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Jurisprudence : Logiciel

mardi 31 mai 2016
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Tribunal de grande instance de Lille, jugement du 26 mai 2016

Anaphore et Louis C. / Conseil général de l'Eure

appel d'offres - contrefaçon - description - droit d'auteur - fonctionnalité - originalité - protection

DÉBATS :

Vu l’ordonnance de clôture en date du 05 Février 2016.

A l’audience publique du 17 Mars 2016, date à laquelle l’affaire a été mise en délibéré, les avocats ont été avisés que le jugement serait rendu le 26 Mai 2016.

JUGEMENT: contradictoire, en premier ressort, mis à disposition au Greffe le 26 Mai 2016 par Déborah Bohée, Président, assistée de Sophie Mametz, Greffier.

EXPOSE DU LITIGE

FAITS ET PROCEDURE

La société Anaphore a développé un logiciel de gestion d’archives dénommé « Arkheia », signe qui désigne également une marque déposée.

A compter du 7 juillet 1997, la société Anaphore et le Conseil Général de l’Eure ont conclu plusieurs contrats successifs portant sur l’utilisation du logiciel de services d’Archives Arkheia par le Conseil Général de l’Eure.

Puis, en juillet 2013, le Conseil Général de l’Eure (« le Conseil Général ») a lancé un appel d’offres pour l’acquisition d’une solution de gestion matérielle et intellectuelle de documents conservés aux archives départementales de l’Eure, dans le cadre d’un nouveau marché public.

Dans ce cadre, le Conseil Général a détaillé ses besoins et attentes dans un cahier des clauses techniques particulières ( »CCTP ») daté du 4 juillet 2013.

La société Anaphore a alors écrit début août 2013 au Conseil Général de l’Eure en lui reprochant d’avoir décrit avec une extrême précision l’architecture générale de son logiciel, la structure de ses données et de ses modes opératoires qu’elle estimait très spécifique, et renseigné ainsi tous ses concurrents commerciaux sur son savoir-faire, tout en citant à de multiples reprises son logiciel et en présentant même des captures d’écran de ce dernier.

Le Conseil Général de l’Eure a répondu en octobre 2013 à ces allégations en faisant valoir que décrire les fonctionnalités d’un logiciel, même très précisément, ne pouvait constituer une atteinte aux droits de propriété intellectuelle de son éditeur, et rappelé qu’en tout état de cause, la protection au titre des droits d’auteur impliquait que soit remplie la condition de l’originalité du logiciel.

La société Anaphore a alors fait appel en novembre 2013 à un Expert informatique inscrit près la Cour d’appel de Nîmes, lequel a établi un rapport non contradictoire concluant à l’originalité du logiciel Arkheia, ainsi qu’au fait qu’une « partie significative » des solutions apportées par ledit logiciel avait été dévoilé dans le cahier des charges litigieux, précision étant apportée par l’Expert que le cahier des charges fournissait des informations allant bien au-delà du nécessaire en ce qu’il livrait des réponses et des solutions directement issues dudit logiciel.

Pour sa part, le Conseil Général avait retiré entre-temps son offre de marché public litigieuse avant de la réitérer dans des termes différents, en novembre 2013.

La société Naoned a remporté en janvier 2014 le marché public proposé.

Estimant que cette dernière société, de même que d’autres sociétés concurrentes, avaient développé de nouvelles solutions informatiques à partir des données relatives à son logiciel divulguées dans le cahier des charges du Conseil Général de l’Eure, par acte d’huissier en date du 1er décembre 2014, la société Anaphore a fait assigner ce dernier devant le Tribunal de céans en contrefaçon de son logiciel Arkheia et en contrefaçon de sa marque « Arkheïa ».

Concomitamment, le 27 novembre 2014, la société Anaphore avait saisi le Tribunal administratif de Rouen d’une requête en indemnisation de son préjudice, qu’elle évaluait à la somme de 754 400 Euros, résultant selon elle de la violation, par le département de l’Eure, de l’article 80 III du Code des marchés publics.

Sur ce, dans le cadre de la présente instance, le défendeur a constitué avocat et les parties ont échangé leurs conclusions.

L’affaire a été radiée le 2 décembre 2015 puis de nouveau enrôlée le 4 janvier 2016.

Louis C. est intervenu volontairement à l’instance aux côtés de la société Anaphore.

Les parties ayant échangé leurs dernières conclusions récapitulatives, la clôture de l’instruction a été ordonnée à la date du 5 février 2016 et l’affaire plaidée à l’audience du 17 mars 2016.

Le Tribunal a autorisé à la production du jugement lu par le Tribunal administratif de Rouen le 9 février 2016 par lequel cette juridiction s’est déclarée incompétente.

PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

* Par dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 1er décembre 2015 auxquelles il convient de se référer pour l’exposé de leurs motifs, la société Anaphore et Louis C. demandent au Tribunal, au visa des articles L.111-1, L.111-3, L.112-2, 13°, .335-2, L.335-2-1, L.335-3 du Code de la propriété intellectuelle, de :

Constater les actes de contrefaçon de logiciel et de marque du Conseil Général de l’Eure ;

En conséquence,
Le condamner à payer à la société Anaphore :
– 754.400 Euros au titre de son préjudice commercial ;
– 20.000 Euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile ;
– 2.320 Euros HT soit 2 779,36 Euros au titre des frais et honoraires de l’expert Monsieur Sarton ;

Condamner le Conseil Général de l’Eure à indemniser Louis C. et à lui verser à ce titre 1 Euro ;

Dire que les intérêts porteront eux-mêmes intérêts en application de l’article 1154 du Code civil ;

Subsidiairement, en application de l’article 145 du Code de procédure civile, ordonner une mesure d’expertise et nommer un Expert informatique afin notamment de :

– lister les éléments dévoilés par le Conseil Général de l’Eure ;
– dire si le logiciel Arkheïa présente des éléments originaux ;
– se faire communiquer les coordonnées de toutes les entreprises ayant téléchargé le cahier des charges litigieux ;
– évaluer le préjudice subi par la société Anaphore, notamment, les investissements réalisés pour développer le logiciel Arkheia qui a été dévoilé et les investissements et le coût pour redévelopper un nouveau logiciel, les pertes de marchés et de clients ;

Dire que les frais d’expertise incomberont au Conseil Général de l’Eure qui devra les régler au plus tard sous un délai de 1 mois de la notification du jugement ;

Ordonner l’exécution provisoire ;

Condamner le Conseil Général de l’Eure aux entiers dépens, avec faculté de recouvrement direct au profit de Maître Nicole Bondois, Avocate.

Louis C. fait valoir qu’il est le créateur du logiciel Arkheïa, détenteur des droits sur ledit logiciel en application de l’article L.121-1 du Code de la propriété intellectuelle.

Puis, les demandeurs soulignent que le logiciel Arkheïa est une oeuvre logicielle de l’esprit, originale et accessible à ce titre à la protection du droit d’auteur.

Ils considèrent en particulier que la société Anaphore est allée au-delà des exigences posées par la circulaire 97-4 du 1er septembre 1997 qui régit la matière pour rendre son logiciel plus adapté aux besoins des archivistes.

Ils détaillent cette originalité de leur solution informatique déclinée en trois points : le processus de récolement, le modèle de structuration des données et le mode de saisies restitution, considèrent qu’il n’est nullement nécessaire de produire le code source qu’ils indiquent tenir à la disposition de tout expert désigné par le Tribunal, et soulignent que le Conseil Général a souhaité un logiciel autre que le leur afin de l’enrichir, tout en présentant exactement les mêmes fonctionnalités.

Les défendeurs détaillent ensuite le préjudice né selon eux des agissements qu’ils reprochent au défendeur.

*

*Par dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 28 octobre 2015 auxquelles il convient de se référer pour l’exposé de ses motifs, le Conseil Général de l’Eure demande au Tribunal de :

A titre principal :

Juger irrecevable l’intervention volontaire de Louis C. pour défaut d’intérêt à agir et en conséquence la rejeter ;

Juger que le Conseil Général de l’Eure n’a commis aucun acte de contrefaçon de marque ou de droits d’auteur au préjudice de la société Anaphore ;

Juger que la demande d’expertise de la société Anaphore et de Louis C. méconnaît les articles 146 et 232 du Code de procédure civile et en conséquence la rejeter ;

En conséquence rejeter l’intégralité des demandes présentées par ces derniers ;

A titre très subsidiaire :

Juger que la société Anaphore ne justifie ni de l’existence ni de l’étendue de son préjudice ;

En conséquence rejeter l’intégralité des demandes présentes par cette dernière ;

Condamner la société Anaphore et Louis C. in solidum au paiement de la somme de 10 000 Euros sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civil, outre les entiers dépens.

Prononcer l’exécution provisoire du jugement à intervenir au profit du Conseil Général de l’Eure en ce qui concerne l’indemnité qui lui sera allouée au titre de l’article 700 du Code de procédure civile.

Le Conseil Général de l’Eure fait valoir d’emblée l’absence d’intérêt à agir de Louis C. en l’absence de droits détenus par ce dernier sur le logiciel litigieux et en l’absence de demande à son profit.

Sur la contrefaçon de marque, le défendeur souligne que la marque Arkheïa n’a pas été renouvelée après son dépôt le 7 juillet 1995, et qu’elle a uniquement fait l’objet d’un nouveau dépôt le 30 août 2013 soit postérieurement à la diffusion du cahier des charges litigieux, le 30 juillet 2013.

Sur la contrefaçon de droits d’auteur, le Conseil Général expose n’avoir eu d’autres choix pour élaborer son cahier des charges que de mentionner la solution alors exploitée et de fournir certaines indications sur ses fonctionnalités puisque ces dernières reflétaient au moins en partie les besoins à satisfaire.

Il conteste avoir reproduit le logiciel litigieux ou ses composantes, et dénie en tout état de cause tout caractère d’originalité au logiciel conçu par la société Arkheïa, en ce que cette dernière s’est contentée selon lui de se conformer aux exigences de la circulaire 97-4 du 1er septembre 1997, dans un secteur, celui des Archives, extrêmement contraint et codifié.

Le Conseil général relève encore le caractère non contradictoire de l’expertise, et les aspects lacunaires de son contenu, ainsi que le défaut de production du code source du logiciel.

II réfute enfin le préjudice allégué par les demandeurs.

DISCUSSION

Sur la fin de non-recevoir tirée du défaut d’intérêt à agir de Louis C.

Aux termes des dispositions de l’article 122 du Code de procédure civile, constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l’adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d’agir, telle défaut de qualité, le défaut d’intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée.

L’article L111-1 du Code de la propriété intellectuelle dispose que l’auteur d’une oeuvre de l’esprit jouit sur cette oeuvre, du seul fait de sa création, d’un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous. Ce droit comporte des attributs d’ordre intellectuel ainsi que des attributs d’ordre patrimonial, qui sont déterminés par les livres I et III dudit Code.

Par application des dispositions de l’article L 113-1, la qualité d’auteur appartient, sauf preuve contraire, à celui ou à ceux sous le nom de l’oeuvre qui est divulguée.

Enfin, l’article L 121-1 du Code de la propriété intellectuelle dispose que l’auteur jouit du droit au respect de son nom, de sa qualité et de son oeuvre. Ce droit est attaché à sa personne et il est perpétuel, inaliénable et imprescriptible.

*

En l’espèce, au soutien de la fin de non-recevoir qu’il invoque, le Conseil général de l’Eure fait valoir que Louis C., gérant de la société Anaphore, ne justifie d ‘aucun intérêt à agir, ne forme aucune demande, et ne détient aucun droit sur le logiciel objet de la présente action.

Pour autant, le demandeur ne dénie pas véritablement à Louis C. sa qualité de concepteur du logiciel Arkheïa et à cet égard, force est de constater que dès le premier contrat de licence souscrit en 1997 par le Conseil général de l’Eure auprès de la société Anaphore, Louis C. était le gérant de ladite société, signataire du contrat.

En outre, il ressort du « Rapport technique informatique » qu’il verse aux débats (sa pièce n°16) que Louis C. a été l’interlocuteur unique, au sein de la société Anaphore, de l’expert commis à titre amiable, en capacité d’expliquer les modalités de fonctionnement de son logiciel.

L’ensemble de ces éléments, quoique ténus, suffisent à démontrer que Louis C. est bien l’auteur du logiciel Arkheia et détenteur à ce titre des droits moraux sur ledit logiciel, si celui-ci était considéré comme une oeuvre de l’esprit.

Il convient donc de le déclarer recevable en son intervention volontaire.

Sur la demande principale en contrefaçon de droit d’auteur sur le logiciel de gestion d’archives  »Arkheia »

L’article L112-1 du Code de la propriété intellectuelle protège les droits des auteurs sur toutes les oeuvres de l’esprit, quels qu’en soient le genre, la forme d’expression, le mérite ou la destination.

Aux termes des dispositions de l’article L112-2 du même Code, sont considérés notamment comme oeuvres de l’esprit les logiciels, y compris le matériel de conception préparatoire.

Par application des dispositions de l’article L112-4, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l’auteur est illicite.

Enfin, l’article L335-3 qualifie de délit de contrefaçon toute reproduction, représentation ou diffusion, par quelque moyen que ce soit, d’une oeuvre de l’esprit en violation des droits de l’auteur, tels qu’ils sont définis et réglementés par la loi.

Enfin, l’article 9 du Code de procédure civile commande à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention.

*

En l’espèce, il appartient aux demandeurs à l’instance, de rapporter la preuve de l’existence et du caractère original du logiciel dont ils revendiquent la protection au titre des droits d’auteur qui leur sont contestés en défense, puis, de la matérialité des actes de contrefaçon qu’ils dénoncent.

Cette démonstration implique que les requérants exposent au préalable quelle est l’originalité des composantes du logiciel Arkheia, notamment, si ce n’est exclusivement, celle de ses codes sources.

Un logiciel est original lorsque les choix opérés par son concepteur témoignent d’un apport intellectuel propre et d’un effort personnalisé (Cass Civ. 1ère N° 11-21641, 17 octobre 2012).

L’effort personnalisé de l’auteur d’un logiciel va au-delà de la simple mise en œuvre d’une logique automatique et contraignante, la matérialisation de cet effort résidant dans une structure individualisée (Cass. Ass. Plénière N°83-1 04 77, 7 mars 1986).

A cet égard la société Anaphore et Louis C., après avoir souligné que le Conseil général de l’Eure avait, dans le cadre d’un appel d’offres pour l’acquisition d’une solution de gestion matérielle et intellectuelle de documents conservés aux archives départementales de l’Eure, détaillé ses besoins et attentes dans un cahiers des clauses techniques particulières en détaillant ce faisant avec une extrême précision l’architecture générale de leur logiciel Arkheia, la structure de ses données et de ses modes opératoires qu’ils affirment être très spécifiques, et renseigné ainsi tous les concurrents commerciaux de la société Anaphore sur son savoir-faire, fondent essentiellement leur demande sur un « Rapport technique informatique » établi à l’en-tête de Benoît Sarton, Expert informatique près la Cour d’appel de Nîmes (pièce n°16 des demandeurs).

Il ressort d’abord de ce document, non daté et non signé, que l’expert informatique a reçu Louis C. et son Conseille 25 novembre 2013, entendu les explications de l’intéressé au sujet notamment de la conception de logiciels adaptés au métier d’archiviste ainsi que des « caractéristiques qui fondent la valeur d’une solution informatique adaptée » (page 3/16 du rapport), avant de demander à Louis C. de lui communiquer « un dossier répondant à (s)es questions, portant notamment sur l’originalité de son logiciel pour résoudre les problématiques de la gestion d’archives. A la suite de quoi j’examinerai ses arguments techniques pour en évaluer la pertinence au regard de la loi sur la protection du droit d’auteur en matière de logiciels ». L’expert précise ensuite que « M. C. m’a adressé son dossier technique du 3 février 2014. »

Ledit rapport technique sur lequel Benoît Sarton fonde ensuite son argumentation, n’est pas annexé à son rapport mais versé aux débats par les demandeurs (leur pièce n°17).

Intitulé « CCTP pour la ré-informatisation des archives départementales -Description du Logiciel Arkhéïa » et daté du 3 février 2014, il s’agit d’un document établi par la société Anaphore, partie demanderesse à l’instance, postérieurement à l’appel d’ offre litigieux (juillet 2013), pour les besoins de sa cause.

Puis, il apparaît que l’auteur du rapport débute son analyse par une affirmation, fondée exclusivement sur les déclarations de Louis C., selon laquelle « l’histoire des logiciels d’informatisation des services d’archives depuis une vingtaine d’année », et notamment le fait que « aux débuts de la micro-informatique (années 80), les auteurs analysaient en détail les besoins des utilisateurs car ils ne disposaient d’aucun outil préexistant. Par la suite, les outils bureautiques et les ateliers de création de logiciels ont apporté des outils tout faits, séduisants au premier abord, mais souvent moins précis au niveau de l’analyse des besoins », tendance qui s’est « accentuée ces dernières années avec internet », permet à Anaphore de « démontrer, à juste titre, que la vraie valeur d’un logiciel ne réside plus dans les « lignes de codes », ni dans l’implémentation d’algorithmes (souvent automatisée), mais dans les idées sous-jacentes acquises par l’expérience et la créativité » (page 4/16 du rapport).

L’auteur du rapport synthétise ensuite le contenu du rapport technique que lui a remis Louis C. en le commentant, pour abonder dans son sens.

Il décline ainsi l’originalité qu’il confère au logiciel litigieux en trois points (pages 4 et 5 du rapport technique) :

« les processus » consistant à « appréhender la vie du service d’archives dans sa dynamique » ; l’accent est mis par l’auteur du rapport sur le choix de la société Anaphore « d’analyser que la partie centrale est le « récolement » » ;

« le modèle de données » décrit comme « la manière de structurer la base de données en « tables » (ou « fichiers ») elles-mêmes composées de « champs » (ou « rubriques ») » » ; l’auteur du rapport précise à cet égard qu’ « Anaphore montre, de manière précise et avec plusieurs exemples, que la description des rubriques dans le cahier des charges (qui va bien au-delà de ce qui est nécessaire à l’exposé des besoins de gestion d’archives) -révèle une structure sous-jacente qui résulte d’une expérience et d’une analyse de plusieurs années » ;

– « les saisies et restitutions : Anaphore montre en quoi un écran de saisie de données ou un état imprimé peuvent trahir des choix originaux (…) Ce sont les logiques de travail qu’ils révèlent. »

Puis, l’auteur du rapport, par référence au Chapitre II page 7 du dossier technique qui lui a été soumis et à la page 59 de CCTP litigieux fait valoir qu’Anaphore va au-delà des contraintes réglementaires imposées aux services publics d’archives, en citant plusieurs exemples (page 6 et 7 du rapport technique).

Benoît Sarton conclut ainsi dans son « Analyse » (page 8 du rapport technique) :

« Les explications introductives d’Anaphore sont convaincantes en ce qu’elles montrent que le savoir-faire acquis par son expérience et ses analyses se traduisent par une organisation de modules fonctionnels et une architecture de la base de données visant à répondre au mieux aux spécificités des services de gestions d’archives.
Elle fournit plusieurs exemples concrets, dont une analyse détaillée du processus de « récolement » qui est au centre de sa solution ».
Les dispositions règlementaires définissant les règles pour les services publics d’archives sont des contraintes minimales, mais qui ne peuvent aucunement suffire à décrire l’ensemble d’une solution informatique.
A cet égard, la solution logicielle Arkheia n’est pas la simple transcription informatique d’une logique préexistante. C’est une création originale qui propose des solutions à des problèmes pratiques. »
(Page 8 du rapport)

Il résulte ainsi de ses propres énonciations que l’auteur du rapport, chargé d’apprécier l’originalité du logiciel Arkheïa :

ne précise à aucun moment avoir examiné directement la solution informatique (lignes de programmation, codes, matériel de conception préparatoire) dont l’originalité est soumise à son appréciation, mais exclusivement, un dossier technique constitué par son client pour les besoins de sa cause ;

– évoque une organisation de modules fonctionnels et une architecture de la base de données visant à répondre à des contraintes induites par la spécificité d’un service de gestions d’archives, tout en admettant d’emblée qu’il existe en matière de création de logiciels d’informatisation des services d’archives, des outils informatiques « tout faits » ;

– écarte pour ce motif, comme objets de l’évaluation de l’originalité du logiciel qui lui est soumis, les lignes de codes et les algorithmes du logiciel Arkheia, dont il n’est pas possible de savoir s’ils lui ont même été communiqués par les demandeurs, au profit d’« idées », alors que même que les idées ne sont pas protégeables en matière de droit d’auteur ;

procède par voie d’affirmation plutôt gue par voie de démonstration, en se référant de manière quasiment systématique à un dossier technique qu’il n’a pas annexé à son rapport, et parfois même, jusque dans son analyse de l’originalité du logiciel, au cahier des charges litigieux établi par le défendeur ;

ne fournit aucune indication pertinente relative à l’apport créatif de la société Anaphore, par rapport à l’état de la technique existante, dans le domaine des logiciels d’informatisation des services d’archives.

Dès lors, ledit rapport constituant la simple description de fonctionnalités ne peut valoir preuve du caractère innovant de la solution logicielle des demandeurs.

Ce document ne peut avoir de valeur probante dans le cadre de la présente instance, même assorti de deux témoignages de professionnels du monde des Archives qui font état de la satisfaction que leur a apportée la société Anaphore (leurs pièce n°42 et 44).

Eu égard à l’ensemble de ces éléments, il apparaît que le Tribunal ne dispose d’aucune pièce susceptible de lui permettre de distinguer du simple savoir-faire intellectuel et technique déployé par la société Anaphore dans l’exécution de sa prestation contractuelle, au bénéfice du Conseil général de l’Eure, un apport créatif.

Il y a tout lieu de déplorer à cet égard qu’aucun élément constitutif du logiciel Arkheia, et plus particulièrement, les lignes de programmations et codes sources correspondant à tous les apports opérés par Louis C. depuis 1997 dans la conception dudit logiciel, soit versés aux débats.

L’article 146 du Code de procédure civile interdit au Juge d’ordonner une mesure d’instruction en vue de suppléer la carence d’une partie dans l’administration de la preuve.

Le Tribunal étant empêché dans le cas d’espèce d’apprécier le caractère inventif de la solution retenue par la société requérante par comparaison avec l’état de la technique existante au moment de la conception du logiciel Arkheia, par la carence du demandeur dans l’administration de la preuve, il convient de débouter la société Anaphore et Louis C. de l’intégralité de leurs demandes formées tant à titre principal qu’à titre subsidiaire (demande d’expertise), faute par eux de prouver le caractère original du logiciel Arkheia et par voie de conséquence, l’ existence de leurs droits d’auteurs éventuels sur ce dernier.

Sur la demande principale au titre de la contrefaçon de la marque « Arkheia « 

L’article L.712-1 du Code de la propriété intellectuelle dispose que la propriété de la marque s’acquiert par l’enregistrement. La marque peut être acquise en copropriété.
L’enregistrement produit ses effets à compter de la date de dépôt de la demande pour une période de dix ans indéfiniment renouvelable.

Aux termes des dispositions de l’article L.713-2 du même Code, sont interdits, sauf autorisation du propriétaire :
a) La reproduction, l’usage ou l’apposition d’une marque, même avec l’adjonction de mots tels que : « formule, façon, système, imitation, genre, méthode », ainsi que l’usage d’une marque reproduite, pour des produits ou services identiques à ceux désignés dans l’enregistrement ;

Enfin, l’article L. 713-3 du même Code dispose que sont interdits, sauf autorisation du propriétaire, s’il peut en résulter un risque de confusion dans l’esprit du public :

a) La reproduction, l’usage ou l’apposition d’une marque, ainsi que l’usage d’une marque reproduite, pour des produits ou services similaires à ceux désignés dans l’enregistrement ;

b) L’imitation d’une marque et l’usage d’une marque imitée, pour des produits ou services identiques ou similaires à ceux désignés dans l’enregistrement.

En l’espèce, le Conseil général de l’Eure souligne que la marque Arkheia n’a pas fait l’objet d’un renouvellement à l’expiration du délai de dix ans suivent son dépôt en 1995.

Les demandeurs indiquent à cet égard avoir renouvelé leur marque en août 2013.
Leur pièce n°32 permet de constater qu’il s’agit d’un dépôt et non du renouvellement de la marque « Arkhéïa/Arkheia », le 30 août 2013.

Il apparaît en conséquence qu’à la date à laquelle a été établi et diffusé le cahier des charges litigieux, la marque Arkheia n’était plus protégée par son enregistrement depuis 2005.

En outre, il apparaît que la société Anaphore et Louis C. ne fournissent aucune démonstration du fait que citer le logiciel dénommé d’après ladite marque, dans le cadre du cahier des charges litigieux, à seule fin de nommer le logiciel et ses fonctionnalités, dans un soucis d’explication et d’adaptation de l’offre au logiciel existant, soit constitutif d’un acte de contrefaçon.

Eu égard à l’ensemble de ces éléments, il convient de débouter la société Anaphore et Louis C. de ce chef de demande.

Sur les demandes accessoires

L’équité commande de condamner la société Anaphore, qui succombe à titre principal, à l’exclusion de Louis C., aux entiers dépens de l’instance.

Il convient pour le même motif de condamner la société Anaphore à payer au Conseil général de l’Eure la somme de 8 000 Euros sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile.

Enfin, le prononcé de l’exécution provisoire apparaît nécessaire et compatible avec la nature de l’affaire ; il convient en conséquence de l’ordonner.

DECISION

RECOIT Louis C. en son intervention volontaire ;

DEBOUTE la société Anaphore et Louis C. de l’intégralité de leurs demandeurs, tant au titre de la protection de leurs droits d’auteurs sur le logiciel Arkheia qu’au titre de la contrefaçon de marque ;

Les DEBOUTE de leur demande subsidiaire d’expertise ;

CONDAMNE la société Anaphore aux entiers dépens de l’instance ;

CONDAMNE la société Anaphore à payer au Conseil général de l’Eure la somme de 8 000 Euros sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile ;

ORDONNE l’exécution provisoire ;

REJETTE toutes demandes, fins et prétentions, plus amples ou contraires des parties.

Le tribunal : Déborah Bohée (présidente), Anne Beauvais et Ghislaine Cavaillès (assesseurs, vice-présidentes), Sophie Mametz (greffier)

Avocats : Me Anne-Victoria Fargepallet, Me Nicole Bondois, Me Nicolas Lamoitier, Me Anne Cousin

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