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Jurisprudence : Droit d'auteur

mercredi 20 juillet 2016
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Tribunal de grande instance de Paris, jugement en la forme des référés du 8 juillet 2016

SNEP / Microsoft France et Microsoft Inc.

contrefaçon - copie illicite - filtrage - moteur de recherche - musique - requêtes - résultats - surveillance - video

DÉBATS

A l’audience du 19 Mai 2016 présidée par Arnaud Desgranges, Vice-Président, tenue publiquement, assisté de Anissa Saich, Greffier

LE TRIBUNAL

Après avoir entendu les parties comparantes ou leur conseil,

Le Syndicat National de l’Édition Phonographique (SNEP), crée en 1922, représente en France des sociétés de l’industrie phonographique et regroupe à ce jour 41 membres, sociétés de l’industrie phonographique, titulaires de droits voisins du droit d’auteur sur des enregistrements et cessionnaires des droits d’ artistes-interprètes qu’ils produisent.

La société américaine Microsoft Corp. et sa filiale en France Microsoft France, développent et exploitent notamment un moteur de recherche Bing, permettant aux internautes de faire des recherches par mots-clefs et de localiser parmi les résultats obtenus, des pages web correspondant à la réponse recherchée.

Indiquant que le moteur de recherche Bing de Microsoft permet aux internautes d’accéder à des copies illicites de phonogrammes ou de vidéogrammes, le SNEP a par acte du 04 décembre 2015, fait assigner devant le juge des référés de ce tribunal, les sociétés Microsoft Corp. et Microsoft France, afin de solliciter de Microsoft, la mise en oeuvre de moyens propres à remédier aux atteintes occasionnées par le contenu de sites internet qui proposent sans autorisation des offres de mise à disposition de phonogrammes.

L’affaire a été appelée à l’audience du 18 février20 16 et renvoyée à la demande des parties à l’audience du 18 mai 2016.

Le SNEP a développé oralement ses dernières écritures déposées à l’audience, auxquelles il convient de se reporter en application des dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, sollicitant du tribunal de :
Vu ensemble les articles L33 1-1 du code de la propriété intellectuelle et L2132-3 du code du travail,
Vu les articles L 213-1 et L.215-1 du code de la propriété intellectuelle,
Vu l’article L336-2 du code de la propriété intellectuelle,
Vu les constats d’huissier et l’ensemble des pièces versés aux débats,
1. Dire et juger le SNEP recevable à agir aux fins de défense de l’intérêt collectif des producteurs de phonogrammes,
2. Constater que les recherches effectuées dans la barre de recherche du site www.bing.fr
– Sur le mot clé « torrent» :
– en association avec le nom des artistes suivants :
1. Kendji Girac
2. Shy’m
3. Christophe Willem
conduisent sur les 20 premiers résultats à une proportion de 70 % d’adresses proposant manifestement une offre de mise à disposition de phonogrammes ou vidéogrammes sans l’accord du producteur,
3. Dire et juger que la mise à disposition de ces phonogrammes ou vidéogrammes par les services vers lesquels dirigent les résultats de recherche constatés constitue une atteinte aux droits des producteurs desdits phonogrammes et vidéogrammes ;
4. Dire et juger que l’affichage de tels résultats sur les services de moteur de recherche des sociétés Microsoft Corp. et Microsoft France facilite l’accès des internautes à des copies illicites de phonogrammes et vidéogrammes,
5. Constater que le SNEP justifie par ailleurs pour les artistes précédemment visés de la sortie commerciale des nouveaux enregistrements suivants :
1. Kendji Girac : Ensemble (sorti le 30 octobre 2015)
2. Shy’m : A nos dix ans (sorti le 9 octobre 2015)
3. Christophe Willem : Les Nuits Parait-il (sorti le 28 août 2015)
6. Dire et juger que le SNEP est dès lors recevable et bien fondé à solliciter toute mesure propre à faire cesser ces atteintes existantes aux droits des producteurs et à prévenir la commission de nouvelles atteintes à l’encontre de toute personne susceptible de contribuer à y remédier.
7. Dire et juger en conséquence qu’il convient d’ordonner in solidum à Microsoft Corp. et Microsoft France de prendre dans un délai de 8 jours à compter de la signification de l’ordonnance, toute mesure permettant d’empêcher sur leur service de moteur de recherche, quel qu’en soit le nom de domaine de premier niveau, en réponse à toute requête de recherche comprenant le nom de l’ un des artistes précités tels que visés au présent dispositif, émanant d’internautes dans les départements français et collectivités uniques ainsi que dans les îles Wallis et Futuna, en Nouvelle Calédonie et dans les Terres australes et antarctiques françaises, l’affichage de tous résultats contenant dans leur nom de domaine le terme « torrent » ;
8. Dire et juger qu’il convient d’ordonner in solidum à Microsoft Corp. et Microsoft France de prendre, dans les mêmes conditions, toute mesure permettant d’exclure la prise en compte par le moteur de recherche du terme « torrent », utilisé comme mot clé, dès lors que ce mot-clé est associé, dans les requêtes de recherche des internautes, avec le nom de l’ un des artistes précités tels que visés au présent dispositif,
9. Dire et juger que les mesures ainsi ordonnées devront demeurer effectives pendant une durée de douze mois au minimum à compter de leur mise en oeuvre,
10. Dire et juger que Microsoft Corp. et Microsoft France devront informer le SNEP de la mise en oeuvre des mesures et des difficultés qui pourraient le cas échéant survenir,
11. Dire et juger que, sous réserve d’un meilleur accord entre les parties, le Tribunal demeurera compétent pour statuer sur l’actualisation des mesures et/ou leur adaptation aux difficultés rencontrées à l’occasion de leur mise en oeuvre,
12. Dire que Microsoft France et Microsoft Corp. conserveront à leur charge le coût des frais des mesures ordonnées par le tribunal,
13. Débouter Microsoft France et Microsoft Corp. de leur demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
14. Ordonner l’exécution provisoire.

La société Microsoft Corp., représentée par son avocat, a repris oralement ses dernières écritures auxquelles il est renvoyé, conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile et suivant lesquelles elle demande au tribunal de :
Vu l’article 8.3 de la Directive 2001/29/CE du 22 mai 2001 sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information,
Vu l’article L. 336-2 du code de la propriété intellectuelle,
Vu l’article 6.I.V de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la Confiance dans l’économie numérique,
Vu la décision du Conseil Constitutionnel n° 2009-580 DC du 10 juin 2009,
Vu les articles 4, 5, 6, 9 et 15 du code de procédure civile,
Vu les articles 122 et s. du code de procédure civile,
Vu les pièces versées au débat,
A titre principal,
– Dire et juger qu’en ne versant aucun élément susceptible de justifier de quelconques démarches, entreprises à l’attention de l’auteur ou de l’éditeur des liens litigieux et ce, préalablement à l’action initiée à l’encontre de la société Microsoft Corporation, le SNEP viole le principe de subsidiarité,
Dire et juger qu’en se refusant à utiliser les outils de notification de liens litigieux mis à disposition gratuitement par la société Microsoft Corporation, le SNEP a commis une faute,
– Dire et juger qu’à défaut de porter à la connaissance de la société Microsoft Corporation la localisation précise des liens litigieux objet de ses demandes, le SNEP a violé les exigences d’ordre public énoncées à l’article 6.1.5 de la LCEN,
En conséquence,
– Déclarer l’ensemble des demandes du SNEP irrecevables,
En tout état de cause,
– Dire et juger que les procès-verbaux d’huissier de justice versés par le SNEP au débat ne respectant ni les conditions requises en matière de constat internet ni le principe de la loyauté de la preuve, seront écartés pour défaut de force probante,
– Constater que dans tous les cas, le SNEP ne rapporte pas les éléments de preuve susceptibles de démontrer la matérialité d’une atteinte avérée à un droit voisin,
En conséquence,
– Débouter le SNEP de l’ensemble de ses demandes, fins, moyens et prétentions formulées à l’encontre des sociétés Microsoft Corporation,
A titre subsidiaire,
– Constater qu’en visant un nombre illimité et en tout cas indéterminé, de liens dirigeant vers un nombre illimité et en tout cas indéterminé, de phonogrammes, les mesures sollicitées par le SNEP n’apporte aucune garantie quant à l’exigence de précision, d’efficacité et de nécessité des mesures sollicitées,
– Dire et juger que les mesures de déréférencement sollicitées à l’encontre de la société Microsoft Corporation ne sont ni strictement nécessaires ni proportionnées,
– Constater dans tous les cas, qu’en ce qu’elle vise non à faire cesser l’accès à des liens précisément déterminés et localisés par le SNEP mais à prévenir l’accès à un nombre illimité, et en tout cas indéterminé, de liens dirigeant vers un nombre illimité, et en tout cas indéterminé, de phonogrammes, les mesures sollicitées supposent de la part de Microsoft la mise en oeuvre d’un système de surveillance active de l’ensemble des données figurant dans l’ index Bing et de l’ensemble des utilisateurs de son service Bing,
– Constater qu’à défaut de viser des liens précisément déterminés et localisés par le SNEP les mesures sollicitées supposent que la société Microsoft Corporation se substitue à l’autorité judiciaire,
– Dire et juger que la mise en oeuvre des mesures sollicitées par le SNEP imposerait donc à la société Microsoft Corporation une obligation générale de surveillance irréconciliable avec l’ interdiction énoncée à l’article 15 de la directive 2000/31,
– Dire et juger que les mesures de référencement sollicitées à l’encontre de la société Microsoft Corporation sont attentatoires à la liberté d’expression et de communication,
– Dire et juger qu’en ce qu’elle ferait peser sur la société Microsoft Corporation une contrainte qui restreindrait la libre utilisation de ses ressources économiques, techniques et financières les mesures sollicitées par le SNEP sont irréconciliables avec le liberté d’entreprise,
En conséquence,
– Débouter le SNEP de l’ensemble de ses demandes, fins, moyens et prétentions formulées à l’encontre des sociétés Microsoft Corporation,
En tout état de cause :
– Dire que les coûts associés à la mise en oeuvre éventuelle des mesures que le Tribunal pourrait ordonner à l’encontre de la société Microsoft Corporation devront être supportés par le demandeur sur présentation des factures de la société Microsoft Corporation,
– Condamner conjointement et solidairement les demandeurs à verser à la société Microsoft Corporation la somme de 15.000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile,
– Condamner conjointement et solidairement le demandeur aux entiers dépens.

La société Microsoft France, comparant par son avocat, a développé ses écritures déposées à l’audience, auxquelles il convient de se référer en application des dispositions de l’article 455 du code de procédure civile et demande au tribunal de :
Vu l’article 122 du code de procédure civile,
– Constater que le demandeur ne rapporte pas la preuve de la participation directe et effective de Microsoft France à la fourniture du moteur de recherche « Bing »,
En conséquence,
– Mettre hors de cause la société Microsoft France,
– Condamner le demandeur à verser à la société Microsoft France la somme de 3.000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile,
– Condamner le demandeur aux entiers dépens.

La présente décision susceptible d’appel est contradictoire.

DISCUSSION

1 – sur la demande de mise hors de cause de la société Microsoft France

La société Microsoft France, filiale française de la société américaine Microsoft Corp. expose avoir pour unique activité de soutenir la commercialisation en France des produits et services de la société mère et n’avoir aucune initiative dans le fonctionnement du moteur de recherche Bing, qui est conçu et exploité par la société américaine, laquelle est également titulaire des noms de domaine et de la marque Bing.

La société Microsoft sollicite donc sa mise hors de cause, car elle n’assure aucun rôle technique et n’a ni le contrôle ni la maîtrise du moteur de recherche Bing stigmatisé dans le cadre du litige, qu’elle n’a pas la qualité d’hébergeur et qu’elle n’est pas en mesure d’exécuter les mesures de déréférencement sollicitées et alors que le SNEP n’établit pas sa participation directe et effective au service litigieux.

Le SNEP réplique que la filiale française n’est pas étrangère aux services du moteur de recherche Bing, puisqu’elle exerce une mission commerciale relative aux services proposés par la société mère, qu’elle n’est pas étrangère au moteur de recherche Bing et est donc susceptible de contribuer à remédier aux atteintes invoquées.

Le SNEP ajoute que la société française a répondu aux sollicitations du syndicat, préalables au litige, qu’elle est tenue de signaler tout contenu illicite et que son objet social consiste en « la distribution et la promotion de produits et de vente de services informatiques ». Enfin l’intégralité de l’argumentation de cette défenderesse a été écartée par la cour d’appel.

Sur ce,

La présente action, fondée sur les dispositions de l’article L336-2 du code de la propriété intellectuelle vise à obtenir par voie judiciaire, en cas d’atteinte à un droit d’ auteur ou un droit voisin, générée par le contenu d’ un service de communication en ligne, « toutes mesures propres à prévenir ou à faire cesser une telle atteinte ( … ) à l’encontre de toute personne susceptible de contribuer à y remédier ».

Ces dispositions qui sont la transposition en droit interne, de l’article 8§3 de la directive 2001 129, sont exclusives de toute notion de faute et de responsabilité contrairement à celles issues de la LCEN (transposition de la directive sur le commerce électronique 2000/ 31 CE du 08 juin 2000), lesquelles ne sont en l’espèce ni invoquées par le demandeur, ni applicables au présent litige.

Le SNEP n’a donc pas à établir « la participation directe et effective » de la société Microsoft France, mais que cette défenderesse est susceptible de contribuer à remédier aux atteintes illicites.

La société américaine Microsoft est certes titulaire de plusieurs marques internationales BING (pièce n° 15), du nom de domaine Bing.com (pièce n° 13)et exploite le moteur de recherche Bing.

Toutefois, la société Microsoft France, filiale de la société américaine, quand bien même elle n’aurait pas les moyens techniques de satisfaire à la demande du SNEP, est néanmoins un intermédiaire au sens des dispositions de l’article 8 § 3 de la directive n°200 1129, dans la mesure où en conformité avec son objet social mentionné au kbis (pièce n° 1 0), qui consiste en la « distribution promotion de produits et vente de services informatiques », elle développe une activité commerciale, qui permet d’assurer le financement des services offerts gratuitement aux internautes et participe du fonctionnement de l’ activité du moteur de recherche.

Il n’existe donc aucun motif légitime de faire droit à sa demande de mise hors de cause.

2 – Sur les moyens d’irrecevabilité soulevés par la société Microsoft Corp.

* principe de subsidiarité

La défenderesse soutient que, en s’abstenant de s’adresser préalablement aux sources même du contenu illicite, à savoir aux éditeurs des sites Torrent, aux éditeurs de logiciels Torrent et aux prestataires de services qui fournissent aux sites Torrent les moyens de leur existence, le SNEP a porté atteinte au principe de subsidiarité et par là-même à l’efficacité des mesures sollicitées.

Toutefois, même si une action préalable contre les opérateurs à l’origine des contenus illicites semble de bon sens et est préconisée par certains rapports et si par ailleurs, les tribunaux s’attachent à constater que des mesures ont été prises en amont à l’encontre de ceux-ci, il apparaît néanmoins que l’article L336-2 du code de la propriété intellectuelle n’édicte aucune obligation à ce titre subordonnant la recevabilité de l’action du demandeur à l’égard des autres prestataires, à cette formalité préalable.

Dès lors l’infraction au principe de subsidiarité n’est pas établie.

* non-utilisation des outils proposés par Microsoft

Il est fait reproche au SNEP d’avoir décliné, sans juste motif, l’offre de la société Microsoft de mettre en oeuvre ses outils et d’éventuelles mesures collaboratives complémentaires, afin de permettre le retrait des contenus illicites, ce qui constituerait selon la défenderesse, une abstention fautive.

Si tant est que ce comportement fautif soit caractérisé, ce moyen ne constitue pas une fin de non-recevoir, susceptible de rendre le demandeur irrecevable en ses prétentions, mais un moyen de fond.

* non-respect de la procédure de notification prévue à l’article 6-l-5 de la LCEN

La société Microsoft reproche à la société Microsoft de ne pas avoir respecté la procédure de notification préalable prévue par l’article 6-l-5° de la loi pour la Confiance dans l’Economie Numérique (dite LCEN), en s’abstenant de porter à sa connaissance notamment, la description des faits litigieux et leur localisation précise ainsi que la copie de la correspondance adressée à l’auteur ou l’éditeur des informations et activités litigieuses.

Toutefois, les dispositions de l’article L336-2 du code de la propriété intellectuelle issues de la transposition de l’article 8§3 de la directive 2001 /29 du 22 mai 2001, sur lesquelles le SNEP se fonde, spécifiquement applicables aux atteintes aux droits d’auteur et droits voisins, instaurent une action distincte de celle envisagée par la LCEN, (laquelle ressort de la transposition en droit interne d’une autre Directive 2000/ 31 du 08 juin 2000, applicable au commerce électronique) de sorte que les dispositions 6-1-5 de ce texte (notification préalable) ne sont pas applicables en l’espèce.

Ce moyen doit donc être écarté.

Sur la preuve des actes litigieux

Suivant constats des 05 août 2015, 18 août 2015, 08 et 09 septembre 2015 (pièce SNEP n°2-l à 2-9), le SNEP a fait procéder à des constats sur internet par huissier, sur le site bing.fr , portant sur trois artistes (Kendji Girac, Shy’m et Christophe Willem).

La société Microsoft conteste la valeur probante de ces documents (non-respect des formalités préalables aux constatations, principe de loyauté de la preuve) ainsi que la matérialité des contrefaçons alléguées.

Chacun des procès-verbaux mentionne en partie liminaire, les opérations matérielles auxquelles l’huissier s’est livré (synchronisation de l’horloge, effacement des sonnées de navigation du cache de Google Chrome, corbeille vidée, anti-virus à jour…).

La société Microsoft déplore toutefois qu’aucune mention ne soit relative à l’installation du logiciel i Torrent, préalable indispensable à l’utilisateur pour télécharger un fichier sur un site torrent, et critique l’absence de précision sur la suppression de l’historique des téléchargements opérés par le biais de ce logiciel, ce qui est de nature à fausser les résultats car la conservation des fichiers torrent est encouragée (pour faciliter le peer to peer).

Cependant, les procès-verbaux mentionnent le téléchargement du logiciel et le simple rapprochement, entre la liste des téléchargements en cours ou terminés, mentionnés en fin de constat et le nom du fichier exécuté par le logiciel i torrent au cours du constat, établit l’absence de téléchargements autres que ceux mentionnés, ce qui permet de déduire qu’il n’existait préalablement aux constatations, aucun téléchargement antérieur.

La société Microsoft estime également que l’huissier a usé de procédés déloyaux d’obtention de preuve, en employant dans les constats 2-2, 2-3 et 2-9, les identifiants fournis par un tiers.

Toutefois, le procédé dénoncé n’a été utilisé que pour télécharger le contenu de trois liens, de sorte que l’intégralité des procès-verbaux ne saurait être annulée pièce n°2-2, pages 8 et 9; pièce n° 2-3 pages 10 et 1 1; pièce n° 2-9 page 8).

Enfin la défenderesse invoque l’absence de constatation de la matérialité des actes de contrefaçon allégués, car les premiers procès-verbaux ne comportent en annexe aucun fichier qui aurait été téléchargé et les procès-verbaux ultérieurs n’établissent pas l’illicéité des sites mentionnés par le moteur de recherche Bing, comportant le terme Torrent.

Toutefois, il importe peu que les fichiers litigieux ne soient pas annexés aux procès-verbaux, dès lors que ne sont pas poursuivis en l’occurrence, à l’encontre de Microsoft, des actes de contrefaçon, il suffit que soit constatée comme en l’espèce, la mise à disposition de phonogrammes, sans l’autorisation des titulaires des droits, lorsque sont associés dans le moteur de recherche Bing, le nom d’un des trois artistes et le terme Torrent, laquelle a perduré malgré les demandes amiables et la communication des procès-verbaux et de précédentes décisions judiciaires.

Sur les demandes du SNEP

Estimant que la mise à disposition non autorisée de phonogrammes, toujours plus efficace et performante, malgré le déclassement automatique et la suppression de la suggestion automatique mis en oeuvre par la défenderesse mais qui demeurent insuffisants, porte atteinte aux droits voisins des producteurs phonographiques, le SNEP sollicite l’organisation de mesures ciblées qu’il estime propres à prévenir ou faire cesser les atteintes, en obtenant des défenderesses, pendant une durée limitée de douze mois, l’absence d’affichage des résultats obtenus par toutes les versions du moteur de recherche de Microsoft, comportant dans leur nom de domaine le terme « torrent », associés à l’une des trois artistes désignés (soit la suppression des résultats proposant un lien hypertexte vers une offre de mise à disposition manifestement illicite de phonogramme, sans affecter les autres résultats de recherche qui ne comportent pas le terme Torrent dans leur nom de domaine), ainsi que l’absence de prise en compte comme mot clé du terme « Torrent » associé à l’ un des trois artistes précités, par toutes les versions du moteur de recherche qu’elle opère, quel que soit le nom de domaine de premier niveau.

Le SNEP affirme que ces mesures ciblées sont proportionnées et efficaces et sont de nature à rendre plus difficiles les consultations non autorisées et à décourager les utilisateurs d’internet et qu’elles ne portent pas atteinte à la libre accessibilité des sites en question, ni à la libre accessibilité à d’autres contenus par ailleurs licites.

La société Microsoft Corp. expose que les mesures sollicitées sont imprécises, disproportionnées et inefficaces au regard du but poursuivi, et seraient de nature à la contraindre à mettre en place un système de filtrage préventif, en violation de la prohibition posée à l’article 15 de la directive 2000/ 31, du principe de proportionnalité énoncé à l’article 3 de la directive 2004/ 48 et du principe de juste équilibre entre la protection du droit de propriété intellectuelle et de la liberté d’entreprise.

Sur ce,

Les dispositions de l’article L336-2 du code de la propriété intellectuelle autorisent le juge à ordonner des mesures propres à prévenir ou faire cesser une atteinte à un droit de propriété intellectuelle ou un droit voisin, occasionnée par le contenu d’un service de communication en ligne, sous réserve selon l’interprétation qui en est faite par le conseil constitutionnel, que les mesures soient strictement nécessaires à la préservation des droits en cause, dans le respect de la liberté d’expression et de communication.

La demande doit concerner un contenu spécifique et identifiable, les mesures doivent être déterminées et proportionnées et spécifiques pour chaque site énuméré. Elles doivent être précises et nécessaires, efficaces et utiles. Or le contenu même des demandes du SNEP est indéterminé, quant aux phonogrammes visés qui concernent non seulement les phonogrammes existants mais également les oeuvres futures des trois artistes désignés, créées postérieurement à la présente décision, quant aux liens ou pages internet susceptibles d’ être concernés, quant aux titulaires de droits.

Les demandes du SNEP sont générales, car elles concernent non pas un site identifié, mais tous les sites accessibles selon les modalités sollicitées, sans considération de l’identification et de la détermination même du contenu du site, avec le postulat que le terme « Torrent » est nécessairement associé à un contenu contrefaisant, alors qu’il est avant tout un nom commun, qui dispose d’une signification en langue française et en langue anglaise, mais également, désigne un protocole de communication neutre développé par la société Bittorrent, qui permet d’accéder à des fichiers téléchargeables licitement, ou encore correspond à des noms d’ artistes ou de groupes, ou est inclus dans des noms de sites. Les mesures sollicitées s’apparentent à une mesure de surveillance générale et sont susceptibles d’entraîner le blocage de sites licites.

Les mesures sollicitées ne présentent pas l’efficacité alléguée et ne sont pas strictement nécessaires, car elles visent une pratique marginale, eu égard au nombre de requêtes sur le moteur de recherche Bing, comportant le nom d’un des trois artistes associés au terme « Torrent » (pièce n° 16 Microsoft) et sont susceptibles d’être contournées par les internautes.

Dans ces conditions, les demandes du SNEP seront rejetées.

Sur les autres demandes

Le SNEP qui succombe supportera les dépens.

En application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, le juge condamne la partie tenue aux dépens, à payer à l’autre partie, au titre des frais non compris dans les dépens, la somme qu’il détermine, en tenant compte de l’équité ou de la situation économique de la partie condamnée.

La somme globale de 1 0.000 euros sera allouée aux sociétés Microsoft.

En vertu de l’article 492-1 du code de procédure civile, l’ ordonnance rendue en la forme des référés est en principe exécutoire à titre provisoire, sauf si le juge en décide autrement.

En l’espèce, eu égard à la solution du litige, l’exécution provisoire n’apparaît pas nécessaire.

DECISION

Le tribunal statuant publiquement en état et en la forme de référé, par ordonnance contradictoire, mise à disposition au greffe et en premier ressort,

Rejette la demande de mise hors de cause de la société Microsoft France ;

Déboute le SNEP de ses prétentions ;

Condamne le SNEP aux dépens ;

Condamne le SNEP à payer aux sociétés Microsoft France et Microsoft Corp., la somme globale de 10.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

Dit n’y avoir lieu à exécution provisoire.

Le Tribunal : Arnaud Desgranges (vice-président), Carine Gillet (vice-président), Florence Butin (vice-président), Anissa Saich (greffier)

Avocats : Me Eric Lauvaux, Me Franck Valentin

Source : nextinpact.com

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