Jurisprudence : Contenus illicites
Tribunal de Grande Instance de Paris Ordonnance de référé du 26 mai 2003
SNES / La Droite Libre, UMP et autres
atteinte aux systèmes automatisés - contenus illicites - sécurité du réseau
Le Snes expose que le 14 mai 2003, sa boîte e-mail recevait un grand nombre de messages relatifs au mouvement de grèves qui s’était déroulé le 13 mai 2003, à l’initiative de « La Droite Libre » dont le site internet invitait à envoyer un e-mail de protestation – dont le modèle était proposé ainsi que les adresses des syndicats destinataires – aux principales organisations syndicales participant à ce mouvement ; que le fait a été constaté par huissier le jour même ; que ces envois se poursuivent ;
Estimant que cette action constitue le délit d’atteinte aux systèmes automatisés de données, une mise en cause des libertés syndicales et du droit de grève et, également un trouble manifestement illicite générant un dommage évident, il demande que soit fait interdiction à « La Droite Libre » de poursuivre la diffusion de son message, la publication de l’ordonnance sur son site internet, une mesure de publication dans trois quotidiens de son choix, une provision de 1000 € sur le montant de la réparation du préjudice subi, la somme de 1000 € au titre de l’article 700 du ncpc ; remarquant que le site internet de « La Droite Libre » fait figurer le logo de l’UMP, il demande que l’ordonnance à intervenir lui soit déclarée commune ;
« La Droite Libre » a d’abord demandé un renvoi en raison des interventions volontaires et soulevé leur irrecevabilité, celles-ci paraissant concertées et destinées à tourner l’autorisation délivrée au seul Snes d’assigner à heure indiquée, et ne se rattachant pas aux prétentions des parties par un lien suffisant ; le renvoi a été refusé ;
Sur les prétentions des demandeurs elle a fait valoir :
– l’absence d’un trouble dont l’importance ne peut résulter des seuls comptages du nombre des messages reçus effectués par les parties ou leurs préposés ; la facilité d’un filtrage permettant d’évincer les messages s’ils étaient considérés indésirables ;
– l’absence d’atteinte aux libertés syndicales, les envois étant le fait de visiteurs de son site dont la démarche est protégée par la liberté d’expression et d’opinion et le droit de pétition ;
– l’absence d’atteinte à un système de gestion automatisé de données, le traitement du courrier électronique n’étant pas incriminé ;
Elle affirme que le message a cessé d’être diffusé dès le 18 mai 2003, date de la fin de « la manifestation électronique » qu’elle avait organisée pour soutenir la réforme du régime des retraites engagée par l’actuel gouvernement, et qu’il y a lieu à référé ;
Elle estime les demandes de provision sérieusement contestables et réclame 1000 € au titre de l’article 700 du ncpc ;
L’UMP remarque qu’elle est attraite à la procédure dans la mesure où le site de « La Droite Libre » reproduit son logo et sa marque ; se réservant d’agir de ce fait en contrefaçon, elle demande à être placée hors de cause ; à l’audience « La Droite Libre » a indiqué que l’action querellée était de sa seule responsabilité ;
La FSU soutient le principe de son intervention, argumente sa demande, identique à celle du Snes, avec les mêmes moyens ;
L’Unsa et M. Alain O., secrétaire général agissant à titre personnel, défendent leur intervention et développent au soutien de demandes identiques à celles précédemment exposées les moyens du demandeur initial ; Alain O. estime qu’il a subi un préjudice personnel, le système de courrier électronique de son organisation étant structuré de telle façon que son micro-ordinateur personnel a été le « déversoire » de celui de l’Unsa lorsque sa boîte électronique s’est trouvée saturée par les messages ;
La discussion
Sur la recevabilité des interventions
Attendu que l’allégation d’une action concertée entre les intervenants et la partie demanderesse initiale, pour tourner l’autorisation d’assigner à heure indiquée n’apparaît pas fondée alors que 46 adresses d’organisations professionnelles constituaient la cible de l’action de « La Droite Libre » (écrans du 14 mai 2003) ; qu’il est de bonne administration de la justice de considérer que ces interventions ont, avec les prétentions des parties initiales, un lien suffisant en raison de l’identité des demandes et des moyens, identité qui a garanti aux défendeurs les délais nécessaires au respect du contradictoire ;
Sur la mise en cause de l’UMP
Attendu que la position développée par l’UMP n’est pas contestée ; qu’il y a lieu de la placer hors de cause ;
Sur l’actualité du trouble
Attendu que la défenderesse soutient avoir mis fin à sa manifestation électronique le 18 mai 2003 en supprimant de son site l’appel à ses sympathisants ; que le Snes produit une copie d’écrans de ce site, datée du 21 mai 2003, jour de cette audience, qui montre le maintien de l’appel et une actualisation du texte de la lettre qu’il est proposé d’envoyer ; que les textes publiés les 13 et 14 mai 2003 portent en fin du paragraphe six « Sncf, EDF » tandis que le texte du 21 mai du même paragraphe se termine par les termes : « Sncf et très bientôt tous les autres », que sa mise en page apparaît modifiée, tout comme la liste des destinataires ; qu’ainsi la défenderesse ne fait pas la preuve de son allégation ; que si par note en délibéré elle explique qu’elle a conservé « à des fins techniques » cette page rémanente, à destination des seuls lecteurs de sa « newsletter » et produit un écran tiré le 22 mai 2003 « suite et fin de la manifestation électronique », il n’en demeure pas moins que le texte restait accessible au jour de l’audience justifiant l’exercice des pouvoirs du juge des référés ;
Sur l’existence du trouble manifestement illicite
Attendu que « La Droite Libre » ne peut à la fois constater le succès de sa manifestation : la lettre de la Droite Libre du 14 mai 2003, du 17 mai 2003, l’écran du 22 mai 2003, et contester que les courriers électroniques reçus par les demandeurs et intervenants, qui produisent les relevés des compteurs de leurs boîtes de courriers électroniques à titre de renseignements, aient été suffisamment nombreux pour perturber le fonctionnement de ces organisations ;
que le trouble ainsi établi constituait son objectif ainsi qu’il résulte des messages affichés sur son site et d’un communiqué de son secrétaire général repris par une dépêche AFP du 13 mai 2003 qui indique après avoir annoncé « la manifestation électronique »; « ils bloquent la France, nous bloqueront leur boîte e-mail » ;
que cet objectif caractérise une intention malicieuse l’action ne pouvant dès lors se prévaloir d’un exercice normal de la liberté d’expression tandis qu’elle n’est pas justifiée par une permission de la loi ;
qu’il suffit dès lors de constater que l’action de « La Droite Libre » prive les demandeurs de l’usage des services de courrier électronique dont ils ont une possession légitime et constitue dès lors un trouble manifestement illicite auquel il doit être mis fin ;
que peu importe à cet égard qu’une installation logicielle simple permette d’y mettre fin ; que par contre ce besoin créé par l’action de la défenderesse permet de fonder une demande de provision sur dommages-intérêts qui sera arrêtée pour tous les demandeurs à 400 € ;
que la somme due au titre de l’article 700 du ncpc sera arrêtée à 1000 € ; que la présente ordonnance fera l’objet d’une publication dans les termes précisés au dispositif ;
La décision
Statuant publiquement en premier ressort, par ordonnance contradictoire,
. Déclarons recevables les interventions volontaires de la FSU, de l’Unsa, de Alain O. ;
. Plaçons l’association UMP hors de cause ;
. Enjoignons en tant que de besoin à l’association « La Droite Libre » de cesser dès le prononcé de l’ordonnance, exécutoire sur minute, de publier sur son site internet l’appel à une manifestation électronique hostile au mouvement social relatif aux retraites ;
. La condamnons à payer au Snes, à la FSU, à l’Unsa, à Alain O., chacun la somme de 400 € à titre de provision sur dommages-intérêts ;
. La condamnons à payer au Snes et à la FSU, ensemble, la somme de 1000 €, à l’Unsa et Alain O., ensemble la somme de 1000 € au titre de l’article 700 du ncpc ;
. Enjoignons à « La Droite Libre » de publier sur son site internet, de façon directement accessible, pendant 5 jours, dans le délai le plus bref qui suit le prononcé de cette ordonnance le communiqué suivant :
« Le juge des référés du tribunal de grande instance de Paris a, aux motifs suivants :
Le blocage des boîtes électroniques d’organisations syndicales ainsi établi constituait son objectif ainsi qu’il résulte des messages affichés sur son site et d’un communiqué de son secrétaire général repris une dépêche AFP du 13 mai 2003 ;
cet objectif caractérise une intention malicieuse l’action ne pouvant dès lors se prévaloir d’un exercice normal de la liberté d’expression tandis qu’elle n’est pas justifiée par une permission de la loi ;
il suffit dès lors de constater que l’action de « La Droite Libre » prive les demandeurs de l’usage des services de courrier électronique dont ils ont une possession légitime et constitue dès lors un trouble manifestement illicite auquel il doit être mis fin ;
enjoint à l’association « La Droite Libre » de cesser l’appel à une « manifestation électronique » contre les organisations professionnelles animant le mouvement social sur la réforme des retraites » ;
. La condamnons aux dépens qui comprendront les frais de constat d’ huissier ;
Le tribunal : Louis-Marie Raingeard de la Bletière (vice président)
Avocats : Me France Weyl, Me Mathieu Laine, Me Fabrice Degroote (SCP Derriennic), Me Dominique Trey (SCP Lecat)
Notre présentation de la décision
En complément
Maître Dominique Trey est également intervenu(e) dans l'affaire suivante :
En complément
Maître Fabrice Degroote est également intervenu(e) dans les 3 affaires suivante :
En complément
Maître France Weyl est également intervenu(e) dans les 2 affaires suivante :
En complément
Maître Mathieu Laine est également intervenu(e) dans l'affaire suivante :
En complément
Le magistrat Louis Marie Raingeard de la Bletière est également intervenu(e) dans les 12 affaires suivante :
* Nous portons l'attention de nos lecteurs sur les possibilités d'homonymies particuliérement lorsque les décisions ne comportent pas le prénom des personnes.