Jurisprudence : Droit d'auteur
Tribunal de grande instance de Paris, jugement en la forme des référés du 8 juillet 2016
SNEP / Google France et Google Inc.
contrefaçon - copie illicite - filtrage - moteur de recherche - musique - requêtes - résultats - surveillance - video
DÉBATS
A l’audience du 19 Mai 2016 présidée par Arnaud Desgranges,
Vice-Président, tenue publiquement, assisté de Anissa Saich, Greffier
LE TRIBUNAL
Après avoir entendu les parties comparantes ou leur conseil,
Le Syndicat National de l’Édition Phonographique (SNEP), créé en 1922, représente en France des sociétés de l’industrie phonographique et regroupe à ce jour 41 membres, sociétés de l’industrie phonographique, titulaires de droits voisins du droit d’auteur sur des enregistrements et cessionnaires des droits d’artistes-interprètes qu’ils produisent.
La société américaine Google Inc. et sa filiale en France Google France, développent et exploitent notamment un moteur de recherche, permettant aux internautes de faire des recherches par mots-clefs et de localiser parmi les résultats obtenus, des pages web correspondant à la réponse recherchée.
Indiquant que le moteur de recherche de Google, permet aux internautes d’accéder à des copies illicites de phonogrammes ou de vidéogrammes, le SNEP a par acte du 07 décembre 2015, fait assigner devant le juge des référés de ce tribunal, les sociétés Google Inc. et Google France, afin de solliciter de Google la mise en oeuvre de moyens propres à remédier aux atteintes occasionnées par le contenu de sites internet qui proposent sans autorisation des offres de mise à disposition de phonogrammes.
Dans le dernier état de ses prétentions, formées suivant conclusions auxquelles il est référé en vertu des dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, déposées à l’audience du 19 mai 2016 et développées oralement par son avocat, le SNEP sollicite du tribunal statuant en la forme des référés:
Vu les articles L331-l du code de la propriété intellectuelle et L2132-3 du code du travail,
Vu les articles L213-l et L215-l du code de la propriété intellectuelle,
Vu l’article L336-2 du code de la propriété intellectuelle,
Vu les constats d’huissier et l’ensemble des pièces versés aux débats,
1. Dire et juger le SNEP recevable à agir aux fins de défense de l’intérêt collectif des producteurs de phonogrammes,
2. Constater que les recherches effectuées dans la barre de recherche du site www.google.fr
– Sur le mot clé « torrent »
– en association avec le nom des artistes suivants :
1. Kendji Girac
2. Shy’m
3. Christophe Willem
conduisent sur les 20 premiers résultats à une proportion de 60% à 88,89% d’adresses proposant manifestement une offre de mise à disposition de phonogrammes ou vidéogrammes sans l’accord du producteur,
3. Dire et juger que la mise à disposition de ces phonogrammes ou vidéogrammes par les services vers lesquels les résultats de recherche constatés constitue une atteinte aux droits des producteurs desdits phonogrammes et vidéogrammes,
4. Dire et juger que l’affichage de tels résultats sur les services de moteur de recherche des sociétés Google Inc. et Google France facilite l’accès des internautes à des copies illicites de phonogrammes et vidéogrammes,
5. Constater que le SNEP justifie par ailleurs pour les artistes précédemment visés de la sortie commerciale des nouveaux enregistrements suivants :
1. Kendji Girac : Ensemble (sorti le 30 octobre 2015)
2. Shy’m : A nos dix ans (sorti le 9 octobre 2015)
3. Christophe Willem : Les Nuits Parait-il (sorti le 28 août 2015)
6. Dire et juger que le SNEP est dès lors recevable et bien fondé à solliciter toute mesure propre à faire cesser ces atteintes existantes aux droits des producteurs et à prévenir la commission de nouvelles atteintes à l’encontre de toute personne susceptible de contribuer à y remédier,
7. Dire et juger en conséquence qu’il convient d’ordonner in solidum à Google lnc. et Google France de prendre dans un délai de 8 jours à compter de la signification de l’ordonnance, toute mesure permettant d’empêcher sur leur service de moteur de recherche, quel qu’en soit le nom de domaine de premier niveau, en réponse à toute requête de recherche comprenant le nom de l’un des artistes précités tels que visés au présent dispositif, émanant d’internautes dans les départements français et collectivités uniques ainsi que dans les îles Wallis et Futuna, en Nouvelle Calédonie et dans les Terres australes et antarctiques françaises, l’affichage de tous résultats contenant dans leur nom de domaine le terme « torrent »,
8. Dire et juger qu’il convient d’ordonner in solidum à Google Inc. et Google France de prendre, dans les mêmes conditions, toute mesure permettant d’exclure la prise en compte par le moteur de recherche du terme «torrent», utilisé comme mot clé, dès lors que ce mot-clé est associé, dans les requêtes de recherche des internautes, avec le nom de l’un des artistes précités tels que visés au présent dispositif,
9. Dire et juger que les mesures ainsi ordonnées devront demeurer effectives pendant une durée de douze mois au minimum à compter de leur mise en oeuvre,
10. Dire et juger que Google Inc. et Google France devront informer le SNEP de la mise en oeuvre des mesures et des difficultés qui pourraient le cas échéant survenir,
11. Dire et juger que, sous réserve d’un meilleur accord entre les parties, le tribunal demeurera compétent pour statuer sur l’actualisation des mesures et/ou leur adaptation aux difficultés rencontrées à l’occasion de leur mise en oeuvre,
12. Débouter Google France et Google Inc. de leur demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
13. Ordonner l’exécution provisoire.
La société Google Inc., représentée par son avocat, reprenant oralement ses écritures déposées à l’audience, auxquelles il est fait référence en application des dispositions de l’artic le 455 du code de procédure civile, demande au tri bunal de :
-DÉBOUTER le SNEP de toutes ces demandes,
-Le CONDAMNER aux dépens,
-Le CONDAMNER à payer à la société GOOGLE INC. la somme de 40.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
La société Google France, comparant par son avocat, développe oralement ses conclusions déposées à l’audience auxquelles il est fait référence en application des dispositions de l’article 45 5 du code de procédure civile, suivant lesquelles elle sollicite du tribunal de :
– Mettre la société GOOGLE FRANCE hors de cause,
– Constater l’irrecevabilité du SNEP, faute d’intérêt passif à agir contre GOOGLE FRANCE, qui n’a aucune maîtrise matérielle ou juridique sur le moteur de recherche visé par les mesures objets de ses demandes,
– Constater l’irrecevabilité à agir du SNEP, l’intérêt collectif de ses membres n’étant pas en jeu,
En tout état de cause,
– Débouter le Syndicat National de l’Edition Phonographique de l’ensemble de ses demandes, fins et prétentions,
– Condamner le Syndicat National de l’Edition Phonographique à payer à la société GOOGLE FRANCE la somme de 15.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– Condamner le Syndicat National de l’Edition Phonographique à payer tous les dépens.
La présente décision, susceptible d’appel est contradictoire.
DISCUSSION
1- sur la mise hors de cause de Google France
La société Google France sollicite sa mise hors de cause, car elle indique ne pas être responsable du moteur de recherche « Google Web Search », qui est fourni et exploité par la société Google Inc., qui en assure la gouvernance, alors qu’elle-même n’a aucune maîtrise juridique ou technique sur celui-ci.
Elle expose qu’elle n’est en outre propriétaire ni des technologies mises en oeuvre, ni du nom de domaine Google.fr qui appartient à la société américaine et qu’elle exerce une mission de conseil et de marketing et n’a pas de maîtrise juridique ou technique du moteur de recherche et ne peut satisfaire aux demandes qui sont formulées par le SNEP. De nombreuses juridictions ont d’ailleurs ordonné sa mise hors de cause.
Le SNEP réplique que la filiale française n’est pas étrangère aux services du moteur de recherche, puisqu’elle exerce une mission commerciale relative aux services publicitaires payants AdWords et AdSense, lesquels financent les services offerts gratuitement aux internautes et que son objet social inclut notamment la fourniture de services au réseau internet.
En outre l’action est fondée sur les dispositions de l’article L336-2 du code de la propriété intellectuelle qui vise les personnes susceptibles de contribuer à remédier aux atteintes ou au risque d’atteintes invoquées.
Sur ce,
La présente action, fondée sur les dispositions de l’article L336-2 du code de la propriété intellectuelle vise à ordonner, en cas d’atteinte à un droit d’auteur ou un droit voisin, générée par le contenu d’un service de communication en ligne, « toutes mesures propres à prévenir ou à faire cesser une telle atteinte ( … ) à l’encontre de toute personne susceptible de contribuer à y remédier ». Ces dispositions sont exclusives de toute notion de faute et de responsabilité.
La société américaine Google Inc. est titulaire du nom de domaine google.fr et exploite le moteur de recherche et dispose de services qui sont tous localisés en Californie. (Pièce n°9 google).
Elle est liée à la société Google France SARL, son prestataire de service, suivant contrat de marketing et de prestations de service, aux termes duquel la filiale française lui fournit un support d’assistance à la vente, mais n’est pas en mesure d’agir et contracter pour le compte de la société américaine (pièce n° 1 Google).
Toutefois, la société Google France, filiale de la société américaine, quand bien même elle n’aurait pas les moyens techniques de satisfaire à la demande du SNEP, est néanmoins un intermédiaire au sens des dispositions de l’article 8 § 3 de la directive n°2001 / 29, dans la mesure où en conformité avec son objet social mentionné au kbis (pièce n° 10 SNEP), elle développe une activité commerciale, qui permet d’assurer le financement des services offerts gratuitement aux internautes et participe du fonctionnement de l’activité du moteur de recherche.
Il n’existe donc aucun motif légitime de faire droit à sa demande de mise hors de cause.
2- sur la recevabilité de l’action du SNEP
La société Google Inc. et la société Google France contestent la recevabilité de l’action du SNEP, qui n’interviendrait pas dans l’intérêt de tous ses membres et dans l’intérêt collectif de ces derniers, car les mesures sollicitées n’intéressent pas la collectivité des membres, mais uniquement trois d’entre eux, et ne concernent également que trois artistes.
Les sociétés Google critiquent par ailleurs, la qualité à agir du syndicat professionnel, à défaut de soumettre au tribunal, une question de principe, dont la solution est susceptible d’avoir des conséquences pour l’ensemble de leurs adhérents.
Le SNEP conclut à la recevabilité de son action, car il intervient dans l’intérêt collectif des producteur de phonogrammes qu’il représente, et auxquels le délit de contrefaçon crée un préjudice direct ou indirect et parce que son action ne se limite pas à la défense des droits de certains producteurs identifiés.
Il ajoute que l’instance a pour but de faire trancher une question de principe.
Sur ce,
En application des dispositions de l’article L2132-3 du code du travail, » Les syndicats professionnels ont le droit d’agir en justice. Ils peuvent exercer devant toutes les juridictions tous les droits réservés à la partie civile concernant les faits portant un préjudice direct ou indirect à l’intérêt collectif de la profession qu’ils représentent.
L’article L331-1 du code de la propriété intellectuelle mentionne que » les organismes de défense professionnelle régulièrement constitués ont qualité pour ester en justice pour défendre les intérêts dont ils ont statutairement la charge ».
En l’occurrence, le SNEP, syndicat professionnel, a pour objet, aux termes de ses statuts, de « protéger les intérêts professionnels nationaux et internationaux des fabricants, producteurs, éditeurs et distributeurs de phonogrammes et de vidéo-musique » et a été régulièrement mandaté pour introduire la présente instance.
Le syndicat peut agir à titre principal ou en qualité d’intervenant aux côtés de son adhérent et la recevabilité de l’action du syndicat n’est pas subordonnée à la présence à l’instance de la partie titulaire des droits, mais le syndicat doit intervenir dans l’intérêt collectif de ses membres.
Les demandes du SNEP telles qu’elles sont formulées, destinées à faire cesser les atteintes qu’il invoque, tendent à faire constater la mise à disposition illicite de phonogrammes de certains artistes par le moteur de recherche exploité par les défendeurs, à obtenir la mise en oeuvre par ceux-ci de mesures propres à empêcher l’affichage de certains résultats (associés à l’un des trois artistes et contenant dans leur nom de domaine, le terme « Torrent ») et à exclure la prise en compte par le moteur de recherche du mot-clé « Torrent » associés aux mêmes artistes.
Elles sont limitées à trois artistes dénommés, qui ont une actualité récente, et qui sont produits par trois de ses membres, excluant ainsi les autres artistes dépourvus d’activité récente (telle que concert, sortie d’un album) ainsi que les 38 autres producteurs.
Ces prétentions, telles que sollicitées, pour l’organisation de mesures concrètes au profit de certains, protègent non pas les intérêts de l’ensemble de la profession, mais assurent la protection d’intérêts individuels des adhérents qui produisent les trois artistes et de ces ayants-droit, à l’exclusion des autres membres du syndicat.
Le SNEP ne peut pas plus soutenir qu’il entend voir trancher une question de principe, dès lors que les prétentions sollicitées, quand bien même elles sont fondées sur des dispositions spéciales protectrices (L 336-2 du code de la propriété intellectuelle) ne portent pas sur des mesures d’ordre public, ne sont pas de nature à protéger l’intérêt collectif et ne sont pas susceptibles d’être étendues ultérieurement à l’ensemble de la profession, sauf à spéculer sur l’attitude plus générale que les sociétés Google seraient amenées à prendre, si était prononcée dans le cadre de ce litige, une décision favorable au SNEP, accueillant les prétentions de celui-ci.
Dès lors, le SNEP ne démontre pas qu’il est recevable à agir, dans l’intérêt collectif de ses adhérents et le moyen tiré de la fin de non-recevoir doit être accueilli.
Sur les autres demandes
Le SNEP qui succombe supportera les dépens et ses propres frais.
En application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, le juge condamne la partie tenue aux dépens, à payer à l’autre partie, la somme qu’il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens, en tenant compte de l’équité ou de la situation économique de la partie condamnée.
Le SNEP sera condamné à ce titre à payer aux sociétés GOOGLE la somme globale de 10.000 euros.
En vertu de l’article 492-1 du code de procédure civile, l’ordonnance rendue en la forme des référés est en principe exécutoire à titre provisoire, sauf si le juge en décide autrement.
En l’espèce, eu égard à la solution du litige, l’exécution provisoire n’apparaît pas nécessaire.
DECISION
Le tribunal statuant publiquement, en état et en la forme des référés, par ordonnance contradictoire, mise à disposition au greffe et en premier ressort,
Rejette la demande de mise hors de cause de la société Google France ;
Déclare le SNEP irrecevable à agir ;
Condamne le SNEP aux dépens ;
Condamne le SNEP à payer aux sociétés Google France et Google Inc.la somme globale de 10.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
Dit n’y avoir lieu à exécution provisoire.
Le Tribunal : Arnaud Desgranges (vice-président), Carine Gillet (vice-président), Florence Butin (vice-président), Anissa Saich (greffier)
Avocats : Me Eric Lauvaux, Me Alexandra Neri
Source : nextinpact.com
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