Jurisprudence : Contenus illicites
Tribunal correctionnel, 17ème chambre correctionnelle – chambre de la presse, jugement du 9 mars 2016
LICRA, SOS Racisme / M. X.
condamnation - contenus antisémites - diffamation - haine raciale - prison ferme - réseaux sociaux
Plaidoiries le 8 janvier 2016
Prononcé le 26 février 2016 prorogé au 9 mars 2016
DISCUSSION
SUR L’ACTION PUBLIQUE :
Sur le rappel des faits :
Le 28 mai 2015, la Délégation interministérielle de la lutte contre le racisme et l’antisémitisme (DILCRA) a avisé le procureur de la République de Paris de la teneur des propos tenus sur Twitter sous le nom de titulaire de compte « M. X. ».
Ces propos, en date du 04 avril 2015, sont les suivants :
« Pas compliqué : tant que vous n’accuserez pas les juifs de leurs innombrables crimes, ce sont eux qui vous accuseront des leurs. » (premier message)
« Les juifs sont les premiers responsables dans le massacre de trente millions de chrétiens en URSS entre 1917 et 1947 » (deuxième message)
Le 03 juin 2015, le parquet saisissait aux fins d’enquête la brigade de répression de la délinquance contre les personnes.
Monsieur X. était contacté par mail par les enquêteurs le 18 juin 2015. Par mail en date du 18 juin 2015, il reconnaissait avoir été l’auteur de ces propos et les avoir publiés sur son compte Twitter « M. X. ».
Sur la culpabilité du chef de provocation publique à la discrimination, à la haine ou à la violence raciale :
L’article 24 alinéa 7 de la loi du 29 juillet 1881 (dans la numérotation issue de la loi n° 2014-1353 du 13 novembre 2014) punit d’un an d’emprisonnement et/ou de 45.000 € d’amende ceux qui, par l’un des moyens énoncés à l’article 23, auront provoqué à la discrimination, à la haine ou à la violence à l’égard d’une personne ou d’un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée.
Ce délit suppose la réunion de plusieurs éléments constitutifs :
– un caractère public, par l’un des moyens énoncés à l’article 23,
– une provocation, c’est à dire non pas forcément une exhortation, mais un acte positif d’incitation manifeste,
– à la discrimination, à la haine ou à la violence, ce qui n’exige pas un appel explicite à la commission d’un fait précis, dès lors que, tant par son sens que par sa portée, le propos tend à susciter un sentiment d’hostilité ou de rejet,
– à l’égard d’une personne ou d’un groupe de personnes déterminé,
– et à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion,
étant précisé que pour caractériser ce délit, il n’est pas forcément nécessaire que le message vise individuellement chaque personne composant le groupe considéré, l’infraction étant constituée dès lors que la teneur ou la portée du propos, en lien direct avec l’origine, l’ethnie, la nation, la race ou la religion, rejaillit sur la totalité de la communauté ainsi définie, mais qu’en revanche, il n’y a pas de délit quand est seulement visée une catégorie de personnes qui se distingue du groupe par des comportements spécifiques, auxquels le groupe dans son ensemble n’est pas assimilé,
– un caractère intentionnel, qui se déduit de la teneur même des propos et de leur contexte.
En l’espèce, il convient tout d’abord de relever que le premier message poursuivi (« Pas compliqué : tant que vous n’accuserez pas les juifs de leurs innombrables crimes, ce sont eux qui vous accuseront des leurs ») a été publié le 04 avril 2015 à 02h20, tandis que le second a été écrit moins de dix minutes avant, le même jour à 02h11.
Le premier propos s’inscrit donc dans la suite du second, et se rattache expressément à celui-ci par la mention « pas compliqué », qui l’annonce comme l’explication du précédent message.
En accusant les juifs d’être responsables du « massacre de trente millions de chrétiens en URSS entre 1917 et 1947 » puis en expliquant cette affirmation par un propos qui incite le lecteur à « accuser les juifs de leurs innombrables crimes », l’auteur formule une accusation généralisée contre les « juifs » et exhorte le public à s’associer à cette accusation. De tels propos, lus dans l’ordre dans lequel ils ont été publiés, tendent à susciter un sentiment de haine ou de rejet à l’égard de la communauté juive, considérée dans son ensemble et sans aucune distinction, au regard de la seule appartenance ethnique, raciale ou religieuse de ses membres.
Ces propos, qui ont été publiés sur le compte Twitter de M. X., accessible au public, sont donc constitutifs du délit défini par l’article 24 (alinéa 7) de la loi du 29 juillet 1881 et le prévenu, qui a confirmé en être l’auteur et les avoir publiés, en sera déclaré coupable.
Sur la culpabilité du chef de diffamation publique à caractère racial :
Il sera rappelé, en ce qui concerne le délit de diffamation publique,que l’article 29 alinéa 1 de la loi du 29 juillet 1881 définit la diffamation comme toute allégation ou imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé; qu’il doit s’agir d’un fait précis, susceptible de faire l’objet d’un débat contradictoire sur la preuve de sa vérité, ce qui distingue ainsi la diffamation, d’une part, de l’injure – caractérisée, selon le deuxième alinéa de l’article 29, par toute expression outrageante, termes de mépris ou invective qui ne renferme l’imputation d’aucun fait- et, d’autre part, de l’expression subjective d’une opinion ou d’un jugement de valeur, dont la pertinence peut être librement discutée dans le cadre d’un débat d’idées mais dont la vérité ne saurait être prouvée ; que l’honneur et la considération de la personne ne doivent pas s’apprécier selon les conceptions personnelles et subjectives de celle-ci, mais en fonction de critères objectifs et de la réprobation générale provoquée par l’allégation litigieuse, que le fait imputé soit pénalement répréhensible ou manifestement contraire aux règles morales communément admises ; que la diffamation, qui peut se présenter sous forme d’allusion ou d’insinuation, doit être appréciée en tenant compte des éléments intrinsèques et extrinsèques au support en cause, à savoir tant du contenu même des propos que du contexte dans lequel ils s’inscrivent.
Selon les dispositions du deuxième alinéa de l’article 32 de cette même loi, la diffamation publique commise envers une personne ou un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée est punie d’un an d’emprisonnement et d’une amende de 45 000 € ou de l’une de ces peines seulement.
En l’espèce, le passage poursuivi du chef de diffamation, qui est le premier message par ordre de mise en ligne (« Les juifs sont les premiers responsables dans le massacre de trente millions de chrétiens en URSS entre 1917 et 1947 »), impute sans réserve aux juifs la responsabilité d’un fait criminel précis, circonscrit dans le temps et déterminé quant au nombre de ses victimes.
En outre, l’emploi dans cette phrase du mot « massacre » suppose la commission d’un acte fondamentalement inhumain, qui s’inscrit dans le cadre d’une attaque généralisée et susceptible, comme tel, d’entrer dans une catégorie de crimes réprimés par le droit pénal international.
Les propos poursuivis comportent donc l’imputation d’un fait précis et attentatoire à l’honneur et à la considération des juifs, considérés dans leur ensemble, à raison de leur origine ethnique, raciale ou religieuse.
Ces propos sont ainsi constitutifs du délit de diffamation publique d’un groupe de personne à raison de son origine, de son appartenance ou non appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée, en l’espèce la religion juive, au sens du deuxième alinéa de l’article 32 de la loi du 29 juillet 1881.
Le prévenu, qui a reconnu être l’auteur de ces propos et les avoir publiés, en sera donc déclaré coupable.
Sur la peine :
Le bulletin n°l du casier judiciaire du prévenu porte mention des condamnations correctionnelles suivantes :
– 27 septembre 2005, chambre des appels correctionnels de la cour d’appel de Paris (contradictoire) : 4 mois d’emprisonnement avec sursis pour des faits de violence aggravée par deux circonstances et violence aggravée par trois circonstances ;
– 21 janvier 2010, chambre des appels correctionnels de la cour d’appel de Paris (contradictoire): 5 000 € d’amende pour des faits de provocation publique à la discrimination nationale, raciale ou religieuse ;
– 21 juillet 2010, tribunal correctionnel de Nanterre (contradictoire) : 2 500 € d’amende pour des faits de diffamation publique envers particulier(s) en raison de sa race, de sa religion ou de son origine, pour des faits d’injure publique envers un particulier en raison de sa race, de sa religion ou de son origine et pour des faits de provocation publique à la discrimination nationale, raciale ou religieuse ;
– 28 septembre 2011, chambre des appels correctionnels de la cour d’appel de Paris (contradictoire, signifié à étude d’huissier, A.R. non renseigné) : 3 000 € d’amende pour des faits de diffamation publique envers particulier(s) en raison de sa race, de sa religion ou de son origine ;
– 08 novembre 2011, tribunal correctionnel de Lyon (défaut, signifié à parquet) : 2 000 € d’amende pour diffamation publique envers particulier(s) ;
– 02 octobre 2012, tribunal correctionnel de Paris (défaut, signifié en étude d’huissier, L.R.A.R. non réclamée): 6 000 € d’amende pour des faits d’injure publique envers un particulier en raison de son orientation sexuelle ;
– 11 octobre 2012, tribunal correctionnel de Paris (défaut, signifié à parquet) : 1 000 € d’amende pour des faits de complicité de provocation publique à la discrimination nationale, raciale ou religieuse ;
– 11 octobre 2012, tribunal correctionnel de Paris (défaut, signifié à parquet) : 15 jours d’emprisonnement avec sursis pour des faits de complicité de provocation publique à la discrimination nationale, raciale ou religieuse ;
– 07 novembre 2013, chambre des appels correctionnels de la cour d’appel de Paris (contradictoire, signifié à étude d’huissier) : 5 000 € d’amende pour des faits de complicité de diffamation publique envers particu1ier(s) en raison de sa race, de sa religion ou de son origine ;
– 28 mars 2014, tribunal correctionnel de Paris (contradictoire, sur opposition au jugement prononcé le 07 novembre 2013 par le tribunal correctionnel de Paris) : 2 mois d’emprisonnement pour des faits de menace de mort matérialisée par écrit, image ou autre objet, commise en raison de l’orientation sexuelle;
– 16 décembre 2014, chambre des appels correctionnels de la cour d’appel de Versailles (contradictoire) : 500 € d’amende pour port sans motif légitime d’armes ou munitions de catégorie D par au moins deux personnes,
– 26 mai 2015, tribunal correctionnel de Paris (défaut, signifié à parquet) : 3 mois d’emprisonnement pour des faits de diffamation publique envers particulier(s) en raison de sa race, de sa religion ou de son origine et pour des faits de provocation publique à la haine ou à la violence en raison de l’origine,
l’ethnie, la nation, la race ou la religion.
Eu égard à la gravité des faits et aux multiples condamnations déjà prononcées contre le prévenu, principalement pour des faits de même nature, il conviendra de prononcer à son encontre une peine de deux mois d’emprisonnement ferme.
Il n’y a pas lieu d’ordonner, à titre de peine complémentaire, la diffusion d’un message informant le public de la condamnation à intervenir.
SUR L’ACTION CIVILE :
La Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme (LICRA) et l’association SOS Racisme sont recevables en leurs constitutions de parties civiles, chacune justifiant, conformément aux dispositions combinées des article 48-1 de la loi du 29 juillet 1881 et 5 de la loi du 1er juillet 1901, être régulièrement déclarée depuis plus de cinq ans avec pour objet, défini par ses statuts, de combattre le racisme.
Compte tenu de la nature des propos poursuivis, il conviendra d’allouer à chacune de ces associations la somme de 1 000 € à titre de dommages et intérêts.
Chacune se verra allouer la somme de 1 500 € au titre de l’article 475-1 du code de procédure pénale.
Il sera en outre fait droit aux demandes des parties civiles visant à voir ordonner, à titre de réparation complémentaire, la suppression des propos poursuivis du compte Twitter de M. X., ce dans un délai de 8 jours à compter de la date à laquelle le présent jugement deviendra définitif et sous astreinte de 500 € par jour de retard.
En matière pénale, la diffusion d’un message informant le public de la condamnation à intervenir ne peut être prononcée à titre de réparation complémentaire, mais seulement comme peine complémentaire. Comme il n’y a pas lieu au prononcé d’une telle peine en l’espèce, la demande des parties civiles à cette fin sera rejetée.
DECISION
Le Tribunal, statuant publiquement, en premier ressort et par jugement contradictoire (article 424 du code de procédure pénale) à l’égard des associations Ligue Internationale contre le Racisme et l’Antisémitisme (LICRA) et SOS Racisme – Touche pas à mon pote, parties civiles, par jugement par défaut (article 412 du code de procédure pénale) à l’égard de M. X., prévenu :
SUR L’ACTION PUBLIQUE :
Déclare M. X. coupable des faits de :
– PROVOCATION A LA HAINE OU A LA VIOLENCE EN RAISON DE L’ORIGINE, L’ETHNIE, LA NATION, LA RACE OU LA RELIGION PAR PAROLE, ECRIT, IMAGE OU MOYEN DE COMMUNICATION AU PUBLIC PAR VOIE ELECTRONIQUE, faits commis le 4 avril 2015 à PARIS,
-DIFFAMATION ENVERS PARTICULIER(S) EN RAISON DE SA RACE, DE SA RELIGION OU DE SON ORIGINE, PAR PAROLE, ECRIT, IMAGE OU MOYEN DE COMMUNICATION AU PUBLIC PAR VOIE ELECTRONIQUE, faits commis le 4 avril 2015 à PARIS,
Condamne M. X. à un emprisonnement délictuel de DEUX MOIS ;
SUR L’ACTION CIVILE :
Reçoit les associations Ligue Internationale contre le Racisme et l’Antisémitisme (LICRA) et SOS Racisme – Touche pas à mon pote en leur constitution de partie civile ;
Condamne M. X. à verser à l’association Ligue Internationale contre le Racisme et l’Antisémitisme (LICRA) la somme de MILLE EUROS (1.000 €) à titre de dommages-intérêts ;
Condamne M. X. à verser à l’association SOS Racisme – Touche pas à mon pote la somme de MILLE EUROS (1.000 €) à titre de dommages-intérêts ;
Condamne à titre de réparation complémentaire M. X. à retirer les propos litigieux de son compte Twitter « M. X. » accessible à l’adresse « https://twitter.com/M. X. » dans un délai de 8 jours après que le présent jugement sera devenu définitif, sous astreinte de 500 € par jour de retard après
l’expiration de ce délai ;
Rejette la demande formée par les associations Ligue Internationale contre le Racisme et l’Antisémitisme (LICRA) et SOS Racisme – Touche pas à mon pote aux fins de diffusion d’un message informant le public de la présente condamnation ;
Condamne M. X. à verser à l’association Ligue Internationale contre le Racisme et l’Antisémitisme (LICRA) la somme de MILLE CINQ CENTS EUROS (1.500 €) au titre de l’article 475-1 du code de procédure pénale ;
Condamne M. X. à verser à l’association SOS Racisme – Touche pas à mon pote la somme de MILLE CINQ CENTS EUROS (1.500 €) au titre de l’article 475-1 du code de procédure pénale.
Avocats : Me Ilana Soskin, Me Yael Scemama
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* Nous portons l'attention de nos lecteurs sur les possibilités d'homonymies particuliérement lorsque les décisions ne comportent pas le prénom des personnes.