une pratique abusive ayant abouti à fixer le lieu d’une prestation de services dans un État membre autre que celui où il l’aurait été en l’absence de cette pratique abusive, le fait que la TVA a été acquittée dans cet autre État membre conformément à la législation de celui-ci fait obstacle à ce qu’il soit procédé à un redressement de cette taxe dans l’État membre du lieu où cette prestation de services a réellement été fournie.

52 Il suffit de rappeler, à cet égard, que, lorsque l’existence d’une pratique abusive a été constatée, les opérations impliquées doivent être redéfinies de manière à rétablir la situation telle qu’elle aurait existé en l’absence des opérations constitutives de cette pratique (arrêts Halifax e.a., C 255/02, EU:C:2006:121, point 98, ainsi que Newey, C 653/11, EU:C:2013:409, point 50).

53 Il en découle que le lieu d’une prestation de services doit être rectifié s’il a été fixé dans un État membre autre que celui où il l’aurait été en l’absence d’une pratique abusive et que la TVA doit être acquittée dans celui où elle aurait dû l’être quand bien même elle a été versée dans l’autre État.

54 Par conséquent, il convient de répondre à la sixième question que le droit de l’Union doit être interprété en ce sens que, en cas de constatation d’une pratique abusive ayant abouti à fixer le lieu d’une prestation de services dans un État membre autre que celui où il l’aurait été en l’absence de cette pratique abusive, le fait que la TVA a été acquittée dans cet autre État membre conformément à la législation de celui-ci ne fait pas obstacle à ce qu’il soit procédé à un redressement de cette taxe dans l’État membre du lieu où cette prestation de services a réellement été fournie.

Sur les seizième et dix-septième questions

55 Par sa seizième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si le règlement n° 904/2010 doit être interprété en ce sens que l’administration fiscale d’un État membre qui examine l’exigibilité de la TVA pour des prestations qui ont déjà été soumises à la TVA dans d’autres États membres est tenue d’adresser une demande de coopération aux administrations fiscales de ces autres États membres.

56 Force est de constater, à cet égard, que ledit règlement, qui, selon son article 1er, détermine les conditions dans lesquelles les autorités nationales compétentes coopèrent entre elles ainsi qu’avec la Commission européenne et définit à cette fin des règles et des procédures, ne précise pas dans quelles conditions l’autorité fiscale d’un État membre pourrait être tenue d’adresser une demande de coopération administrative à l’autorité fiscale d’un autre État membre.

57 Toutefois, eu égard au devoir de coopérer afin de contribuer à l’assurance de l’établissement correct de la TVA, énoncé au considérant 7 de ce règlement, une telle demande peut s’avérer opportune, voire nécessaire.

58 Il peut en être ainsi, notamment, lorsque l’administration fiscale d’un État membre sait ou doit raisonnablement savoir que l’administration fiscale d’un autre État membre dispose de renseignements qui sont utiles, voire indispensables, pour déterminer si la TVA est exigible dans le premier État membre.

59 Il doit donc être répondu à la seizième question que le règlement n° 904/2010 doit être interprété en ce sens que l’administration fiscale d’un État membre qui examine l’exigibilité de la TVA pour des prestations qui ont déjà été soumises à cette taxe dans d’autres États membres est tenue d’adresser une demande de renseignements aux administrations fiscales de ces autres États membres lorsqu’une telle demande est utile, voire indispensable, pour déterminer que la TVA est exigible dans le premier État membre.

60 Eu égard à la réponse apportée à cette seizième question, il n’y a pas lieu de répondre à la dix-septième question.

Sur les dixième à quinzième questions

61 Par ses dixième à quinzième questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si le droit de l’Union doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à ce que, aux fins de l’application des articles 4, paragraphe 3, TUE, 325 TFUE, 2, 250, paragraphe 1, et 273 de la directive TVA, l’administration fiscale puisse, afin d’établir l’existence d’une pratique abusive en matière de TVA, utiliser des preuves obtenues dans le cadre d’une procédure pénale parallèle non encore clôturée, à l’insu de l’assujetti, au moyen, par exemple, d’interceptions de télécommunications et de saisies de courriers électroniques.

62 Il ressort des motifs de la décision de renvoi et de la formulation des questions posées que la juridiction de renvoi se demande, tout d’abord, si, eu égard à la latitude laissée aux États membres pour garantir la perception de l’intégralité de la TVA due sur leur territoire et lutter contre la fraude et l’évasion fiscales, l’administration fiscale peut, dans le cadre d’une procédure administrative, recueillir et utiliser de telles preuves, alors que celles-ci ont été initialement recherchées à des fins de poursuites pénales, par des moyens propres à la procédure pénale qui offre, par ailleurs, aux personnes des garanties dont elles ne peuvent jouir dans le cadre d’une procédure administrative. Elle s’interroge sur l’existence d’une telle possibilité et, le cas échéant, sur les limites et les obligations découlant à cet égard de l’article 8 de la CEDH et des articles 7, 8 et 52 de la Charte.

63 Pour le cas où une telle possibilité serait reconnue, la juridiction de renvoi se demande, ensuite, si l’administration fiscale a, afin de garantir le respect des droits de la défense visé à l’article 48 de la Charte et du principe de bonne administration consacré à l’article 41 de celle-ci, l’obligation de donner accès aux preuves ainsi recueillies à l’assujetti et d’entendre celui-ci.

64 Enfin, la juridiction de renvoi se demande si l’article 47 de la Charte implique que la juridiction saisie d’un recours contre la décision de l’administration fiscale ayant procédé au redressement fiscal puisse contrôler la légalité de l’obtention des preuves dans le cadre de la procédure pénale lorsque l’assujetti n’a pas pu en avoir connaissance dans cette procédure et n’a pas eu la faculté d’en contester la légalité devant une autre juridiction. En outre, en présence d’une réglementation nationale selon laquelle un vice de procédure n’entraîne l’annulation de la décision attaquée qui en est entachée que si celle-ci aurait pu être différente en l’absence de ce vice et si la situation juridique du requérant en est affectée, elle se demande si le droit à un recours juridictionnel effectif exige, en cas de violation des dispositions de la Charte, d’annuler cette décision indépendamment de l’incidence de cette violation.

65 À cet égard, il convient de rappeler, premièrement, que c’est conformément aux règles de preuve du droit national que doit être recherché si les éléments constitutifs d’une pratique abusive sont réunis. Ces règles ne doivent pas porter atteinte, cependant, à l’efficacité du droit de l’Union (voir, en ce sens, arrêt Halifax e.a., C 255/02, EU:C:2006:121, point 76).

66 Deuxièmement, selon une jurisprudence constante, les droits fondamentaux garantis dans l’ordre juridique de l’Union ont vocation à être appliqués dans toutes les situations régies par le droit de l’Union (voir, en ce sens, arrêt Åkerberg Fransson, C 617/10, EU:C:2013:105, point 19 et jurisprudence citée).

67 Troisièmement, un redressement de la TVA à la suite de la constatation d’une pratique abusive, tel que celui faisant l’objet du litige au principal, constitue une mise en œuvre des articles 2, 250, paragraphe 1, 273 de la directive TVA et de l’article 325 TFUE et, donc, du droit de l’Union, au sens de l’article 51, paragraphe 1, de la Charte (voir, en ce sens, arrêt Åkerberg Fransson, C 617/10, EU:C:2013:105, points 25 à 27).

68 Il en découle que le droit de l’Union ne s’oppose pas à ce que l’administration fiscale puisse, dans le cadre d’une procédure administrative, afin de constater l’existence d’une pratique abusive en matière de TVA, utiliser des preuves obtenues dans le cadre d’une procédure pénale parallèle non encore clôturée, sous réserve du respect des droits garantis par le droit de l’Union, spécialement par la Charte.

69 Quant à la portée et à l’interprétation des droits garantis par la Charte, l’article 52, paragraphe 1, de celle-ci énonce que toute limitation de l’exercice des droits et des libertés reconnus par la Charte doit être prévue par la loi et respecter le contenu essentiel desdits droits et libertés. Dans le respect du principe de proportionnalité, des limitations ne peuvent être apportées que si elles sont nécessaires et répondent effectivement à des objectifs d’intérêt général reconnus par l’Union ou au besoin de protection des droits et des libertés d’autrui.

70 En l’occurrence, s’agissant, en premier lieu, de l’obtention des preuves dans le cadre de la procédure pénale, il y a lieu de rappeler que l’article 7 de la Charte, relatif au droit au respect de la vie privée et familiale, contient des droits correspondant à ceux garantis par l’article 8, paragraphe 1, de la CEDH et qu’il convient donc, conformément à l’article 52, paragraphe 3, de la Charte, de donner audit article 7 le même sens et la même portée que ceux conférés à l’article 8, paragraphe 1, de la CEDH, tel qu’interprété par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme (arrêts McB., C 400/10 PPU, EU:C:2010:582, point 53, ainsi que Dereci e.a., C 256/11, EU:C:2011:734, point 70).

71 Ainsi, dès lors que les interceptions de télécommunications constituent des ingérences dans l’exercice du droit garanti par l’article 8, paragraphe 1, de la CEDH [voir, notamment, Cour EDH, Klass et autres c. Allemagne, 6 septembre 1978, série A n° 28, § 41; Malone c. Royaume-Uni, 2 août 1984, série A n° 82, § 64; Kruslin c. France et Huvig c. France, 24 avril 1990, série A nos 176 A et 176 B, § 26 et § 25, ainsi que Weber et Saravia c. Allemagne (déc.), n° 54934/00, § 79, CEDH 2006 XI], elles constituent également une limitation de l’exercice du droit correspondant consacré à l’article 7 de la Charte.

72 Il en est de même des saisies de courriers électroniques opérées au cours de visites domiciliaires dans des locaux professionnels ou commerciaux d’une personne physique ou dans les locaux d’une société commerciale, qui constituent également des ingérences dans l’exercice du droit garanti par l’article 8 CEDH (voir, notamment, Cour EDH, Niemietz c. Allemagne, 16 décembre 1992, série A n° 251 B, § 29-31; Société Colas Est et autres c. France, n° 37971/97, § 40-41, CEDH 2002 III, ainsi que Vinci Construction et GTM Génie Civil et Services c. France, nos 63629/10 et 60567/10, § 63, 2 avril 2015).

73 De telles limitations ne peuvent dès lors avoir lieu que si elles sont prévues par la loi et si, dans le respect du principe de proportionnalité, elles sont nécessaires et répondent effectivement à des objectifs d’intérêt général reconnus par l’Union.

74 S’agissant du principe de proportionnalité, la Cour a déjà jugé que, conformément à celui-ci, les mesures que les États membres ont la faculté d’adopter ne doivent pas aller au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre les objectifs visant à assurer l’exacte perception de la TVA et à éviter la fraude (arrêt R., C 285/09, EU:C:2010:742, point 45).

75 Dans le litige au principal, les interceptions de télécommunications et la saisie de courriers électroniques ayant été effectuées dans le cadre d’une procédure pénale, c’est au regard de celle-ci que doivent être appréciés leur but et leur nécessité.

76 À cet égard, il convient d’observer que, ainsi qu’il a été rappelé au point 35 du présent arrêt, la lutte contre la fraude, l’évasion fiscale et les abus éventuels étant un objectif reconnu et encouragé par la directive TVA (voir notamment, en ce sens, arrêt Halifax e.a., C 255/02, EU:C:2006:121, point 71), les mesures d’investigation mises en œuvre dans le cadre d’une procédure pénale en vue notamment de la poursuite d’infractions en cette matière ont un but qui répond à un objectif d’intérêt général reconnu par l’Union.

77 Quant à l’examen de la nécessité des mesures d’investigation, il convient de relever que, lors de l’audience, l’administration fiscale a indiqué que la saisie des courriers électroniques avait été effectuée sans autorisation judiciaire. À cet égard, il importe de noter que, en l’absence d’une autorisation judiciaire préalable, la protection des individus contre des atteintes arbitraires de la puissance publique aux droits garantis par l’article 7 de la Charte exige un encadrement légal et une limitation stricts d’une telle saisie (voir Cour EDH, Camenzind c. Suisse, du 16 décembre 1997, Recueil des arrêts et décisions 1997-VIII, § 45). Ainsi, cette saisie ne saurait être compatible avec ledit article 7 que si la législation et la pratique internes offrent des garanties adéquates et suffisantes contre les abus et l’arbitraire [voir, notamment, Cour EDH, Funke c. France, 25 février 1993, série A n° 256 A, § 56-57; Miailhe c. France (n° 1), 25 février 1993, série A n° 256 C, § 37-38, ainsi que Société Colas Est et autres c. France, précité, § 48-49].

78 Dans le cadre de cet examen, il appartient à la juridiction de renvoi d’examiner si la non-existence d’un mandat judiciaire préalable se trouvait, dans une certaine mesure, contrebalancée par la possibilité pour la personne visée par la saisie de solliciter a posteriori un contrôle juridictionnel portant tant sur la légalité que sur la nécessité de celle-ci, un tel contrôle devant être efficace dans les circonstances particulières de l’affaire en cause (voir Cour EDH, Smirnov c. Russie, n° 71362/01, § 45, CEDH 2007‑VII).

79 En ce qui concerne, en deuxième lieu, le recueil et l’utilisation des preuves par l’administration fiscale, il convient de constater qu’il n’y a pas lieu, en l’espèce, d’examiner si la transmission des preuves par le service chargé de l’enquête pénale et leur recueil par celui menant la procédure administrative en vue de leur utilisation constituent une atteinte au droit à la protection des données à caractère personnel garanti par l’article 8 de la Charte, WML n’étant pas une personne physique et ne pouvant donc se prévaloir de cette protection dès lors que son nom légal n’identifie aucune personne physique (voir, en ce sens, arrêt Volker und Markus Schecke et Eifert, C 92/09 et C 93/09, EU:C:2010:662, points 52 et 53).

80 En revanche, au regard de l’article 7 de la Charte, il y a lieu de considérer que l’utilisation par l’administration fiscale de preuves obtenues dans le cadre d’une procédure pénale non clôturée au moyen d’interceptions de télécommunications et de saisies de courriers électroniques constitue en tant que telle une limitation de l’exercice du droit garanti par cet article. Il doit dès lors être recherché si cette utilisation satisfait également aux exigences énoncées à l’article 52, paragraphe 1, de la Charte.

81 À cet égard, il convient de souligner que l’exigence que toute limitation de l’exercice de ce droit doit être prévue par la loi implique que la base légale qui permet l’utilisation des preuves mentionnées au point précédent par l’administration fiscale doit être suffisamment claire et précise et que, en définissant elle-même la portée de la limitation de l’exercice du droit garanti par l’article 7 de la Charte, elle offre une certaine protection contre d’éventuelles atteintes arbitraires de cette administration (voir, notamment, Cour EDH, Malone c. Royaume-Uni, 2 août 1984, série A n° 82, § 67, ainsi que Gillan et Quinton c. Royaume-Uni, 12 janvier 2010, n° 4158/05, § 77, CEDH 2010).

82 En examinant la nécessité d’une telle utilisation dans l’affaire au principal, il convient notamment d’apprécier, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé au point 133 de ses conclusions, si elle est proportionnée au but poursuivi, en recherchant si des moyens d’investigation moins attentatoires au droit garanti par l’article 7 de la Charte que les interceptions de télécommunications et la saisie de courriers électroniques, tels qu’un simple contrôle dans les locaux de WML et une demande d’informations ou d’enquête administrative adressée à l’administration portugaise en application du règlement n° 904/2010, n’auraient pas permis d’obtenir toutes les informations nécessaires.

83 Par ailleurs, concernant le respect des droits de la défense et du principe de bonne administration, il y a lieu d’observer que les articles 41 et 48 de la Charte visés par la juridiction de renvoi ne sont pas pertinents dans l’affaire au principal. En effet, d’une part, il résulte clairement du libellé de l’article 41 de la Charte que celui-ci s’adresse non pas aux États membres, mais uniquement aux institutions, aux organes et aux organismes de l’Union (arrêts YS e.a., C 141/12 et C 372/12, EU:C:2014:2081, point 67, ainsi que Mukarubega, C 166/13, EU:C:2014:2336, point 44). D’autre part, l’article 48 de la Charte protège la présomption d’innocence et les droits de la défense dont doit bénéficier un «accusé» et n’a donc pas vocation à s’appliquer dans ladite affaire.

84 Néanmoins, le respect des droits de la défense constitue un principe général du droit de l’Union qui trouve à s’appliquer dès lors que l’administration se propose de prendre à l’encontre d’une personne un acte qui lui fait grief. En vertu de ce principe, les destinataires de décisions qui affectent de manière sensible leurs intérêts doivent être mis en mesure de faire connaître utilement leur point de vue quant aux éléments sur lesquels l’administration entend fonder sa décision. Cette obligation pèse sur les administrations des États membres lorsqu’elles prennent des décisions entrant dans le champ d’application du droit de l’Union, alors même que la législation de l’Union applicable ne prévoit pas expressément une telle formalité (arrêt Sabou, C 276/12, EU:C:2013:678, point 38 et jurisprudence citée).

85 En l’occurrence, il ressort des observations écrites de WML et des débats lors de l’audience que l’administration fiscale a donné à cette société accès aux transcrits des conversations téléphoniques et aux courriers électroniques utilisés comme éléments de preuve pour fonder la décision de redressement fiscal et que WML a eu la possibilité d’être entendue sur ces éléments avant l’adoption de ladite décision, ce qu’il incombe toutefois à la juridiction de renvoi de vérifier.

86 Au sujet, en troisième lieu, du droit à un recours juridictionnel effectif garanti par l’article 47 de la Charte et des conséquences à tirer d’une violation des droits garantis par le droit de l’Union, il convient de rappeler que, en vertu de cet article, toute personne dont les droits et les libertés garantis par le droit de l’Union ont été violés a droit à un recours effectif devant un tribunal dans les conditions prévues à cet article.

87 L’effectivité du contrôle juridictionnel garanti par cet article exige que la juridiction procédant au contrôle de la légalité d’une décision constituant une mise en œuvre du droit de l’Union puisse vérifier si les preuves sur lesquelles cette décision est fondée n’ont pas été obtenues et utilisées en violation des droits garantis par ledit droit et, spécialement, par la Charte.

88 Cette exigence est satisfaite si la juridiction saisie d’un recours contre la décision de l’administration fiscale procédant à un redressement de TVA est habilitée à contrôler que les preuves provenant d’une procédure pénale parallèle non encore clôturée, sur lesquelles est fondée cette décision, ont été obtenues dans cette procédure pénale en conformité avec les droits garantis par le droit de l’Union ou peut à tout le moins s’assurer, sur le fondement d’un contrôle déjà exercé par une juridiction pénale dans le cadre d’une procédure contradictoire, que lesdites preuves ont été obtenues en conformité avec ce droit.

89 Si cette exigence n’est pas satisfaite et, partant, le droit à un recours juridictionnel n’est pas effectif, ou en cas de violation d’un autre droit garanti par le droit de l’Union, les preuves obtenues dans le cadre de la procédure pénale et utilisées dans la procédure administrative fiscale doivent être écartées et la décision attaquée qui repose sur ces preuves doit être annulée si, de ce fait, celle-ci se trouve sans fondement.

90 Par conséquent, il convient de répondre aux dixième à quinzième questions que le droit de l’Union doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à ce que, aux fins de l’application des articles 4, paragraphe 3, TUE, 325 TFUE, 2, 250, paragraphe 1, et 273 de la directive TVA, l’administration fiscale puisse, afin d’établir l’existence d’une pratique abusive en matière de TVA, utiliser des preuves obtenues dans le cadre d’une procédure pénale parallèle non encore clôturée, à l’insu de l’assujetti, au moyen, par exemple, d’interceptions de télécommunications et de saisies de courriers électroniques, à condition que l’obtention de ces preuves dans le cadre de ladite procédure pénale et l’utilisation de celles-ci dans le cadre de la procédure administrative ne violent pas les droits garantis par le droit de l’Union.

91 Dans des circonstances telles que celles au principal, il incombe, en vertu des articles 7, 47 et 52, paragraphe 1, de la Charte, à la juridiction nationale qui contrôle la légalité de la décision procédant à un redressement de TVA fondée sur de telles preuves de vérifier, d’une part, si les interceptions de télécommunications et la saisie de courriers électroniques étaient des moyens d’investigation prévus par la loi et nécessaires dans le cadre de la procédure pénale et, d’autre part, si l’utilisation par ladite administration des preuves obtenues par ces moyens était également autorisée par la loi et nécessaire. Il lui appartient, en outre, de vérifier si, conformément au principe général du respect des droits de la défense, l’assujetti a eu la possibilité, dans le cadre de la procédure administrative, d’avoir accès à ces preuves et d’être entendu sur celles-ci. Si elle constate que cet assujetti n’a pas eu cette possibilité ou que ces preuves ont été obtenues dans le cadre de la procédure pénale ou utilisées dans celui de la procédure administrative en violation de l’article 7 de la Charte, ladite juridiction nationale doit écarter ces preuves et annuler ladite décision si celle-ci se trouve, de ce fait, sans fondement. Doivent, de même, être écartées ces preuves si cette juridiction n’est pas habilitée à contrôler qu’elles ont été obtenues dans le cadre de la procédure pénale en conformité avec le droit de l’Union ou ne peut à tout le moins s’assurer, sur le fondement d’un contrôle déjà exercé par une juridiction pénale dans le cadre d’une procédure contradictoire, qu’elles ont été obtenues en conformité avec ce droit.

Sur les dépens

92 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

DECISION

1) Le droit de l’Union doit être interprété en ce sens que, pour apprécier si, dans des circonstances telles que celles de l’affaire au principal, un contrat de licence ayant pour objet la location d’un savoir-faire permettant l’exploitation d’un site Internet par lequel étaient fournis des services audiovisuels interactifs, conclu avec une société établie dans un État membre autre que celui sur le territoire duquel est établie la société donneuse de cette licence, procédait d’un abus de droit visant à bénéficier de ce que le taux de la taxe sur la valeur ajoutée applicable à ces services était moins élevé dans cet autre État membre, le fait que le gérant et unique actionnaire de cette dernière société était le créateur de ce savoir-faire, que cette même personne exerçait une influence ou un contrôle sur le développement et l’exploitation dudit savoir-faire et la fourniture des services qui reposaient sur celui-ci, que la gestion des transactions financières, du personnel et des moyens techniques nécessaires à la fourniture desdits services était assurée par des sous-traitants, de même que les raisons qui peuvent avoir conduit la société donneuse de licence à donner en location le savoir-faire en cause à une société établie dans cet autre État membre au lieu de l’exploiter elle-même, n’apparaissent pas décisifs en eux-mêmes.

Il appartient à la juridiction de renvoi d’analyser l’ensemble des circonstances de l’affaire au principal pour déterminer si ce contrat constituait un montage purement artificiel dissimulant le fait que la prestation de services en cause n’était pas réellement fournie par la société preneuse de la licence, mais l’était en fait par la société donneuse de la licence, en recherchant notamment si l’implantation du siège de l’activité économique ou de l’établissement stable de la société preneuse de licence n’était pas réelle ou si cette société, aux fins de l’exercice de l’activité économique concernée, ne possédait pas une structure appropriée en termes de locaux, de moyens humains et techniques, ou encore si ladite société n’exerçait pas cette activité économique pour son propre nom et pour son propre compte, sous sa propre responsabilité et à ses propres risques.

2) Le droit de l’Union doit être interprété en ce sens que, en cas de constatation d’une pratique abusive ayant abouti à fixer le lieu d’une prestation de services dans un État membre autre que celui où il l’aurait été en l’absence de cette pratique abusive, le fait que la taxe sur la valeur ajoutée a été acquittée dans cet autre État membre conformément à la législation de celui-ci ne fait pas obstacle à ce qu’il soit procédé à un redressement de cette taxe dans l’État membre du lieu où cette prestation de services a réellement été fournie.

3) Le règlement (UE) n° 904/2010 du Conseil, du 7 octobre 2010, concernant la coopération administrative et la lutte contre la fraude dans le domaine de la taxe sur la valeur ajoutée, doit être interprété en ce sens que l’administration fiscale d’un État membre qui examine l’exigibilité de la taxe sur la valeur ajoutée pour des prestations qui ont déjà été soumises à cette taxe dans d’autres États membres est tenue d’adresser une demande de renseignements aux administrations fiscales de ces autres États membres lorsqu’une telle demande est utile, voire indispensable, pour déterminer que la taxe sur la valeur ajoutée est exigible dans le premier État membre.

4) Le droit de l’Union doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à ce que, aux fins de l’application des articles 4, paragraphe 3, TUE, 325 TFUE, 2, 250, paragraphe 1, et 273 de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée, l’administration fiscale puisse, afin d’établir l’existence d’une pratique abusive en matière de taxe sur la valeur ajoutée, utiliser des preuves obtenues dans le cadre d’une procédure pénale parallèle non encore clôturée, à l’insu de l’assujetti, au moyen, par exemple, d’interceptions de télécommunications et de saisies de courriers électroniques, à condition que l’obtention de ces preuves dans le cadre de ladite procédure pénale et l’utilisation de celles-ci dans le cadre de la procédure administrative ne violent pas les droits garantis par le droit de l’Union.

Dans des circonstances telles que celles au principal, il incombe, en vertu des articles 7, 47 et 52, paragraphe 1, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, à la juridiction nationale qui contrôle la légalité de la décision procédant à un redressement de la taxe sur la valeur ajoutée fondée sur de telles preuves de vérifier, d’une part, si les interceptions de télécommunications et la saisie de courriers électroniques étaient des moyens d’investigation prévus par la loi et étaient nécessaires dans le cadre de la procédure pénale et, d’autre part, si l’utilisation par ladite administration des preuves obtenues par ces moyens était également autorisée par la loi et nécessaire. Il lui appartient, en outre, de vérifier si, conformément au principe général du respect des droits de la défense, l’assujetti a eu la possibilité, dans le cadre de la procédure administrative, d’avoir accès à ces preuves et d’être entendu sur celles-ci. Si elle constate que cet assujetti n’a pas eu cette possibilité ou que ces preuves ont été obtenues dans le cadre de la procédure pénale ou utilisées dans celui de la procédure administrative en violation de l’article 7 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, ladite juridiction nationale doit écarter ces preuves et annuler ladite décision si celle-ci se trouve, de ce fait, sans fondement. Doivent, de même, être écartées ces preuves si cette juridiction n’est pas habilitée à contrôler qu’elles ont été obtenues dans le cadre de la procédure pénale en conformité avec le droit de l’Union ou ne peut à tout le moins s’assurer, sur le fondement d’un contrôle déjà exercé par une juridiction pénale dans le cadre d’une procédure contradictoire, qu’elles ont été obtenues en conformité avec ce droit.

La Cour : M. M. Ilešic (président), M. K. Lenaerts (président), Mme C. Toader, MM. E. Jarašiunas (rapporteur) et C. G. Fernlund (juges), M. V. Tourrès (greffier)

Avocat général : M. M. Wathelet

Avocats : Mes Z. Várszegi et Cs. Dékány, Me D. Bajusz

Agents : MM. M. Z. Fehér et G. Koós, M. L. Inez Fernandes, Mme A. Cunha et M. R. Campos Laires, Mme M. Owsiany-Hornung et M. A. Tokar

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