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Jurisprudence : Responsabilité

mardi 23 février 2016
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Cour d’appel de Paris, Pôle 2 – Chambre 2, arrêt du 12 février 2016

Facebook Inc. / Monsieur X.

annulation - clause abusive - clause attributive de compétence - compte - conditions générales d'utilisation - consommateur - désactivation de compte - professionnel - réseaux sociaux

Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 05 Mars 2015 -Tribunal de Grande Instance de Paris – RG n° 12/12401

ARRÊT :
– contradictoire
– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
– signé par Madame Dominique Greff-Bohnert, présidente de chambre et par Madame Malika Arbouche, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

*****

Monsieur X. a ouvert un compte Facebook le 15 octobre 2008. Le 27 février 2011, son compte a été désactivé.

Par acte en date du 4 octobre 2011, Monsieur X. a assigné la société Facebook France, établissement français de la société Facebook UK Ltd pour obtenir la réactivation de son compte puis a assigné en intervention forcée la société
Facebook Inc qui a soulevé l’incompétence de la juridiction française.

Par une ordonnance rendue le 5 mars 2015, le juge de la mise en état de la 4ème chambre deuxième section du tribunal de grande instance de Paris a :
– rejeté l’exception d’incompétence du juge de la mise en état soulevée par Monsieur X. ;
– déclaré abusive la clause attributive de compétence au profit des juridictions californiennes prévue à l’article 15 des conditions générales du contrat souscrit par Monsieur X. auprès de la société Facebook Inc ;
– dit que cette clause est réputée non écrite ;
– rejeté l’exception d’incompétence soulevée par la société Facebook Inc ;
– dit que le tribunal de grande instance de Paris est compétent pour connaître du litige introduit par Monsieur X. à l’encontre de la société Facebook Inc ;
– réservé les dépens et les demandes formées en application de l’article 700 du code de procédure civile ;
– dit que l’affaire sera rappelée à l’audience de mise en état du 21 mai 2015 à 13h30 ;
– enjoint à la société Facebook Inc de conclure avant le 7 mai 2015.

Par un acte du 16 avril 2015, la société Facebook Inc a interjeté appel de cette décision.

Par des dernières conclusions notifiées par voie électronique le 30 novembre 2015,
la société Facebook Inc demande à la cour au visa des articles 48, 643, 700, 776 et 771 et suivants du code de procédure civile et des règlements et directives communautaires de :
– déclarer le tribunal de grande instance de Paris incompétent pour statuer sur le présent litige, au profit des juridictions de l’Etat de Californie, et renvoyer Monsieur X. à mieux se pourvoir ;
– infirmer l’ordonnance rendue par le juge de la mise en état le 5 mars 2015 sous le numéro RG : 12/12401 en ce qu’elle a rejeté l’exception d’incompétence soulevée par la société Facebook Inc et dit que le tribunal de grande instance de Paris était compétent pour statuer sur le présent litige ;
– confirmer l’ordonnance rendue par le juge de la mise en état le 5 mars 2015 sous le numéro RG : 12/12401 en ce qu’elle a rejeté l’exception d’incompétence soulevée par Monsieur X. et dit que le juge de la mise en état était compétent pour trancher l’exception d’incompétence.

En tout état de cause,
– condamner Monsieur X. à verser à la société Facebook, Inc la somme de 5 000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
– condamner Monsieur X. aux entiers dépens, dont distraction au profit de Maître Teytaud, par application de l’article 699 du code de procédure civile.

Par des dernières conclusions notifiées par voie électronique le 10 novembre 2015,
Monsieur X. demande à la cour au visa des articles 48, 75,77, 771, 80 et 82 du code de procédure civile, des articles R132-1, R132-2, et L141-5 du code de la consommation, l’article 17 de la Loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique et les articles 15 et 16 du règlement CE n°44/2001 du 22 décembre 2000, de :
1) A titre principal,
– déclarer irrecevable l’appel interjeté par la société Facebook Inc contre l’ordonnance du juge de la mise en état en date du 5 mars 2015 ;
2) A titre subsidiaire,
– confirmer l’ordonnance du juge de la mise en état rendue le 5 mars 2015 :
– déclarer abusive la clause attributive de compétence au profit des juridictions californiennes prévue à l’article 15 des conditions générales du contrat souscrit par Monsieur X. ;
– dire que cette clause est réputée non écrite ;
– rejeter l’exception d’incompétence soulevée par la société Facebook Inc ;
– dire et juger que le tribunal de grande instance de Paris est compétent pour connaître du litige introduit par Monsieur X. à l’encontre de la société Facebook Inc ;
– condamner la société Facebook Inc à régler la somme de 5 000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens.

L’ordonnance de clôture est intervenue le 2 décembre 2015.

Par application de l’article 455 du code de procédure civile, la Cour se réfère, pour un plus ample exposé des prétentions et des moyens des parties, à leurs dernières conclusions sus-visées.

DISCUSSION

Sur la recevabilité de l’appel :

Considérant que Monsieur X. soulève l’irrecevabilité de l’appel en application de l’article 80 du code de procédure civile, la décision sur la compétence ne pouvant être attaquée que par la voie du contredit dans les 15 jours de la décision ;

Considérant qu’en application de l’article 771 du code de procédure civile, lorsque la demande est présentée postérieurement à sa désignation, le juge de la mise en état est, jusqu’à son dessaisissement, seul compétent, à l’exclusion de toute autre formation du tribunal, pour statuer sur les exceptions de procédure ;

Qu’en application de l’article 776 du même code les ordonnances du juge de la mise en état sont susceptibles d’appel, dans les quinze jours à compter de leur signification, lorsqu’elles statuent sur un incident mettant fin à l’instance, ont pour effet de mettre fin à celle-ci ou en constatent l’extinction ou statuent sur une exception de procédure ;

Qu’en conséquence, en application des articles 73 et 771 du code de procédure civile l’ordonnance du juge de la mise en état déférée à la cour ne pouvait faire l’objet d’un contredit de compétence ; que l’appel de la société Facebook, à laquelle il n’est pas démontré que l’ordonnance a été signifiée, est dès lors recevable ;

Sur la compétence des juridictions françaises :

Considérant que Monsieur X. a souscrit auprès de la société Facebook Inc une offre de service d’un réseau social sur internet et a accepté les conditions générales du contrat dénommées “déclaration des droits et responsabilités” dont l’article 15 prévoit une clause attributive de compétence au profit des tribunaux d’Etat et fédéraux situés dans le comté de Santa Clara, en Californie, pour tout litige relatif à l’application des clauses du contrat ;

Considérant que la société Facebook estime que le contrat n’est pas un contrat de consommation en raison de la gratuité de son service et que la clause de compétence doit être appréciée par rapport à la loi qui régit le contrat c’est à dire la loi californienne et subsidiairement qu’elle ne saurait constituer une clause abusive en ce qu’elle ne produirait aucun déséquilibre entre les parties ; que Monsieur X. soutient qu’il est un consommateur et ne s’est pas servi de Facebook pour une activité de photographe, son seul métier étant celui d’enseignant de sorte que la clause attributive de compétence est une clause abusive ;

Considérant que le juge de la mise en état a justement relevé qu’il est incontestable que la société Facebook Inc a pour activité principale de proposer un service de réseau social sur internet à des utilisateurs situés dans le monde entier ; que si le service proposé est gratuit pour l’utilisateur, la société Facebook Inc retire des bénéfices importants de l’exploitation de son activité, via notamment les applications payantes, les ressources publicitaires et autres, de sorte que sa qualité de professionnel ne saurait être sérieusement contestée ; qu’il n’est pas plus contestable que le contrat souscrit est un contrat d’adhésion sans aucune latitude autre que l’acceptation ou le refus ;

Considérant que le règlement CE n°44/2001 du 22 décembre 2000 prévoit en son article 15 qu’en matière de contrat conclu par un consommateur (quand il ne s’agit pas de vente à tempérament d’objets mobiliers ou corporels ou de prêt à tempérament ou d’une autre opération de crédit liés au financement d’une vente de tels objets), lorsque le contrat a été conclu avec une personne qui exerce des activités commerciales ou professionnelles dans l’État membre sur le territoire duquel le consommateur a son domicile ou qui, par tout moyen, dirige ces activités vers cet État membre ou vers plusieurs États, dont cet État membre, et que le contrat entre dans le cadre de ces activités, lorsque le cocontractant du consommateur n’est pas domicilié sur le territoire d’un État membre, mais possède une succursale, une agence ou tout autre établissement dans un État membre, il est considéré pour les contestations relatives à leur exploitation comme ayant son domicile sur le territoire de cet Etat ;

Que l’article 16 du règlement CE n°44/2001 du 22 décembre 2000 prévoit que l’action intentée par un consommateur contre l’autre partie au contrat peut être portée soit devant les tribunaux de l’État membre sur le territoire duquel est domiciliée cette partie, soit devant le tribunal du lieu où le consommateur est domicilié et que l’action intentée contre le consommateur par l’autre partie au contrat ne peut être portée que devant les tribunaux de l’État membre sur le territoire duquel est domicilié le consommateur ;

Que s’agissant de Monsieur X., son profil Facebook fait état de son appartenance à l’éducation nationale ; que s’il fait état de ses compétences de photographe, vidéaste et de marin, il n’apparaît pas qu’il se soit servi de son compte pour développer une quelconque activité professionnelle ; qu’il lui est principalement reproché ainsi qu’en témoignent les pages qui lui sont consacrées sur “Google” d’avoir publié sur son mur une photo de l’oeuvre du peintre Courbet “l’origine du monde” ;

Que c’est dès lors par une juste appréciation des faits de la cause que le juge de la mise en état a jugé que le contrat souscrit est un contrat de consommation soumis à la législation sur les clauses abusives ;

Considérant qu’en application des articles 15 et 16 du règlement précité, Monsieur
X. avait le choix de saisir le tribunal de son lieu de domicile qui était et est toujours situé à Paris ; que le juge de la mise en état du tribunal de grande instance de Paris est dès lors compétent pour statuer sur la licéité de la clause attributive de compétence ;

Considérant que l’article L132-1 du code de la consommation dispose que “Dans les contrats conclus entre professionnels et non-professionnels ou consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat. Un décret en Conseil d’Etat, pris après avis de la commission instituée à l’article L. 534-1, détermine une liste de clauses présumées
abusives ; en cas de litige concernant un contrat comportant une telle clause, le
professionnel doit apporter la preuve du caractère non abusif de la clause litigieuse. Un décret pris dans les mêmes conditions détermine des types de clauses qui, eu égard à la gravité des atteintes qu’elles portent à l’équilibre du contrat, doivent être regardées, de manière irréfragable, comme abusives au sens du premier alinéa. Ces dispositions sont applicables quels que soient la forme ou le support du contrat. Il en est ainsi notamment des bons de commande, factures, bons de garantie, bordereaux ou bons de livraison, billets ou tickets, contenant des stipulations négociées librement ou non ou des références à des conditions générales préétablies.
Sans préjudice des règles d’interprétation prévues aux articles 1156 à 1161,1163 et 1164 du code civil, le caractère abusif d’une clause s’apprécie en se référant, au moment de la conclusion du contrat, à toutes les circonstances qui entourent sa conclusion, de même qu’à toutes les autres clauses du contrat. Il s’apprécie également au regard de celles contenues dans un autre contrat lorsque la conclusion ou l’exécution de ces deux contrats dépendent juridiquement l’une de l’autre. Les clauses abusives sont réputées non écrites. L’appréciation du caractère abusif des clauses au sens du premier alinéa ne porte ni sur la définition de l’objet principal du contrat ni sur l’adéquation du prix ou de la rémunération au bien vendu ou au service offert pour autant que les clauses soient rédigées de façon claire et compréhensible. Le contrat restera applicable dans toutes ses dispositions autres que celles jugées abusives s’il peut subsister sans lesdites clauses. Les dispositions du présent article sont d’ordre public”;

Considérant que l’article R 132-2 du code de la consommation présume abusives les clauses ayant pour objet de “ supprimer ou entraver l’exercice d’actions en justice ou des voies de recours par le consommateur” ;

Considérant que le juge de la mise en état a relevé de manière pertinente que la clause attributive de compétence prévue à l’article l5 des conditions générales du contrat oblige le souscripteur, en cas de conflit avec la société, à saisir une juridiction particulièrement lointaine et à engager des frais sans aucune proportion avec l’enjeu économique du contrat souscrit pour des besoins personnels ou familiaux ; que les difficultés pratiques et le coût d’accès aux juridictions californiennes sont de nature à dissuader le consommateur d’exercer toute action devant les juridictions concernant l’application du contrat et à le priver de tout recours à l’encontre de la société Facebook Inc ; qu’à l’inverse, cette dernière a une agence en France et dispose de ressources financières et humaines qui lui permettent d’assurer sans difficulté sa représentation et sa défense devant les juridictions françaises ; que dès lors, la clause attributive de compétence au profit des juridictions californiennes contenue dans le contrat a pour effet de créer, au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat ; qu’elle a également pour effet de créer une entrave sérieuse pour un utilisateur français à l’exercice de son action en justice ;

Considérant que l’ordonnance déférée sera dans ces conditions confirmée en ce qu’elle a déclaré la clause attributive du contrat abusive et réputée non écrite et retenu la compétence du tribunal de grande instance de Paris pour statuer sur le litige opposant Monsieur X. à la société Facebook Inc ;

Sur les autres demandes :

Considérant que l’appelant qui succombe sera condamné à payer à l’intimé une somme de 3 000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’au paiement des entiers dépens de l’appel.

DECISION

La cour,

Déclare l’appel de la société Facebook Inc recevable ;

Confirme l’ordonnance rendue le 5 mars 2015 par le juge de la mise en état du tribunal de grande instance de Paris ;

Condamne la société Facebook Inc à payer à Monsieur X. la somme de 3 000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’au paiement des entiers dépens de l’appel.

La Cour : Dominique Greff-Bohnert (présidente de chambre), Isabelle Chesnot (conseillère), Annick Hecq-Cauquil (conseillère), Malika Arbouche (greffier)

Avocats : Me François Teytaud, Me Agathe Malphettes, Me Bertrand Liard, Me Brigitte Billard Seror, Me Stéphane Cottineau

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* Nous portons l'attention de nos lecteurs sur les possibilités d'homonymies particuliérement lorsque les décisions ne comportent pas le prénom des personnes.