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Jurisprudence : Responsabilité

lundi 22 février 2016
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Cour administrative d’appel de Nantes, 3ème chambre, arrêt du 21 janvier 2016

B. F. / la commune de Montargis

agent public - caractère public - collectivité territoriale - commentaires - devoir de réserve - faute grave - propos injurieux - réseaux sociaux - révocation

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B… F…a demandé au tribunal administratif d’Orléans d’annuler l’arrêté du 27 janvier 2014 du maire de Montargis prononçant sa révocation à compter du 17 février 2014.

Par un jugement n° 1400399 du 24 juin 2014, le tribunal administratif d’Orléans a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 25 août 2014, et un mémoire en réplique enregistré le 28 octobre 2015, M. B… F…, représenté par Me Nataf, demande à la cour :

1°) d’annuler ce jugement du tribunal administratif d’Orléans du 24 juin 2014 ;

2°) d’annuler l’arrêté du 27 janvier 2014 du maire de Montargis prononçant sa révocation à compter du 17 février 2014 ;

3°) d’enjoindre, sous astreinte de 500 euros par jour de retard, au maire de Montargis de le réintégrer dans un délai de quinze jours à compter de l’arrêt à intervenir ;

4°) de mettre à la charge de la commune de Montargis le versement de la somme de 3 500 euros au titre de l’article L.761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :
– les premiers juges n’ont pas indiqué pour quelles raisons son investissement professionnel serait un motif déterminant pour justifier la sanction prononcée ;
– le procès-verbal de constat d’huissier du 7 novembre 2013 sur lequel se fondent les poursuites lancées à son encontre n’a pas été réalisé dans des conditions permettant de lui accorder une valeur probante ;
– la décision contestée, qui ne justifie ni le choix de la sanction la plus élevée du 4ème groupe, ni le rattachement des faits incriminés à ses fonctions, est insuffisamment motivée ;
– la sanction litigieuse, qui a été prise en se fondant sur un nombre erroné d’internautes ayant lu son commentaire, est entachée d’une erreur de fait ;
– sa révocation est entachée d’une erreur de qualification juridique des faits dans la mesure où ni ses fonctions, ni sa position hiérarchique, ne justifiaient une telle sanction ;
– le maire a manqué à son devoir d’atténuation des conflits et a ainsi entaché sa décision d’une erreur de qualification juridique ;
– la sanction prononcée est manifestement disproportionnée par rapport à la gravité de la faute commise.

Par un mémoire en défense, enregistré le 30 janvier 2015, la commune de Montargis, représentée par Me Rainaud, conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 2 000 euros soit mise à la charge de M. F… au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que les moyens soulevés par M. F… ne sont pas fondés.
Les parties ont été informées par une lettre du 14 septembre 2015 que l’affaire était susceptible, à compter du 26 octobre 2015, de faire l’objet d’une clôture d’instruction à effet immédiat en application des dispositions de l’article R. 611-11-1 du code de justice administrative.

La clôture d’instruction a été fixée au 28 octobre 2015 par une ordonnance du même jour.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :
– la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979 ;
– la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
– la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 ;
– le décret n° 89-677 du 18 septembre 1989 ;
– le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

Ont été entendus au cours de l’audience publique :
– le rapport de Mme Gélard,
– les conclusions de M. Giraud, rapporteur public ;
– les observations de Me Nataf, avocat de M.F… ;
– et les observations de Me Rainaud, avocat de la commune de Montargis.

1. Considérant que, dans le cadre de ses fonctions d’éducateur des activités physiques et sportives, M. B…F…, recruté par la commune de Montargis à compter du 15 septembre 1990, a été mis à la disposition de l’association sportive  » Cercle Pasteur  » ; que, par un arrêté n° P 14/147 du 27 janvier 2014, le maire de Montargis a, à l’issue de la procédure disciplinaire initiée contre cet agent, prononcé sa révocation ; que le 5 février 2014, M. F… a saisi le tribunal administratif d’Orléans d’une demande tendant à l’annulation de cette décision ; qu’il relève appel du jugement du 24 juin 2014 par lequel le tribunal a rejeté sa demande ;

2. Considérant que l’arrêté contesté vise les textes qui fondent la sanction prononcée et notamment le décret du 18 septembre 1989 modifié relatif à la procédure disciplinaire applicable aux fonctionnaires territoriaux ; qu’il relate la procédure suivie et rappelle les faits reprochés à M.F… et consistant en un commentaire qu’il a publié le 29 octobre 2013 sur la page Facebook de l’entreprise  » Mazet Confiseur  » gérée par le premier adjoint de la commune ; qu’il est indiqué dans cette décision que les propos de l’intéressé sont injurieux et constitutifs d’un manquement à son obligation de réserve, qu’ils sont de nature à porter atteinte à l’image de la commune, que l’intéressé n’a manifesté aucun regret devant le conseil de discipline et que ces faits justifient, ainsi que l’a proposé cette instance, sa révocation ; que le choix de la sanction la plus élevée du 4ème groupe est justifié par la gravité qualifiée de  » confirmée  » des faits rappelés dans cet arrêté ; que, par ailleurs, en ajoutant que M.F…, compte tenu de son ancienneté et de ses fonctions, ne pouvait se prévaloir d’un total anonymat parmi les usagers de la commune, le maire a entendu souligner la gravité et le caractère fautif de ces faits alors même qu’ils n’ont pas été commis par l’intéressé sur son lieu de travail ; que dans ces conditions le requérant n’est pas fondé à soutenir que la décision contestée serait insuffisamment motivée ;

3. Considérant que le procès-verbal de constat rédigé le 7 novembre 2013 à 9h30 par Me C…, huissier de justice, précise qu’il a été mandaté par le maire de Montargis afin de s’assurer du commentaire publié le 29 octobre 2013, en pleine période du salon du chocolat, par M. F… sur la page Facebook de la société Mazet située à Montargis, spécialisée dans la fabrication et la vente de cacao, de chocolat et de produits de confiserie et dont le président était M. D…, premier adjoint de la commune ; que ce procès-verbal relate le déroulement des opérations de constat et indique que l’informaticien de la société a accédé devant lui au site concerné ; que, dans la rubrique  » Je n’aime plus. Commenter. Partager  » un commentaire a été publié ; que les copies d’écran figurant en annexe du procès-verbal font apparaître des mentions injurieuses à l’égard tant des produits fabriqués par cette société que de l’honorabilité de M. D…, son dirigeant ; que 13 144 personnes ont consulté la page Facebook de la société et ont eu ainsi la possibilité de voir ce commentaire ; qu’il ressort par ailleurs des pièces du dossier que M. F…a adressé à M. D…, au début du mois de novembre 2013, une lettre dans laquelle il exprimait ses excuses  » à la suite à la mise en ligne d’un commentaire déplacé  » et ajoutait qu’en sa qualité d’agent territorial il ne devait pas tenir ce genre de propos ; que le 7 novembre 2013, l’intéressé s’est en outre présenté dans les locaux de l’entreprise en compagnie de M.A…, qui en atteste, afin de présenter ses excuses de vive voix à M.D… ; que M. F…ne conteste pas la teneur de ses propos ; que, dans ces conditions, le procès-verbal sur lequel se fondent les poursuites diligentées à son encontre, dont il n’est pas établi que les conditions dans lesquelles il a été réalisé le priverait de sa valeur probante, caractérise la matérialité, qui doit être regardée comme avérée, des faits qui lui sont reprochés ;

4. Considérant que la circonstance que le commentaire publié par M. F…n’aurait pas nécessairement été vu par l’ensemble des personnes ayant consulté le site de la société est sans incidence sur la légalité de la décision contestée, qui se fonde sur le caractère injurieux des propos et non sur leur mode de diffusion ; que, par suite, le moyen tiré de l’erreur de fait invoqué par M. F…ne peut qu’être écarté ;

5. Considérant qu’il appartient au juge de l’excès de pouvoir, saisi de moyens en ce sens, de rechercher si les faits reprochés à un agent public ayant fait l’objet d’une sanction disciplinaire constituent des fautes de nature à justifier une sanction et si la sanction retenue est proportionnée à la gravité de ces fautes ;

6. Considérant que M. F…ne conteste pas la teneur des propos mis en ligne par lui le 29 octobre 2013 sur la page Facebook de la société gérée par le premier adjoint de la commune de Montargis ; qu’ainsi que l’a estimé le conseil de discipline, lors de sa séance du 19 décembre 2013, les propos litigieux sont injurieux et insultants et portent atteinte à la réputation d’un élu de la commune, dans laquelle M. F…est employé, et révèlent un manquement à son devoir de réserve ; qu’ils justifiaient une sanction disciplinaire ; que l’intéressé ne peut utilement soutenir que ces faits seraient sans lien avec son activité professionnelle compte tenu de sa notoriété en qualité d’éducateur sportif au sein d’un gymnase communal ; que le 29 novembre 2010, le maire de Montargis lui avait d’ailleurs rappelé par courrier qu’en qualité d’agent public, il était soumis à une obligation de réserve qui imposait d’éviter, même en dehors de son service, toute manifestation d’opinion et les comportements de nature à porter atteinte à l’autorité territoriale ; que si M.F…, agent de catégorie B, soutient par ailleurs que le maire aurait dû tenter une médiation pour atténuer ses différends avec le premier adjoint, lequel au demeurant n’était pas en charge des sports au sein de la commune, il n’établit pas qu’en estimant que les faits qui lui sont reprochés constituaient des fautes de nature à justifier une sanction, l’autorité investie du pouvoir disciplinaire les aurait inexactement qualifiés ;

7. Considérant qu’il ressort des pièces du dossier que M. F…a fait l’objet, et ce dès 1994, de plusieurs rappels sur son comportement et les propos qu’il pouvait tenir en public ; qu’une première sanction disciplinaire a été prise à son encontre à la suite d’un manquement à son obligation de réserve au cours d’une réunion qui s’est tenue le 29 novembre 2010 ; qu’il a fait l’objet d’une mise à pied le 17 janvier 2012 pour son attitude d’opposition et de défi à l’autorité municipale en critiquant la politique tant sportive que règlementaire de la commune ; que les propos tenus le 29 octobre 2013 sont particulièrement injurieux ; que si l’intéressé a adressé des excuses au premier adjoint, il n’a cependant manifesté aucun regret devant le conseil de discipline en tentant au contraire de justifier ce qui l’avait poussé à cette démarche ; que les attestations et témoignages produits par le requérant ne sont pas de nature à atténuer cette faute ; que, compte tenu de l’ensemble de ces éléments, en prononçant la révocation de M.F…, le maire de Montargis a pris une sanction proportionnée à la gravité des fautes commises par cet agent communal ;

8. Considérant que si M. F…a entendu par ailleurs invoquer des faits de harcèlement moral, les éléments qu’il apporte à l’appui de ses allégations ne sont, en tout état de cause, pas de nature à établir la dégradation de ses conditions de travail, ni même un quelconque acharnement à son encontre de la part tant du premier adjoint que du maire de la commune de Montargis ;

9. Considérant qu’il résulte de ce qui précède que M. F… n’est pas fondé à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, lequel est suffisamment motivé, le tribunal administratif a rejeté sa demande ; qu’il y a lieu, par voie de conséquence, de rejeter les conclusions à fin d’injonction présentées en appel par l’intéressé ;

Sur les conclusions tendant à l’application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :

10. Considérant que les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de la commune de Montargis, qui n’est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement à M. F… de la somme qu’il demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ; que, dans les circonstances de l’espèce, il n’y a pas lieu de mettre à la charge de M. F… le versement à la commune de Montargis de la somme qu’elle demande au titre des mêmes frais ;

DECISION

Article 1er : La requête de M. F… est rejetée.

Article 2 : Les conclusions de la commune de Montargis tendant au bénéfice des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. B… F…et à la commune de Montargis.

Délibéré après l’audience du 5 janvier 2016, à laquelle siégeaient :
– M. Bachelier, président de la cour,
– Mme Gélard, premier conseiller,
– M. Lemoine, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 21 janvier 2016.
Le rapporteur,
V. Gélard Le président,
G. Bachelier
Le greffier,
M. E…

La République mande et ordonne au ministre de l’intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution de la présente décision.

La Cour : M. Bachelier (président),Mme Gélard (premier conseiller) et M. Lemoine (premier conseiller)

Avocat : Me Nataf, Me Rainaud

Source : legifrance.gouv.fr

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