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Jurisprudence : Diffamation

mercredi 13 avril 2016
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Tribunal de grande instance de Nanterre, Pôle civ. – 1ère Ch., jugement le 3 mars 2016

M. A. B, S.a.r.l. Eexam / M. P. C.

assignation - atteinte à l’honneur et à la réputation - loi 1881 - nom de domaine - nullité de l'assignation - patronyme - qualification - site internet

JUGEMENT

prononcé en premier ressort, par décision contradictoire et mise à disposition au greffe du tribunal conformément à l’avis donné à l’issue des débats.

EXPOSE DU LITIGE ET DES PRETENTIONS :

Le 2 juin 2008, M. P. C. a subi une avarie moteur de sa moto de marque BMW type R11150.

Ayant effectué une déclaration de sinistre auprès de sa compagnie d’assurance, cette dernière a missionné M. A. B., de la société Eexam, afin de procéder à l’expertise du véhicule.

Insatisfait de ces conclusions d’expertise, Monsieur C. a assigné M. B. devant le tribunal d’instance de Montmorency, par acte d’huissier de justice daté du 2 octobre 2008, afin de voir condamner ce dernier à lui payer des dommages-intérêts.

Par jugement en date du 27 février 2009, M. C. a été débouté de toutes ses demandes.

Parallèlement, dans le cadre d’une procédure l’opposant à la société BMW, M. C. a obtenu de la cour d’appel de Versailles, sur appel du jugement rendu par le tribunal d’instance de Versailles en date du 2 février 2009, la désignation d’un consultant et par arrêt du 8 décembre 2010, après dépôt du rapport de ce consultant, l’infirmation du jugement et la condamnation de la société BMW à l’indemniser.

M. C. a alors saisi d’une procédure en révision du jugement rendu le 27 février 2009 le tribunal d’instance de Montmorency lequel l’a débouté de sa demande, décision confirmée par la cour d’appel de Versailles le 14 février 2012.

Le 8 août 2012, le conseil de M. B. a adressé à celui de M. C. une lettre dans laquelle il l’informait qu’il avait reçu instruction d’engager une procédure à l’encontre de son client qui avait créé un site internet www.b.a.fr

Par assignation en date du 12 février 2015, M. B. a fait citer M. C. devant le juge des référés du tribunal de grande instance de Nanterre pour qu’il lui soit ordonné sous astreinte de supprimer les noms de domaine b.a.client.fr, b.a.fr, b.a.com et tout domaine reprenant ses nom et prénom.

Par ordonnance du 29 avril 2015, le juge des référés a constaté que M. C. avait supprimé le nom de domaine b.a.client.fr, ordonné à M. C. de supprimer les deux autres noms de domaine visés à l’assignation et tout autre nom de domaine reprenant les noms et prénom de M. B.

Se plaignant de la création par M. C. moins d’une semaine après cette ordonnance le 5 mai 2015 d’un nouveau site http://xxxexpertise.com, M. B. a fait constater par un huissier de justice le 24 août 2015, le contenu de ce site :

« ALERTE FRAUDE

ALERTE FRAUDE cabinet B. A. – SARL Eexam

Expert automobile N° 0000000 VGA
00 rue Xxxx XXX
00000 XXXXX
Tél : 00 00 00 00 00
cabinet.B.@
Cabinet-B., dans votre expertise N° 000000-D
Panne : Soupape percée d’un moteur à 4 temps.
Objectif : Identifier la cause de la panne.
Votre conclusion : la CALAMINE

L’EXPERT judiciaire, consulté par la cour d’appel de Versailles, REDIGE le constat suivant :

ABSENCE DE CALAMINE

Pourquoi une telle CONTRADICTION avec l’expert judiciaire ?
Pourquoi ne décrivez-vous pas l’ETAT des BOUGIES ?
Pourquoi n’évoquez-vous pas le REGLAGE du JEU des SOUPAPES ?

ALERTE FRAUDE ».

Autorisés le 16 décembre 2015, M. B. et la société Eexam ont fait citer M. C. par acte d’huissier de justice du 24 décembre 2015 à jour fixe pour l’audience de la 1ère chambre civile du tribunal de grande instance de Nanterre du 27 janvier 2016, demandant au tribunal, sur le fondement de l’article 1382 du code civil, de :
– dire M. B. recevable et bien fondé en son action intentée à l’encontre de Monsieur P. C.,
En conséquence,
Sur son droit à indemnisation :
– dire que le comportement de M. C. à son encontre et à l’encontre de sa société, la SARL Eexam, est constitutif d’une faute au sens de l’article 1382 du code civil,
– dire que le droit à indemnisation de M. B. et de la Sarl Eexam n’est pas contestable,
– dire que la faute imputable à Monsieur C. est à l’origine de préjudices subis tant par M. B. que par sa société, qu’il convient d’indemniser,
Sur les préjudices :
– dire que le préjudice moral de M. B. est constitué,
– condamner M. C. à verser à M. B. la somme de 15.000 € à ce titre,
– dire que le préjudice d’atteinte à l’image et à la réputation tant de la Sarl Eexam que de M. B., est constitué,
– condamner M. C. à verser à M. B. et à la SARL Eexam, la somme de 20.000 € à ce titre,
En tout état de cause,
– ordonner la suppression du site internet « xxxexpertise.com »,
– dire qu’il y aura lieu d’assortir cette condamnation d’une astreinte de 150 € par jour de retard, à compter de la décision à intervenir,
– condamner M. C. à payer à M. B. et à la Sarl Eexam la somme de 3.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens.

Par conclusions en réplique signifiées le 27 janvier 2016, les demandeurs ont maintenu l’ensemble des moyens et prétentions contenues dans l’acte introductif d’instance, concluant au surplus au rejet de la demande de nullité de l’assignation formée par M. C.

Par conclusions signifiées le 27 janvier 2016, M. P. C. demande au tribunal, au visa de la loi du 29 juillet 1881, de l’article 12 du code de procédure civile et de l’article 1382 du code civil, avant toute défense au fond de constater la nullité de l’assignation sur le fondement de l’article 53 de la loi du 29 juillet 1881 et s’agissant d’une action en diffamation, au fond de débouter M. B. et la société Eexam de toutes leurs demandes, en tout état de cause de les condamner solidairement à lui payer une indemnité de 3.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

A l’audience du 27 janvier 2016, les parties ont confirmé oralement les moyens et prétentions exposés dans leur assignation et conclusions auquel il est renvoyé pour plus ample exposé, conformément à l’article 455 du code de procédure civile.

DISCUSSION

Sur la demande de nullité de l’assignation

M. C. soutient in limine litis qu’il est de jurisprudence constante que « les abus de la liberté d’expression prévus et réprimés par la loi du 29 juillet 1881 ne peuvent être réparés sur le fondement de l’article 1382 du code civil », que ces abus sont régis exclusivement par la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, que M. B. se plaint d’une atteinte à son honneur, sa considération et sa réputation ainsi qu’à celle de son entreprise, son patronyme et le nom de sa société étant associés sur des pages internet publiques à la « mauvaise expertise » ou encore « l’ incompétence », « la malveillance » et « la fraude », que les prétendus atteintes et les dommages de M. B. trouvent leur fondement dans un prétendu abus de la liberté d’expression et concernent une personne physique et une personne morale déterminées, que les agissements de M. C. sont qualifiés de dénigrement au visa de l’article 1382 du code civil, sans doute pour contourner l’application de la loi du 29 juillet 1881, que l’action en dénigrement doit être requalifiée en action en diffamation et que dans ces conditions, le tribunal constatera que les dispositions de l’article 53 de la loi du 29 juillet 1881, applicables devant la juridiction civile et dont la violation revêt un caractère substantiel, n’ont pas été respectées – absence d’indication du texte applicable à la poursuite, absence d’élection de domicile à Nanterre, absence de dénonciation au ministère public, que l’assignation doit donc être annulée.

M. B. et la société Eexam répondent que leur action n’est pas liée à un abus présumé de sa liberté d’expression par M. C., mais à son comportement obsessionnel, qui dure depuis plusieurs années, et qui consiste à multiplier la création de sites internet visant les activités de M. B. dans le but très clair de leur nuire, que la procédure ici en cause est également et surtout reliée directement au refus répété de M. C. de se conformer aux décisions de justice prises à son encontre, et tout particulièrement à celle rendue par le juge des référés de la présente juridiction, le 29 avril 2015, que le débat présenté devant la juridiction ne relève pas de la question de la liberté d’expression de M. C., tels que des propos tenus par lui, sur un forum internet, un blog ou un réseau social, mais dans des actes positifs, de création de sites internet et de noms de domaines en cascades dans l’intention de nuire à Monsieur B. et à sa société, qui leur occasionnent des préjudices, que le débat porte alors sur un fait positif du défendeur, qualifié de faute, en lien avec les préjudices causés aux demandeurs, et relève donc de l’article 1382 du code civil, que le tribunal ne saurait être dupé par la demande en nullité du défendeur, qui joue des mots utilisés par les demandeurs dans leurs écritures, afin de les extrapoler et de requalifier ainsi leur action en « action en diffamation » ou « action en dénigrement », qu’en effet, l’utilisation du terme « dénigrement » dans des conclusions ne suffit pas à requalifier l’action entreprise en action en dénigrement, comme celle de « liberté d’expression » ne justifie pas à elle seule une action en diffamation.

> Sur ce :

Les abus de la liberté d’expression prévus et réprimés par la loi du 29 juillet 1881 ne peuvent pas être réparés sur le fondement de l’article 1382 du code civil.

Selon l’article 29 alinéa 1 de la loi du 29 juillet 1881, toute allégation ou imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé est une diffamation. La publication directe ou par voie de reproduction de cette allégation ou de cette imputation est punissable, même si elle est faite sous forme dubitative ou si elle vise une personne ou un corps non expressément nommés, mais dont l’identification est rendue possible par les termes des discours, cris, menaces, écrits ou imprimés, placards ou affiches incriminés.

Dans l’acte introductif d’instance, M. B. et la société Eexam poursuivent la condamnation de M. C. à leur payer des dommages-intérêts notamment en réparation d’un préjudice d’atteinte à leur image et à leur réputation, sur le fondement de l’article 1382 du code civil, lui reprochant le contenu du site http://www.b.a.client.fr/ destiné à les dénigrer avec les mentions suivantes « INCOMPETENCE, MALVEILLANCE ou quoi d’autres…? » et d’avoir le 5 mai 2015, en dépit de l’ordonnance de référé rendue le 25 avril 2015, créé un nouveau site http://xxxexpertise.com, et, ainsi que cela ressort du constat d’huissier du 24
août 2015, fait figurer le commentaire “ ALERTE FRAUDE ” sous le nom de ce site et d’avoir répété à trois reprises “ ALERTE FRAUDE ” sur la page du site.

M. B. et la société Eexam soulignent qu’ainsi depuis l’ordonnance de référé du 25 avril 2015, M. C. a remplacé les termes “incompétence” et “malveillance” qui figuraient sur les sites antérieurement créés dans le but de porter atteinte à leur réputation et de les dénigrer, par trois occurrences du terme “fraude”, estimant qu’en ajoutant l’onglet “ALERTE FRAUDE”, M. C. laisse entendre, par là même, que Monsieur B. serait l’auteur d’une infraction pénale.

Les demandeurs reprochent encore à M. C. d’avoir multiplié de façon quasi obsessionnelle la création de sites internet visant les activités de M. B. dans le but très clair de lui nuire, d’avoir au surplus refusé de façon répétée de se conformer aux décisions de justice rendues à son encontre.

Le fait d’associer au nom de M. B., expert automobile, et de celui de la personne morale à travers laquelle il exerce son activité, les commentaires « INCOMPETENCE, MALVEILLANCE ou quoi d’autres…? » remplacés ensuite par “ALERTE FRAUDE ”, sur les pages des sites internet publics créés par M. C. lui-même, constitue l’allégation ou l’imputation de faits diffamatoires, laissant en effet ainsi entendre que M. B. pourrait être l’auteur d’actes de malveillance ou d’une fraude, susceptibles de constituer des violations de la loi, accusation attentatoire à son honneur ou à sa considération. Ces faits reprochés à M. C. sont donc susceptibles d’être qualifiés de faits diffamatoires au sens de l’article 29 alinéa 1 de la loi du 29 juillet 1881.

Dès lors que la faute dont il est fait grief à M. C. par les demandeurs résulte de la répétition de faits, parmi lesquels certains sont constitutifs d’actes de diffamation, ces derniers se devaient de respecter les dispositions de la loi du 29 juillet 1881 en faisant délivrer une citation conforme aux exigences de l’article 53 de ladite loi, toutes les formalités devant être observées à peine de nullité, en qualifiant le fait incriminé, indiquant le texte de loi applicable à la poursuite, élisant domicile dans la ville où siège la juridiction saisie et la notifiant tant au prévenu qu’au ministère public.

Or, l’assignation ne qualifie pas les différents faits incriminés, ne contient pas l’indication du texte de la loi du 29 juillet 1881 applicable, n’a pas été délivrée au ministère public et ne contient pas d’élection de domicile à Nanterre.

Elle doit donc être annulée.

Dès lors que l’acte de saisine du tribunal est nul et de nul effet, il n’y a pas lieu de débouter les demandeurs de demandes dont le tribunal n’est pas saisi.

Sur les dépens et l’article 700 du code de procédure civile

Les dépens seront à la charge in solidum de M. B. et de la société Eexam.

L’équité commande de les condamner à payer à M. C. une indemnité de 1.500 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

DECISION

Le tribunal,

Annule l’assignation délivrée le 24 novembre 2015 à M. P. C. à la demande de M. A. B. et de la société Eexam.

Condamne in solidum M. A. B. et de la société Eexam à payer à M. P. C. une indemnité de 1.500 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Condamne in solidum M. A. B. et de la société Eexam aux dépens.

Le Tribunal : Anne Beauvois (1ère vice-présidente), Estelle Moreau (vice-présidente), Agnès Cochet-Marcade (vice-présidente), Geneviève Cohendy (greffier).

Avocats : Me Jean-Denis Galdos del Carpio, Me Henri de la Motte Rouge

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* Nous portons l'attention de nos lecteurs sur les possibilités d'homonymies particuliérement lorsque les décisions ne comportent pas le prénom des personnes.