Jurisprudence : Droit d'auteur
Tribunal de grande instance de Nanterre 1ère chambre A Jugement du 23 janvier 2002
Jean T. dit Jean Ferrat, Sarl Productions Alléluia, Gérard Meys, Sarl Teme / Sté I-France (venant aux droits de la SA Opsion Innovation), association Music Contact
agent assermenté - autorisation - cession - constat - contrat - diffusion - droit d'auteur - droit moral - site internet - texte de chanson
Débats
A l’audience du 12 décembre 2001, tenue publiquement par Anne-Marie Brocard-Laffy et Pascale Chardonnet, juges chargés du rapport en application de l’article 786 du nouveau code de procédure civile.
Vu l’assignation délivrée les 23 et 24 octobre 2000 à la société Opsion Innovation et à l’association Music Contact, par laquelle Jean T. dit Jean Ferrat, la société Productions Alléluia, Gérard Meys, exerçant sous le sigle « Productions Gérard Meys », et la société Teme demandent au tribunal, sur le fondement de l’article 1382 du code civil et des articles L. 121 et suivants, L. 212-2 et suivants et L. 213-1 du code de la propriété intellectuelle, et au vu de procès-verbaux établis par M. Soreau, agent assermenté de l’Agence pour la Protection des Programmes :
– de constater que la diffusion sans autorisation des textes des chansons écrites et des musiques composées par Jean Ferrat, dont la société Productions Alléluia et les Productions Gérard Meys sont l’éditeur, constitue une infraction,
– de constater que la diffusion des interprétations des œuvres par Jean Ferrat constitue de ce chef une contrefaçon,
– en conséquence, d’enjoindre à la société Opsion Innovation de fermer les sites :
. http://levillage.com/music-contact
. http://www.I-France.desman/
sous astreinte de 50 000 F par infraction constatée
– et de mettre en place un processus de recherche approprié permettant de retrouver et fermer tous les sites qu’elle héberge et qui reproduisent des chansons et musiques écrites, composées et/ou interprétées par Jean Ferrat, sous astreinte de 10 000 F par infraction constatée,
– d’interdire à la société Opsion Innovation et à l’association Music Contact de reproduire et diffuser les chansons écrites et/ou les compositions musicales de Jean Ferrat, sous astreinte de 10 000 F par infraction constatée,
– de condamner in solidum la société Opsion Innovation et l’association Music Contact à verser la somme de 150 000 F à Jean Ferrat, la somme de 500 000 F à la société Productions Alléluia et la somme de 40 000 F aux Productions Gérard Meys à titre de dommages-intérêts,
– de condamner la société Opsion Innovation à verser à Jean Ferrat :
. la somme de 100 000 F à titre de réparation de son préjudice moral d’auteur et d’interprète,
. la somme de 50 000 F à titre de réparation de son préjudice patrimonial causé par la perte de droits voisins sur la diffusion de son interprétation,
– de condamner la société Opsion Innovation à verser à la société Productions Alléluia la somme de 100 000 F et aux Productions Gérard Meys la somme de 10 000 en réparation de leur préjudice commercial,
– de condamner la société Opsion Innovation à verser à la société Teme la somme de 100 000 F pour diffusion sans autorisation d’enregistrements lui appartenant à titre exclusif,
– d’ordonner la publication de la décision à intervenir dans les supports de presse écrite suivants : « Libération », « Le Monde », « Music Info Hebdo », et deux revues spécialisées en télécommunication : « Internet Reporter » et « Planet Internet », aux frais in solidum des défendeurs, sans que le montant de chaque insertion puisse dépasser 30 000 F,
– d’ordonner l’insertion d’un extrait de la décision sur la page d’accueil du site www.I-France.com pendant un mois à compter du prononcé de l’ordonnance à intervenir,
– de nommer un huissier pour constater et contrôler les mesures ordonnées,
– de condamner in solidum l’association Music Contact et la société Opsion Innovation à verser à Jean Ferrat, à la société Productions Alléluia et aux Productions Gérard Meys la somme de 15 000 F à chacun, sur le fondement de l’article 700 du nouveau code de procédure civile,
– de condamner la société Opsion Innovation à verser à la société Teme la somme de 15 000 F, ainsi qu’aux dépens comprenant le coût des procès-verbaux dressés par M. Soreau ;
Vu leurs conclusions en réplique et récapitulatives signifiées le 14 novembre 2001, par lesquelles ils demandent au tribunal de prendre acte de ce que la société I-France (précédemment intitulée Opsion Innovation » a fermé les sites litigieux dès réception de l’assignation et ils modifient certaines de leurs demandes désormais à l’encontre de la société I-France, à savoir :
– 50 000 F au lieu de 100 000 F, en réparation du préjudice moral de Jean Ferrat,
– 10 000 F au lieu de 100 000 F, en réparation du préjudice commercial subi par la société Productions Alléluia,
tout en maintenant le surplus de leurs réclamations ;
Vu les conclusions récapitulatives signifiées le 24 septembre 2001 par l’association Music Contact qui explique qu’elle a pour objet de promouvoir des jeunes auteurs, ainsi que de rendre hommage aux artistes français afin de les faire connaître aux jeunes générations et qu’elle a, à ce titre, reproduit sur son site internet les paroles (et non la musique) des chansons de Jean Ferrat, et qui demande au tribunal :
– de constater qu’elle est dans l’incapacité de déterminer les droits apportés par les demanderesses à la Sacem, malgré ses nombreuses réclamations, et de les débouter en conséquence,
– subsidiairement, de dire que :
. les paroles de la chanson « Si je mourrais là-bas », écrites par Guillaume Apollinaire, sont tombées dans le domaine public,
. les demanderesses ne disposent pas des droits de reproduction et de représentation pour faire autoriser ou interdire toute reproduction et représentation sur le réseau internet des paroles des chansons écrites par Michelle Senlis, Georges Coulonges, Jean-Claude Massoulier, Claude Delecluse, Louis Aragon, Jean-Pierre Frachet et Henri Gougaud, ainsi que par les auteurs non identifiés,
. la société Productions Alléluia, les Productions Gérard Meys et la société Teme ne disposent pas des droits de reproduction et de représentation pour faire autoriser ou interdire toute reproduction et représentation sur le réseau internet des paroles des chansons écrites par Jean Ferrat,
. la société Productions Alléluia, les Productions Gérard Meys et la société Teme ne disposent pas de droit moral sur les paroles des chansons écrites par Jean Ferrat,
. Jean Ferrat n’a subi aucune atteinte à son nom, à l’intégrité de ses œuvres et à son droit de retrait et de repentir,
. les demanderesses ne disposent pas de droit moral sur les paroles des chansons écrites par Michelle Senlis, Georges Coulonges, Jean-Claude Massolier, Claude Delecluse, Luis Aragon, Jean-Pierre Frachet et Henri Gougaud, ainsi que par les auteurs non identifiés,
. elles n’ont subi aucun préjudice du fait de la diffusion par elle des paroles des chansons en cause,
. elles n’apportent en tout état de cause nullement la preuve de leur préjudice,
. la prétendue atteinte à l’honneur et à la considération de Jean Ferrat et Gérard Meys n’est nullement de son fait,
. leur demande de fermeture de son site internet est injustifiée,
. elles font preuve d’une mauvaise foi avérée du fait des demandes exorbitantes de dommages-intérêts et de l’absence de célérité dans la présente procédure,
. sa bonne foi et son absence de finalité lucrative dans sa démarche sont avérées
– et, en conséquence, de les débouter de leurs demandes ;
Vu les conclusions récapitulatives signifiées le 11 septembre 2001 par la société I-France (anciennement dénommée Opsion Innovation) qui souligne qu’ !elle ne pouvait savoir qu’il y aurait eu une éventuelle atteinte aux droits des demandeurs tant que ceux-ci ne s’étaient pas manifestés auprès d’elle ; que, dès réception de l’assignation, elle a rendu l’accès au site de l’association Music Contact impossible et que les demandeurs n’ont assigné que trois mois après le constat, sans mise en demeure préalable, ce qui décrédibilise leur préjudice, et qui demande au tribunal :
– de déclarer irrecevables et mal fondées les demandes de Jean Ferrat, de la société Productions Alléluia, des Productions Gérard Meys et de la société Teme et de les en débouter,
– de dire qu’elle a respecté les dispositions de la loi du 1er août 2000,
– de dire qu’aucune responsabilité ne peut lui être imputée,
– de dire que le dénigrement systématique des demandeurs à son encontre lui a nécessairement causé un préjudice,
– de les condamner en conséquence à lui payer la somme de 200 000 F à titre de dommages-intérêts, outre celle de 20 000 F au titre de l’article 700 du nouveau code de procédure civile.
Motifs de la décision
I. Sur les demandes formées à l’encontre de l’association Music Contact
1.1. Par la société Productions Alléluia et Gérard Meys
La société Productions Alléluia réclame à l’association Music Contact, in solidum avec la société I-France, la somme de 500 000 F à titre de dommages-intérêts,
Gérard Meys réclame à l’association Music Contact, in solidum avec la société I-France, la somme de 40 000 F à titre de dommages-intérêts.
La société Productions Alléluia et Gérard Meys se prévalant de contrats de cession et d’édition d’œuvres musicales qui leur ont été consentis par Jean Ferrat, reprochent à l’association Music Contact d’avoir reproduit sur son site http://levillage.I-France.com/music-contact/ les textes de chansons de Jean Ferrat, ainsi qu’ils en justifient par la production d’un procès-verbal établi le 13 juillet 2000 par M. Soreau, agent assermenté de l’Agence pour la Protection des Programmes.
Ils produisent un second constat de M. Soreau, daté du 18 juillet 2000, selon lequel le texte de deux chansons de Jean Ferrat, « C’est beau la vie » et « Nuit et brouillard », ainsi que leurs interprétations sonores par Jean Ferrat, étaient reproduites sur un site http://www.I-France.com/desman/.
Il n’est pas établi que l’association Music Contact serait le créateur de ce site.
Ces deux chansons doivent donc être exclues des débats.
L’association Music Contact leur oppose tout d’abord le fait qu’ils n’ont pas justifié de l’étendue des droits apportés par Jean Ferrat à la Sacem, ni, par voie de conséquence, de ce qu’ils disposent de l’ensemble des droits sur les paroles des chansons en cause, en observant que les contrats de cession et d’édition qu’ils ont conclu avec Jean Ferrat stipulent que :
« L’auteur cède à l’éditeur qui l’accepte, selon les modalités et conditions ci-après définies, sous réserve en particulier des droits antérieurs consentis par lui aux sociétés d’auteur et à l’exception des attributs d’ordre intellectuel et moral attachés à sa personne, son droit de propriété incorporelle, exclusif et opposable à tous, sur l’œuvre suivante, dont l’auteur est propriétaire, ainsi que sur le titre de cette œuvre ».
Ces contrats prévoient, au chapitre « Droit de reproduction », lequel est seul en cause en l’espèce, que :
– celui-ci concerne tous les procédés de fixation matérielle de l’œuvre, connus et non encore connus, qui permettent et permettront de communiquer cette œuvre au public d’une manière indirecte, notamment la copie, la gravure, l’imprimerie, le dessin, la photographie, l’enregistrement mécanique, électrique, magnétique, cinématographique, sans que ces indications soient limitatives,
– l’auteur ayant déclaré être actuellement adhérent à la SDRM, il est expressément entendu que la gérance du droit de reproduction mécanique sur l’œuvre lui demeure confiée.
Or, en l’occurrence, ce qui est reproché à l’association Music Contact, ce n’est pas la reproduction de l’enregistrement mécanique des chansons de Jean Ferrat, dont le droit est géré par la SDRM, mais simplement la reproduction des textes desdites chansons, textes qu’elle a fait paraître sur son site internet et dont le droit est effectivement exercé par la société Productions Alléluia et par Gérard Meys en vertu des contrats de cession conclu ave Jean Ferrat.
Ceux-ci sont donc bien recevables à agir.
L’association Music Contact oppose ensuite à la société Productions Alléluia et à Gérard Meys le fait qu’ils ne disposent pas, au titre de ces contrats de cession, des droits d’exploitation sur internet, ce qui constitue un mode d’exploitation nouveau et distinct et qui devrait être expressément visé dans les contrats d’exploitation des droits de propriété intellectuelle.
Si l’article L. 131-3 du code de la propriété intellectuelle énonce que la transmission des droits de l’auteur est subordonnée à la condition que chacun des droits cédés fasse l’objet d’une mention distincte, l’article L. 131-4 autorise la clause d’une cession qui tend à conférer le droit d’exploiter l’œuvre sous une forme non prévisible et non prévue à la date du contrat.
Les contrats de cession consentis par Jean Ferrat à la société Productions Alléluia et à Gérard Meys stipulent expressément que le droit de reproduction concerne « tous les procédés de fixation matérielle de l’œuvre connus et non encore connus ».
La société Productions Alléluia et Gérard Meys sont donc bien titulaires des droits de reproduction des textes des chansons de Jean Ferrat reproduits sur le site internet de l’association Music Contact.
L’association Music Contact observe enfin que Jean Ferrat n’est pas l’auteur des textes d’un certain nombre des chansons objet du litige, ce qui est établi par les contrats de cession sur lesquels il est mentionné :
– soit que Jean Ferrat est l’auteur des paroles et de la musique,
– soit que Jean Ferrat est l’auteur de la musique et que les paroles émanent d’un tiers,
– soit que Jean Ferrat est l’auteur de la musique, sans précision du nom d l’auteur des paroles.
Jean Ferrat, qui n’a pu céder à la société Productions Alléluia et à Gérard Meys plus de droits qu’il n’en détenait lui-même, n’a pu leur céder des droits patrimoniaux d’auteur sur les textes de chansons qu’il n’a pas écrites.
La société Productions Alléluia et Gérard Meys ne peuvent dès lors invoquer des actes de contrefaçon en raison de la diffusion, sur le site internet de l’association Music Contact, des textes des chansons suivantes :
– « Si je mourrais là-bas », écrite par Guillaume Apollinaire,
– « Aimer à perdre la raison », « Au bout de mon âge », « Que serais-je sans toi ? », « C’est peu dire que je t’aime », « Complainte de Pablo Neruda », « Heureux celui qui meurt d’aimer », « J’arrive où je suis étranger », « Un jour, un jour », « Nous dormirons ensemble », écrits par Louis Aragon,
– « L’adresse du bonheur », écrit par Henri Gougaud,
– « Raconte-moi la mer », « Deux enfants au soleil », écrits par Claude Delecluse,
– « C’est beau la vie », écrite par Claude Delecluse et Michelle Jenlis,
– « Ma môme », écrit par Pierre Frachet,
– « Marie », écrit par Jean-Claude Massoulier,
– « Les belles étrangères », « Chanson pour toi », écrits par Michelle Senlis,
– « La Commune », « Un enfant quitte Paris », « Potemkine », « La fête aux copains », écrits par Georges Coulonges,
ni, en raison de la diffusion des textes dont l’auteur n’a pas été identifié, à savoir :
– « La liberté est en voyage », « En groupe, en ligue, en procession », « Pauvre Boris », « Alléluia ».
Seule la chanson de Guillaume Apollinaire, tombée dans le domaine public, a fait l’objet d’un débat de la part des demandeurs qui ont fait valoir qu’une composition musicale constituant un tout indivisible, le délai de protection ne peut être calculé qu’à partir du décès du dernier vivant des coauteurs.
Cet argument est sans portée, dans la mesure où Jean Ferrat n’est pas co-auteur avec Guillaume Apollinaire du texte de son poème, qu’il s’est contenté de mettre en musique et sur lequel il ne dispose pas de droit d’auteur.
Seule la diffusion par l’association Music Contact des textes de chansons écrits par Jean Ferrat est donc illicite, en vertu de l’article L. 122-4 du code de la propriété intellectuelle, pour avoir été réalisée sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit, en l’espèce la société Productions Alléluia, et constitutive d’une contrefaçon, en vertu de l’article L. 335-3 du même code.
Il s’agit des chansons suivantes :
– « Nuit et brouillard », « A Brassens », « A l’été de la Saint-Martin », « A la une », « Au printemps de quoi rêvais-tu », « Ma France », « Bicentenaire », « C’est toujours la première fois », « Camarade », « Sacré Félicien », « Chante l’amour », « Dans la jungle ou dans le zoo », « Dingue », « Le grillon », « Je ne chante pas pour passer le temps », « Je vous aime », « Les jeunes imbéciles », « Mon amour sauvage », « La montagne », « Nul ne guérit de son enfance », « La paix sur terre », « Les petites filles modèles », « Parle-moi de nous », « Le sabre et le goupillon », « Les tournesols », « La voix lactée », « On ne voit pas le temps passer ».
Il doit être relevé que Gérard Meys, qui n’a produit que les chansons « C’est beau la vie », « Deux enfants au soleil », « La fête des copains » et « Ma môme », non écrites par Jean Ferrat, ne peut arguer d’une contrefaçon ni, par voie de conséquence, de demander réparation.
La société Productions Alléluia, qui détenait les droits patrimoniaux sur les vingt-trois autres chansons écrites par Jean Ferrat, peut en revanche faire valoir la perte des droits patrimoniaux qu’elle a subie du fait de cette diffusion contrefaisante par l’association Music Contact.
Elle a estimé à 10 000 F son préjudice par chanson reproduite, sans pour autant justifier de ce qu’elle a vocation à recevoir une redevance de ce montant pour la diffusion du seul texte des chansons en cause.
Les éléments du dossier, et en particulier le fait que les diffusions litigieuses ont été interrompues dès l’introduction de la présente procédure, étant observé que les demandeurs n’avaient pas cru devoir préalablement adresser à l’association Music Contact une quelconque mise en demeure, conduisent à allouer à la société Productions Alléluia la somme de 6 900 € (45 261,03 F) à titre de dommages-intérêts.
Gérard Meys doit être, quant à lui, débouté de ses demandes pour les motifs énoncés.
1.2. Par Jean Ferrat
Celui-ci réclame à l’association Music Contact, in solidum avec la société I-France, la somme de 150 000 F à titre de dommages-intérêts.
Jean Ferrat, qui a cédé ses droits patrimoniaux sur les chansons qu’il a écrites à la société Productions Alléluia, ne peut se plaindre que d’un dommage consécutif à une atteinte à ses droits moraux d’auteur, lesquels sont définis par l’article L. 121-1 du code de la propriété intellectuelle.
Lorsqu’elle a diffusé sur son site internet les chansons de Jean Ferrat, l’association Music Contact a bien indiqué son nom en qualité d’auteur et il n’est pas contesté que les textes de ses chansons ont été reproduits intégralement sans être altérés, de telle sorte qu’il n’a pas été porté atteinte à l’intégrité des œuvres.
L’association Music Contact a ainsi seulement porté atteinte au droit de divulgation qui appartient à l’auteur en vertu de l’article L. 121-2 du code de la propriété intellectuelle, puisqu’elle a diffusé le texte de vingt-trois de ses chansons sur son site internet sans avoir requis son autorisation préalable.
Le préjudice qui en est résulté pour Jean Ferrat doit être réparé par l’allocation de la somme de 6 900 € (45 261,03 F) à titre de dommages-intérêts.
II. Sur les demandes formées à l’encontre de la société I-France
Jean Ferrat réclame à la société I-France :
– in solidum avec l’association Music Contact, la somme de 150 000 F à titre de dommages-intérêts,
– la somme de 50 000 F en réparation de son préjudice moral,
– la somme de 50 000 F à titre de réparation de son préjudice patrimonial causé par la perte de droits voisins sur la diffusion de son interprétation.
La société Productions Alléluia lui réclame :
– in solidum avec l’association Music Contact, la somme de 500 000 F,
– la somme de 10 000 F en réparation de son préjudice commercial.
Gérard Meys lui réclame :
– in solidum avec l’association Music Contact, la somme de 40 000 F,
– la somme de 10 000 F en réparation de son préjudice commercial.
La société Teme lui réclame la somme de 100 000 F pour diffusion sans autorisation d’enregistrements.
La société I-France, anciennement dénommée Opsion Innovation, est une société fournisseur de moyens techniques, spécialisée dans les nouvelles technologies.
A ce titre, elle a hébergé le site http://levillage.I-France.com/music-contact/ créé par l’association Music Contact et sur lequel ont été diffusés les textes des chansons de Jean Ferrat, ce qui est établi par le constat dressé le 13 juillet 2000.
Elle a également hébergé le site http://www.ifrance-com/desman/, site dont le créateur n’a pas été identifié et sur lequel ont été reproduits les textes des chansons « C’est beau la vie » et « Nuit et brouillard », ainsi que leur interprétation par Jean Ferrat, ce qui est établi par le constat dressé le 17 juillet 2000.
Il est constant qu’après avoir fait établir ces deux constats, les demandeurs n’ont pas alerté la société I-France et ne l’ont pas mise en demeure d’intervenir afin de faire cesser les atteintes dont ils se plaignent à l’occasion de la présente procédure.
C’est seulement le 23 octobre 2000, date de délivrance de l’assignation, que la société I-France a eu connaissance des prétentions des demandeurs : elle a fermé ces deux sites dès réception de l’assignation, ce que reconnaissent expressément les demandeurs aux termes de leurs conclusions signifiées le 14 novembre 2001.
Il doit lui en être donné acte.
Les demandeurs maintiennent cependant leurs demandes indemnitaires à l’encontre de la société I-France, lesquelles sont d’ailleurs supérieures à celles qu’ils ont formées à l’encontre de l’association Music Contact.
Ils considèrent en effet que la société I-France aurait fait preuve d’une grave négligence en ne vérifiant pas la teneur du site de l’association Music Contact, alors qu’elle avait précédemment eu connaissance de diffusions litigieuses de chansons de Jean Ferrat.
Ils avaient en effet assigné en référé la société I-France, le 19 juin 2000, du fait d’une diffusion illicite de chansons de Jean Ferrat sur deux sites qu’elle hébergeait et celle-ci avait immédiatement fermé ces deux sites, ainsi qu’il résulte d’un procès-verbal de constat dressé le 20 juin 2000 par Me Saragoussi, huissier de justice.
Pour autant, toute diffusion de chansons de Jean Ferrat n’est pas nécessairement illicite, celui-ci ayant pu y avoir consenti.
Aucun manquement fautif à l’obligation de vigilance et de prudence mise à la charge de l’hébergeur ne peut donc être retenu à l’encontre de la société I-France, qui rappelle à ses adhérents, dans ses conditions générales, que ceux-ci, pour toutes les données protégées par un droit de propriété, doivent obtenir les autorisations préalables auprès des titulaires de droits dans les conditions légales, avant toute reproduction, représentation et communication au public.
Les demandeurs reprochent également à la société I-France de ne pas avoir été en mesure de fournir les coordonnées exactes du site Desman.
La loi du 1er août 2000, qui oblige les fournisseurs d’hébergement à détenir et conserver les données permettant d’identifier les personnes éditant un service de communication en ligne, est intervenue postérieurement à la création du site en cause.
La responsabilité de la société I-France ne peut donc davantage être retenue à ce titre.
Jean Ferrat, la société Productions Alléluia, Gérard Meys et la société Teme doivent dès lors être déboutés de leurs demandes de dommages-intérêts à l’encontre de la société I-France.
Il n’apparaît pas par ailleurs utile d’enjoindre à la société I-France de mettre en place un processus de recherche permettant de trouver tous les sites reproduisant des chansons de Jean Ferrat.
III. Sur les demandes de publications judiciaires
Le préjudice subi par la société Productions Alléluia et par Jean Ferrat du fait des atteintes à leurs droits à raison de la diffusion contrefaisante des textes des chansons litigieux sur le site internet de la société Music Contact a été suffisamment réparé par les dommages-intérêts qui leur ont été alloués.
Il n’y a pas lieu de compléter cette indemnisation par les mesures de publication sollicitées.
IV. Sur les imputations diffamatoires
Les demandeurs soutiennent qu’un forum créé par la société I-France sur le présent litige aurait suscité un torrent d’injures à l’égard de Jean Ferrat et de Gérard Meys, et ils mettent en cause à ce titre tant l’association Music Contact que la société I-France.
Ces faits sont contestés par les défenderesses mais, en toute hypothèse, l’imprécision des écritures des demandeurs ne permet pas de déterminer s’ils forment une réclamation à ce titre.
V. Sur la demande reconventionnelle de la société I-France
Celle-ci ne justifie pas du préjudice qu’elle aurait subi du fait du dénigrement dont elle aurait fait l’objet de la part des demandeurs.
Elle doit donc être déboutée de sa demande.
Les conditions d’application des dispositions de l’article 700 du nouveau code de procédure civile sont réunies au profit de Jean Ferrat, de la société Productions Alléluia et de la société I-France, à chacun desquels il est alloué la somme de 2 000 € (13 119,14 F).
L’exécution provisoire étant nécessaire et compatible avec la nature de l’affaire, il y a lieu de l’ordonner.
Il n’y a pas lieu de condamner les défendeurs au coût des procès-verbaux de constat, dont il a été tenu compte dans les sommes allouées au titre de l’article 700 du nouveau code de procédure civile.
La décision
Le tribunal, par jugement contradictoire, prononcé publiquement et en premier ressort :
– condamne l’association Music Contact à payer :
. la somme de 6 900 € (45 261,03 F) à la société Productions Alléluia,
. la somme de 6 900 € (45 261,03 F) à Jean T. dit Jean Ferrat,
à titre de dommages-intérêts ;
– rejette le surplus de leurs demandes à l’encontre de l’association Music Contact ;
– déboute Gérard Meys et la société Teme de leurs demandes formées à l’encontre de l’association Music Contact ;
– déclare mal fondées les demandes formées par Jean T. dit Jean Ferrat, la société Productions Alléluia, Gérard Meys et la société Teme à l’encontre de la société I-France ;
– les en déboute ;
– déboute la société I-France de sa demande de dommages-intérêts ;
– rejette les demandes de publications judiciaires ;
– condamne l’association Music Contact à payer à Jean T. dit Jean Ferrat et à la société Productions Alléluia la somme de 2 000 € (13 119,14 F) à chacun au titre de l’article 700 du nouveau code de procédure civile ;
– condamne in solidum les demandeurs à payer à la société I-France la somme de 2 000 € (13 119,14 F) au titre de l’article 700 du nouveau code de procédure civile ;
– ordonne l’exécution provisoire du présent jugement ;
– condamne l’association Music Contact aux dépens et autorise Me Jarlaud-Lang et Me Granger à les recouvrer conformément aux dispositions de l’article 699 du nouveau code de procédure civile.
Le Tribunal : M. Pascal Chauvin (vice-président), Mmes Anne-Marie Brocard-Laffy et Pascale Chardonnet (juges).
Les Avocats : Mes Jocelyne Granger, Claire Jarlaud-Lang et Cyril Fabre.
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* Nous portons l'attention de nos lecteurs sur les possibilités d'homonymies particuliérement lorsque les décisions ne comportent pas le prénom des personnes.